Whist, Compagnie AΦE / Esteban Fourmi et Aoi Nakamura, Chaillot – Théâtre national de la Danse
  © AΦE     ƒƒƒ article de Nicolas Brizault Whist…  du splendide en faux, en vrai, une suite de rêves plus qu’étranges dans lesquels nous nous plongeons tous, dans un silence étonnant, nous visiteurs sages à Chaillot, dans un hall à la vue superbe sur la Tour Eiffel, une vingtaine de personnes, davantage peut-être, peut-être pas, allant et venant un masque sur le visage, un casque sur les oreilles. L’idée est d’aller fixer son regard sur une sculpture qui semble inoffensive, marbre rayé ici ou là, simple trace au sol, déco presque sans intérêt véritable ? Impression d’un négatif en couleurs, là, sous nos yeux. Puis ce masque, soudain plus autoritaire, nous intime l’ordre de rejoindre tel ou tel de ces blocs, de ces traces. Et le mystère, la folie, la beauté, la peur, débutent. Toutes mêlées parfois. D’abord parce que nous ne sommes plus à Chaillot, dans le Foyer de la danse, mais sur une table, des invités surprenants festoient de cœurs lourds, à nos pieds dans un plat sale. Ou ailleurs un homme se convulse sur un canapé, dans un salon vide, construit d’éléments déchirés, murs pâles, prêts à se fendre, s’effondrer. A chaque fois, si vous tournez la tête, autre chose surgit. Nous ne sommes pas au théâtre, Chaillot a disparu, nous sommes quasiment prisonniers d’un univers terrifiant. Notre corps ne nous appartient quasiment plus, ce que nous voyons est faux, construit via les limbes informatiques. Les spectateurs sont comme hallucinés, vont lentement d’un enfer à un autre. Esteban Fourmi et Aoi Nakamura, qui ont créé la compagnie AΦE, n’ont pas choisi de nous promener dans de verts champs fleuris dans lesquels un papillon charmant nous aurait fait tourner la tête vers de tendres enfants jouant aux billes. Non. Avec ces images qu’ils et nous créons, avec ce sentiment de perdre (un peu) l’équilibre, l’attention, la concentration sont forcément plus denses. Esteban Fourmi et Aoi Nakamura mêlent le vrai, le faux, ils ont libéré non pas les fauves, mais le virtuel. Ils nous accueillent très chaleureusement, nous expliquent comment porter ces casques surprenants. Des dizaines de vues sont possibles, et selon le chemin suivi, un sens probable est à découvrir sur leur site internet. Le lendemain, histoire de se détendre un peu entre temps ? La fascination est évidente, et Freud va nous éclaircir tout cela ! Il faut ajouter qu’une équipe très attentive nous suit et nous guette, veille sur tout souci éventuel, technique ou pas. Effectivement, cette magie ne s’offre pas forcément à chacun, attention les yeux ! Et aussi, un petit papier peut être rempli après cette « promenade », pour donner des informations et des précisions sur chaque spectateur, ce qu’ils ont aimés, ou pas, ce qui est pratique ou non, etc.  AΦE prend soin de nous, c’est évident. Alors n’ayez pas peur, laissez-vous tournebouler tranquillement.   © Paul Plews     Whist, réalisé par Esteban Fourmi, Aoi Nakamura Direction artistique : Esteban Fourmi, Aoi Nakamura (AΦE) Technologie : Happy Finish Musique : Scott Gibbons, Jozef Van Wissem Scénographie : James Shaw Ingénieur son 3D : Oliver Kadel (1.618 Digital) Dramaturgie : Amanda Fromell Psychanaliste : Emilia Raczkowska Avec Nina Brown, Tomislav English, Robert Hayden, Yen-Ching Lin, Steve Rimmer   Jeudi 14 avril :  18 h 15 / 20 h 30 / 21 h 30 Vendredi 15 avril :  18 h 15 / 20 h 30 / 21 h 30 samedi 16 avril :  18 h 15 / 20 h / 21 h / 22 h Mardi 19 avril :  18 h 15 / 20 h 30 / 21 h 30 Mercredi 20 avril :  18 h 15 / 20 h 30 / 21 h 30 Jeudi 21 avril :  18 h 15 / 20 h / 21 h Vendredi 22 avril :  18 h 15 / 20 h / 21 h   Foyer de la Danse Durée 1 heure     Chaillot – Théâtre national de la Danse 1 place du Trocadéro 75116 Paris   https://theatre-chaillot.fr/fr/saison-2021-2022/whist      Read More →
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Mister Benjamin James et les tableaux étonnants, concert piano-voix de Benjamin James, au Phono Museum
  © Monsieur Gac   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Nous l’avions entendu régulièrement pour deux ou trois chansons au Cabaret Le Secret, ce lieu interlope et unique où monsieur K déniche et invite de drôles d’oiseaux, où son univers singulier avait plus que séduit un public soudain curieux de ce bonhomme tout mimi, presque normal et presque sage parmi les créatures hors-normes de cet antre unique en ses genres. Presque. Physique d’un personnage de Peynet, fines moustaches et fines lunettes, costume cintré et nœud papillon, bref le gendre idéal ou peu s’en faut à qui l’on donnerai le bon Dieu sans confession, sans concession. Oui, mais méfions-nous des apparences… Et le voilà, comme un grand, pour son tout premier récital, à lui tout seul. Et comme Mister James est un perfectionniste et ne fait pas les choses à moitié, c’est au Phono Museum, un lieu idoine qui lui va comme une house à son piano, qu’il nous reçoit pour trois concerts. Qu’il chante l’amour dans tous ses états, les je-t’aime-moi-non-plus, les amours folles, les amours-qui-finissent-mal-en-général, les amours assassines et les adieux-pour-toujours-et-à-jamais, ou bien la vie comme elle va, qu’elle soit une comédie où qu’elle s’efface à l’eau, c’est tendre et souvent caustique, bourré d’un humour délicat, malicieux et pince sans rire, et d’une poésie de la plus belle eau mais au grand jamais bêtasse. Mister James a la pudeur des sentiments, c’est vrai, mais il peut être vachard et grinçant, et ça fait mal sous le sourire en coin et le flegme affiché des vrais timides. Grave aussi quand il aborde avec grande sensibilité et tact mais sans fard des sujets qui vous serrent soudain le kiki. L’homophobie et le harcèlement, les violences conjugales, la fin de vie et la mémoire qui déraille, le Bataclan. Du quotidien même le plus banal il fait aussi son miel et le nôtre, que ce soit de l’enfer des salles d’attentes ou du retour de la flûte à bec (souvenir maudit de notre enfance). Et comme il a le sens de la famille et des idées génialement incongrues, quelques invités sont de la fête. Et pas n’importe lesquels et pas n’importe comment. L’impérial et atrabilaire Monsieur K, l’inénarrable Luce Gaston (dont nous attendons aussi avec impatience le premier spectacle), la sensuelle Sucre d’Orge et Claire-Marie Bronx, créatures échappées du Cabaret le Secret, mis sous cadres, tableaux vivants et étonnants, hilarant, qui commentent et critiquent avec esprit crissant ce tour de chant, fées carabosses bienveillantes ou presque pour ce baptême musical réussi. Et ces textes si délicats et si pointus ajourés de ritournelles entêtantes embarquent très vite le public qui, sans qu’on lui demande son avis, reprend en chœur et avec cœurs les refrains. Il faut dire que Mister James se la joue modeste, pas fanfaron pour deux sous, étonné ou peu s’en faut d’être là, à vous offrir avec un bonheur vrai cette poignée de chansons toutes personnelles et qui semblent tant toucher, avec raison, ceux qui les écoutent. Qu’il soit rassuré, cet arrière-petit-fils lointain d’Yvette Guilbert, ce petit-fils spirituel de Marie-Paule Belle, ce petit cousin proche de Juliette, a tout d’un grand monsieur de la chanson française.   © Monsieur Gac   Mister Benjamin James et les portraits étonnants, concert piano-voix de Mister Benjamin James   Les mardi 12 avril, 10 mai et 7 juin à 20 h 30     Le Phono Museum Paris 53 boulevard Marguerite de Rochechouart 75009 Paris Réservations www.misterbejaminjames.com      Read More →
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Miramar, chorégraphie de Christian Rizzo, au 104 / Festival Séquence Dance
  © Marc Domage   ƒƒ article de Denis Sanglard Il est des créations étranges, lesquelles, malgré leurs intentions premières, semblent rattraper par une réalité, une toujours actualité. Ainsi en est-il de Miramar, « regarder la mer », chorégraphie de Christian Rizzo. L’appel de la mer, l’invitation au voyage, la mélancolie, la méditation devant l’horizon… écouter le flux et le reflux, épouser ce rythme, ce ressac entêtant des marées. Voilà, à entendre Christian Rizzo, l’intention première de cette création. Seulement, devant ces corps en attente, toujours de dos, tendu vers le lointain, en quête d’un possible ailleurs et devant ces corps soudains échoués, terrifiante et bouleversante laisse-de-mer, comment ne pas penser au drame des migrants ? Cette pensée qui vous saisit au long de cette pièce balaye très vite l’idée même de douceur évoquée, de rêverie. Et de songer à cette réplique dans Quai des brumes de Marcel Carné, scénario de Jacques Prévert : « Je peins malgré moi les choses cachées derrière les choses ! Un nageur, pour moi, c’est déjà un noyé ». Ainsi, devant ce danseur en T-Shirt rouge, couché, immobile au fond du plateau, alors qu’en avant-scène on danse le sirtaki, comment ne pas songer au petit Elan, symbole d’une tragédie qui acte notre impuissance citoyenne et une absence délibérée de volonté politique à résoudre ce qui ne devrait pas être un problème ? Voilà sans doute le hors-champs évoqué par Christian Rizzo. C’est une chorégraphie faites d’élans irréguliers, de vagues qui s’élancent et se brisent. De corps ballottés, semblant flotter avant de s’échouer et que l’on évacue. De corps parfois agglutinés, accrochés les uns aux autres, se refusant à sombrer. Des corps en perdition, épuisés s’abandonnant aux gouffres. Ce qui semblait être au départ un dialogue apaisé avec la mer devient un rapport de force, une confrontation devant des éléments qui semblent se déchaîner, qu’accentue davantage l’intensité sonore, musique techno aux beats graves et assourdissants. Et il y a ceux qui renoncent à traverser l’horizon, regards tendus vers l’inconnu, contemplatifs. Des regards obstinément tournés au lointain, horizon que l’on salue d’une main comme un espoir ou un renoncement. Ces mêmes regards attentifs qui s’échangent et circulent continûment dans le groupe et semble le souder dans un destin commun. Qui font également de chaque interprète, quand il ne danse pas, un témoin, spectateur attentif aux propositions exécutées sur le plateau qu’il ne tarde pas à rejoindre. Solo, duo, trio, ensemble, c’est une énergie continue allant crescendo dans une répétition de mouvements, entre tension et lâcher-prise, entre marche et course et une occupation totale du plateau découpé, balayé par la lumière telle un scanner. La fin des plus étrange qui voit surgir, quoi ? on ne comprend pas très bien, un danseur en tenue folklorique agrémentée d’un maillot de foot agitant une oriflamme doré, ajoute à la confusion de voir sur le mur au lointain s’inscrire cette inscription « je te vois ». Là, pour le coup on ne voit plus très bien et se brouille tout soudain la compréhension de l’ensemble qui jusque lors captivait. Reste au final que personnellement en chaque danseur j’ai continué à voir un noyé.   © Marc Domage     Miramar, chorégraphie, scénographie, costumes Christian Rezzo Avec Youness Aboulakoul, Nefeli Asteriou, Lauren Bolze, Lee Davern, Fanny Didelot, Nathan Freyermuth, Pep Guarrigues, Harris Gkekas, Raoul Riva, Vania Vanneau, Anna Vanneau Création lumière : Cathy Olive Création sonore : Gérôme Nox Assistante artistique : Sophie Laly Direction technique : Thierry Cabrera   Du 11 au 14 avril 2022 A 21 h     Le Cent-Quatre 5 rue Curial 75019 Paris Réservation 01 53 35 50 00 www.104.fr      Read More →
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Romances inciertos, conception, mise en scène et direction musicale de Nino Laisné, conception et chorégraphie François Chaignaud, au 104 / Festival Séquence Danse
© Nino Laisné     ƒƒƒ article de Denis Sanglard On le sait, François Chaignaud, artiste protéiforme, jamais vraiment là où on l’attend, par la danse ne cesse d’interroger le genre, l’identité. La danse étant le lieu propre à la métamorphose, au trouble, à la provocation, ce danseur-performer d’exception, y trouve là un terrain fertile. François Chaignaud explore la danse en ethnologue, une danse qu’il ne cesse de déborder, revisitant les répertoires et les styles comme un lieu d’expérimentation plus que de restitution. Là, autour de la figure d’Orlando, personnage de Virginia Woolf dont il est fait référence, traversant les siècles et les genres, François Chaignaud et Nino Laisné, le directeur musical, ont conçu un spectacle contemporain hybride autour de trois personnages traditionnels androgynes issus du répertoire baroque espagnol. Car il s’agit bien ici d’hybridation, d’esprit plus que de lettre. Le répertoire musical allant du XVIème au XXIème siècle. Trois actes, trois styles, trois personnages, trois destins, pour un étrange et formidable opéra-ballet pour un unique interprète. La Doncella guerrera, San-Miguel, et la Tarara. La demoiselle guerrière, femme travestie en homme pour une vocation militaire se refusant à épouser un prince et se noyant de ne pas vouloir se dénuder devant les autres soldats. San-Miguel dans un extrait d’une zarzuela baroque de José de Nebra (1702-1768) dont la particularité de ce compositeur était de confier les rôles de solistes à des femmes, voix de sopranes. Mais également le poème de Lorca teinté d’un fort homoérotisme. Et la Tarare, gitane androgyne, certains disent inter-sexe, démente et marginalisée. Trois personnages déterminés à vivre selon leur désir et leur identité choisie. Et pour chaque figure dansée et chantée par François Chaignaud, un style musical propre, jota, boléro et flamenco. Auquel il adjoint marches de semaines saintes, chansons traditionnelles séfarades, sonates et rondeaux, coplas, chansons populaires et savantes… comme autant de paysages sonores teintés de fortes émotions érotiques et religieuses, les deux allant de pair, qui semble traverser et mettre en branle ce corps dans ses métamorphoses, jusqu’à la transe et l’épuisement. Au centre du plateau, pieds nus, en chausson de danse pour des pointes assassines qui le cloue au sol, sur échasses pour une ronde qui menace son équilibre, ou en très haut-talons pour une frappe rageuse flamenca, d’une voix de haute-contre ou de baryton basse, entourés de quatre musiciens sur instruments anciens, François Chaignaud incarne, et le mot est bien faible devant cette performance saisissante, cet Orlando « baroque » espagnol de façon vertigineuse. Et c’est bien de vertige que nous sommes pris, voire happés devant cette création fortement singulière ou François Chaignaud tournoie, emporté dans son mouvement giratoire jusqu’au déséquilibre, martèle le sol en sa folie, chante l’amour et la douleur. Et c’est ce mouvement centripète et son appropriation, en ce sens qu’il le ramène toujours au centre de son questionnement sur le genre, qui est la source même de sa métamorphose.     Romances inciertos, conception, mise en scène et direction musicale Nino Laisné Conception et chorégraphie, danse et chant : François Chaignaud Bandonéon : Jean-Baptiste Henry Violes de gambe : François Joubert-Caillet Théorbe et guitare baroque : Daniel Zapico Percussions historiques et traditionnelles : Pere Olivè Création lumière et régie générale : Anthony Merlaud, Léo Fauche Régisseur son : Charles-Alexandre Englebert Création costumes : Carmen Anaya, Kevin Augé, Séverine Besson, Maria Angel Buesa Pueyo, Caroline Dumoutiers, Pedro Garcia, Carmen Granell, Manuel Guzman, Isabel Lopez, Maria Martinez, Tania Morillo Fernadez, Héléna Petit, Elena Santiago Chef peintre : Fanny Gaudreau Retouches images : Rémy Moulin, Marie B. Schneider     Du 9 au 14 avril 2022 à 19 h 30 Sauf dimanche 18 h   Le Cent-Quatre 5 rue Curial 75019 Paris Réservation 01 53 35 50 00 www.104.fr      Read More →
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Bartleby, d’après Herman Melville, adaptation et mise en scène de Katja Hunsinger et Rodolphe Dana, Théâtre Gérard Philippe, Saint-Denis
  © Agathe Poupeney   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Bartleby, the scrivener est une nouvelle du célèbre romancier américain Herman Melville, paru en feuilleton en 1853, pour des raisons probablement principalement alimentaires, en dépit de la publication peu de temps auparavant de son chef d’œuvre Moby Dick. Le caractère énigmatique du texte, déduit de la fameuse expression récurrente dans la bouche du copiste, « I would not prefer to », dont la traduction elle-même a posé problème, a suscité de nombreux commentaires, hypothèses, passions et théories. Daniel Pennac fait partie des amoureux de la nouvelle et il y a consacré un livre et un spectacle (Bartleby mon frère, actuellement au Rond-Point que nous n’avons pas vu) et moult philosophes ont cherché à en éclairer le sens. Pour les uns comme Deleuze, Bartleby est une figure messianique, pour les autres comme Blanchot, une figure de la passivité, pour Derrida, un sacrificateur, pour Agamben, « l’ange du possible », ainsi que le résume Gisèle Berkman dans son « L’effet Bartleby ». De fait, il est tentant de penser et écrire que Bartleby est un texte inclassable, dans la littérature et dans l’œuvre de Melville et une adaptation théâtrale de la nouvelle n’a dès lors rien d’évident. Nous n’en avions pas vu avant celle de Katja Hunsinger et Rodolphe Dana qui ont relevé le défi avec brio. Au texte fidèlement respecté, à quelques libertés anecdotiques près (notamment les surnoms de deux des trois employés et âge du patron) est alliée une dramaturgie efficace et des trouvailles scénographiques astucieuses et pertinentes. L’idée de remplacer les personnages physiques de Brioche (Dindon), la Pince (Pince-nez) et Gingembre par des plantes vertes fonctionne très bien. La performance de Rodolphe Dana qui prend en charge leurs rôles parlés n’en est que plus impressionnante. Le tiraillement de la conscience qu’éprouve le juriste face à son copiste dont le comportement défie la raison apparente est extrêmement bien traduit corporellement par Rodolphe Dana qui signe une prestation remarquable en elle-même et dans le duo qu’il forme avec Adrien Guiraud aussi étrange qu’effrayant. On est loin de la fable comique qu’identifiait Deleuze, même si certaines des situations cocasses font rire le public. C’est la part sombre du scribe qui ressort bien de l’adaptation et l’interprétation des deux dramaturges. Leur Bartleby ne renie pas, voire met en valeur le côté précurseur de la littérature de l’absurde qui suivra, et qui révèle certaines préoccupations profondes de Melville. Mais l’adaptation théâtrale va en fait plus loin. Elle réussit la prouesse de faire le lien entre la littérature et les interrogations philosophico-politiques. A la beauté du texte littéraire toujours mise en valeur, notamment grâce à la diction parfaite de Rodolphe Dana, vient s’ajouter sa portée philosophique qui comprend une triple dimension (sociologique, politique et psychologique) S’il y a dans Bartleby des germes pour les personnages de Kafka et Camus des années à venir (Le détachement de Meursault ne doit-il pas un peu à celui de Bartleby ? La mort de Bartleby n’a-t-elle pas inspiré celle de K. dans le Procès ?), le spectateur-observateur est également placé en situation de poser son sur celui qui est différent. L’altérité peut se manifester de différentes manières : l’opposition, la revendication, l’autodestruction. Bartleby n’est pas un résistant qui prônerait un Droit à la paresse à la manière de Paul Lafargue, tout comme il n’est pas un Thoreau de Walden refusant de payer l’impôt et vivant en autarcie dans une cabane. Son refus au conditionnel, dans la frénésie de la copie comme dans la décision d’y mettre fin, n’en fait pas non plus un être passif, mais peut-être une victime, qui expliquerait aussi l’ambivalence de son employeur, reflet de celui d’une société coupable. Bartleby est-il un « simple » schizophrène ou un travailleur victime de la folie du culte du travail dénoncé par son contemporain précité Lafargue, usé et martyre d’une forme de burn out, symbole de notre in-« humanité » (dernier mot du texte) ? Le spectacle de Katja Hunsinger et Rodolphe Dana laissent toute ces possibilités ouvertes.   © Agathe Poupeney   Bartleby, d’après la nouvelle de Herman Melville Création collective dirigée par : Katja Hunsinger et Rodolphe Dana Traduction : Jean-Yves Lacroix Scénographie : Rodolphe Dana Collaboration artistique : Karine Litchman Lumière : Valérie Sigward Son : Jefferson Lembeye Costumes : Charlotte Gillard Décor : Eric Raoul   Avec : Rodolphe Dana, Adrien Guiraud   Durée 1 h 15 Jusqu’au 17 avril 2022, à 20 h à 18 h le samedi et 15 h 30 le dimanche Relâche le mardi     Théâtre Gérard Philippe Salle Mehmet Ulusoy 59 boulevard Jules Guesde, 93200 Saint-Denis www.tgp.theatregerardphilipe.com        Read More →
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Molière-matériau(x), Pierre Louis-Calixte, mise en scène de Pierre Louis-Calixte, Studio-Théâtre de la Comédie-Française
  © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Molière-matériau(x) est le titre choisi par Pierre Louis-Calixte pour son seul en scène qui entre à la fois dans la collection Singulis de la Comédie-Française et dans la programmation Molière de cette saison 2021-2022. Comme pour tous les Singulis, c’est une proposition personnelle qui est ici livrée par un sociétaire de la Comédie française. Pierre Louis-Calixte fait d’ailleurs référence à son entrée dans la maison Molière, grâce à Jean-Baptiste comme il décide de l’interpeller dès les premières minutes. En effet, Pierre Louis-Calixte entre au Français au pied levé avec Molière après avoir été appelé par Murielle Mayette, alors administratrice, pour reprendre le rôle de Cléante dans le Tartuffe mis en scène par Marcel Bozonnet en raison de la disparition aussi inattendue que brutale et précoce de Daniel Znyk en 2006. Devoir un tel rôle à une telle disparition ! Endosser au sens propre et figuré son costume, voilà qui n’est ni habituel ni aisé. En tout état de cause, le parcours de Pierre Louis-Calixte ne relève ni de l’évidence, ni de l’ordinarité, et sa rencontre avec Molière non plus. Certes, il s’était frotté dès son plus jeune âge à sa langue et surtout à son monde, et à celui qui va devenir sien tout simplement. Le monde magique du théâtre. Celui qui autorise tout. Celui qui permet de devenir intouchable, même après être monté sur une table de classe, où l’on s’ennuie souvent, et crier, le visage grimé, de toutes ses forces, « Au voleur !!! ». Molière traversera ensuite sa vie par de multiples clins d’œil. C’est cela qui est l’essentiel dans cet hommage singulier. Savoir si Molière est né en 1622 ou comme l’écrivait Voltaire en 1620, a finalement peu d’importance. S’en tenir aux faits sur Molière, pour quoi faire ? En tout cas, d’autres l’ont fait et continueront à le faire. Pierre Louis-Calixte a lui autre chose à faire. Peu lui importe que les dernières découvertes des historiens semblent attester que Molière ne se savait pas du tout malade comme on l’a longtemps cru et répété et que la fameuse envolée d’Argan (« N’y-a-t-il pas quelques dangers à contrefaire le mort ?») dans le Malade imaginaire n’aurait finalement pas été prémonitoire. Pierre Louis-Calixte reprend la légende car n’est-ce pas plus inspirant pour l’imaginaire du comédien comme du spectateur ? Dans son Molière-matériau(x) ce ne sont pas donc les registres de naissance, les propriétés (quoi que, à travers le canapé acheté dans la propriété d’Auteuil, des traces fantasmagoriques sont entrées dans la loge du 524ème sociétaire…), les documents administratifs qui accumulent les dates et faits sur la vie supposée réelle du dramaturge du XVIIème qui importent, ce sont les passerelles, les chemins qui existent entre les œuvres, les vies, les siècles et qui nous font aimer Molière, disserter sur Molière, critiquer ses adaptations quatre siècles encore après sa naissance. Le « flot, le flux, le flou romanesque » sont de fait bien plus intéressants pour construire sa propre image. Molière-matériaux rend un hommage modeste, intime et même intimiste au génie (comme Louis Jouvet le qualifiait avec dévotion ainsi qu’il est rappelé dans On ne sera jamais Alceste qui se joue dans le même Studio Théâtre) du théâtre français. L’adresse de Pierre Louis-Calixte à Molière en forme de faux dialogue, est un texte d’une très grande beauté. Pas seulement parce qu’il livre des confidences tout en retenue, sur l’enfance à Yaoundé, le grand-père paternel et sa canne, du grand-père maternel qui ne viendra jamais le voir jouer, de la maladie qui dévore et s’approprie les corps et les cerveaux, le corps du fils, le cerveau du père, ces matériaux si précieux du comédien. Celui de Lagarce aussi. Une longue digression sur Juste la fin du monde, un peu trop longue sur le moment. Mais on comprend que c’est important aussi de rendre hommage à Molière à travers Lagarce et à Lagarce à travers Molière, auquel il consacra un Malade imaginaire endeuillé. Le texte est d’une très grande beauté aussi parce qu’il est très bien écrit et bien dit. Tout simplement. Les vibrations du métro de la ligne 1 si présentes au Studio-Théâtre, passent et repassent, comme un anachronisme. Et puis non. Elles s’intègrent. Le comédien les suit une fois d’un regard. Magique. Tout est fluide, y compris dans les hésitations, les silences.   © Vincent Pontet, coll. Comédie-Française   Molière-matériau(x), de Pierre Louis-Calixte Texte, conception : Pierre Louis-Calixte Lumières : Catherine Verheyde Avec : Pierre Louis-Calixte   Durée 1 h 20 Jusqu’au 24 avril 2022, relâche les 16 et 17 avril Du mercredi au dimanche à 20 h 30   Studio-Théâtre – Comédie-Française Galerie du Carrousel du Louvre Place de la Pyramide inversée 99 Rue de Rivoli, 75001 Paris comediefrancaise.fr      Read More →
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L’Avare, de Molière, mise en scène de Lilo Baur, Comédie-Française
  © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française   ƒƒ article de Denis Sanglard Harpagon chez les helvètes. Lilo Baur met en scène L’Avare qu’elle transpose après-guerre en Suisse, entre lac et montagne, un air pur qui fait étrangement tousser notre banquier, puisque tel est son métier dans cette adaptation culottée. Gazon vert rasé de frais, appartement bourgeois et une panoplie bling-bling de bon aloi, sans ostentation, avarice oblige, complète cette transposition qui inscrit dans la modernité cet Avare où l’on va jusqu’à convertir les écus en euros et parler affaire sur un terrain de golf. C’est résolument vers la farce mais avec beaucoup de finesse, sans exagération, que Lilo Baur pousse sa mise en scène. De la marotte d’Harpagon, l’argent, de son avarice et de ses conséquences, elle donne une lecture d’une obsession qui tourne à la folie qu’accusent des T.O.C, signes d’une névrose devenue incontrôlable. Comme le dit Molière, il ne donne pas le bonjour, il le prête. Mais prononcer même le mot de « donner » ici entraîne chez lui un bégaiement irrépressible. Pas de petites économies non plus, le premier réflexe est d’éteindre le lustre en entrant dans la pièce ! Et de toujours fermer les claustras pour que rien ne sorte de la maison. Surtout, toute question pécuniaire provoque immanquablement un état de crise, de folie, où notre avare perd tout contrôle. Et la découverte du vol de sa cassette devient une scène de cauchemar et d’hallucination paranoïaque. Laurent Stocker, loin du vieux barbon, clone ici d’un Donald Trump mâtiné de Nicolas Sarkozy, est hilarant, étourdissant, très physique dans son jeu, mais il peut être tout aussi glaçant, inquiétant de cruauté même, de violence tant physique que morale. Lilo Baur distille ainsi le chaud et le froid jusque dans le rythme de la pièce qui hoquette entre agitation fébrile, débordement furieux, et calme plat avant la tempête. Surtout Lilo Baur aux enjeux sous-jacents de la pièce, de la comédie de mœurs sous la farce et de son propos subversif sur la circulation de l’argent, des conflits générationnels, ce que nous aurions sans doute aimé voir davantage dans une lecture plus incisive, privilégie le jeu pur des acteurs et la mécanique burlesque de la situation qu’elle pousse parfois au paroxysme. C’est un peu superficiel parfois mais ça passe par la grâce de comédiens qui s’en donnent à cœur-joie visiblement de revisiter un classique dans ses ressorts comiques et pour certains à casser l’emploie traditionnel de leur personnage. Ainsi Jean Chevalier campe un Cléante transi de peur devant son père, d’amour devant Marianne, en parfait nigaud sinon pleutre. Et verra-t-on jamais ailleurs une jeune première, Marianne (Anna Cervinka), s’écrouler sur la table de mariage totalement ivre-morte ? Ça, il fallait oser. L’ensemble de la distribution jubile de se retrouver dans ce qui pourrait être une parodie de soap-opera, version Dynastie suisse. Mention spéciale à Françoise Gillard, impeccable et so chic, composant une Frosine affairiste, entremetteuse aux abois. Et à Serge Bagdassarian, maître Jacques franc du collier, exaspéré de tant d’avarice. Tout ça rondement mené, parfaitement huilé, est très drôle. On rit énormément par cette mise en scène rafraîchissante et survitaminée n’ayant d’autres prétentions que d’explorer les ressorts d’un comique de situation mais il est remarquable aussi d’entendre les rires dans la salle provoqués non de celle-ci, mais du texte lui-même et de ses répliques assassines qui résiste à tout traitement. Et ça, c’est épatant. Sacha Guitry avait raison, comme toujours : « Quoi de neuf ? Molière ! ».   © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française   L’Avare de Molière Mise en scène Lilo Baur Scénographie : Bruno de Lavenère Costumes : Agnès Falque Lumières : Nathalie Perrier Musiques originales et assistant à la mise en scène : Mitch Ochowiack Avec Alain Lenglet, Françoise Gillard, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Serge Bagdassarian, Nicolas Lormeau, Anna Cervinka, Jean Chevalier, Elise Lhomeau, Clément Bresson, Adrien Simion et le comédien de l’académie de la Comédie-Française Jérémy Berthoud   Du 1er avril au 24 juillet En matinée 14 h, en soirée à 20 h 30     Comédie-Française Salle Richelieu Place Colette 75001 Paris Réservations 01 44 58 15 15 www.comedie-française.fr Le spectacle sera diffusé en direct le 12 avril dans plus de 200 salles de cinéma. Rediffusion à partir du 12 mai. Réservations : pathelive.com/lavare    Read More →
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Mille et une danses (pour 2021), chorégraphie de Thomas Lebrun / CCN de Tours, Théâtre National de Chaillot, Paris
  © Frédéric Iovino   ƒƒƒ article de Maxime Pierre Un chorégraphe, quatorze danseurs, six artistes invités, mille et une possibilités. Ce qu’on retient de cet anniversaire des vingt ans de la compagnie Illico, c’est avant tout une formidable énergie collective, multiple, traversée par des courants en résonance. Et c’est sans doute pourquoi la diversité et l’éclectisme fusionnent ici en spectacle harmonieux : chaque corps de danseur est habité par cette multiplicité. Il n’y a pas de contradiction à être habité en même temps par la musique de Mozart, Purcell, Beethoven, Alphaville ou des Doors, et par vibrer au rythme de danses différentes. Car si diversité il y a, ce n’est pas celles d’individus atomisés, mais d’énergies contagieuses en communication permanente. On pourrait décrire ce spectacle comme une galerie de tableaux ou bien encore comme un mouvant palimpseste. Sur le plateau, un style en efface un autre, comme les modes qui vont viennent d’une saison à une autre. Les costumes colorés effacent les hauts brillants puis sont ensuite remplacés par de longs costumes noirs, par des costumes ouverts sur une épaule ou un dos, puis par de lumineuses robes de strass. Mais les modes ou plutôt les « façons » successives s’effacent-elles mutuellement ? Certainement pas : elles se répondent. Chaque moment impose son style, celui d’un maître chorégraphe dont l’enseignement vient vibrer en chacun de ses danseurs, par groupes, par demi-groupes par paires et par solo. On se regarde, on se met à l’écoute. Les danseurs s’observent comme nous les observons et chacun d’eux adapte les gestes et les fait évoluer en les prolongeant à sa manière. Car s’il y a bien tableaux ici, voyons-les comme en peinture : il y a la période bleue la période rose, la période cubiste, surréaliste et c’est l’ensemble de ces styles qui forment l’art unique d’un Picasso. L’artiste n’est qu’un maillon parmi d’autres artistes, vivant à ses côtés, avant et après lui. Chaque période recompose, reprend les mêmes thèmes sous d’autres formes, et ce n’est pas, à chaque fois, un changement irrémédiable, comme l’imaginent nostalgiques et réactionnaires, mais les métamorphoses d’une même humanité. L’aujourd’hui recompose l’hier, il redit les mêmes thèmes avec des gestes différents : le désir, la joie, l’amour, la maladie, la mort. Le corps du danseur est une métaphore de nos vies. Au cours de sa carrière, il est traversé par des rencontres multiples, par des époques où tout change et il en porte la marque, le moi d’aujourd’hui est fait des multiples couches du temps. Dans l’étoffe des rencontres s’additionnent les histoires. Il y a l’époque de l’insouciance, celle de la séduction, ou celle des angoisses dévorantes. À la lueur d’un arc-en-ciel, on devine le spectre farceur de la révolte de Stonewall. Peu de temps après, sur la reprise lancinante des violons d’un angoissant Lacrimosa, les corps souffrants disent l’angoisse, la peur, la mort, fresque sensible de nos cris. Puis, lentement, de chaque bout du plateau, deux hommes se font face et s’avancent l’un vers l’autre : ils ont un âge marqué, ils ont déjà vécu. Tandis que la fresque des spectres s’effrite, tandis que les deux hommes se rapprochent, on s’attend à un duel. Mais ce sera un long baiser amoureux, au centre de la scène, du spectacle, de la vie. Car finalement, malgré l’angoisse du temps qui passe et des moments douloureux, la vie reflue encore. Nos vies peuvent se renouveler, comme un serpent change de peau, et pourquoi pas retrouver – fût-ce dans le corps de la génération qui nous succède – une nouvelle jeunesse. Et pourquoi pas une nouvelle époque lumineuse, inventive, ludique et joyeuse ? Une dernière danse pailletée de strass. Un hymne renouvelé à la vie. Les enfants ajoutent leur danse à celles de leurs parents spirituels : Mille et une danses comme autant d’histoires. La danse de nos vies singulières et collectives, mille et une fois dansées sur le plateau.   © Frédéric Iovino   Mille et une danses (pour 2021), chorégraphie de Thomas Lebrun Lumières : Françoise Michel Costumes : Kite Vollard, Jeanne Guellaff Son : Maxime Fabre Régie : Xavier Carré Textes : Carolyn Carlson, Kenji Miyazawa Musiques : Alphaville, Laurie Anderson, Ludwig van Beethoven, Pierre Chériza, Noël Coward, Roberto De Simone, Claude Debussy, The Doors, Maxime Fabre, Bernard Herrmann, Dean Martin, W.A. Mozart, Nutolina, Elvis Presley, Henry Purcell, Sergei Rachmanino Avec : Antoine Arbeit, Maxime Aubert, Julie Bougard, Caroline Boussard, Raphaël Cottin, Gladys Demba, Anne-Emmanuelle Deroo, Arthur Gautier, Akiko Kajihara, Thomas Lebrun, Cécile Loyer, José Meireles, Léa Scher, Veronique Teindas, Yohann Têté, et six artistes invités   Durée : 1 h 45 Salle Jean Vilar Du 6 au 9 avril 2022   Chaillot – Théâtre national de la Danse Direction Rachid Ouramdane 1, place du Trocadéro 75116 Paris Renseignements : 01 53 65 30 00 www.theatre-chaillot.fr      Read More →
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En prévision de la fin du monde et de la création d’un nouveau, de Pauline Sales, Les Plateaux Sauvages
  © Jean-Louis Fernandez   ƒƒ article de Denis Sanglard La fin du monde c’est pour demain ? Alors autant agir vite et qu’importe les moyens. Ça commence par une prise d’otage, Madison, 11 ans, séquestre Sophia, même âge, fraîchement réélue maire au conseil municipal des enfants. Là, deux conceptions du monde, vu à hauteur d’enfance, s’affronte. A Madison qui refuse le monde des adultes, décline une série de droit de l’enfant – charte toute personnelle – prône le recours à la force, prête à combattre la démocratie, Sophia oppose le dialogue, la conciliation avec les adultes et le poids démocratique du vote. Deux visions contradictoires influencées par leur éducation mais une véritable réflexion sur la société et une conception du monde qui engage leur avenir. Car il s’agit bien d’engagement ici, comment agir pour que cet avenir incertain ne soit pas oblitéré par la folie des adultes. Malgré leurs différents, entre ces deux-là s’amorce une volonté de se comprendre sinon de s’entendre. Mais rien n’est simple et des ambiguïtés apparaissent. Et quand le Covid s’en mêle, bien des certitudes s’effondrent. Pauline Sales est allée à la rencontre des enfants du Val-de-Marne. Elle les a interrogés sur le monde qui les entoure, leurs connaissances de l’actualité, leurs ressentis, leurs rêves. Politique, écologie, féminisme, discriminations, inégalités… qu’est ce qui résonne en eux ? Comment envisagent-ils le futur ? Malgré le déterminisme, l’influence de leur éducation et de leur milieu, de leur scolarité, quelle est leur pensée propre ? Toutes ces questions ont été le terreau de cette pièce, quelque peu didactique, mais qui a le mérite de brosser de l’enfance et de l’adolescence un tableau au plus près d’une réalité, la leur, jusque dans leurs contradictions et leurs ambivalences. Sur le plateau c’est une fable sensible, qui accuse parfois un peu les traits, mais qui évite le piège du manichéisme, prenant très vite des chemins inattendus. Il y a bien ça et là quelques facilités, quelques clichés attendus, néanmoins c’est fichtrement bien écrit et évite la démonstration et le discours. Le dialogue est percutant, non sans humour, et les sujets brassés, moulinés remettent en question bien des idées reçues sur cette génération, ce continent inconnu et parfois oublié des adultes. On est même surpris de tant d’acuité et de sensibilité au monde. Sciemment Pauline Sales a quelque peu grossi les caractères, Madison est une survivaliste éduquée par son père dans la terreur du lendemain et le refus de l’Etat, on craint le pire mais l’actualité nous rattrape, jouant ainsi des oppositions pour exacerber son propos, voire le nuancer au fur et à mesure qu’avance le dialogue et progresse leur réflexion. Ça passe d’autant mieux que les trois sur le plateau (ajoutons Ethan, garçon involontairement croit-on, embarqué dans cette histoire) s’emparent de ce texte avec une conviction fermement chevillée. Ils sont jeunes, plus âgés que leur rôle mais passons, et semblent d’autant plus convaincus et convainquant qu’ils nuancent avec une juste émotion leur personnage et leurs propos. A entendre ce désir d’avenir qui n’a rien d’utopique, fortement ancré dans le réel, on se dit que non, la fin du monde n’est pas pour demain, mais la création d’un nouveau semble bien en marche.   © Jean-Louis Fernandez   En prévision de la fin du monde et de la création d’un nouveau, texte et mise en scène de Pauline Sales Création sonore et musicale Simon Aeschimann Costumes Nathalie Matriciani Coiffures et maquillages Cécile Kretshmar Scènographie Damien Caille-Perret Création lumière Xavier Libois Régie son Jean-François Renet Avec Jacques-Joël Delgado, Vinora Epp, Cloé Lastère ou Noémie Pasteger   Du 28 mars au 6 avril 2022   Les Plateaux Sauvages 5 rue des Plâtrières 75020 Paris Réservations 01 83 75 55 70 lesplateauxsauvages.fr   Tournée 26 novembre 2022 : Théâtre de Fresne – avec le festival Les Théâtrales 2 et 3 décembre 2022 : Gentilly – avec le festival Les Théâtrales 4 et 5 décembre 2022 : Théâtre de Choisy-le-Roi – avec le festival Les Théâtrales 9 au 12 mai 2023 : Théâtre de la Joliette Marseille    Read More →
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Le feu, la fumée, le soufre, d’après Edouard II, texte de Christopher Marlowe, mise en scène de Bruno Geslin, Nouveau Théâtre de Montreuil
  © Gilles Vidal   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Le crépuscule d’un roi. Christopher Marlowe, contemporain de William Shakespeare, né la même année (1564), mort trop jeune, 27 ans, est bien trop rarement monté en France. Raison d’aller découvrir fissa cet Edouard II, adapté librement et couillument par Jean-Michel Rabeux et Bruno Geslin, dans une mise en scène flamboyante et d’un baroque outrenoir par ce dernier. C’est une fresque crépusculaire sur un plateau calciné, plongé dans un brouillard bitumeux, un royaume en cendre. Ce sont des êtres brûlés vifs, carbonisés vivants par la passion et l’ambition. Dans cette geôle, ce cloaque merdeux où il pourrit sur pied en attendant la mort, enculé par un tison ardent, Edouard II se souvient… de son amant, le subversif Gaveston, pour lequel il a perdu sa couronne et jeté son royaume dans le chaos. De la reine Isabelle de France, louve assoiffée de pouvoir, maîtresse de Mortimer, autoproclamé chef de la noblesse. Une noblesse revancharde alliée à l’Eglise, œuvrant à sa perte, à celle de Gaveston. Une funeste foire aux vanités. C’est une fresque historique, un poème d’amour tragique, une histoire de vengeance. C’est une épopée et un drame intimiste, introspectif. C’est tout ça à la fois qui se résume à un désastre, une cérémonie funèbre, une danse macabre, une vanité. En appliquant à la lettre le sous-titre de cette pièce, en lui donnant son titre comme un oriflamme, Bruno Geslin fait du plateau un enfer, un royaume de cendre encore chaude, celui d’une mémoire vive et brûlante, brûlée, celle d’un homme foudroyé, cramé par amour. En commençant par la fin, quand se délabyrinthe les souvenirs, il abolit le temps, soudain suspendu au récit, celui d’une vérité fragmentaire qui impulse un rythme faussement étal. Il y a comme une retenue, une tension palpable qu’il étire jusqu’à la rupture et son épuisement ; c’est du théâtre comme il en est d’un long coït interrompu et de sa fin brutale. Mais point de petite-mort ici, rien que la mort dans sa brutalité sèche, à coup de pelle, à coup de pal. Bruno Geslin évite le trop plein propre au théâtre élisabéthain, au baroque, rien de spectaculaire, ni sang, ni foutre, mais l’élégance de l’ellipse impudique qui oblige à l’imaginative de l’horreur et de l’obscène. Une langue qui ne fourche pas à nommer un chat, un chat, où le mot couille est à prendre au sens propre comme au figuré. Avec ça, des images de cauchemar, âcres à vous brûler les yeux, des tableaux comme des hallucinations où des sangliers surgis du néant reniflent des cadavres qui se refusent à crever. Hurlants, échappés du dernier néant « Tout brûle ! L’enfer est bleu comme un orage, c’est si beau ! » Inutile de chercher dans la partition originale, Bruno Geslin et Jean-Michel Rabeux ont truffé le texte de leurs propres incises et c’est bonheur. C’est d’une franche esthétique homo-érotique, foutrement charnelle, entre Caravage et Jean Genet, entre l’ordure et le sublime, où l’on se soucie du genre comme du quart. L’unique tragédienne jouant de la déglingue comme pas une autre, c’est Claude Degliame, magistrale, pour un roi à bout de tout, en bout de course, calciné de l’intérieur, pour qui l’enfer c’est l’envers de l’amour. Elle est cet astre noir crachant ses derniers feux, étoile morte au centre d’un univers fini tournant affolé sur lui-même, qui d’un trône branlant terminera dans une brouette, porté sans triomphe vers le pal ardent. Et pour une reine de tragédie il fallait bien une drama-queen pour une partition théâtrale jouée comme un torch-song vénéneux et pathétique. Olivier Normand, en sa longue robe noire, avec son visage pâle de presque vierge, y est impériale de grâce venimeuse jusque dans sa déchéance et sa condamnation. Et Gaveston d’une ambiguïté androgyne, adolescent poisseux, d’une perversité rigolarde et crâne, c’est la troublante Alyzée Soudet, une révélation brutale comme un soufflet. Laquelle joue aussi, idée génialement perverse, le fils d’Edouard II, Edouard III, celui qui condamnera à mort Mortimer et mènera sa mère dans la tour de Londres. Il faudrait les citer tous, archevêque, barons et mignons, tous monstrueux, tous infatués d’importance, Arnaud Gélis en tête, Mortimer, âme damnée de la Louve de France, gras d’ambition et bouffi de vanité. Bruno Geslin mène avec maestria cette troupe à l’incandescence qui ne rechigne pas à entrer au pas de charge dans cet enfer pavé de sordides intentions. C’est du théâtre joué à cru et à dia, dans la conscience de sa théâtralité exacerbée, du théâtre comme on en rêve. Oui, ici « tout brûle, l’enfer est bleu comme un orage et c’est beau ! »    © Gilles Vidal   Le feu, la fumée, le soufre d’après Edouard II de Christopher Marlowe Adaptation Jean-Michel Rabeux et Bruno Geslin Mise en scène et scénographie de Bruno Geslin Avec Claude Degliame, Alyzée Soudet, Olivier Normand, Julien Ferranti, Clément Bertani, Guilhem Logerot, Arnaud Gélis, Jacques Allaire, Lionel Codino, Luc Tremblais, Hugot Lecuit   Collaboration scénographique : Christophe Mazet Collaboration chorégraphique : Julien Ferranti Régie générale : Guillaume Honvault Assistanat à la mise en scène : Adrien Guiton (tournée), Guillaume Celly et Victoria Sitja (création) Création vidéo : Jéronimo Roé Création lumière : Dominique Borrini Régie lumière : Jeff Desboeufs et Romain Fougère Costumes : Hanna Sjödin Assistante costumes : Claire Schwartz Collaboration costumes et scénographie : Margaux Szymkowicz Ecriture musicale et création sonore : Benjamin Garnier et Alexandre Le Hong « Mont Analogue »   Du 31 mars au 9 avril 2022 A 20 h, le samedi à 18 h     Nouveau Théâtre de Montreuil 10 place Jean Jaurès 93100 Montreuil Réservation 01 48 70 48 90 www.nouveau-théâtre-montreuil.com      Read More →
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Contemporary dance 2.O, chorégraphie de Hofesh Shechter, Théâtre de la Ville - Les Abbesses
  © Tom Visser   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Ça commence brutalement, sèchement et sans préambule. Et c’est parti pour plus d’une heure de transe ou peu s’en faut. Un véritable maelström qui emporte bien vite la salle, médusée de tant de virtuosité et d’énergie. Sans doute aussi emballée parce que Hofesh Shechter a su capter l’air du temps et renvoie au public, relativement jeune, ce qui appartient à leur culture et qu’il porte sur la scène. Déjà le titre de cette pièce chorégraphique entêtante, Contemporary dance 2.0 signe un manifeste évident. C’est dans la rue et le clubbing que ce chorégraphe puise ici un vocabulaire résolument urbain. Pop, hip-hop, krump, break, feeting, voguing, house, hustle… et folklore. Soulignant ainsi, en associant ce dernier, la parentèle dans l’expression d’une communauté que la danse réunit dans un espace donné qui tient autant de la cérémonie que du rassemblement festif. Mixant tout ça avec grande fluidité dans un beat d’enfer, répétitif et assourdissant, qui mène très vite à la transe collective. Cela tient autant de la battle que de la free-party. Les corps exultent jusqu’à l’ivresse et l’épuisement dans des mouvements amples et fluides, puisant dans un vocable urbain inventif, entre abstraction et figuration auquel il associe, motif récurent chez lui, ces rondes villageoises traditionnelles. Il y a comme toujours de l’ironie et de l’humour, certes, mais surtout un regard aigu, un véritable intérêt et un questionnement sur la danse contemporaine, une volonté d’ouvrir sur scène de nouveaux espaces jusque là confinés à la marge. Ce que Jérôme Bel bien avant lui avait amorcé avec ce manifeste cinglant, devenu depuis un classique, The show must go on. C’est cette même volonté de décloisonnement et d’enrichissement qui anime ici Hofesh Shechter, de faire de la scène le reflet d’une époque sans être coupée de celle-ci et donc d’aller à la source – clubbing, clips vidéo et réseaux sociaux – et d’amener sur le plateau ce mouvement et cette réalité devenue incontournable. Il y a de la récupération, certain diront de l’opportunisme, mais cette porosité-là, ces influences depuis longtemps font leur chemin dans la danse contemporaine qu’ils innervent d’un nouveau souffle. Contemporary dance 2.0 avec ses huit jeunes danseurs époustouflant de talent et de maîtrise a au moins ce mérite de vouloir balayer les préjugés inhérents portés sur ces danses urbaines, où le corps aussi est un moyen de connexion, de communication comme l’expression des sentiments d’une génération.   © Todd MacDonald   Contemporary dance 2.0 chorégraphie et musique Hofesh Shechter Lumières : Tom Visser Musique additionnelle : Franck Sinatra, Claude François, J.S. Bach, Jacques Revaux & Paul Anka Costumes originaux : Osna Kelner Avec Tristan Carter, Cristel De Frankrijker, Justine Gouache, Zakarius Harry, Alex Haskins, Oscar Jinghu Li, Keanah Faith Simin, Chanel Vyent     Du 31 mars au 10 avril 2022 Horaires selon les jours de représentations 14 h 30, 15 h, 20 h     Théâtre de la Ville – Les Abbesses 31 rue des Abbesses 75018 Paris Réservations 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Le monde de la danse se mobilise à Chaillot – Théâtre national de la Danse en partenariat avec la Croix Rouge
  © Viola Berlanda   Bonjour, Le monde de la danse se mobilise à Chaillot – Théâtre national de la Danse en partenariat avec la Croix Rouge Ensemble pour la paix, une soirée réunissant de nombreuses pièces de plusieurs chorégraphes est organisée à Chaillot le jeudi 14 avril pour récolter des fonds et apporter son aide aux populations d’Ukraine. La soirée, animée par Sonia Devillers, offre un programme unique avec des pièces ou extraits de pièces du Ballet de l’Opéra national de Lyon, d’Angelin Preljocaj, de Carolyn Carlson, de Thierry Malandain, de Mathilde Monnier, de Mourad Merzouki, du Kiev City Ballet, de Oona Doherty, du Collectif Petit Travers, de Héla Fatoumi, de Raphaëlle Delaunay, etc. Avec la participation de l’Association des Centres chorégraphiques nationaux, l’Association des Centres de développement chorégraphique nationaux, le Centre national de la Danse, le Ballet de l’Opéra national de Lyon, la Maison de la Danse de Lyon et Montpellier Danse. Tarif unique 20 euros : entièrement reversés à la Croix Rouge. RÉSERVATION POSSIBLE DÈS MAINTENANT SUR NOTRE SITE INTERNET. LA SOIRÉE SERA DIFFUSÉE EN LIVE SUR TIKTOK.      Read More →
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ab [intra], Sydney Dance Company, chorégraphie de Rafael Bonachela, au Théâtre National de la Danse -Chaillot 
  © Pedro Greig   ƒƒ article de Marguerite Papazoglou Des danseurs exceptionnels au service d’une pièce virtuose et enivrante, pour le plus grand ravissement du public. Ab [intra] : de l’intérieur. Cet intérieur — à l’intérieur de crochets — ce pourrait être celui du corps, et plus particulièrement du corps dansant. Car dans ce corps tout est beau, tout est chaud, calme, lié, lisible. Dans ce corps de la Sydney Dance Company, tout est fait de la même chair et tout arrive à l’instant juste. Chaque geste nous fait sentir le plus intime de sa naissance, on le sentirait presque, que la naissance du geste est dans cet intime in-time. En d’autres termes, le travail d’ensemble est absolument remarquable. Plus qu’un unisson rythmique la Sydney Dance Company atteint aussi l’unisson dans la qualité et l’amplitude du mouvement, sans toutefois écraser les particularités expressives et vibratoires de chaque interprète, une qualité rare ! Une même ondulation féline de la colonne vertébrale traverse toute la gestuelle, suave, fulgurante, nerveuse ou lymphatique, lui conférant cette élégance particulière, une rondeur et une infaillible lisibilité. Le rideau se lève cérémonieusement, deux danseurs immobiles, l’un allongé l’autre debout, marquent le point zéro de la composition. Étendue horizontale et verticalité, ombre et lumière. Puis un premier déplacement, puis le bord fini du plateau. Y entrent d’autres corps qui s’articulent dans un rythme déjà happé par les cordes de violoncelle claquées et amplifiées au maximum. Ainsi commence ab [intra], traçant comme sur une page blanche une écriture chorégraphique rigoureuse qui parle de structure, où chaque appui et chaque contact découle du précédent et amorce le suivant : une complexité organique et une rythmicité taillée au cordeau. Rafael Bonachela pénètre dans la musique pour en embrasser les mouvements et en révéler l’urgence sourde. Le résultat est une danse qui en fait éclater l’expressivité, alternant solos, duos et trios — où le lyrisme n’est pas absent — et des parties d’ensemble où la géométrie spatiale dialogue avec la géométrie temporelle faite de modules qui se répètent et se déclinent, de simultanéités et de décalages. La musique originale de Nick Wales est un mandala rythmique envoûtant. L’enregistrement, très proche des instruments, et la diffusion immersive transportent le spectateur « à l’intérieur » de l’espace sonore, baigné des résonances et battements acoustiques et électroniques et accroché au frottement des cordes. C’est une expérience ! C’est aussi une pièce à la gloire d’un type de corps assez classique, puissant, jeune et athlétique, rehaussé de sensualité et d’une délicatesse aux griffes acérées, qui chatouille nos fantasmes ou, peut-on dire aussi, qui vient nous rappeler à la beauté, à son partage : la joie débordante dans l’union de tout type. Complémentarité, coordination, jonction, agglutinement, accouplement, compétition, compréhension, fraternité et … danse, l’être ensemble est la figure principale. Dans quelques rares moments de groupe savamment distillés, l’unisson disparaissant, affleurent une complexité naturelle et incontrôlée, une expressivité inconnue, une sagesse de la peau même ! mais cette vague d’entropie ou ces fauves lâchés sont (trop) vite domestiqués dans le travail de composition et le retour à l’unisson.   © Pedro Greig   Ab [intra] par la Sydney Dance Company, Rafael Bonachela Chorégraphie Rafael Bonachela Musique Nick Wales (composition originale de Nick Wales avec des passages de  Klātbūtne (« Presence ») de Pēteris Vasks) Lumières Damien Cooper Costumes et scénographie David Fleischer Avec Natalie Allen, Davide Di Giovanni, Dean Elliott, Jackson Fisch, Jacopo Grabar, Liam Green, Luke Hayward, Morgan Hurrell, Sophie Jones, Dimitri Kleioris, Rhys Kosakowski, Chloe Leong, Jesse Scales, Emily Seymour, Mia Thompson, Coco Wood, Chloe Young     Du 23 mars au 1er avril 2022 à 20 h 30 et à 19 h 30 le jeudi Durée 1 h 15   Théâtre National de Chaillot 1 Place du Trocadéro 75016 Paris Réservation au 01 53 65 30 00 www.theatre-chaillot.fr   Tournée : • Arcachon, Le Théâtre Olympia, 7 avril 2022 • Mont de Marsan,Théâtre de Gascogne, 9 avril 2022      Read More →
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On ne sera jamais Alceste, d’après Molière et la comédie classique de Louis Jouvet, mise en scène de Lisa Guez, Studio-Théâtre de la Comédie-Française
  © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia On ne sera jamais Alceste est une phrase du comédien Louis Jouvet. Des six leçons consacrées par Louis Jouvet au Misanthrope parmi un choix de cours dispensés entre novembre 1939 et décembre 1940 au Conservatoire national d’art dramatique (publiés chez Gallimard dans Molière et la comédie classique en 1965, qui vient d’être réédité cette année), Lisa Guez a tiré une pièce en lui donnant pour titre la phrase On ne sera jamais Alceste, à première vue énigmatique, prononcée dans le cours du 3 avril 1940 dédié à la Scène 1 de l’Acte I de la comédie de Molière. C’est à une belle leçon de théâtre que la metteuse en scène convie les spectateurs du Studio-Théâtre de la Comédie-Française, dans laquelle ils entrent à peine assis. En effet, avant même le début de l’heure officielle de représentation, le spectacle commence. Didier Sandre et Gilles David entrent sur le plateau, non par le fond, mais par une issue de secours du bas de la salle, gesticulent, discutent entre eux, placent une table et une chaise sur scène, essaient qui un chapeau, qui une veste « d’époque ». Puis surgit Michel Vuillermoz badinant avec les spectateurs-élèves de sa classe que nous sommes presque devenus le temps d’un douzième de cadran, et commence le travail de l’échange déterminant (en tout cas selon Jouvet) pour comprendre Le Misanthrope, entre Alceste et Philinthe. Les traces écrites des grands maîtres du théâtre, professeurs et/ou comédiens et/ou metteurs en scène laissés à l’attention des apprentis-comédiens (qu’est par définition un comédien toute sa vie) ne sont pas si nombreuses. Parmi les plus connues et inspirantes, celles de Jouvet (voir aussi ses Témoignages sur le théâtre et Le Comédien désincarné) et de Stanislavski (La formation de l’acteur) dominent. Il n’est donc pas étonnant que les cours de Louis Jouvet, qui ne se concevait pas lui-même vraiment comme un professeur bien qu’il fut le premier professeur nommé, extérieur à la Comédie-Française (peut-être parce qu’il rata par trois fois le concours d’entrée de ce Conservatoire où il « professa » à partir de 1934 avant de s’exiler en Amérique du Sud en 1941), soient à la fois aussi inspirants qu’intimidants. Brigitte Jaques en avait tiré une pièce, Elvire Jouvet 40, créée en 1986, puis filmée par Benoît Jacquot au Théâtre national de Strasbourg, d’après les leçons données par Louis Jouvet à Claudia sur la scène d’Elvire de Don Juan au cours de l’année 1940. Le résultat correspond à ce que résume Eric Ruf dans sa Préface de Molière et la comédie classique : une démonstration que « l’art du théâtre est une maïeutique » où « il faut accoucher les esprits et les corps, l’inconscient et l’intelligence, la maîtrise et le lâcher prise ». C’est ce qu’expose bien aussi l’adaptation de Lisa Guez et Alexandre Tran, mais de manière moins féroce, davantage comique et dans une construction plus élaborée que le précédent strasbourgeois. La metteuse en scène a en effet choisi de faire tourner les rôles, ce qui est une idée simple mais géniale pour illustrer à encore un autre degré les préceptes de Jouvet. Le procédé se met en place la première fois subrepticement, on glisse de Vuillermoz-Jouvet à David-Jouvet, l’espace d’une réplique professée à une réplique ânonnée, l’espace d’une respiration conseillée, à une respiration manquée, jusqu’à ce que Sandre-Jouvet prenne le relais et que les rôles tournent à nouveau pendant l’heure de représentation durant laquelle les interprétations cocasses se succèdent, les comédiens si aguerris du Français prenant un plaisir manifeste à jouer les apprentis, jusqu’à la caricature, ce qui rend les leçons de Jouvet moins cruelles que sur le papier, lequel à la lecture semble bien plus féroce, car tout ce qui est dit a bien été dit (et retranscrit) par Jouvet, les « adaptateurs » de 2022 ne prenant que peu de libertés avec le texte (l’exemple de Cyrano se substitue à Arlequin, sans doute en clin d’œil à Michel Vuillermoz). Les critiques s’enchaînent, ainsi que les conseils, souvent mal compris ou mal exécutés. Celui qui raisonne au lieu de dire son texte, raisonnera encore. « Le texte n’est qu’une respiration écrite ». Soit. Encore faut-il l’éprouver physiquement… Quitte à retenir l’esprit un peu potache du début à la fin, on aurait à la place de Lisa Guez poussé l’expérience de la mise en situation et l’implication des spectateurs d’On ne sera jamais Alceste jusqu’au bout, en invitant par exemple deux-trois étudiants de l’Académie de la Comédie-Française à remplacer les ouvreurs ou ouvreuses habituelles pour proposer avec complicité à chaque spectateur de s’asseoir ensemble pour suivre le fameux cours du Professeur Louis Jouvet et de plaisanter avec eux à la sortie. Mais Louis Jouvet aurait en fait sûrement trouvé cela ridicule, lui qui demandait aux comédiens de se concentrer sur le texte et l’intention de l’auteur avant que de se préoccuper de la mise en scène… Une chose est sûre, « On ne sera jamais Alceste », son personnage a existé avant nous et existera après nous, mais en attendant, aucun spectateur passé par le Studio-Théâtre (qui ne connaissait pas déjà ces leçons de Jouvet), ne pourra plus assister à une représentation du Misanthrope, comme avant…   © Christophe Raynaud de Lage   On ne sera jamais Alceste, d’après Molière et la comédie classique de Louis Jouvet Adaptation : Lisa Guez et Alexandre Tran Mise en scène : Lisa Guez Dramaturgie : Alexandre Tran Scénographie et lumières : Lila Meynard Assistanat à la scénographie et aux costumes : Auriane Robert   Avec : Michel Vuillermoz, Gilles David, Didier Sandre     Durée 1 h Jusqu’au 8 mai 2022, relâche les 16 et 17 avril A 18 h 30     Studio-Théâtre – Comédie-Française Galerie du Carrousel du Louvre Place de la Pyramide inversée 99 Rue de Rivoli, 75001 Paris www.comediefrancaise.fr      Read More →
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