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Le Dragon, d’Evgueni Schwartz, mise en scène de Thomas Jolly, au Festival 100 %, La Villette

Avr 18, 2022 | Commentaires fermés sur Le Dragon, d’Evgueni Schwartz, mise en scène de Thomas Jolly, au Festival 100 %, La Villette

 

© Nicolas Joubard

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

De la servitude volontaire. Conte noir pour adulte écrit en 1944 où Evgueni Schwartz (1896-1958) dénonce le totalitarisme, renvoyant dos à dos au moment de son écriture le national-socialisme et le stalinisme, Le Dragon est une œuvre magistrale, une farce politique d’une acuité sans pareil qui résonne encore aujourd’hui et plus que jamais en cette période trouble, ventre fécond où la bête immonde qui y sommeillait se réveille plus arrogante encore.

Dans une ville imaginaire règne en despote depuis quatre cents ans un Dragon à trois têtes. La population asservie par la violence et désormais docile accepte de lui payer chaque année un tribut, une jeune fille vierge. La jeune fille mourant de dégoût après la nuit de noce fatale. Cette année-là c’est la fille de l’archiviste Charlemagne, Elsa qui est choisie par le monstre. Résignée et dans la plus grande indifférence de la population, elle attend son heure quand survient Lancelot, « héros professionnel », tombé là un peu par hasard. Afin de libérer la population et contre la volonté des habitants hostiles à ce projet, « on se fait à tout », le bourgmestre en tête, il provoque le dragon en duel. Le dragon est vaincu. Mais le héros se meurt et la victoire est porteuse de malheur. Un an après le bourgmestre règne en tyran, les élites sont corrompues et collaborent au régime, la population vit sous la terreur. La mort du monstre a libéré le dragon en chacun… Mais l’héroïsme et la résistance ne sont pas morts avec Lancelot. Et c’est dans les moments de crises que se révèle parfois le destin de certain.

Thomas Jolly s’empare avec un bonheur évident de cette pièce brûlante et corrosive, et loin de l’actualiser, de la contextualiser platement, respecte avec intelligence le conte et son merveilleux, sa fausse naïveté et son âcre cruauté, exacerbe ainsi sa formidable théâtralité dans un registre délibérément expressionniste et burlesque où le noir et les angles aigus dominent (on pense au cinéma de Murnau mais aussi de Tim Burton). Sans esbroufe, modestement presque, avec une inventivité fébrile, il active une machinerie purement théâtrale à vous couper le souffle, qui vous enchante et cependant vous murmure à l’oreille une réalité qui se dessine non sans effroi. C’est du grand spectacle, oui, spectaculaire mais avec une économie de moyen, un bel artisanat qui dénonce volontairement la théâtralité et cela ne rend que plus poétique cette création indispensable, aujourd’hui rattrapée par la réalité d’une élection où le pire peut advenir. Et dans ce respect de la forme et de sa métaphore, le discours, cet appel à la liberté et la résistance devant l’autoritarisme et le populisme, n’en devient que plus pertinent et universel.  Ajoutons à cela des comédiens, qui dans un bel ensemble et une énergie commune, une vraie troupe, donne le meilleur d’eux même, habiles dans la composition burlesque comme dans un registre plus naturaliste et sensible. Une habile polyphonie de registre discordant distribuant les rôles, là les méchants, ici les gentils, parce que nous sommes dans un conte, ne l’oublions pas.

C’est du théâtre populaire, du vrai, exigeant comme Thomas Jolly sait si bien le faire. Et c’est bien. Un théâtre engagé. Et c’est ici toute la force du théâtre, dans ce qu’il dit du monde, dans ce qu’il dénonce de nos errements, dans ce qu’il pressent, qui éclate avec Le Dragon d’Evgueni Schwartz. Un théâtre de résistance. « On n’écrit pas un conte pour dissimuler une signification, mais pour dévoiler, pour dire à pleine voix, de toutes ses forces, ce que l’on pense. » Qu’il  soit aujourd’hui entendu.

 

© Nicolas Joubard

 

Le Dragon d’Evgueni Schwartz

Texte français de Benno Besson

Mise en scène de Thomas Jolly

Avec Damien Avice, Bruno Bayeux, Moustafa Benaibout, Clémence Boissé, Gilles Chabrier, Pierre Delmotte, Hiba El Aflahi, Damien Gabriac, Katja Kruger, Pier Lamandé, Damien Marquet, Théo Salemkour, Clémence Solignac, Ophélie Trichard

Collaboration artistique : Katja Kruger

Scénographie : Bruno de Lavenère

Lumières : Antoine Travert

Musique : Clément Mirguet

Costumes : Sylvette Dequest

 

Du 14 au 17 avril 2022

Jeudi et vendredi à 20 h, samedi 19 h, dimanche 15 h

 

La Villette

Grande Halle

211 avenue-Jean-Jaurès

75019 Paris

 

Réservations 01 40 03 75 75

www.lavillette.com

 

Tournée

Du 27 au 30 avril Théâtre du Nord, CDN de Lille

 

 

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