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Mille et une danses (pour 2021), chorégraphie de Thomas Lebrun / CCN de Tours, Théâtre National de Chaillot, Paris

Avr 07, 2022 | Commentaires fermés sur Mille et une danses (pour 2021), chorégraphie de Thomas Lebrun / CCN de Tours, Théâtre National de Chaillot, Paris

 

© Frédéric Iovino

 

ƒƒƒ article de Maxime Pierre

Un chorégraphe, quatorze danseurs, six artistes invités, mille et une possibilités. Ce qu’on retient de cet anniversaire des vingt ans de la compagnie Illico, c’est avant tout une formidable énergie collective, multiple, traversée par des courants en résonance. Et c’est sans doute pourquoi la diversité et l’éclectisme fusionnent ici en spectacle harmonieux : chaque corps de danseur est habité par cette multiplicité. Il n’y a pas de contradiction à être habité en même temps par la musique de Mozart, Purcell, Beethoven, Alphaville ou des Doors, et par vibrer au rythme de danses différentes. Car si diversité il y a, ce n’est pas celles d’individus atomisés, mais d’énergies contagieuses en communication permanente.

On pourrait décrire ce spectacle comme une galerie de tableaux ou bien encore comme un mouvant palimpseste. Sur le plateau, un style en efface un autre, comme les modes qui vont viennent d’une saison à une autre. Les costumes colorés effacent les hauts brillants puis sont ensuite remplacés par de longs costumes noirs, par des costumes ouverts sur une épaule ou un dos, puis par de lumineuses robes de strass. Mais les modes ou plutôt les « façons » successives s’effacent-elles mutuellement ? Certainement pas : elles se répondent. Chaque moment impose son style, celui d’un maître chorégraphe dont l’enseignement vient vibrer en chacun de ses danseurs, par groupes, par demi-groupes par paires et par solo. On se regarde, on se met à l’écoute. Les danseurs s’observent comme nous les observons et chacun d’eux adapte les gestes et les fait évoluer en les prolongeant à sa manière. Car s’il y a bien tableaux ici, voyons-les comme en peinture : il y a la période bleue la période rose, la période cubiste, surréaliste et c’est l’ensemble de ces styles qui forment l’art unique d’un Picasso. L’artiste n’est qu’un maillon parmi d’autres artistes, vivant à ses côtés, avant et après lui. Chaque période recompose, reprend les mêmes thèmes sous d’autres formes, et ce n’est pas, à chaque fois, un changement irrémédiable, comme l’imaginent nostalgiques et réactionnaires, mais les métamorphoses d’une même humanité. L’aujourd’hui recompose l’hier, il redit les mêmes thèmes avec des gestes différents : le désir, la joie, l’amour, la maladie, la mort.

Le corps du danseur est une métaphore de nos vies. Au cours de sa carrière, il est traversé par des rencontres multiples, par des époques où tout change et il en porte la marque, le moi d’aujourd’hui est fait des multiples couches du temps. Dans l’étoffe des rencontres s’additionnent les histoires. Il y a l’époque de l’insouciance, celle de la séduction, ou celle des angoisses dévorantes. À la lueur d’un arc-en-ciel, on devine le spectre farceur de la révolte de Stonewall. Peu de temps après, sur la reprise lancinante des violons d’un angoissant Lacrimosa, les corps souffrants disent l’angoisse, la peur, la mort, fresque sensible de nos cris. Puis, lentement, de chaque bout du plateau, deux hommes se font face et s’avancent l’un vers l’autre : ils ont un âge marqué, ils ont déjà vécu. Tandis que la fresque des spectres s’effrite, tandis que les deux hommes se rapprochent, on s’attend à un duel. Mais ce sera un long baiser amoureux, au centre de la scène, du spectacle, de la vie. Car finalement, malgré l’angoisse du temps qui passe et des moments douloureux, la vie reflue encore.

Nos vies peuvent se renouveler, comme un serpent change de peau, et pourquoi pas retrouver – fût-ce dans le corps de la génération qui nous succède – une nouvelle jeunesse. Et pourquoi pas une nouvelle époque lumineuse, inventive, ludique et joyeuse ? Une dernière danse pailletée de strass. Un hymne renouvelé à la vie. Les enfants ajoutent leur danse à celles de leurs parents spirituels : Mille et une danses comme autant d’histoires. La danse de nos vies singulières et collectives, mille et une fois dansées sur le plateau.

 

© Frédéric Iovino

 

Mille et une danses (pour 2021), chorégraphie de Thomas Lebrun

Lumières : Françoise Michel

Costumes : Kite Vollard, Jeanne Guellaff

Son : Maxime Fabre

Régie : Xavier Carré

Textes : Carolyn Carlson, Kenji Miyazawa

Musiques : Alphaville, Laurie Anderson, Ludwig van Beethoven, Pierre Chériza, Noël Coward, Roberto De Simone, Claude Debussy, The Doors, Maxime Fabre, Bernard Herrmann, Dean Martin, W.A. Mozart, Nutolina, Elvis Presley, Henry Purcell, Sergei Rachmanino

Avec : Antoine Arbeit, Maxime Aubert, Julie Bougard, Caroline Boussard, Raphaël Cottin, Gladys Demba, Anne-Emmanuelle Deroo, Arthur Gautier, Akiko Kajihara, Thomas Lebrun, Cécile Loyer, José Meireles, Léa Scher, Veronique Teindas, Yohann Têté, et six artistes invités

 

Durée : 1 h 45

Salle Jean Vilar

Du 6 au 9 avril 2022

 

Chaillot – Théâtre national de la Danse

Direction Rachid Ouramdane

1, place du Trocadéro

75116 Paris

Renseignements : 01 53 65 30 00

www.theatre-chaillot.fr

 

 

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