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Effleurer l’abysse, de Solenn Denis, mise en scène d’Audran Cattin, Théâtre La Flèche

Mai 02, 2022 | Commentaires fermés sur Effleurer l’abysse, de Solenn Denis, mise en scène d’Audran Cattin, Théâtre La Flèche

 

© Marie Charbonnier

 

ƒ article de Denis Sanglard

Puisque nous sommes poussières d’étoiles, pourquoi une caméra infra-rouge ne capterait-elle pas les âmes défuntes comme les télescopes les étoiles mortes ?  Ainsi pense Jo, déchirée par la mort de son enfant. Jo, musicienne, qui compose sur son piano des chansons pour cet absent qui la mène au bord du gouffre. Jo qui croit fermement à la vie après la mort contrairement à son mari, Ben, astrophysicien, qui assiste impuissant à la dérive de sa compagne, au bord du précipice lui aussi devant l’obsession et la détresse de Jo. Un jour qu’il répète son exposé pour des enfants qui viendront visiter son labo, expliquant que nous sommes composés des mêmes substances que les étoiles, que son travail consiste à traquer la lumière émise par les étoiles mortes avec un télescope infrarouge, Jo se dit que là est sans doute la solution. Elle équipe l’appartement de caméra thermique pour tenter obstinément, désespérément de capter l’esprit de son enfant.

Histoire d’un deuil impossible qui fracture un couple, déchiré par une absence qui les mène tout deux, à leur façon, à frôler les abysses. Si le sujet n’est pas très neuf, c’est dans son appréhension que Solenn Denis trouve son originalité, inspirée de sa rencontre avec Pierre-Olivier Lagage, astrophysicien. Mêler la science la plus pointue et concrète, en faire contre toute attente et contradictoirement, étrangement même, l’instrument médiumnique pour une quête désespérée, suscite là une certaine curiosité. Solenn Denis pose son sujet sans jugement aucun quant à la rationalité scientifique de Ben ou l’irrationalité têtue de Jo, au spectateur donc de se débrouiller avec ça. Ce qui importe ici c’est les ravages du deuil et ses conséquences dramatiques.

Si la mise en scène d’Audran Cattin ne révolutionnera pas le genre, c’est sa toute première on peut donc être indulgent, c’est dans la direction des acteurs qu’il tient sans doute toute sa promesse. Une direction fine, précise et nette, un jeu naturaliste pour ne pas dire cinématographique, aidé en cela par cette petite salle qui prédispose à cette orientation, une certaine intimité. Un jeu tout en nuance aussi qui ose trouer de longs silences le dialogue. Des silences dans lesquels s’engouffrent non-dits et souffrances, fêlures et questions sans réponse. Tout cela est porté par la grâce de deux acteurs, Maximes Gleizes et Mathilde Weil, habités pour le moins, qui n’en font jamais trop, convaincants et toujours justes dans leurs personnages arc-boutés chacun dans ses convictions pour ne pas sombrer, voyant s’effriter leur couple rongé par le poids du deuil. On peut bien sûr s’agacer d’un choix de mise en scène qui tord le texte pour amener ce dernier dans sa résolution vers un côté vaguement fantastique (qu’accentue une bande-son qui n’est pas sans rappeler l’univers de la S.F),  un tantinet démonstratif sur la fin et qui soudain fait basculer la fable dans une conclusion que l’on aurait aimé plus ouverte qu’imposée et qui ne s’imposait peut-être pas. Qu’importe, c’est pour Audran Cattin une première fois, avec tous ces défauts véniels, et ce que l’on retient avant toute chose c’est cette conviction fermement chevillée à défendre dans ses pleins et ses déliés ce texte singulier. En cela c’est plutôt réussi.

 

© Marie Charbonnier

 

Effleurer l’abysse, de Solenn Denis

Mise en scène Audran Cattin

Avec Mathilde Weil, Maximes Gleizes, Simon Cohen

 

Du 1er avril au 3 juin, tous les vendredis à 21 h

 

 

Théâtre La Flèche

77 rue de Charonne

75011 Paris

Réservation 01 40 09 70 40

www.theatrelafleche.fr

 

Tournée

Février 2023 à Anis Gras- Le lieu de l’Autre, Arcueil

 

 

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