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Némésis de Philippe Roth, adaptation et mise en scène de Tiphaine Raffier, à l’Odéon Ateliers Berthier

Mar 28, 2023 | Commentaires fermés sur Némésis de Philippe Roth, adaptation et mise en scène de Tiphaine Raffier, à l’Odéon Ateliers Berthier

 

© Simon Gosselin

 

ƒƒ Article de Sylvie Boursier

Bucky Kantor, le héros de Némésis, lance son javelot tel un Hercule invincible. Ultime pied de nez de Philippe Roth au ciel, Némésis est son chant du cygne, il n’écrira plus, invincible sera son dernier mot d’écrivain. Son verbe puissant, son intelligence ravageuse et son sens de la parabole font merveille dans cet ultime opus qui cloue au pilori la mégalomanie des hommes, leur besoin insatiable de croire aux dieux, aux idéologies.

Dans l’Amérique de 1944 parmi la communauté juive de Newark le jeune Kantor, vigoureux professeur de gymnastique, a été réformé à cause de sa myopie. Ses meilleurs amis risquent leur vie en France et lui se consume de honte. Il souffre de ne rien endurer, sa culpabilité est décuplée par l’apparition d’un mal sans visage, la polio dont il ne réussit pas à protéger les jeunes du terrain de jeux dont il se sent responsable. Il croit échapper à l’épidémie en partant dans un camp de vacances à la campagne mais lui-même est touché et risque de contaminer les adolescents. La stupeur impuissante des victimes évoque irrésistiblement l’Extermination et Bucky devient l’archétype de l’auto flagellation du peuple maudit, en s’attribuant la responsabilité des malheurs qui s’abattent sur les siens. A trop vouloir faire le bien, à refuser le hasard il se condamne, avec ses proches, au malheur.

La Némésis de Tiphaine Raffier témoigne d’une liberté folle, trois tableaux enchaînés aussi différents que la divine comédie de Dante peut l’être de la petite maison dans la prairie. L’ouverture a le clair-obscur des Damnés, le monde court à sa perte sur un théâtre d’ombres caravagesques, « Béni », « Loué », « Célébré », « Honoré », les mots du kaddish à la mémoire d’un enfant mort s’affichent en fond de scène. Bucky nie la contingence, prend sur lui, rassure, absorbe la douleur comme un buvard l’encre fraîche, tempère les rumeurs qui enflent et les tensions communautaires. Il se met au service des autres, s’efface comme happé par les voix off de coryphées multiples, familles, voisins et adolescents à tel point qu’on ne sait plus qui parle. Baudruche que l’on prend à témoin sans arrêt, Alexandre Gonin prend la lumière dans ce rôle élastique, flottant à la périphérie des choses, la vidéo projette son image égarée.

Vintage en diable, le second volet exploite tous les ressorts de la comédie musicale made in Hollywood, situations cartoonesques, attaque de diligences et camp scout retranché dans un décor de carton-pâte, à Indian Hill. Nous sommes à Broadway entre la mélodie du bonheur et la conquête de l’ouest, Tiphaine Raffier joue à fond l’image d’Epinal de l’esprit pionnier pour mieux dénoncer les massacres des amérindiens, longs travellings et chorégraphie réglée au millimètre autour des jeunes éphèbes. Mais qui trop embrasse mal étreint, la virtuosité plastique nuit par instant à l’épaisseur des personnages, dilue l’action, la bande-son tonitruante couvre les voix des comédiens un peu perdus sur le plateau.

L’épilogue est un sublime psaume crépusculaire qui n’est pas sans rappeler La ligne rouge de Terence Malick, à ce moment où la méditation enflait d’un soldat à l’autre confondus en un monologue mélancolique tandis que la caméra scrutait leurs visages pleins d’effroi et de fatigue dans un paradis définitivement perdu. Némésis se clôt sur un enfer de cendres. Bucky Kantor a vieilli, il est honni par les dieux, a raté sa vie et parle (enfin !) statufié par le malheur ; rivé à ses croyances cet homme n’a rien appris. Fidèle au texte de Roth Tiphaine Raffier clôt sa trilogie par le long récit des errances du héros d’une intransigeance mortifère jusqu’à l’auto destruction. On est suspendu aux lèvres de Stuart Seid et de Maxime Dambrin (formidables comédiens !) qui donnent chair au testament posthume du sulfureux écrivain. Que la Némesis, déesse grecque de la vengeance, balaie à tout jamais l’American Dream, cette Amérique éternelle, naïve, qui a construit sa puissance sur l’extermination des indiens, tel semble dire ce romancier désenchanté mais invincible qui écrivit « ce n’est pas une bataille, la vieillesse, c’est un massacre ».

 

  © Simon Gosselin

 

Némésis d’après Philippe Roth

Adaptation : Tiphaine Raffier et Lucas Samain

Mise en scène : Tiphaine Raffier

Scénographie : Hélène Jourdan

Musique : guillaume Bachelé

Lumière : Kelig Le Bars

Costumes : Caroline Tavernier

Jeu : Clara Bretheau, Eric Challier, Maxime Dambrin, Juliet Doucet, François Godart, Alexandre Gonin, Maika LouaKairim, Tom Menanteau, Hélène Patarot, Edith Proust, Stuart Seide, Adrien serre, les musiciens de l’ensemble Miroirs Etendus, le chœur d’enfants du Conservatoire de Saint Denis

 

Durée : 2h45 sans entracte

Jusqu’au 21 avril, à 20h aux Ateliers Berthier, 1 rue André Suares 75017 Paris

Les 16 et 17 mai à Lorient

 

Réservations :

01 44 85 40 40

odeon@theatre-odeon.fr

 

 

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