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Black Bird, de Mathilde Rance, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs

Avr 27, 2022 | Commentaires fermés sur Black Bird, de Mathilde Rance, au Théâtre de la Ville (Espace Cardin) dans le cadre du Temps fort jeunes créateurs

 

© DR

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

D’emblée je crus me retrouver dans un roman post-exotique d’Antoine Volodine : était-ce cette silhouette humaine revêtue de plumes d’oiseau noir, tels ces immenses corbeaux spectateurs que mettent en scène les romans de l’écrivain sur des gradins désertés, était-ce cette litanie entêtante, cette liste de noms, néologismes pour la plupart, tous ornés à la mode du « -cisme », vociférés dans un chant rituel et comique à la fois, procédé que Volodine utilise lui aussi régulièrement pour peupler son univers de sectes et de partis politiques dans une classification aussi infinie que le langage ? Dans l’obscurité puis dans la lumière franche et fragile d’un clair-obscur, Mathilde Rance égrène d’une voix forte, gutturale, les « capitalicisme », « pornograficacisme » … détachant et prononçant à l’anglaise la désinence -cisme (c’est à dire phonétiquement : sizeum). Mathilde Rance tourne sur elle-même et piétine dans cette danse qui emprunte autant à l’imaginaire du sabbat de sorcières qu’à celui des danses ethniques. Le chant est autant celui du slogan hurlé dans une manifestation militante que celui d’un mantra magique répété en boucle, émaillé de caquètements de poule. Ce qui scelle le tout : l’énergie, la vigueur, la force, la puissance, et l’humour pince sans rire de Mathilde Rance. Ce que cela produit : une dynamisante critique de nos systèmes de représentation dans une prise à bras le corps du spectateur. Il y a une jouissance et une réjouissance à assister à ce cabaret décalé où les signes sont repris, leurs entrailles ouvertes pour voir ce qu’ils auraient à nous dire au-delà des mots. Mathilde Rance est cette chamane portant son tambour comme une lune magnifique en haut de ses bras. Mathilde Rance secoue les vieilles lunes. Elle fait effraction par la citation même des figures imposées à la féminité, cette joueuse de harpe au sol par exemple. La musicienne offre ses grimaces expressionnistes comme un point sur le i de chacune des notes éthérées de l’instrument divin, annihilant les clichés liés à la pratique de cet instrument. Derrière le vernis, le cri sans voix raye la nuit sans fond.

Si le dessin précis et ramassé des séquences répond à la forme du cabaret, les lumières entre douches et latérales y participant aussi pleinement, on formera simplement le regret que Black Bird ne se soit pas développé au-delà de sa durée, trop brève, Mathilde Rance possédant la justesse et la souveraineté d’un geste singulier qui aurait pu se déployer encore plus dans le temps. Il n’empêche : Black Bird se révèle comme le spectacle baroque de notre époque, le cabinet de curiosité de nos imaginaires troubles.

 

 

Black Bird, conception, chorégraphie, création musicale, costumes & interprétation : Mathilde Rance

Regard extérieur : Sandra Abouav

Conseils musicaux : Paul Ramage

Durée : 25 minutes

 

Du 12 au 16 avril 2022 à 20 h

 

Théâtre de la Ville

Espace Cardin

1 avenue Gabriel 75008 Paris

Tél : 01 42 74 22 77

https://www.theatredelaville-paris.com

 

 

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