À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Kliniken, de Lars Norén, mise en scène de Julie Duclos, Théâtre de l’Odéon

Kliniken, de Lars Norén, mise en scène de Julie Duclos, Théâtre de l’Odéon

Mai 12, 2022 | Commentaires fermés sur Kliniken, de Lars Norén, mise en scène de Julie Duclos, Théâtre de l’Odéon

 

© Simon Gosselin

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Il ne se passe rien dans Kliniken, pièce chorale de Lars Norén. Rien, sinon le fracas du monde dans son expression la plus nue, entré à bas-bruit dans cette unité psychiatrique. Dans cette salle commune d’hôpital où se croisent les patients, où se nouent les conversations, entre soliloques et dialogues, lentement, au fil des récits, des paroles échappées, effleurent les secrets, les traumatismes subis, les blessures intimes et la folie. Sont concentrés là, métabolisés, les maux de notre humanité avec un foutu sentiment de réalité, laquelle nous éclabousse au long de cette pièce radicale. Radicale par son écriture, si réaliste qu’elle en devient poétique, cette poésie crue du quotidien le plus âpre. Une parole sans filtre, brutale même, mais si juste dans sa violence, terriblement, qui n’exprime rien d’autre qu’une souffrance, son déni forcené et un rapport décalé au monde. La folie ici est partout et nulle part. Car ce qui frappe c’est la normalité de ces malades traversés par la maladie, hantés par leur traumatisme que seule la parole dénonce et révèle mais ne réussit pas à libérer.

La mise en scène de Julie Duclos est une merveille de délicatesse, de sensibilité et d’intelligence. Une réussite exemplaire parce qu’elle s’empare de cette pièce avec la volonté résolue de ne jamais charger la barque. Il aurait été facile de monter cela avec tous les clichés afférents, grimaciers de la folie. Loin de tout ça, Julie Duclos met en scène cette parole unique et de chaque personnage détouré avec la plus grande attention, de leur singularité, elle en extrait leur part irréductible d’humanité, aussi cabossée soit-elle. Non, rien de démonstratif, rien de spectaculaire mais une ligne claire, toujours tenue, presque sèche, sans éclat autre que quelques colères, quelques crispations exprimés par le texte et qui, comme cet orage soudain, éclate, libérant une tension devenue insoutenable. Une direction d’acteur attentive donc, où nul ici ne joue la folie mais porte en lui un insondable mystère où se niche peut-être une vérité insupportable. Un jeu réaliste et sans outrance, jamais démonstratif, mais portant une charge émotionnelle sans équivalent par sa nudité, son âpreté même. Tous les comédiens ici sont exceptionnels en leur fêlure, leur fragilité et leur vérité irréductible. La réussite de Julie Duclos est dans ce qu’elle ne porte aucun jugement ni d’échelle de valeurs, comme Lars Norén, sur ces vies minuscules fracassées mais qu’elle leur donne une portée universelle. Dans cette unité psychiatrique c’est tout le désarroi du monde, et le nôtre, qui s’engouffre. Ce que souligne la vidéo projetée incidemment sur les murs qui parfois, sans jamais abuser, suit dans les coulisses les personnages, s’extrait du plateau pour signifier sans doute que ce qui se passe là, sur cette scène, est ancré indubitablement dans une réalité qui le déborde largement.

Quand une création vous poigne comme ça, d’emblée, et ne vous lâche plus, avec cette impression prégnante qu’il se passe là quelque chose d’essentiel, une grâce absolue, le théâtre dans ce qu’il de plus juste dans sa fonction, on ne peut qu’être saisi de son importance. Julie Duclos signe sans doute avec Kliniken une création des plus importante, du grand théâtre assurément.

 

© Simon Gosselin

 

Kliniken de Lars Norén

Mise en scène de Julie Duclos

Avec Mithkal Alzghair, Alexandra Gentil, David Gouhier, Emilie Incerti Formentini, Manon Kneusé, Yohan Lopez, Stéphanie Marc, Cyril Metzger, Leïla Muse, Alix Riemer, Emilien Thebault, Etienne Toqué

Traduction : Camilla Bouchet, Jean-Louis Martinelli, Arnaud Roig-Mora

Scénographie : Matthieu Sampeur

Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel

Lumière : Dominique Bruguière

Vidéo : Quentin Vigier

Son : Samuel Chabert

Costumes : Lucie Ben Bâta Durand

 

Durée 2 h 20

Du 10 au 26 mai 2022 à 20 h

 

Odéon-Théâtre de l’Europe

Place de l’Odéon

75006 Paris

 

Réservations 01 44 85 40 40

www.theatre-odeon.eu

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed