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L’Avare, de Molière, mise en scène de Lilo Baur, Comédie-Française

Avr 08, 2022 | Commentaires fermés sur L’Avare, de Molière, mise en scène de Lilo Baur, Comédie-Française

 

© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

 

ƒƒ article de Denis Sanglard

Harpagon chez les helvètes. Lilo Baur met en scène L’Avare qu’elle transpose après-guerre en Suisse, entre lac et montagne, un air pur qui fait étrangement tousser notre banquier, puisque tel est son métier dans cette adaptation culottée. Gazon vert rasé de frais, appartement bourgeois et une panoplie bling-bling de bon aloi, sans ostentation, avarice oblige, complète cette transposition qui inscrit dans la modernité cet Avare où l’on va jusqu’à convertir les écus en euros et parler affaire sur un terrain de golf. C’est résolument vers la farce mais avec beaucoup de finesse, sans exagération, que Lilo Baur pousse sa mise en scène. De la marotte d’Harpagon, l’argent, de son avarice et de ses conséquences, elle donne une lecture d’une obsession qui tourne à la folie qu’accusent des T.O.C, signes d’une névrose devenue incontrôlable. Comme le dit Molière, il ne donne pas le bonjour, il le prête. Mais prononcer même le mot de « donner » ici entraîne chez lui un bégaiement irrépressible. Pas de petites économies non plus, le premier réflexe est d’éteindre le lustre en entrant dans la pièce ! Et de toujours fermer les claustras pour que rien ne sorte de la maison. Surtout, toute question pécuniaire provoque immanquablement un état de crise, de folie, où notre avare perd tout contrôle. Et la découverte du vol de sa cassette devient une scène de cauchemar et d’hallucination paranoïaque. Laurent Stocker, loin du vieux barbon, clone ici d’un Donald Trump mâtiné de Nicolas Sarkozy, est hilarant, étourdissant, très physique dans son jeu, mais il peut être tout aussi glaçant, inquiétant de cruauté même, de violence tant physique que morale. Lilo Baur distille ainsi le chaud et le froid jusque dans le rythme de la pièce qui hoquette entre agitation fébrile, débordement furieux, et calme plat avant la tempête. Surtout Lilo Baur aux enjeux sous-jacents de la pièce, de la comédie de mœurs sous la farce et de son propos subversif sur la circulation de l’argent, des conflits générationnels, ce que nous aurions sans doute aimé voir davantage dans une lecture plus incisive, privilégie le jeu pur des acteurs et la mécanique burlesque de la situation qu’elle pousse parfois au paroxysme. C’est un peu superficiel parfois mais ça passe par la grâce de comédiens qui s’en donnent à cœur-joie visiblement de revisiter un classique dans ses ressorts comiques et pour certains à casser l’emploie traditionnel de leur personnage. Ainsi Jean Chevalier campe un Cléante transi de peur devant son père, d’amour devant Marianne, en parfait nigaud sinon pleutre. Et verra-t-on jamais ailleurs une jeune première, Marianne (Anna Cervinka), s’écrouler sur la table de mariage totalement ivre-morte ? Ça, il fallait oser. L’ensemble de la distribution jubile de se retrouver dans ce qui pourrait être une parodie de soap-opera, version Dynastie suisse. Mention spéciale à Françoise Gillard, impeccable et so chic, composant une Frosine affairiste, entremetteuse aux abois. Et à Serge Bagdassarian, maître Jacques franc du collier, exaspéré de tant d’avarice. Tout ça rondement mené, parfaitement huilé, est très drôle. On rit énormément par cette mise en scène rafraîchissante et survitaminée n’ayant d’autres prétentions que d’explorer les ressorts d’un comique de situation mais il est remarquable aussi d’entendre les rires dans la salle provoqués non de celle-ci, mais du texte lui-même et de ses répliques assassines qui résiste à tout traitement. Et ça, c’est épatant. Sacha Guitry avait raison, comme toujours : « Quoi de neuf ? Molière ! ».

 

© Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française

 

L’Avare de Molière

Mise en scène Lilo Baur

Scénographie : Bruno de Lavenère

Costumes : Agnès Falque

Lumières : Nathalie Perrier

Musiques originales et assistant à la mise en scène : Mitch Ochowiack

Avec Alain Lenglet, Françoise Gillard, Jérôme Pouly, Laurent Stocker, Serge Bagdassarian, Nicolas Lormeau, Anna Cervinka, Jean Chevalier, Elise Lhomeau, Clément Bresson, Adrien Simion et le comédien de l’académie de la Comédie-Française Jérémy Berthoud

 

Du 1er avril au 24 juillet

En matinée 14 h, en soirée à 20 h 30

 

 

Comédie-Française

Salle Richelieu

Place Colette

75001 Paris

Réservations 01 44 58 15 15

www.comedie-française.fr

Le spectacle sera diffusé en direct le 12 avril dans plus de 200 salles de cinéma. Rediffusion à partir du 12 mai. Réservations : pathelive.com/lavare

 

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