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On ne sera jamais Alceste, d’après Molière et la comédie classique de Louis Jouvet, mise en scène de Lisa Guez, Studio-Théâtre de la Comédie-Française

Avr 04, 2022 | Commentaires fermés sur On ne sera jamais Alceste, d’après Molière et la comédie classique de Louis Jouvet, mise en scène de Lisa Guez, Studio-Théâtre de la Comédie-Française

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

On ne sera jamais Alceste est une phrase du comédien Louis Jouvet. Des six leçons consacrées par Louis Jouvet au Misanthrope parmi un choix de cours dispensés entre novembre 1939 et décembre 1940 au Conservatoire national d’art dramatique (publiés chez Gallimard dans Molière et la comédie classique en 1965, qui vient d’être réédité cette année), Lisa Guez a tiré une pièce en lui donnant pour titre la phrase On ne sera jamais Alceste, à première vue énigmatique, prononcée dans le cours du 3 avril 1940 dédié à la Scène 1 de l’Acte I de la comédie de Molière.

C’est à une belle leçon de théâtre que la metteuse en scène convie les spectateurs du Studio-Théâtre de la Comédie-Française, dans laquelle ils entrent à peine assis. En effet, avant même le début de l’heure officielle de représentation, le spectacle commence. Didier Sandre et Gilles David entrent sur le plateau, non par le fond, mais par une issue de secours du bas de la salle, gesticulent, discutent entre eux, placent une table et une chaise sur scène, essaient qui un chapeau, qui une veste « d’époque ». Puis surgit Michel Vuillermoz badinant avec les spectateurs-élèves de sa classe que nous sommes presque devenus le temps d’un douzième de cadran, et commence le travail de l’échange déterminant (en tout cas selon Jouvet) pour comprendre Le Misanthrope, entre Alceste et Philinthe.

Les traces écrites des grands maîtres du théâtre, professeurs et/ou comédiens et/ou metteurs en scène laissés à l’attention des apprentis-comédiens (qu’est par définition un comédien toute sa vie) ne sont pas si nombreuses. Parmi les plus connues et inspirantes, celles de Jouvet (voir aussi ses Témoignages sur le théâtre et Le Comédien désincarné) et de Stanislavski (La formation de l’acteur) dominent. Il n’est donc pas étonnant que les cours de Louis Jouvet, qui ne se concevait pas lui-même vraiment comme un professeur bien qu’il fut le premier professeur nommé, extérieur à la Comédie-Française (peut-être parce qu’il rata par trois fois le concours d’entrée de ce Conservatoire où il « professa » à partir de 1934 avant de s’exiler en Amérique du Sud en 1941), soient à la fois aussi inspirants qu’intimidants.

Brigitte Jaques en avait tiré une pièce, Elvire Jouvet 40, créée en 1986, puis filmée par Benoît Jacquot au Théâtre national de Strasbourg, d’après les leçons données par Louis Jouvet à Claudia sur la scène d’Elvire de Don Juan au cours de l’année 1940. Le résultat correspond à ce que résume Eric Ruf dans sa Préface de Molière et la comédie classique : une démonstration que « l’art du théâtre est une maïeutique » où « il faut accoucher les esprits et les corps, l’inconscient et l’intelligence, la maîtrise et le lâcher prise ». C’est ce qu’expose bien aussi l’adaptation de Lisa Guez et Alexandre Tran, mais de manière moins féroce, davantage comique et dans une construction plus élaborée que le précédent strasbourgeois. La metteuse en scène a en effet choisi de faire tourner les rôles, ce qui est une idée simple mais géniale pour illustrer à encore un autre degré les préceptes de Jouvet. Le procédé se met en place la première fois subrepticement, on glisse de Vuillermoz-Jouvet à David-Jouvet, l’espace d’une réplique professée à une réplique ânonnée, l’espace d’une respiration conseillée, à une respiration manquée, jusqu’à ce que Sandre-Jouvet prenne le relais et que les rôles tournent à nouveau pendant l’heure de représentation durant laquelle les interprétations cocasses se succèdent, les comédiens si aguerris du Français prenant un plaisir manifeste à jouer les apprentis, jusqu’à la caricature, ce qui rend les leçons de Jouvet moins cruelles que sur le papier, lequel à la lecture semble bien plus féroce, car tout ce qui est dit a bien été dit (et retranscrit) par Jouvet, les « adaptateurs » de 2022 ne prenant que peu de libertés avec le texte (l’exemple de Cyrano se substitue à Arlequin, sans doute en clin d’œil à Michel Vuillermoz). Les critiques s’enchaînent, ainsi que les conseils, souvent mal compris ou mal exécutés. Celui qui raisonne au lieu de dire son texte, raisonnera encore. « Le texte n’est qu’une respiration écrite ». Soit. Encore faut-il l’éprouver physiquement…

Quitte à retenir l’esprit un peu potache du début à la fin, on aurait à la place de Lisa Guez poussé l’expérience de la mise en situation et l’implication des spectateurs d’On ne sera jamais Alceste jusqu’au bout, en invitant par exemple deux-trois étudiants de l’Académie de la Comédie-Française à remplacer les ouvreurs ou ouvreuses habituelles pour proposer avec complicité à chaque spectateur de s’asseoir ensemble pour suivre le fameux cours du Professeur Louis Jouvet et de plaisanter avec eux à la sortie. Mais Louis Jouvet aurait en fait sûrement trouvé cela ridicule, lui qui demandait aux comédiens de se concentrer sur le texte et l’intention de l’auteur avant que de se préoccuper de la mise en scène…

Une chose est sûre, « On ne sera jamais Alceste », son personnage a existé avant nous et existera après nous, mais en attendant, aucun spectateur passé par le Studio-Théâtre (qui ne connaissait pas déjà ces leçons de Jouvet), ne pourra plus assister à une représentation du Misanthrope, comme avant…

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

On ne sera jamais Alceste, d’après Molière et la comédie classique de Louis Jouvet

Adaptation : Lisa Guez et Alexandre Tran

Mise en scène : Lisa Guez

Dramaturgie : Alexandre Tran

Scénographie et lumières : Lila Meynard

Assistanat à la scénographie et aux costumes : Auriane Robert

 

Avec : Michel Vuillermoz, Gilles David, Didier Sandre

 

 

Durée 1 h

Jusqu’au 8 mai 2022, relâche les 16 et 17 avril

A 18 h 30

 

 

Studio-Théâtre – Comédie-Française

Galerie du Carrousel du Louvre

Place de la Pyramide inversée

99 Rue de Rivoli, 75001 Paris

www.comediefrancaise.fr

 

 

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