Critiques // Anima, Installation-performance de Noémie Goudal et Maëlle Poésy, au Centre Pompidou

Anima, Installation-performance de Noémie Goudal et Maëlle Poésy, au Centre Pompidou

Mar 30, 2023 | Commentaires fermés sur Anima, Installation-performance de Noémie Goudal et Maëlle Poésy, au Centre Pompidou

 

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Anima est la rencontre entre deux amies artistes qui ont voulu croiser leurs arts. La photographie et la mise en scène. Elles ont conçu une installation-performance utilisant les recherches sur la paléoclimatologie de Noémie Goudal aboutissant à une démonstration des mutations des espaces naturels dans le temps long, qui s’exprime de manière spectaculairement visuelle en une petite heure de montage sonore et photographique dans lequel la présence de l’humain s’insère in fine.

La proposition se veut immersive pour le spectateur. Même si le terme est sans doute impropre, de fait le public assis devant des écrans placés en triptyque est invité à plonger son regard et son ouïe dans l’animation des images qui lui sont présentées. Au moment de l’installation dans la salle, ce sont trois images identiques (sauf erreur) et statiques d’une jungle qui l’accueillent dans une ambiance sonore   correspondante : palmiers verdoyants, bruissements d’insectes, d’oiseaux et cris de singes. Ce n’est qu’une fois que la salle s’éteint que les images prennent vie, que les arbres respirent comme des mini-poumons accompagnés par une évolution de la très belle création musicale de Chloé Thévenin. C’est à la fois surprenant et intéressant. On pense à la vie secrète et cachée des arbres, remise en cause récemment, mais on se complaît à adhérer à cette représentation des mystères de ces transformateurs à oxygène, qui se trouvent ainsi étrangement humanisés par le mimétisme du mécanisme de respiration. Puis on replonge dans une forme de réel. Des images se reconstruisent par l’assemblage savant de gigantesques bandes de papier, comme celles que l’on pouvait faire enfants en entrelaçant des petites lanières pour former un tableau. Ce tissage primaire est proposé en version XXL avec machinistes, escabeaux, treuils dans l’image vidéo elle-même. L’imaginaire se reconstruit ; l’illusion disparaît. Et un nouveau discours prend le relai, plus politique, même s’il ne va jamais plus loin : la nature prend feu. Mais ce n’est pas la diffusion de vraies vidéos d’incendies comme on a pu en voir en Californie ou dans de nombreuses parties du monde ces dernières années, et notamment à proximité d’Avignon en juillet 2022 où le spectacle a été créé et pour lequel cette synchronicité a dû être déroutante pour les artistes comme pour le public.

Ce sont les bandes de papier qui prennent feu, mais elles ne laissent pas place au néant ou à un paysage de désolation comme dans les vrais épisodes récents précités, elles découvrent en fait la couche d’avant, la couche d’un décor précédant, d’un assemblage de papier préalable qui va lui aussi se consumer, la couche d’avant dans l’histoire des paysages terrestres. A gauche, sans qu’on s’en soit vraiment aperçu, focalisée par les deux autres écrans où crépitaient les flammes, la roche est apparue.

Sur cette roche, ou plutôt sur ce décor de roche, coulera peu après de l’eau, au sens propre, sur le plateau, qui fera à son tour détruire l’assemblage photographique en papier. On suppose que les conceptrices- réalisatrices du spectacle auraient aimé faire de même avec le feu, c’est-à-dire non pas proposer une vidéo mais un embrasement réel qui ne devait pas être possible pour des raisons de sécurité. Ou peut-être pas, justement pour créer une nouvelle perception chez le spectateur. Est-ce que voir la déliquescence de manière plus directe, même s’il ne s’agit toujours qu’un décor de carton-pâte, produit une autre prise de conscience ? On pense inévitablement aux sensations déjà éprouvées face au « temple grec » de Phia Ménard s’effondrant sous le déluge.

On se plaît à imaginer une nouvelle version du spectacle, qui pourrait ajouter le dernier élément composant l’univers et transformer le triptyque en quadriptyque pour introduire la terre, par exemple des coulées de boue recouvrant le décor. On verrait très bien aussi l’air imperceptiblement présent dans la dernière partie qui pourrait   déchirer l’écran central laissant apparaître la circassienne Chloé Moglia suspendue. La chorégraphe acrobate dans cette version d’Anima grimpe simplement et sobrement sur la structure de barres métalliques qu’elle fait apparaître après avoir remonté à la manivelle, comme un machiniste, la toile de l’écran central. Sa prestation à l’image de ses précédents spectacles où la suspension est devenue (à juste titre) sa marque de fabrique et qui lui vaut une reconnaissance méritée, est de toute beauté. Elle se meut dans ce non-lieu, avec une (fausse) hésitante lenteur, telle une cosmonaute sans casque ou autre combinaison, sans protection, harnais, crochet ou filet de sécurité à plusieurs mètres de hauteur ; elle avance, silencieuse, se retourne imperceptiblement avec la seule précision et fluidité des prises de sa suspension ; elle ne donne jamais l’impression d’être en danger alors que ses figures sont d’une difficulté technique incontestable. Et dans une forme de sérénité, elle redescendra tout simplement pour s’asseoir avant les saluts.

C’est une belle proposition que celle de Noémie Goudal et Maëlle Poésy laquelle doit offrir un impact sensoriel démultiplié dans des décors naturels en extérieur, et qui pourrait sans doute évoluer encore afin que la performance humaine s’intègre pleinement à la performance plasticienne et ne fassent qu’un, afin de mieux questionner l’Anthropocène.

 

Anima, de Noémie Goudal et Maëlle Poésy

Conception de la suspension :  Chloé Moglia

Musique originale : Chloé Thévenin

Scénographie : Hélène Jourdan

Lumières : Mathilde Chamoux

Costumes : Camille Vallat

Avec : Chloé Moglia (en alternance avec Mathilde Van Volsem)

 

Jusqu’au 1er avril 2023, à 20h

Durée 1h

 

Centre Pompidou (Grande salle)

Place George Pompidou

75004 Paris

 

Réservations : www.centrepompidou.fr

 

 

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