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Le feu, la fumée, le soufre, d’après Edouard II, texte de Christopher Marlowe, mise en scène de Bruno Geslin, Nouveau Théâtre de Montreuil

Avr 06, 2022 | Commentaires fermés sur Le feu, la fumée, le soufre, d’après Edouard II, texte de Christopher Marlowe, mise en scène de Bruno Geslin, Nouveau Théâtre de Montreuil

 

© Gilles Vidal

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Le crépuscule d’un roi. Christopher Marlowe, contemporain de William Shakespeare, né la même année (1564), mort trop jeune, 27 ans, est bien trop rarement monté en France. Raison d’aller découvrir fissa cet Edouard II, adapté librement et couillument par Jean-Michel Rabeux et Bruno Geslin, dans une mise en scène flamboyante et d’un baroque outrenoir par ce dernier. C’est une fresque crépusculaire sur un plateau calciné, plongé dans un brouillard bitumeux, un royaume en cendre. Ce sont des êtres brûlés vifs, carbonisés vivants par la passion et l’ambition. Dans cette geôle, ce cloaque merdeux où il pourrit sur pied en attendant la mort, enculé par un tison ardent, Edouard II se souvient… de son amant, le subversif Gaveston, pour lequel il a perdu sa couronne et jeté son royaume dans le chaos. De la reine Isabelle de France, louve assoiffée de pouvoir, maîtresse de Mortimer, autoproclamé chef de la noblesse. Une noblesse revancharde alliée à l’Eglise, œuvrant à sa perte, à celle de Gaveston. Une funeste foire aux vanités.

C’est une fresque historique, un poème d’amour tragique, une histoire de vengeance. C’est une épopée et un drame intimiste, introspectif. C’est tout ça à la fois qui se résume à un désastre, une cérémonie funèbre, une danse macabre, une vanité. En appliquant à la lettre le sous-titre de cette pièce, en lui donnant son titre comme un oriflamme, Bruno Geslin fait du plateau un enfer, un royaume de cendre encore chaude, celui d’une mémoire vive et brûlante, brûlée, celle d’un homme foudroyé, cramé par amour. En commençant par la fin, quand se délabyrinthe les souvenirs, il abolit le temps, soudain suspendu au récit, celui d’une vérité fragmentaire qui impulse un rythme faussement étal. Il y a comme une retenue, une tension palpable qu’il étire jusqu’à la rupture et son épuisement ; c’est du théâtre comme il en est d’un long coït interrompu et de sa fin brutale. Mais point de petite-mort ici, rien que la mort dans sa brutalité sèche, à coup de pelle, à coup de pal. Bruno Geslin évite le trop plein propre au théâtre élisabéthain, au baroque, rien de spectaculaire, ni sang, ni foutre, mais l’élégance de l’ellipse impudique qui oblige à l’imaginative de l’horreur et de l’obscène. Une langue qui ne fourche pas à nommer un chat, un chat, où le mot couille est à prendre au sens propre comme au figuré. Avec ça, des images de cauchemar, âcres à vous brûler les yeux, des tableaux comme des hallucinations où des sangliers surgis du néant reniflent des cadavres qui se refusent à crever. Hurlants, échappés du dernier néant « Tout brûle ! L’enfer est bleu comme un orage, c’est si beau ! » Inutile de chercher dans la partition originale, Bruno Geslin et Jean-Michel Rabeux ont truffé le texte de leurs propres incises et c’est bonheur. C’est d’une franche esthétique homo-érotique, foutrement charnelle, entre Caravage et Jean Genet, entre l’ordure et le sublime, où l’on se soucie du genre comme du quart. L’unique tragédienne jouant de la déglingue comme pas une autre, c’est Claude Degliame, magistrale, pour un roi à bout de tout, en bout de course, calciné de l’intérieur, pour qui l’enfer c’est l’envers de l’amour. Elle est cet astre noir crachant ses derniers feux, étoile morte au centre d’un univers fini tournant affolé sur lui-même, qui d’un trône branlant terminera dans une brouette, porté sans triomphe vers le pal ardent. Et pour une reine de tragédie il fallait bien une drama-queen pour une partition théâtrale jouée comme un torch-song vénéneux et pathétique. Olivier Normand, en sa longue robe noire, avec son visage pâle de presque vierge, y est impériale de grâce venimeuse jusque dans sa déchéance et sa condamnation. Et Gaveston d’une ambiguïté androgyne, adolescent poisseux, d’une perversité rigolarde et crâne, c’est la troublante Alyzée Soudet, une révélation brutale comme un soufflet. Laquelle joue aussi, idée génialement perverse, le fils d’Edouard II, Edouard III, celui qui condamnera à mort Mortimer et mènera sa mère dans la tour de Londres. Il faudrait les citer tous, archevêque, barons et mignons, tous monstrueux, tous infatués d’importance, Arnaud Gélis en tête, Mortimer, âme damnée de la Louve de France, gras d’ambition et bouffi de vanité. Bruno Geslin mène avec maestria cette troupe à l’incandescence qui ne rechigne pas à entrer au pas de charge dans cet enfer pavé de sordides intentions. C’est du théâtre joué à cru et à dia, dans la conscience de sa théâtralité exacerbée, du théâtre comme on en rêve. Oui, ici « tout brûle, l’enfer est bleu comme un orage et c’est beau ! »

 

 © Gilles Vidal

 

Le feu, la fumée, le soufre d’après Edouard II de Christopher Marlowe

Adaptation Jean-Michel Rabeux et Bruno Geslin

Mise en scène et scénographie de Bruno Geslin

Avec Claude Degliame, Alyzée Soudet, Olivier Normand, Julien Ferranti, Clément Bertani, Guilhem Logerot, Arnaud Gélis, Jacques Allaire, Lionel Codino, Luc Tremblais, Hugot Lecuit

 

Collaboration scénographique : Christophe Mazet

Collaboration chorégraphique : Julien Ferranti

Régie générale : Guillaume Honvault

Assistanat à la mise en scène : Adrien Guiton (tournée), Guillaume Celly et Victoria Sitja (création)

Création vidéo : Jéronimo Roé

Création lumière : Dominique Borrini

Régie lumière : Jeff Desboeufs et Romain Fougère

Costumes : Hanna Sjödin

Assistante costumes : Claire Schwartz

Collaboration costumes et scénographie : Margaux Szymkowicz

Ecriture musicale et création sonore : Benjamin Garnier et Alexandre Le Hong « Mont Analogue »

 

Du 31 mars au 9 avril 2022

A 20 h, le samedi à 18 h

 

 

Nouveau Théâtre de Montreuil

10 place Jean Jaurès

93100 Montreuil

Réservation 01 48 70 48 90

www.nouveau-théâtre-montreuil.com

 

 

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