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Des caravelles et des batailles, écriture et mise en scène d’Eléna Doratiotto et Benoît Piret, au Théâtre de la Bastille

Avr 05, 2023 | Commentaires fermés sur Des caravelles et des batailles, écriture et mise en scène d’Eléna Doratiotto et Benoît Piret, au Théâtre de la Bastille

 

© Hélene Legrand

 

ff article de Denis sanglard

Attention, une caravelle peut en cacher une autre… Des caravelles et des batailles, étrange, voire énigmatique, titre pour une drôle et jubilatoire création belge. Belge, cela a son importance, parce que cet humour-là, décalé et surréaliste, leur appartient en propre, inscrit à leur patrimoine. De quoi cela cause-t-il ? La question reste en suspens au long de cette pièce hilarante sous des dehors d’un sérieux que rien ne pourrait entamer. Tentons de, à commencer par un résumé laconique, « Ne pas » … Soit dans une étrange bâtisse, au milieu de nulle part, quelques individus s’affairent à moult tâches quotidiennes comme autant de rituels poétiques, devisent et dissertent, entre banalités et philosophie impromptue. Un désœuvrement déroutant qui enferme chacun dans une étrange temporalité, où le temps est comme suspendu, où rien ne semble exister que l’instant présent. Les liens qui se tissent entre ces résidents dont on ne saura rien, ou par incidence, participent de ce même mystère, de ce même trouble. Il y a ici et pour tout comme une étrange évidence qui se passe d’explication, tout semble aller de soi, le plus normalement et simplement du monde. Aucune intrigue. Très librement inspiré de La montagne magique de Thomas Mann par Eléna Doratiotto et Benoît Piret, cette création génialement déroutante est un petit bijou d’humour pince-sans-rire, de poésie zinzin et de pertinence. Il ne se passe rien en apparence mais dans ce rien s’engouffre un vent de folie douce qui traverse le plateau et souffle dans la salle. On est un peu comme Andréas, débarqué là un jour, dérouté d’abord par l’accueil qui lui est fait, par ce lieux hors du temps et du monde, avant de s’acclimater sans y prendre garde, de s’intégrer naturellement, de participer à la vie du lieu sans barguigner. Etrange catharsis qui voit les spectateurs entrer dans le jeu, s’extraire aussi de toute temporalité et ne plus se poser de question du tout. (Sauf à propos de trois mystérieux mots manquant pour terminer un roman, qui vit un spectateur s’exclamer d’un sonore « enfin ! » quand ceux-ci furent révélés). Et pourtant, hormis cet étrange totem de bois, le plateau est absolument vide. Alors quand on vous dit que nous somme dans la salle de brique rouge, oui, nous y sommes. Pas plus étonné non plus qu’Andréas de passer du premier post-scriptum au quatre-cent-quatre-vingt deuxième d’un courrier qu’il n’envoie probablement plus. Pour un peu nous aussi nous irions jeter des pierres dans l’eau du haut de l’aqueduc voisin, une activité qui semble avoir son importance ici. Ce qui est très fort, c’est que l’imagination ici galope et que nous inventons, nous aussi, au fur et à mesure, rien n’est montré, tout est énoncé, et ça suffit, on y croit ferme, on voit tout. Puissance du si magique des contes de notre enfance.  Et les caravelles ? Nous y voilà, et c’est sans doute là que le monde fait irruption dans ce huis-clos faussement cotonneux. Par ce polyptique trônant dans la salle rouge, qu’on se doit d’imaginer, fresque sanglante qui raconte la bataille de Cajamarca où cent-soixante huit conquistadors espagnols menés par Pizarro massacrèrent l’armée incas, renversèrent l’empereur Atahualpa avant de conquérir et provoquer la chute de son empire. A peine arrivé, c’est la première chose que l’on montre à Andréas. La violence du monde. Dès lors chez Andréas quelque chose de souterrain se fendille, comme s’effritera plus tard le totem. Cette violence-là fait son chemin, comme une menace qu’il faut oblitérer ici, « Je crois que je panique », mais il suffira d’un pinceau… comme il suffira de mettre des étaies au totem pour que tout rentre dans l’ordre, comme si de rien n’était, en apparence et provisoirement.  Et il faut de sacrés comédiens pour nous mener comme ça, par le bout du nez sur des chemins escarpés et de traverses, avec brio et un sérieux de pape, voire d’une certaine gentillesse et douceur, d’un naturel des plus confondant, comme si tout ça, danser une danse bulgare par exemple, n’était qu’évidence et que de mystère il n’y en avait pas, les choses étant ainsi, c’est tout. C’est fortiche, oui. Comme cette création qui n’a pas l’air comme ça, mine de rien, une mise en scène sans couture apparente et sans effet de manche pour une banalité qui en devient extraordinaire, et qui vous embarque dûment, avec bonheur, dans une drôle d’utopie, loin des caravelles et des batailles, de la violence du monde.

 

© Heléne Legrand

 

 

Des caravelles et des batailles, écriture et mise en scène Eléna Doratiotto et Benoît Piret

Avec : Salim Djaferi, Eléna Doratiotto, Gaëtan Lejeune, Benoît Piret, Jules Puibaraud, Anne-Sophie Sterck

Collaboration à l’écriture : Salim Djaferi, Gaëtan Lejeune, Jules Puibaraud, Anne-Sophie Sterck

Collaboration à la mise en scène et à la dramaturgie : Nicole Stankiewicz

Scénographie : Valentin Périlleux

Regard scénographique et costumes : Marie Szernovicz

Création lumière et régie générale : Philippe Orivel

Régie plateau : Clément Demaria

 

Du 3 au 21 avril à 20h30, relâche les dimanche et le jeudi 6 avril

Théâtre de la Bastille

76 rue de la Roquette

75011 Paris

Réservations : 01 43 57 42 14

www.theatre-bastille.com

 

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