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La guerre des pauvres, conception et adaptation d’Olivia Grandville, texte d’Éric Vuillard, à la MC93, Bobigny

Avr 26, 2022 | Commentaires fermés sur La guerre des pauvres, conception et adaptation d’Olivia Grandville, texte d’Éric Vuillard, à la MC93, Bobigny

 

© Marc Domage

 

article de Nicolas Thevenot

Les cintres du théâtre sont descendus et dessinent une canopée de barres d’acier horizontales et suspendues sur le plateau où nous sommes nous-mêmes installés. Comme nous sommes à l’orée de la cage de scène, les filins retenant les cintres nous sont visibles, telle une multitude de lianes, telle une pluie d’acier figée. La scénographie (de Denis Mariotte) ainsi constituée de l’existant du lieu, agencé à bon escient, est puissante. Comme une couronne à terre. Comme une forêt de lances sur le champ de bataille.

L’espace de la scène est également rythmé par des câbles verticaux intégrant des LEDs, constituant ainsi une architecture lumineuse évolutive pendant le spectacle (installation d’Yves Godin). A l’écoute du texte d’Éric Vuillard, ces verticalités peuvent convoquer la forêt de piliers d’une église où Thomas Müntzer aurait pu prêcher et galvaniser les foules. La guerre des pauvres, conçu par Olivia Grandville, est porté par le récit éponyme d’Éric Vuillard et se construit autour de la figure historique de cette homme religieux, éminemment politique. Texte court mais essentiel, comme tous les livres d’Éric Vuillard, La guerre des pauvres se donne l’ambition à travers cet épisode (le soulèvement de la paysannerie au XVIème siècle en Allemagne), de tracer en pointillé une généalogie des luttes sociales, d’offrir un écho dans notre contemporain à ces luttes premières contre l’injustice et les puissants, ou de les peindre comme un miroir aux injustices actuelles. Une écriture en perspective. Car la justice et l’injustice sont d’abord une question idéologique : quelles inégalités une société est-elle prête à assumer ? Plus théorique, l’ouvrage de Thomas Piketty (Capital et idéologie) travaille les mêmes terres.

Si le projet d’Olivia Grandville ne pouvait qu’attiser ma curiosité, et si la scénographie est extrêmement séduisante, je dois reconnaître une immense déception. La faute au dispositif d’une part : il manque de recul. Incroyablement. L’impression d’être le nez posé contre un immense panorama. C’est d’autant plus dommageable que le texte, lui, travaille à créer des perspectives entre les territoires et les époques, à mettre de la distance de réflexion par la mise en scène du récit. Très prosaïquement, la perception du spectacle est parcellaire, mangée à bâbord et tribord par les têtes des autres spectateurs sur ces gradins de circonstances (très peu surélevés). Autant dire que les danseurs sont en grande partie invisibilisés dans ce qu’ils proposent (sauf pour les spectateurs du premier rang). Ce qui est métaphoriquement problématique puisqu’ils sont eux-mêmes dans le dispositif dramaturgique d’Olivia Grandville les représentants de ceux que notre société invisibilise aujourd’hui : les migrants.

D’autre part, la lecture par Laurent Poitrenaux ne m’a vraiment pas convaincu : trop en force, surlignant avec des effets, démultipliés par la sonorisation, ce que la langue de Vuillard exprime déjà parfaitement. Explicatif quand il aurait fallu être allusif comme les mots savent l’être. Une redondance qui écrase la puissance réflexive des mots. Le texte me parvenait sans que son sens profond puisse faire son chemin en moi. L’ensemble du projet, perdant sa consistance du fait de ses éléments disparates, me parut surplombant, les propositions plastiques (des alignements de pains) gratuites.

Et de sortir, désemparé, de la MC93 à quelques jours d’une élection où les pauvres seraient, dans tous les cas, les grands perdants.

 

 

La guerre des pauvres, conception et adaptation : Olivia Grandville

Texte La guerre des pauvres d’Éric Vuillard (2019, Actes Sud)

Avec : Martin Gìl Enrique, Éric Nebie

 

Lecture : Laurent Poitrenaux

Musique : Benoît de Villeneuve et Benjamin Morando

Dispositif scénique : Denis Mariotte et Yves Godin

Lumière : Yves Godin

Collaborations : Jonathan Kingsley Seilman, Marie Orts

 

Durée 1 h

Vendredi 15 avril 2022 à 20 h 30, samedi 16 avril 2022 à 18 h 30 et dimanche 17 avril 2022 à 15 h

 

  

MC93

MC93 — maison de la culture de Seine-Saint-Denis

9 boulevard Lénine

93000 Bobigny

 

Tél : +33 (0)1 41 60 72 72

https://www.mc93.com

 

 

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