Le cirque invisible de Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée au Théâtre du Rond-Point
  © Toussaint ƒƒ Article de Sylvie Boursier « Mourir insignifiant, au fond d’une tisane, entre un médicament, et un fruit qui se fane […] Mourir, la belle affaire ! Mais vieillir, oh, vieillir», chantait Jacques Brel, ou vieillir en beauté comme l’ours et la poupée du cirque invisible crée en …1990. Jean-Baptiste Thierrée et Victoria Chaplin, 160 ans passés à eux deux. Elle prend la lumière, a plus d’un tour dans son sac, la caméléone transformiste. Cousus décousus, surfilés, enfilés, la princesse se pare de multiples costumes, les retournent, les déplient pour créer un bestiaire imaginaire, elle joue d’un artisanat plastique délicat et de transformations en cascades comme dans les rêves. Dragon, tortue, cheval, chimères, crocodiles, des bêtes improbables apparaissent quand elle se contorsionne et change de déguisements à vue. On n’oubliera pas le martyre d’une gorgone avec les plis d’un ruban rouge qui s’écoule comme du sang, ou encore cette armure à musique ornée de verres, panier à salade, coupe à fruits et casseroles. Victoria, revêtue de sa batterie de cuisine, tintinnabule avec entrain. Jean Baptiste joue le contraste avec des tours de magie un peu désuets, lancer de carottes et poireaux, découpage de doigt ou dégustation de bougie, sans oublier la femme coupée en trois dans son sarcophage amovible ou la cafetière géante XXL et son propriétaire lilliputien. Moment de grâce absolu, sa chanson en play back des Trois Cloches avec l’effigie d’Edith Piaf et des compagnons de la chanson qui l’entourent comme autant de ravis de la crèche au fronton d’une église. Un grand coup de chapeau à Roxane Grallien et Véronique Grand-Lambert les deux habilleuses pour la magnifique garde-robe couleur de lune, mordorée, pourpre, jaune safran ou vert anis. Même si la succession des tableaux est un tantinet répétitif et les gags de Jean Baptiste un peu faciles le charme opère comme une malle à trésors retrouvée au fond d’un grenier ou les marionnettes de guignol aux joues cramoisies. Longue vie au cirque invisible et à ses clowns célestes, revenez quand vous voulez !     © Brigitte Enguerard   Le cirque invisible de et avec Victoria Chaplin, Jean-Baptiste Thierrée. Son : Christian Leemans Lumières : Laura de Bernardis Habillage : Roxane Grallien et Véronique Grand-Lambert   Durée : 1h15 Jusqu’au 16 avril à 19h30, dimanche 15h, relâche les 9, 10 et 13 avril,   Théâtre du Rond-Point 2 bis avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris   Réservation : 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr            Read More →
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Des caravelles et des batailles, écriture et mise en scène d’Eléna Doratiotto et Benoît Piret, au Théâtre de la Bastille
  © Hélene Legrand   ff article de Denis sanglard Attention, une caravelle peut en cacher une autre… Des caravelles et des batailles, étrange, voire énigmatique, titre pour une drôle et jubilatoire création belge. Belge, cela a son importance, parce que cet humour-là, décalé et surréaliste, leur appartient en propre, inscrit à leur patrimoine. De quoi cela cause-t-il ? La question reste en suspens au long de cette pièce hilarante sous des dehors d’un sérieux que rien ne pourrait entamer. Tentons de, à commencer par un résumé laconique, « Ne pas » … Soit dans une étrange bâtisse, au milieu de nulle part, quelques individus s’affairent à moult tâches quotidiennes comme autant de rituels poétiques, devisent et dissertent, entre banalités et philosophie impromptue. Un désœuvrement déroutant qui enferme chacun dans une étrange temporalité, où le temps est comme suspendu, où rien ne semble exister que l’instant présent. Les liens qui se tissent entre ces résidents dont on ne saura rien, ou par incidence, participent de ce même mystère, de ce même trouble. Il y a ici et pour tout comme une étrange évidence qui se passe d’explication, tout semble aller de soi, le plus normalement et simplement du monde. Aucune intrigue. Très librement inspiré de La montagne magique de Thomas Mann par Eléna Doratiotto et Benoît Piret, cette création génialement déroutante est un petit bijou d’humour pince-sans-rire, de poésie zinzin et de pertinence. Il ne se passe rien en apparence mais dans ce rien s’engouffre un vent de folie douce qui traverse le plateau et souffle dans la salle. On est un peu comme Andréas, débarqué là un jour, dérouté d’abord par l’accueil qui lui est fait, par ce lieux hors du temps et du monde, avant de s’acclimater sans y prendre garde, de s’intégrer naturellement, de participer à la vie du lieu sans barguigner. Etrange catharsis qui voit les spectateurs entrer dans le jeu, s’extraire aussi de toute temporalité et ne plus se poser de question du tout. (Sauf à propos de trois mystérieux mots manquant pour terminer un roman, qui vit un spectateur s’exclamer d’un sonore « enfin ! » quand ceux-ci furent révélés). Et pourtant, hormis cet étrange totem de bois, le plateau est absolument vide. Alors quand on vous dit que nous somme dans la salle de brique rouge, oui, nous y sommes. Pas plus étonné non plus qu’Andréas de passer du premier post-scriptum au quatre-cent-quatre-vingt deuxième d’un courrier qu’il n’envoie probablement plus. Pour un peu nous aussi nous irions jeter des pierres dans l’eau du haut de l’aqueduc voisin, une activité qui semble avoir son importance ici. Ce qui est très fort, c’est que l’imagination ici galope et que nous inventons, nous aussi, au fur et à mesure, rien n’est montré, tout est énoncé, et ça suffit, on y croit ferme, on voit tout. Puissance du si magique des contes de notre enfance.  Et les caravelles ? Nous y voilà, et c’est sans doute là que le monde fait irruption dans ce huis-clos faussement cotonneux. Par ce polyptique trônant dans la salle rouge, qu’on se doit d’imaginer, fresque sanglante qui raconte la bataille de Cajamarca où cent-soixante huit conquistadors espagnols menés par Pizarro massacrèrent l’armée incas, renversèrent l’empereur Atahualpa avant de conquérir et provoquer la chute de son empire. A peine arrivé, c’est la première chose que l’on montre à Andréas. La violence du monde. Dès lors chez Andréas quelque chose de souterrain se fendille, comme s’effritera plus tard le totem. Cette violence-là fait son chemin, comme une menace qu’il faut oblitérer ici, « Je crois que je panique », mais il suffira d’un pinceau… comme il suffira de mettre des étaies au totem pour que tout rentre dans l’ordre, comme si de rien n’était, en apparence et provisoirement.  Et il faut de sacrés comédiens pour nous mener comme ça, par le bout du nez sur des chemins escarpés et de traverses, avec brio et un sérieux de pape, voire d’une certaine gentillesse et douceur, d’un naturel des plus confondant, comme si tout ça, danser une danse bulgare par exemple, n’était qu’évidence et que de mystère il n’y en avait pas, les choses étant ainsi, c’est tout. C’est fortiche, oui. Comme cette création qui n’a pas l’air comme ça, mine de rien, une mise en scène sans couture apparente et sans effet de manche pour une banalité qui en devient extraordinaire, et qui vous embarque dûment, avec bonheur, dans une drôle d’utopie, loin des caravelles et des batailles, de la violence du monde.   © Heléne Legrand     Des caravelles et des batailles, écriture et mise en scène Eléna Doratiotto et Benoît Piret Avec : Salim Djaferi, Eléna Doratiotto, Gaëtan Lejeune, Benoît Piret, Jules Puibaraud, Anne-Sophie Sterck Collaboration à l’écriture : Salim Djaferi, Gaëtan Lejeune, Jules Puibaraud, Anne-Sophie Sterck Collaboration à la mise en scène et à la dramaturgie : Nicole Stankiewicz Scénographie : Valentin Périlleux Regard scénographique et costumes : Marie Szernovicz Création lumière et régie générale : Philippe Orivel Régie plateau : Clément Demaria   Du 3 au 21 avril à 20h30, relâche les dimanche et le jeudi 6 avril Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris Réservations : 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com    Read More →
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Rodez-Mexico, texte et mise en scène de Julien Villa, Théâtre de la Tempête-Cartoucherie
  ©   Olivier Desautel   ƒƒ Article de Sylvie Boursier Viva Zapata ! viva Rodez ! et viva Villa ! Tous les jours Marco Jublovski, jardinier municipal, fume son pétard et sirote un café avant de gazonner négligemment les parterres ruthénois. Le soir il retrouve ses potes mais nom de dieu qu’c’est triste Rodez avec ou sans Soulages !  Un jour le pavillon familial est menacé d’expropriation. La mairie veut transformer la zone bucolique en un espace paysager urbain. L’employé communal remonté comme un coucou suisse refuse la décision. Ya basta ! Il ne laissera pas sa bicoque se transformer en défilé de caddies et promenade plantée du dimanche. À partir de là, le récit de Julien (et non Pancho) Villa se barre en sucette. Marco devient Marcos, prend pour modèle la lutte Zapatiste des Chiapas du Mexique et s’initie à la guérilla urbaine avec sa bande affublée de chasubles et armée de « fusil à cauchemar » (le sous commandant Marcos était contre la lutte violente). Le rond-point devient le quartier général de la petite troupe d’anarcho-folklo mariachis. Le plateau de la tempête prend des allures de camp retranché avec algeco, échafaudages, billots de bois et planches amovibles. Il pleut beaucoup à Rodez et les bouteilles plastiques font office d’arrosoir à pompe. L’armée Zapatiste de Libération Nationale Mexicaine, ce sont des jouets d’enfants que l’on déplace comme des petits chevaux, la jungle amazonienne un bocal à poissons rouges. C’est ingénieux, poétique et ça fonctionne. On croit à ce spectacle adapté du roman initial parce qu’il a l’énergie des débuts et ne vise pas l’esthétisme. Il met l’imagination au pouvoir avec un texte ciselé qui, sous des dehors farcesques, posent des questions essentielles. « Est-ce que ta vie te plaît ? » questionne Marco de Rodez.  Quelle place pour les mythes, les contes, dans notre existence ? Qu’est ce qui nous empêche de retourner le gant de l’aliénation ici et maintenant ? Il n’y a pas de révolte transformatrice sans fiction, nous montre Rodez Mexico.  Marco de Rodez se convertit parce qu’un personnage, celui du vieil Antonin joué par Laurent Barbot, vient lui raconter des histoires en plaçant des figurines sur son corps durant son sommeil, comme une initiation chamanique. Les récits du sous commandant Marcos au Mexique adoptaient un verbe métaphorique accessible à tous qui mettaient en scène des insectes discutant entre eux des méfaits du mode de production capitaliste. Antonin commente l’action et donne au spectacle sa dimension surnaturelle. Certains moments sont particulièrement jouissifs. Voir Marco-Marcos expliquer le plus simplement possible à des joyeux drilles la théorie de la valeur du grand Karl, ça vaut en soi le déplacement. Attention ! Julien Villa connaît son bréviaire politique sur le bout du doigt, toutes les références zapatistes et marxistes sont justes. L’interview du sous-commandant par le journaliste de Radio France Bleue est carrément hilarante, sur le parking du supermarché en pleine chaleur. Le bonhomme perd son latin et pète carrément les plombs. Julien Villa peut compter sur une équipe soudée d’une diction parfaite. Noémie Zurletti en punkette baroudeuse est désopilante, Renaud Truffaut en nouveau converti brûle les planches, Damien Mongin donne beaucoup de force au personnage de Marco illuminé au début et qui se dissout progressivement, comme un hologramme, pour renaître ailleurs. C’est du cousu main, du fait maison foutraque par moment, inégal comme toute prise de risque, un peu long surtout en seconde partie mais drôle et inventif ! Et puis ces gens défendent une cause juste, luttent contre la transformation de leur territoire en zone péri-industrielle sinistre. La révolution vaut bien un pied de nez théâtral au système. Alors amigos, zadistes ou pas, ve alli !     © Olivier Desautel   Rodez Mexico écrit et mis en scène par Julien Villa, à partir d’une écriture de plateau. Lumières : Gaétan Veber Dramaturgie : Samuel Vittoz Scénographie : Laurent Tixador Musique : Tristan Ikor et Clémence Jeanguillaume   Durée : 1h50 Jusqu’au 23 avril 2023 du mardi au samedi à 20h30, 16h30 le dimanche   Théâtre de la Tempête-Cartoucherie Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris   Réservation : T 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr   Rodez-Mexico, de Julien Villa, Éditions rue de l’échiquier, 2022      Read More →
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Des châteaux qui brûlent, d’après le roman d’Arnaud Bertina, adaptation et mise en scène d’Anne-Laure Liégeois, au Théâtre de la Tempête
  © Christophe Raynaud de Lage   fff article de Denis Sanglard « On ne fait pas de politique en passant au-dessus des gens. » Au fin fond du Finistère, à Châteaulin, dans un abattoir de poulets placé en liquidation judiciaire, explose la colère. Ouvrières et ouvriers séquestrent le secrétaire d’état à l’industrie. Cernés par les forces de l’ordre, l’état de siège et la lutte qui se refuse à être finale, s’organisent. On débat et c’est houleux. On s’engueule, on diverge, on s’entend, mais la solidarité n’est plus ici un vain mot et l’on apprend à se connaître, à se respecter. La parole circule et libère, chacun retrouve sa part d’humanité, espère en de nouveaux lendemains où les blessures et la misère changeraient de camps. Et en en attendant la catastrophe, la révolte devient fête, un baroud d’honneur avant la tragédie. Des châteaux qui brûlent c’est d’abord un roman d’Arno Bertina paru en 2017, remarquablement adapté ici par Anne-Laure Liégeois pour une mise en scène, une oeuvre chorale non moins remarquable. Crispation sociale aigue, rupture des politiques avec le peuple que traduit un pouvoir devenu vertical et un refus du dialogue, un ultralibéralisme décomplexé et un patronat sans scrupule, un monde ouvrier broyé par une crise économique dont ils sont les victimes méprisées, une variable d’ajustement dans le jeu de la mondialisation. De ça, « Nous sommes innocents » dit l’une. Qu’importe, ils en paient le prix fort. Les gilets jaunes en furent la manifestation, aujourd’hui la loi sur les retraites réactivent les cendres encore rougeoyantes d’une colère qui embrase l’espace public. Des châteaux qui brûlent n’exprime rien moins que cette colère-là, ce désarroi, cette détresse et cette impuissance. Ils sont douze, pour une fresque d’un monde ouvrier qui soudain se découvre capable de prendre en main son destin, entre doutes et espoirs. Dans cette usine d’abattage, on peut y voir une métaphore, où la déshumanisation liée aux conditions de travail et de productions abrutit chacun, ces ouvrières et ouvriers expriment enfin, puisqu’ils ont pris la parole, le mal-être d’une existence que le politique et le patronat ignore sciemment. Chacun dans sa diversité est le visage d’une souffrance au travail, d’une souffrance existentielle, l’une n’allant pas sans l’autre, qui éclatent dans l’urgence de cet état-de-siège improvisé. Anne-Laure Liégeois, c’est la force de son adaptation et du roman, donne à toutes et tous une bouleversante humanité, sans jamais de manichéisme. C’est dans la confrontation avec l’autre qu’ils se révèlent, avec leur force et fragilité, leur contradiction. Ces « sans-dents » ou ces « illettrés » puisent soudain dans ce collectif qui se structure peu ou prou, une force de vie et de combat qui leur rend leur dignité et leur fierté. C’est tout ça qui est brassé ici, sans pathos aucun. Avec cette question incongrue et formidable à la fois, la révolution peut-elle passer par la fête, qui ne soit pas une défaite ? Elle aura bien lieu cette fête, scène surréaliste (et réussie) d’une kermesse, avant la curée et le drame. Entre prise de parole individuelle, au public adressé, et scènes de groupes, circule une conviction et une énergie qui vous poignent rudement, ouvrent de même à la réflexion. On ne peut rester indifférent à ce qui se dit et se partage sur le plateau, dans un sentiment d’urgence, où la contradiction fait dialogue et non confrontation. Même avec Montville, le secrétaire d’état séquestré, bientôt sacrifié par le politique, au final bouc émissaire des deux parties. Anne-Laure liégeois va droit à l’essentiel dans une mise en scène rigoureuse, épurée, fluide et dynamique, une ligne claire et sans heurt où la parole, et les corps, circulent en continue sans que jamais nous ne perdions le fil de ce qui exprimé là et mis en jeu. Avec ça une langue singulière, celle d’Arno Bertina, travaillée à l’os, se refusant sciemment, intelligemment à toute imitation de ce que pourrait être la langue supposée d’un ouvrier, qui participe sans conteste à la dignité et à la valeur de ces personnages. Sans nullement sacrifier la pertinence et la justesse de son propos, lui offrant au contraire plus d’acuité. Langue que s’approprient avec intelligence les comédiennes et comédiens qui offrent à leur personnage une vérité sans fard, sans triche, une humanité non ébarbée. C’est aussi à ça que l’on reconnaît la réussite d’une création, car c’est une réussite sans conteste, de savoir fédérer autour d’un projet une troupe talentueuse, unie dans un même élan à défendre une œuvre polémique, polémique parce prémonitoire et ancrée dans une réalité sociale et politique qui la rattrape. C’est du théâtre dans son essence première, celui des affaires de la citée, engagé, fort bien foutu qui plus est, et en ces temps quelques peu difficiles il est bien, il est nécessaire de nous remettre les pendules à l’heure, et qu’importe nos idées, de ne pas regarder ailleurs quand les châteaux brûlent avec raison.   © Christophe Raynaud de Lage     Des châteaux qui brûlent d’après le roman d’Arno Bertina Adaptation et mise en scène d’Anne-Laure Liégeois Avec la collaboration d’Arno Bertina Avec Alvie Bitemo, Sandy Boizard, Olivier Dutilloy, Anne Girouard, Fabien Joubert, Mélisende Marchand, Marie-Christine Orry, Charles-Antoine Sanchez, Agnès Sourdillon, Assane Timbo, Olivier Werner, Laure Woolf Scénographie : Aurélie Thomas, Anne-Laure Liégeois Lumières : Guillaume Tesson Création sonore : François Leymarie Costumes : Séverine Thiebault Vidéos : Grégory Hiétin Régie générale : François Tarot Régie plateau : Alexandrine Rollin, François tarot, Construction décor : atelier de la Comédie de Saint-Etienne Régie : Laurent Cupif, Wilhelm Garcia-Messant   Du 1er au 23 avril 2023 à 20h Dimanche 16h   Théâtre de la Tempête Cartoucherie Route du champs-de-manœuvre 75012 Paris   Réservations : 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr    Read More →
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Dom Juan ou le festin de pierre, de Molière, Mise en scène de David Bobée, à La Villette
    © Arnaud Bertereau   fff article de Denis Sanglard L’enfer, ce n’est pas ce qui attend ce Dom Juan-là, l’enfer c’est ce qu’il fait subir aux autres. Le ciel est vide et sans présage, les dieux sont morts, la civilisation et la pensée ne sont plus que ruine, déboulonnées comme ses statuts émasculées, renversées, gisantes sur le plateau. Vision noire, radicale et âcre que celle de David Bobbée, Dom Juan cristallise ici le mal de notre début de siècle, cette gangrène qui ronge encore aujourd’hui les sociétés et fragilise nos démocraties en souffrance, patriarcat rance, perte de sens, et tentation du totalitarisme. Dom Juan ici n’est qu’une sale ordure, un parfait salaud, qui jouit sans entrave mais sans plaisir, jouit de son pouvoir de domination, de sa classe, de son sexe. Séducteur compulsif, et qu’importe ici le genre, c’est un libertin cynique d’une froide brutalité, un prédateur. Mais dans un monde désormais sans dieu et sans plus de vertu, à l’heure de #metoo ce libertinage n’est qu’une masculinité toxique. Dom Juan n’a pas d’autre morale que la sienne qui n’est que béance idéologique signant bientôt sa perte. Pétrifié en sa pensée, « profiter de la faiblesse des hommes et s’accommoder des vices de son siècle », descendu salement de son piédestal par celle qui fut par lui violée, pas d’autre mot ici, abattu froidement par Charlotte donc, il rejoindra le Commandeur dans ce cimetière de pierres et poussière, ce champs de ruine des idéaux totalitaires, ségrégationnistes et masculinistes. Mise en scène spectaculaire, comme toujours un sens de l’image percutant, et distribution inclusive dirigée au cordeau, David Bobbée reste fidèle au texte qu’il interroge à l’aune de ses préoccupations humanistes et détestations contemporaines. Lecture contextualisée et critique, voire franchement politique, d’une œuvre complexe non pas tant pour « déboulonner » le répertoire comme il l’affirme avec sincérité, même symboliquement, que finalement voir en quoi il nous interroge encore aujourd’hui. C’est d’ailleurs en ce sens qu’en préambule, dans le monologue du tabac, où le mot théâtre se substitue au mot tabac, la question est posé de savoir s’il est poison ou un remède pour l’âme… David Bobbée respecte le texte mais prend comme à son habitude et en toute logique quelques heureuses libertés pour affirmer son propos. Il ose avec un sacré culot supprimer le personnage de Mathurine pour le remplacer par Pierrot. Ainsi Dom Juan séduit-il dans un même élan les deux promis, Pierrot et Charlotte ( Jin Xuan Mao et Xiao Yi Liu), leur offrant à l’un et à l’autre le mariage. Scène de séduction cocasse mais d’une grande noirceur dans le fond où Dom Juan fait feu de tout bois et de genre en matière de sexualité. Et d’un mépris absolu non de leur condition, quoique, mais de leurs origines, tous deux jouant leur texte en mandarin et en français. Et puisque le théâtre donc n’est pas une question de genre, l’impériale Catherine Dewitt joue ici le rôle du père en imposante matriarche. Mais s’il fallait résumer par une unique scène cette mise en scène crépusculaire, résumant par là même le personnage de Dom Juan, elle tient dans la confrontation avec Monsieur Dimanche (l’impeccable Grégori Miège) venu réclamer son dû, scène d’humiliation d’une froide cruauté et violence sourde. Evacuant la question de Dieu et du commandeur, ce dernier n’étant qu’un pauvre simulacre pour jouer à se faire peur, sans Deus ex machina Don Juan ne peut avoir affaire qu’à la justice des hommes. Sans impunité. Résolution imparable et logique où David Bobbée offre à Charlotte sa rédemption désespérée et aux autres personnages leur libération. Radouan Leflahi campe un Dom Juan d’une jeunesse insolente et d’une beauté ravageuse, ancré dans une solitude existentielle vertigineuse exprimée par cette rage explosive qui le fouaille. Il dépouille sans façon son personnage de son héroïsme, le met à plat, n’en fait au final qu’un type imbu et sclérosé de ses privilèges, d’une vacuité abyssale. Face à lui, et c’est la révélation sans nul doute de cette création, Shade Hardy Garvey Mougondo, est un Sganarelle épatant, original, contrepoint et contrepoids idéal pour ce Dom Juan sans humanité. C’est un clown, oui, d’une élégance et d’une légéreté qui compense la violence cynique de son maître. Le reste de la distribution, d’une belle cohésion et cohérence, est au diapason de cette partition résolument noire, que le rire exacerbe, de cette lecture abrasive d’un mythe que David Bobbée déconstruit au regard de nos avancées sociétales toujours fragiles pour en terminer avec le patriarcat et ses conséquences désastreuses, avec in fine, cette question irrésolue, en avons-nous vraiment fini avec ce que représente Dom Juan ?   © Arnaud Bertereau   Dom Juan ou le festin de pierre, de Molière Mise en scène et adaptation de David Bobbée Avec : Radouan Leflahi, Shade Hardy Garvey Mougondo, Nadège Cathelineau, Nine d’Urso, Orlande Zola, Grégori Miège, Catherine Dewitt, Xiao Yi Liu, Jin Xuan Mao Scénographie : David Bobée et Léa Jezéquel Lumière : Stéphane Babi Aubert Vidéo : Wojtek Doroszuk Musique : Jean-Noël Françoise Costumes : Alexandra Charles Construction décor : les ateliers du théâtre du Nord Assistanat à la mise en scène : Sophie Colleu et Grégori Miège   Du 30 mars au 2 avril 2023 Jeudi et vendredi à 20h, samedi 19h, Dimanche 16h   La Villette Grande Halle 211 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris   Réservations : 01 40 03 75 75 www.lavillette.com   Tournée : 2023 6 / 7 avril Le Phénix, scène nationale de Valenciennes (59) 14 / 15 avril Le Carré, Sainte-Maxime (83) 19 au 21 avril MAC Créteil (93) 25 au 28 avril La Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale (63) 4 / 5 mai La Filature, scène nationale, Mulhouse (68) 7 / 8 juin La Coursive, scène nationale, La Rochelle (17)      Read More →
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Mystery sonatas / For Rosa, Anne Teresa de Keersmaeker, Heinrich Ignaz Franz Biber, Amandine Beyer, Théâtre du Châtelet
  © Anne Van Aerschot     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Elles sont dans la fleur de l’âge. Des deux jeunes femmes, l’une penche le buste vers l’autre et incline furtivement vers l’oreille qui s’offre une bouche entrouverte comme pour en déverser une parole muette, un souffle invisible, puis s’éloigne. La danse peut convier à ces épiphanies aussi fragiles qu’un battement d’aile, aussi fugitives qu’un rayon de soleil trouant les nuages. Mystery sonatas / For Rosa s’ouvre ainsi dans le silence, par quelques gestes et mouvements infimes, et convoque dans l’épaisseur du premier instant rien de moins qu’une annonciation, aussi miraculeusement apparue que l’on pourrait douter de l’avoir vue. L’écriture d’Anne Teresa de Keersmaeker entrelace les lignes géométriques et la vitalité des corps, leur irréductible liberté. C’est en cela qu’elle nous surprend et nous séduit à chaque seconde. C’est pour cela que, sans cesse, ses traits s’affirment et s’effacent dans le même mouvement, qu’ils exhibent leur beauté éphémère comme une procession d’apparitions. Jamais la danse d’Anne Teresa de Keersmaeker ne pose, ni ne s’affiche : elle est une performance sculptée dans le sable du temps. Si Les Concertos Brandebourgeois (créés en 2018 et joués cette automne à La Villette) étaient structurés par la ligne droite, travaillée par le ressassement d’allers retours, comme un flux et reflux incessant, dans une marche hypnotique exhibant toute la pompe majestueuse et enivrante de Bach, sa chorégraphie s’affirmait aussi comme une œuvre magnifiant la force de l’âge par la maturité de ses danseurs, faite d’élégance, d’assurance et de plénitude. Avec Mystery sonatas / For Rosa, qui compose esthétiquement un enthousiasmant dytique avec la pièce précédemment citée, l’écriture chorégraphique se fait circulaire, volute, spirale, et de manière touchante fait assaut de jeunesse. Cette rose qu’elle tire du Rosaire, c’est celle à peine éclose du printemps de la vie. C’est de la sève de ces jeunes et talentueux danseurs que se nourrit l’œuvre. Il faudrait les citer un à un tant ils impressionnent de puissance sensible. Les sonates du Mystère forment un ensemble musical baroque composé en 1678 par Heinrich Ignaz Franz Biber et divisé en trois cycles : joie, douleur et gloire. On sait la part primordiale que représente la musique pour la chorégraphe, combien cette matière la fait travailler en déplaçant à chaque fois les lignes, littéralement tracées à la craie au sol, l’amène à sonder plus loin, à chaque nouvel opus, la rythmique et l’harmonique des sons, découvrant ainsi dans chaque musique un nouvel arpentage du temps à déployer dans la mesure de l’espace. La spécificité de cette musique, magnifiquement interprétée par Gli incogniti et dirigée par Amandine Beyer, tient à sa visée programmatique qui offre, une fois n’est pas coutume, un affleurement figuratif fugace à la danse d’Anne Teresa de Keersmaeker. Un dos nu, accroupi, des bras qui partent des épaules vers le dos, et c’est une flagellation ; toujours accroupi, une main contre un front et c’est le penseur de Rodin, ou encore ces portées d’un corps allongé, et c’est la mort de la Vierge. Et puis il y a toutes ces figures joyeuses et rustiques, ces danses de villageois, ces « gambadements », ces poiriers, tête en bas qui s’écroulent dans un joyeux renversement entre ciel et terre, nous transportant délicieusement dans un tableau de Bruegel. Ces apparitions émaillent délicatement et subtilement une matière qui s’éloigne du champ religieux pour atteindre à l’existentiel. Le deuxième cycle, mystères de la Douleur (sorrow), est empreint de la Melencolia I de Dürer quand bien même on assisterait à une lutte du corps et de l’être sans repos, et est affaire d’individus par sa succession de soli. La douleur se combat seul, révèle chacun face à ce mystère absolu, tout comme les danses, pétale après pétale, effeuillent et découvrent en chaque interprète un astre profondément unique. Dans ce dépassement du religieux vers le cosmique, l’installation lumineuse de Minna Tiikkainen, une immense anse opaque suspendue aux cintres et sur laquelle les projecteurs se déversent, est du plus grand effet, produisant des lumières semblables aux peintures du Caravage : clair-obscur, lumière grise sépulcrale comme une pluie de cendre, ou dorée comme fusant d’une corne d’abondance. La danse est un mystère, est un art de la vie, nouant inextricablement l’organique à sa dimension temporelle. Avec ces Mystery Sonatas / For Rosa, travaillant la musique de Biber comme une pierre philosophale, Anne Teresa de Keersmaeker en signe la passion.   © Anne Van Aerschot   Mystery sonatas / For Rosa, chorégraphie de Anne Teresa de Keersmaeker Musique (Mystery Sonatas) : Heinrich Ignaz Franz Biber Direction musicale : Amandine Beyer Scénographie et lumières : Minna Tiikkainen Costumes : Fauve Ryckebusch Avec par alternance, les danseurs et danseuses : Lav Crnčević, Sophia Dinkel, José Paulo Dos Santos, Rafa Galdino, Frank Gizycki, Mariana Miranda, Cintia Sebők, Jacob Storer, Ensemble Gli Incogniti Violon : Amandine Beyer Viole de gambe : Baldomero Barciela Varela Théorbe : Ignacio Laguna Navarro Archiluth : Francesco Romano Clavecin et orgue : Anna Fontana Durée : 2h15 Du 22 au 25 mars 2023 à 20h00, sauf samedi 15h   Théâtre du Châtelet 1 place du Châtelet 75001 Paris T+01 40 28 28 40 Dans le cadre de la programmation hors-les-murs du Théâtre de la Ville Le 31 mars 2023 L’Arsenal, Cité Musicale – Metz      Read More →
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Anima, Installation-performance de Noémie Goudal et Maëlle Poésy, au Centre Pompidou
    © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Anima est la rencontre entre deux amies artistes qui ont voulu croiser leurs arts. La photographie et la mise en scène. Elles ont conçu une installation-performance utilisant les recherches sur la paléoclimatologie de Noémie Goudal aboutissant à une démonstration des mutations des espaces naturels dans le temps long, qui s’exprime de manière spectaculairement visuelle en une petite heure de montage sonore et photographique dans lequel la présence de l’humain s’insère in fine. La proposition se veut immersive pour le spectateur. Même si le terme est sans doute impropre, de fait le public assis devant des écrans placés en triptyque est invité à plonger son regard et son ouïe dans l’animation des images qui lui sont présentées. Au moment de l’installation dans la salle, ce sont trois images identiques (sauf erreur) et statiques d’une jungle qui l’accueillent dans une ambiance sonore   correspondante : palmiers verdoyants, bruissements d’insectes, d’oiseaux et cris de singes. Ce n’est qu’une fois que la salle s’éteint que les images prennent vie, que les arbres respirent comme des mini-poumons accompagnés par une évolution de la très belle création musicale de Chloé Thévenin. C’est à la fois surprenant et intéressant. On pense à la vie secrète et cachée des arbres, remise en cause récemment, mais on se complaît à adhérer à cette représentation des mystères de ces transformateurs à oxygène, qui se trouvent ainsi étrangement humanisés par le mimétisme du mécanisme de respiration. Puis on replonge dans une forme de réel. Des images se reconstruisent par l’assemblage savant de gigantesques bandes de papier, comme celles que l’on pouvait faire enfants en entrelaçant des petites lanières pour former un tableau. Ce tissage primaire est proposé en version XXL avec machinistes, escabeaux, treuils dans l’image vidéo elle-même. L’imaginaire se reconstruit ; l’illusion disparaît. Et un nouveau discours prend le relai, plus politique, même s’il ne va jamais plus loin : la nature prend feu. Mais ce n’est pas la diffusion de vraies vidéos d’incendies comme on a pu en voir en Californie ou dans de nombreuses parties du monde ces dernières années, et notamment à proximité d’Avignon en juillet 2022 où le spectacle a été créé et pour lequel cette synchronicité a dû être déroutante pour les artistes comme pour le public. Ce sont les bandes de papier qui prennent feu, mais elles ne laissent pas place au néant ou à un paysage de désolation comme dans les vrais épisodes récents précités, elles découvrent en fait la couche d’avant, la couche d’un décor précédant, d’un assemblage de papier préalable qui va lui aussi se consumer, la couche d’avant dans l’histoire des paysages terrestres. A gauche, sans qu’on s’en soit vraiment aperçu, focalisée par les deux autres écrans où crépitaient les flammes, la roche est apparue. Sur cette roche, ou plutôt sur ce décor de roche, coulera peu après de l’eau, au sens propre, sur le plateau, qui fera à son tour détruire l’assemblage photographique en papier. On suppose que les conceptrices- réalisatrices du spectacle auraient aimé faire de même avec le feu, c’est-à-dire non pas proposer une vidéo mais un embrasement réel qui ne devait pas être possible pour des raisons de sécurité. Ou peut-être pas, justement pour créer une nouvelle perception chez le spectateur. Est-ce que voir la déliquescence de manière plus directe, même s’il ne s’agit toujours qu’un décor de carton-pâte, produit une autre prise de conscience ? On pense inévitablement aux sensations déjà éprouvées face au « temple grec » de Phia Ménard s’effondrant sous le déluge. On se plaît à imaginer une nouvelle version du spectacle, qui pourrait ajouter le dernier élément composant l’univers et transformer le triptyque en quadriptyque pour introduire la terre, par exemple des coulées de boue recouvrant le décor. On verrait très bien aussi l’air imperceptiblement présent dans la dernière partie qui pourrait   déchirer l’écran central laissant apparaître la circassienne Chloé Moglia suspendue. La chorégraphe acrobate dans cette version d’Anima grimpe simplement et sobrement sur la structure de barres métalliques qu’elle fait apparaître après avoir remonté à la manivelle, comme un machiniste, la toile de l’écran central. Sa prestation à l’image de ses précédents spectacles où la suspension est devenue (à juste titre) sa marque de fabrique et qui lui vaut une reconnaissance méritée, est de toute beauté. Elle se meut dans ce non-lieu, avec une (fausse) hésitante lenteur, telle une cosmonaute sans casque ou autre combinaison, sans protection, harnais, crochet ou filet de sécurité à plusieurs mètres de hauteur ; elle avance, silencieuse, se retourne imperceptiblement avec la seule précision et fluidité des prises de sa suspension ; elle ne donne jamais l’impression d’être en danger alors que ses figures sont d’une difficulté technique incontestable. Et dans une forme de sérénité, elle redescendra tout simplement pour s’asseoir avant les saluts. C’est une belle proposition que celle de Noémie Goudal et Maëlle Poésy laquelle doit offrir un impact sensoriel démultiplié dans des décors naturels en extérieur, et qui pourrait sans doute évoluer encore afin que la performance humaine s’intègre pleinement à la performance plasticienne et ne fassent qu’un, afin de mieux questionner l’Anthropocène.   Anima, de Noémie Goudal et Maëlle Poésy Conception de la suspension :  Chloé Moglia Musique originale : Chloé Thévenin Scénographie : Hélène Jourdan Lumières : Mathilde Chamoux Costumes : Camille Vallat Avec : Chloé Moglia (en alternance avec Mathilde Van Volsem)   Jusqu’au 1er avril 2023, à 20h Durée 1h   Centre Pompidou (Grande salle) Place George Pompidou 75004 Paris   Réservations : www.centrepompidou.fr      Read More →
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Cœurs Sauvages, par Les Colporteurs, mis en scène par Agathe Olivier & Antoine Rigot, à L’Espace Chapiteaux – Parc de la Villette
  © Sébastien Armengol     ƒƒ article de Hoël Le Corre Sous le Chapiteau de la Villette se déploie devant les spectateurs une espèce de toile d’araignée, avec des fils tendus de partout, s’entremêlant, en long, large et diagonale. Comme une forêt de lianes, comme la cage à écureuil des jardins d’enfants, où s’ébattront les sept circassiens. S’y ajouteront au long du spectacle tissus aériens, corde lisse et mât suspendu, autant d’agrès en apesanteur, qui savent aussi régulièrement laisser la part belle aux acrobaties au sol. Les corps s’élancent alors à la découverte de cette structure aussi accueillante qu’instable. Dans des mouvements animal, poussés par leurs instincts tantôt individualistes, tantôt grégaires, et toujours curieux d’aller à la rencontre de l’autre même si cela doit mener à la confrontation, ils explorent aussi bien l’espace que les relations possibles. En groupe, solitaires ou en couple, les protagonistes sont aux prises ce qui fonde la survie : la continuité et la préservation de l’espèce, la quête de nourriture des corps et des esprits et la solidarité face aux défis de l’existence. Une jolie métaphore, avec des tableaux frôlant l’onirisme qui alternent avec des moments exaltés et d’autres franchement clownesques, dans un rythme intelligent, quoique quelque peu répétitifs parfois. La musique en live des instruments à cordes rappelle les fils présents au plateau, et les musiciens s’intègrent à la chorégraphie des funambules : une glissade de pieds dansant sur le fil, le frottement d’une main sur le mât ou la réception d’un saut génèrent des vibrations sonores ; celles-ci, reprises par des capteurs, s’articulent avec la composition musicale, pour une ambiance sonore en osmose avec les mouvements et les actions des corps. Cœurs sauvages nous propose une bulle où le plaisir et le sourire des circassiens rejaillit sur les spectateurs et on ressort en ayant envie de grimper à chaque poteau, de longer le bord des trottoirs et de sauter de pavé en pavé.   © Sébastien Armengol   Cœurs Sauvages, par Les Colporteurs Conception, écriture et mise en scène : Antoine Rigot, Agathe Olivier Avec : Valentino Martinetti (danse, acrobatie), Anniina Peltovako (fil, clown), Riccardo Pedri (corde lisse), Molly Saudek (fil), Manuel Martinez Silva (tissu aérien), Marie Tribouilloy (mâts fixe et oscillant), Laurence Tremblay-Vu (funambule), Damien Levasseur-Fortin (guitare, contrebasse), Coline Rigot (violon, voix), Tiziano Scali (électro-acoustique) Collaboration à la chorégraphie : Molly Saudek Composition musicale et électro-acoustique : Damien Levasseur-Fortin, Tiziano Scali Collaboration à l’écriture musicale : Coline Rigot, Raphaël-Tristan Jouaville Scénographie : Antoine Rigot, Patrick Vindimian Lumières : Éric Soyer Costumes : Hanna Sjodin assistée de Camille Lamy Direction technique : Pierre-Yves Chouin Régie chapiteau : Christophe Longin, Florent Mérino Régie Olivier Duris (lumières), David Lockwood (plateau), Stéphane Mara (son) Direction de production, administration : Fanny Du Pasquier Chargée de production, diffusion : Natacha Ferrer Chargée de communication : Océane Tiffon   Du 8 mars au 2 avril 2023 Du mercredi au vendredi à 20h Le samedi à 19h Le dimanche à 16h Durée 1h30   Espace Chapiteaux Parc de la Villette 75019 Paris Réservations : 01 40 03 75 75 www.lavillette.com      Read More →
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Loss, texte et mise en scène de Noëmie Ksicova, avec Cécile Péricone, au Théâtre des Abbesses / Théâtre de la Ville
   © Simon Gosselin   ff article de Denis sanglard   Un jour Rudy sort de son cours d’anglais, demande une cigarette à un passant, la fume, avant de se jeter sous les roues du métro. Acte violent et incompréhensible sidérant la famille qui s’interroge sur ce qu’elle n’a pas su voir ni comprendre. Et puis il y Noëmie, la petite amie de Rudy. Qui s’installe dans cette famille endeuillée et obstinément, par amour pour Rudy, prend la place de Rudy avec l’assentiment tacite des parents. Etrange et désarmant rituel de deuil d’une famille pour réactiver le défunt, un acte de « réparation » comme le définit l’autrice et metteuse en scène Noëmie Ksikova qui signe là une création délicate et de la plus belle eau. C’est à pas feutrée que nous entrons dans le quotidien de cette famille déchirée brutalement par cet acte que nul n’avait vu venir. Ni larmes, ni éclats dans le traitement de ce drame. Une séquence, une seule, d’une belle et forte sobriété, pour exprimer le gouffre dans lequel la famille bascule soudainement, où les jours qui suivent ce drame semblent compressés en un seul, réitéré et résumé au dernières paroles échangées avec Rudy, avec ce questionnement qui s’ajoute, « qu’est-ce que je n’ai pas fait ? ». Mais ce qui importe ici n’est pas tant le pourquoi de cet acte de la part d’un adolescent sans problème apparent, que cette volonté résiliente à ressusciter Rudy. Pour ce faire, Nöemie Ksicova, dans une tonalité résolument naturaliste – on peut songer au réalisateur Claude Sautet dont il est fait référence dans le texte, dont le film Vincent, François, Paul et les autres…, est regardé par la famille- joue avec finesse de la banalité, d’un présent désormais vide d’une présence, fait d’activités ordinaires et de rituels journaliers, le petit-déjeuner, le dîner, regarder la télé. Si la situation est en soi exceptionnelle sa résolution n’advient que par la trivialité des occupations quotidiennes où sourd lentement la présence prégnante de Rudy et l’accomplissement du deuil de la famille. Lequel est présent sur le plateau, surgissant par effraction, avant de s’effacer bientôt mais dont le spectre continuera de hanter la famille. Initier Noëmie à l’œnologie, comme le père l’aurait fait avec Rudy, jouer des même jeux, regarder les mêmes films, jusqu’à reconstituer le dernier petit-déjeuner de Rudy – scène ambigüe, étrange il est vrai et malaisante-, projeter en Noëmie, faire avec Noëmie, reconstituer avec Noëmie, ce qu’ils ont fait, ce qu’ils auraient fait avec leur fils et frère, innerve lentement d’une souffle vital et salutaire, miraculeux, cette famille. Maintenir en vie Rudy par la présence têtue de celle qui l’aimât, c’est au final retisser et tramer de nouveau les liens  distendus par le deuil. Les comédiens sont au diapason d’une partition fragile et subtile, se refusant avec raison et intelligence à l’exceptionnel pour un jeu tout en nuance, presque sur la pointe des pieds, dans un refus de la théâtralité exacerbée pour un juste et troublant hyperréalisme. Et c’est une des forces de cette mise en scène que cette volonté d’effacer les scories propre parfois au théâtre, pour être au plus juste, au plus profond d’une réalité ténue où « Les vivants ont besoin des morts pour vivre ». Il ne reste que quelques jours pour découvrir cette infinie délicatesse…   © Simon Gosselin   Loss , texte de Noëmie Ksicova, en collaboration avec l’Equipe Artistique Mise en scène : Noëmie Ksicova, avec Cécile Péricone Lumière : Annie Leuridan Scénographie : Céline Diez ponctuel Composition musicale : Bruno Maman Regard dramaturgique : Camille Louis Regard chorégraphique ponctuel : Johan Amsalem Régie générale & régie lumière : Clara Boulis Valence Ingénieur son : Morgan Marchand Régie son du 25 mars : Théo Cardoso Avec : Lumir Brabant, Anne Cantineau, Juliette Launay, Théo Oliveira, Antoine Mathieu, Noëmie Ksicova Du 22 mars au 1er Avril 2023 à 20h Théâtre les Abbesses 31, rue des Abbesses 75018 Paris Réservations : 01 42 74 22 77 www.théâtredelaville-paris.com  Read More →
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Némésis de Philippe Roth, adaptation et mise en scène de Tiphaine Raffier, à l’Odéon Ateliers Berthier
  © Simon Gosselin   ƒƒ Article de Sylvie Boursier Bucky Kantor, le héros de Némésis, lance son javelot tel un Hercule invincible. Ultime pied de nez de Philippe Roth au ciel, Némésis est son chant du cygne, il n’écrira plus, invincible sera son dernier mot d’écrivain. Son verbe puissant, son intelligence ravageuse et son sens de la parabole font merveille dans cet ultime opus qui cloue au pilori la mégalomanie des hommes, leur besoin insatiable de croire aux dieux, aux idéologies. Dans l’Amérique de 1944 parmi la communauté juive de Newark le jeune Kantor, vigoureux professeur de gymnastique, a été réformé à cause de sa myopie. Ses meilleurs amis risquent leur vie en France et lui se consume de honte. Il souffre de ne rien endurer, sa culpabilité est décuplée par l’apparition d’un mal sans visage, la polio dont il ne réussit pas à protéger les jeunes du terrain de jeux dont il se sent responsable. Il croit échapper à l’épidémie en partant dans un camp de vacances à la campagne mais lui-même est touché et risque de contaminer les adolescents. La stupeur impuissante des victimes évoque irrésistiblement l’Extermination et Bucky devient l’archétype de l’auto flagellation du peuple maudit, en s’attribuant la responsabilité des malheurs qui s’abattent sur les siens. A trop vouloir faire le bien, à refuser le hasard il se condamne, avec ses proches, au malheur. La Némésis de Tiphaine Raffier témoigne d’une liberté folle, trois tableaux enchaînés aussi différents que la divine comédie de Dante peut l’être de la petite maison dans la prairie. L’ouverture a le clair-obscur des Damnés, le monde court à sa perte sur un théâtre d’ombres caravagesques, « Béni », « Loué », « Célébré », « Honoré », les mots du kaddish à la mémoire d’un enfant mort s’affichent en fond de scène. Bucky nie la contingence, prend sur lui, rassure, absorbe la douleur comme un buvard l’encre fraîche, tempère les rumeurs qui enflent et les tensions communautaires. Il se met au service des autres, s’efface comme happé par les voix off de coryphées multiples, familles, voisins et adolescents à tel point qu’on ne sait plus qui parle. Baudruche que l’on prend à témoin sans arrêt, Alexandre Gonin prend la lumière dans ce rôle élastique, flottant à la périphérie des choses, la vidéo projette son image égarée. Vintage en diable, le second volet exploite tous les ressorts de la comédie musicale made in Hollywood, situations cartoonesques, attaque de diligences et camp scout retranché dans un décor de carton-pâte, à Indian Hill. Nous sommes à Broadway entre la mélodie du bonheur et la conquête de l’ouest, Tiphaine Raffier joue à fond l’image d’Epinal de l’esprit pionnier pour mieux dénoncer les massacres des amérindiens, longs travellings et chorégraphie réglée au millimètre autour des jeunes éphèbes. Mais qui trop embrasse mal étreint, la virtuosité plastique nuit par instant à l’épaisseur des personnages, dilue l’action, la bande-son tonitruante couvre les voix des comédiens un peu perdus sur le plateau. L’épilogue est un sublime psaume crépusculaire qui n’est pas sans rappeler La ligne rouge de Terence Malick, à ce moment où la méditation enflait d’un soldat à l’autre confondus en un monologue mélancolique tandis que la caméra scrutait leurs visages pleins d’effroi et de fatigue dans un paradis définitivement perdu. Némésis se clôt sur un enfer de cendres. Bucky Kantor a vieilli, il est honni par les dieux, a raté sa vie et parle (enfin !) statufié par le malheur ; rivé à ses croyances cet homme n’a rien appris. Fidèle au texte de Roth Tiphaine Raffier clôt sa trilogie par le long récit des errances du héros d’une intransigeance mortifère jusqu’à l’auto destruction. On est suspendu aux lèvres de Stuart Seid et de Maxime Dambrin (formidables comédiens !) qui donnent chair au testament posthume du sulfureux écrivain. Que la Némesis, déesse grecque de la vengeance, balaie à tout jamais l’American Dream, cette Amérique éternelle, naïve, qui a construit sa puissance sur l’extermination des indiens, tel semble dire ce romancier désenchanté mais invincible qui écrivit « ce n’est pas une bataille, la vieillesse, c’est un massacre ».     © Simon Gosselin   Némésis d’après Philippe Roth Adaptation : Tiphaine Raffier et Lucas Samain Mise en scène : Tiphaine Raffier Scénographie : Hélène Jourdan Musique : guillaume Bachelé Lumière : Kelig Le Bars Costumes : Caroline Tavernier Jeu : Clara Bretheau, Eric Challier, Maxime Dambrin, Juliet Doucet, François Godart, Alexandre Gonin, Maika LouaKairim, Tom Menanteau, Hélène Patarot, Edith Proust, Stuart Seide, Adrien serre, les musiciens de l’ensemble Miroirs Etendus, le chœur d’enfants du Conservatoire de Saint Denis   Durée : 2h45 sans entracte Jusqu’au 21 avril, à 20h aux Ateliers Berthier, 1 rue André Suares 75017 Paris Les 16 et 17 mai à Lorient   Réservations : 01 44 85 40 40 odeon@theatre-odeon.fr      Read More →
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Swan Lake solo, de Olga Dukhovnaya, au Générateur de Gentilly, avec le Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARTDANTHE
  © Nicolas Villodre     ƒƒ article de Nicolas Thevenot Dans l’immense salle aux murs blancs du Générateur, Olga Dukhovnaya se dresse comme un point d’exclamation. Chaussée de baskets noires, d’un pantalon à paillettes noires, d’un haut également noir, elle occupe l’une des positions codifiées par la danse classique : bras retombant en arrondi devant le buste, pied droit devant le pied gauche. Partant d’une posture, Olga Dukhovnaya la déconstruit sur une musique électronique, le rebond que procure les baskets dynamise la répétition des mêmes gestes dans un puissant crescendo qui pousse la ballerine jusqu’à la dissolution du geste dans la vitesse d’exécution, mutant quasiment en exercice d’aérobic. D’autres procédés seront encore mis en œuvre pour démolir quelques bribes du Lac des cygnes, ballet iconique, tel ces mouvements arrêtés en plein élan, repris, entrechoqués, comme un disque rayé qui sauterait. Comme l’explique Olga Dukhovnaya au cours de sa performance, le Lac des Cygnes a une importance et un sens tout particuliers pour les peuples des anciens pays du bloc communiste, que nous ne pouvons comprendre : à la mort des dirigeants de l’URSS (à partir de Brejnev), mais aussi lors du putsch contre Gorbatchev, le Lac des Cygnes était diffusé sur toutes les chaînes de télévision et sur tous les canaux de radio. Ce Swan Lake solo est donc très ironiquement l’arbre qui cache la forêt. Elle imagine même, en inversant la proposition initiale, que jouer Le lac de Cygnes pourrait, pourquoi pas, à la manière d’un rituel chamanique, conduire à un important changement institutionnel ou politique. Sous les pas de la danseuse Ukrainienne, l’œuvre se mit alors à résonner étrangement, la guerre de Poutine se rappelant implicitement à tous, la ballerine qui servait de paravent à d’autres époques, symbole de l’agenda politique escamoté, la ballerine seule en scène à l’instar de cet inconnu faisant face aux chars sur toutes les places du monde. Et puis il faut bien le reconnaître, hasard ou fatalité de l’actualité, si Olga Dukhovnaya disait vrai, on pouvait espérer que sa singulière performance du Lac des Cygnes participe magiquement à la chute du gouvernement et du président français. Lorsque la porte éloignée en fond de scène s’ouvrit, laissant apparaître un homme habillé d’un survêtement gris clair, c’est encore un tout autre imaginaire qui jaillit dans le vide de la salle blanche, coach sportif, homme politique, homme de pouvoir, homme de l’ombre tirant les ficelles, prenant en main la chorégraphie, serrant le corps de la danseuse à la taille, la faisant sauter de plus en plus haut. Citons ici Julien Monty dont la présence entre impassibilité et transparence est du plus grand effet comique, se révélant finalement homme à tout faire. A travers un geste, se cache toujours un autre geste. Le décor est planté non pas sur la scène mais dans nos vies où le politique aussi est affaire de geste et de mouvement. Si le ballet classique est une perpétuation muséale d’un certain ordre établi, il agit également comme un masque et une négation des changements qui traversent une société. A sa manière revigorante Olga déboulonne les statues de l’académisme en les questionnant, en leur insufflant une indéniable vitalité politique.   © Nicolas Villodre   Swan Lake solo, chorégraphie d’Olga Dukhovnaya D’après une libre interprétation du Ballet de Tchaïkovski Interprétation : Olga Dukhovnaya & Julien Monty Son : Anton Svetlichny Lumière : Guillaume Jouin Costume : Marion Regnier Durée : 35 minutes Vendredi 17 mars à 19 h   Le Générateur 16 rue Charles Frérot 94250 Gentilly https://www.legenerateur.com   En collaboration avec le Théâtre de Vanves 12 rue Sadi Carnot 92170 Vanves Tél : 01.41.33.93.70 https://www.theatre-vanves.fr      Read More →
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Pas de deux d’Ana Marija Adomaityte au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARTDANTHE
  © Cie A M A     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Pas de deux. La forme codifiée par le ballet classique s’impose d’emblée à la lecture du titre de la proposition d’Ana Marija Adomaityte tout comme s’impose la présence in medias res des deux danseurs-performers (Mélissa Guex et Victor Poltier), objet de tous les regards dans un espace quadrifrontal, se tenant debout sur une moquette bleu vif, sous une lumière blanche, clinique, immobiles, serrés l’un contre l’autre, dans une posture que l’on reconnaît, mais qui apparaît déformée, comme peut l’être un visage sous l’emprise d’une émotion, ou encore ce même visage observé de trop près, le jeune homme derrière la jeune femme, son bras gauche à lui embrassant son corps à elle comme s’il la ceinturait pour aller se poser sur son ventre, elle, s’accrochant de sa main gauche à cette main posée là, tandis qu’elle tient en l’air son bras droit comme une invitation à danser ou comme un geste de défense, et qu’il tient, lui, avec son propre bras droit, comme une liane noueuse enlacée autour d’une branche. On reconnaît effectivement cette pose classique, préalable à toutes les figures de duo, qui condense dans cet agencement toute la structure de la société hétérosexuelle et patriarcale, la femme sous le regard de l’homme, la femme tenue par l’homme, dans un geste protecteur qui est surtout une emprise et une entrave. De ce point de départ, Ana Marija Adomaityte fait un point de fixation, comme un pas de visse enrayé, Mélissa Guex enclenchant un mouvement de rotation de sa tête comme pour aller voir ailleurs, entraînant son corps dans cette même fuite, Victor Poltier la ramenant à sa position initiale. Comme un disque rayé. Comme une indépassable butée, lui regard droit, elle regard de biais. Les deux ne sont que muscles, force et contre force dans l’intervalle d’un mouvement réduit à son élan à peine dégondé. Avec la musique, composée de boucles électroniques de Gautier Teuscher creusant leurs galeries psychiques, avec cette lumière qui augmente encore l’impression de zoom macroscopique, Pas de deux agit comme une hypnose où l’on voit apparaître ce qui n’a pas effectivement lieu, ce qui dépasserait le geste, ce qui le nourrit. C’est un véritable théâtre et son double, où l’on voit se déployer dans ces courts mouvements, à la manière d’un bonzaï (et avec peut-être le sadisme d’une telle pratique botanique, la danse d’une vie de couple normée, c’est-à-dire faite d’entraves, d’interdits, de limites, et leurs volontés, leurs désirs, leurs rêves, taillés courts. Et puis surtout, la forme trouvée par Ana Marija Adomaityte est d’une radicalité absolue. Loin de tomber dans l’anecdotique ou le discursif qu’un tel objet de recherche pourrait amener, son caractère éminemment performatif, évitant toute psychologie, le nimbe d’une puissance rare et auratique. C’est à une physique des corps très expérimentale à laquelle nous assistons : ce Pas de deux, qui est un pas de vis, rabote, perfore, répétant avec insistance le mouvement sur une majeure partie de la performance, jusqu’à l’épuisement physique, jusqu’à la tétanie, mains tremblantes, tee-shirt et visage ruisselants de sueur, doigts tordus comme des griffes. La position évoluera vers un retournement qui est un face à face, dans une aimantation littérale des corps, de leurs surfaces. L’infiniment petit, une paume à quelques millimètres d’une joue, ouvrant sur l’abyssal du désir. Fragmentation de l’être habitant entièrement la pulpe d’un doigt, ou la pupille d’un œil. De cette épreuve, car c’en est une remarquable et passionnante, naît une présence au plateau des deux performeurs que n’aurait certainement pas reniée Claude Régy. Leurs regards, pourtant fixes, atteignent à l’expressivité surréaliste. Des yeux sans visage, privés de leur corps. Des yeux pour mieux voir ce qui régit nos relations.   © Cie A M A   Pas de deux, concept et chorégraphie d’Ana Marija Adomaityte Collaboration à l’écriture chorégraphique, interprétation : Mélissa Guex et Victor Poltier Création sonore et lumière : Gautier Teuscher Regard extérieur : Pierre Piton Durée : 1 h Samedi 11 mars à 19 h   Théâtre de Vanves (salle Panopée) 12 rue Sadi Carnot 92170 Vanves Tél : 01.41.33.93.70 https://www.theatre-vanves.fr      Read More →
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The pleasure of stepping off a horse when it’s moving at full speed de Courtney May Robertson, au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARTDANTHE
  © Anna van Kooij     ƒƒ article de Nicolas Thevenot Un octogone blanc au sol, espace de jeu et d’enjeu, lieu de projections. L’octogone, figure à huit faces, je pourrais le décrire comme la tentative avortée d’une ligne courbe, circulaire, approximativement tracée en lignes brisées. De manière très semblable, la sinuosité infinie d’une existence est rabattue au gré des normes, des schèmes culturels, des us et autres coutumes qui régissent notre tribu occidentale et ramènent à la ligne droite nos élans. Courtney May Robertson est allongée au centre de l’octogone dans la pénombre envahie progressivement par des flux de vidéos. Un micro en main, elle déroule d’une voix modifiée par un filtre aux intonations numériques une longue anaphore. « This body… ». Ce corps : formé, entraîné, cerné, épié, machiné, préparé… Effet de la voix transformée, effet aussi et surtout de l’écart entre immobilité de Courtney May Robertson et vitesse des images sur laquelle elle repose, l’impression troublante se dégage qu’elle nous parlerait, qu’elle agirait, à côté ou au-dessus de son corps comme dans ces expériences transcendantales du type « near death experience ». Ou comme depuis un vol plané après avoir été éjecté d’un cheval parti au galop. Effet de sidération garantie avec cette pièce condensée en quinze minutes, à la manière d’un court-métrage saisissant l’entièreté d’une existence. Car dans une deuxième partie, après la relative immobilité initiale, la machine chorégraphique se met en mouvement, s’accélère, avec une précision d’horlogerie, gestes décomposés, fragmentant les parties de membre, dans une lumière stroboscopique, dans une rythmique de plus en plus effrénée, flux de plus en plus heurté, virtuose dans sa réalisation. Dans cette course folle de gestes en gestes, segmentés par bribes par les flashs de lumière, le corps de la danseuse et performeuse est progressivement secoué, tandis que son visage s’affecte de torsions grimaçantes étirées, le déformant tels ceux peints par Francis Bacon. Quelques mots surnagèrent encore sans tomber dans l’oreille d’un sourd : « a penis on my face put a price on my soul ». Courtney May Robertson a décidément l’art du raccourci et de la formule, et du politique. The pleasure of stepping off a horse when it’s moving at full speed, qui n’est pas sans évoquer l’étrangeté opérée par un David Lynch, explore dissociation et distanciation, sexe et fiction, dans des corps modelés par les récits qui lui sont antérieurs. Œuvre queer dans l’hybridation de ses mediums, œuvre totale, en miniature tel un œuf de Fabergé qu’il faudrait décortiquer. Plutôt qu’un long discours, une concrétion de gestes. Courtney May Robertson est une femme de Vitruve, une pythie qui nous parlerait du présent comme d’un inexorable futur.   © Anna van Kooij   The pleasure of stepping off a horse when it’s moving at full speed, chorégraphie, performance et visuels de Courtney May Robertson Dramaturgie : Merel Heering Regard extérieur : Kristin de Groot & Yoko Ono Haveman Soutien technique : Edwin van Steenbergen Enregistrement des bandes-annonces et des vidéos : Paul Sixta Durée : 15 minutes   Le 18 mars à 18h Théâtre de Vanves (salle Panopée) Théâtre de Vanves 12 Rue Sadi Carnot 92170 Vanves Tél : 01.41.33.93.70 https://www.theatre-vanves.fr      Read More →
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Amazones, de Marinette Dozeville au Générateur, Gentilly avec le Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARTDANTHE
  © Marie Maquaire   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot La salle du Générateur à Gentilly est sans estrade. De plain-pied, le dispositif imposé ne peut qu’accueillir généreusement la proposition débordante de Marinette Dozeville, Amazones. Dans cet écrin blanc comme une toile de peintre s’inscrit la plénitude des corps nus de ses sept interprètes. Lumière chaude, zinzinulements dorés de la faune ailée, stridulation sombres des insectes, l’immersion tient autant à ce paysage sonore enveloppant et envoûtant qu’à la présence de toute éternité de ces femmes libres. Le mythe tient d’ailleurs à cela : il est sans âge, contemporain quand bien même il émergea il y a des milliers d’années. Et c’est la force et l’imposante réussite d’Amazones que d’être là, non pas comme un décor planté, non pas comme une figuration opportune et adventive, mais bien comme une réalité majeure, intemporelle, qui ne demandait qu’à être révélée dans l’instant. Ces femmes avaient toujours été là, seul un coupable aveuglement nous les dissimulait. Le premier tableau, car c’est ainsi qu’Amazones nous apparaît, est celui d’un âge d’or, une manière de paradis, sans Adam, mais des pommes disséminées ça et là, qu’elles prennent en bouche, croquent, qui passent d’une bouche à une autre, et qu’elles recrachent comme si le désir était ailleurs. Le fruit-stigmate est sans importance, simple accessoire. Les danseuses-performeuses s’égayent dans cet état de nature, batifolant, gambadant ou reposant au sol alanguies. Leurs rondes, leurs farandoles sont les héritières de la liberté antique et déliée des chorégraphies d’Isadora Duncan. La danse des corps est un flux organique qui ménage les montures, qui disperse les présences, qui structure de manière liquide l’architecture de l’espace ainsi tracé par leurs lignes de fuites, leurs points d’arrêt, dans un mouvement continu. Attroupement, couple, solitude, la mathématique des rencontres se révèle une équation irrésolue qui ne porte pas à conséquence. La danse de Marinette Dozeville officie dans la transparence, le plus souvent, dans le retrait, dans la réserve, comme s’il fallait laisser libre cours à ces bras, ces cuisses, ces épaules, ces mains, ces chevelures, les laisser flotter dans le courant de cette source auquel le texte poétique de Luvan fait référence, qui n’est peut-être rien d’autre que l’imaginaire mythique recouvré. Il n’y a pas de bergère, il n’y a pas de trésorière, encore moins de supérieure nous dit encore Luvan. Leur éparpillement est à l’image de l’horizontalité de leur pouvoir. Pour parler d’elles le poète fait appel à d’autres mondes, animal, végétal : ce sont des brebis, ce sont des chèvrefeuilles… Dans ce temps immémorial, les corps sont poreux, transformistes, glissant allégrement d’une espèce à l’autre, de l’équidé au batracien, en passant par le flamant rose. Affaire de vision pour le spectateur enivré. Lorsque des lignes chorégraphiques affleureront, elles se détacheront avec la précision et le contraste d’une eau-forte, elles surgiront dotées d’un caractère inouï et inédit, telle cette chaîne de bras entrelacés secouant les poitrines d’un même rythme, telle ces cavalcades, debout, pied tendu et avancé comme un sabot, ou assises, une jambe galopant à flanc de sol. Elles forment bataillon. Les magnifiques interprètes d’Amazones portent avec elles, dans leur plus simple appareil, toutes les représentations de notre histoire des arts. Et ces mains levées pour claquer avec élan leurs cuisses, si elles échauffent leur sang, font surtout apparaître ces rougeurs, marbrent leur peau à l’instar de statues mythologiques, les colorent aussi somptueusement qu’une peinture de Rubens. Mais plus encore, ce qui nous transporte, ce qui nous fascine, ce sont ces regards partagés, ces attentions de chaque instant, ces affects circulant sans entrave, sans retenue, dans le nu de la vie, ces modulations qui strient leurs êtres et les émeuvent comme le vent à la surface de l’eau, les liant plus surement que tout serment. Si nudité il y a, c’est avant tout celle de l’âme qui prévaut ici. Leur indicible grâce, leur beauté, tient à cela : cette disponibilité des unes aux autres comme une communion de l’être sans fausse pudeur dans un dévoilement tout grotowskien. Cette sororité, littéralement incarnée, est ce qui les couvre, majestueuses, souveraines, telle une précieuse parure les protégeant de nos regards. Si Philippe Descola a théorisé et critiqué l’invention de la nature par l’Occident, ce retrait de l’homme moderne pour contempler et plus encore exploiter et asservir son milieu, tenu à distance, objectivé, ouvrant la voie à l’insatiable dévoration capitaliste, l’histoire des arts peut bien également se lire à cette aune, ainsi de la représentation des femmes, véhicule mental de la domination patriarcale à travers son appropriation par la figuration du corps des femmes. Avec Amazones, avec ces figures tutélaires échappant au pouvoir de l’homme, Marinette Dozeville met en pratique un retour à la nature, qu’il faut comprendre comme un effacement de ce qui fait tableau, de ce qui encombre nos regards, une déconstruction par la performance de ce qui met à distance et instrumentalise, nous donnant à vivre une forme spectaculaire inclusive, déployant la puissance de jouissance de l’être vivant. Ce geste profondément éthique et politique s’accomplit dans une magistrale réalisation.   © Marie Maquaire   Amazones, chorégraphie de Marinette Dozeville Interprétation : Léa Lourmière, Elise Ludinard, Florence Gengoul, Frida Ocampo, Delphine Mothes, Lucille Mansas, Dominique Le Marrec Musique : Dope St Jude Texte : Luvan Voix : Lucie Boscher Conseillère artistique : Julie Nioche Dramaturge : Rachele Borghi Regard plastique : Frédéric Xavier Liver Création lumières : Louise Rustan et Agathe Geffroy Durée : 1 h   Vendredi 17 mars à 19h Le Générateur 16 rue Charles Frérot 94250 Gentilly www.legenerateur.com   En collaboration avec le Théâtre de Vanves 12 rue Sadi Carnot 92170 Vanves Tél : 01.41.33.93.70 www.theatre-vanves.fr       Read More →
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