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Amazones, de Marinette Dozeville au Générateur, Gentilly avec le Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARTDANTHE

Mar 28, 2023 | Commentaires fermés sur Amazones, de Marinette Dozeville au Générateur, Gentilly avec le Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARTDANTHE

 

© Marie Maquaire

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

La salle du Générateur à Gentilly est sans estrade. De plain-pied, le dispositif imposé ne peut qu’accueillir généreusement la proposition débordante de Marinette Dozeville, Amazones. Dans cet écrin blanc comme une toile de peintre s’inscrit la plénitude des corps nus de ses sept interprètes. Lumière chaude, zinzinulements dorés de la faune ailée, stridulation sombres des insectes, l’immersion tient autant à ce paysage sonore enveloppant et envoûtant qu’à la présence de toute éternité de ces femmes libres. Le mythe tient d’ailleurs à cela : il est sans âge, contemporain quand bien même il émergea il y a des milliers d’années. Et c’est la force et l’imposante réussite d’Amazones que d’être là, non pas comme un décor planté, non pas comme une figuration opportune et adventive, mais bien comme une réalité majeure, intemporelle, qui ne demandait qu’à être révélée dans l’instant. Ces femmes avaient toujours été là, seul un coupable aveuglement nous les dissimulait.

Le premier tableau, car c’est ainsi qu’Amazones nous apparaît, est celui d’un âge d’or, une manière de paradis, sans Adam, mais des pommes disséminées ça et là, qu’elles prennent en bouche, croquent, qui passent d’une bouche à une autre, et qu’elles recrachent comme si le désir était ailleurs. Le fruit-stigmate est sans importance, simple accessoire. Les danseuses-performeuses s’égayent dans cet état de nature, batifolant, gambadant ou reposant au sol alanguies. Leurs rondes, leurs farandoles sont les héritières de la liberté antique et déliée des chorégraphies d’Isadora Duncan. La danse des corps est un flux organique qui ménage les montures, qui disperse les présences, qui structure de manière liquide l’architecture de l’espace ainsi tracé par leurs lignes de fuites, leurs points d’arrêt, dans un mouvement continu. Attroupement, couple, solitude, la mathématique des rencontres se révèle une équation irrésolue qui ne porte pas à conséquence. La danse de Marinette Dozeville officie dans la transparence, le plus souvent, dans le retrait, dans la réserve, comme s’il fallait laisser libre cours à ces bras, ces cuisses, ces épaules, ces mains, ces chevelures, les laisser flotter dans le courant de cette source auquel le texte poétique de Luvan fait référence, qui n’est peut-être rien d’autre que l’imaginaire mythique recouvré. Il n’y a pas de bergère, il n’y a pas de trésorière, encore moins de supérieure nous dit encore Luvan. Leur éparpillement est à l’image de l’horizontalité de leur pouvoir. Pour parler d’elles le poète fait appel à d’autres mondes, animal, végétal : ce sont des brebis, ce sont des chèvrefeuilles… Dans ce temps immémorial, les corps sont poreux, transformistes, glissant allégrement d’une espèce à l’autre, de l’équidé au batracien, en passant par le flamant rose. Affaire de vision pour le spectateur enivré. Lorsque des lignes chorégraphiques affleureront, elles se détacheront avec la précision et le contraste d’une eau-forte, elles surgiront dotées d’un caractère inouï et inédit, telle cette chaîne de bras entrelacés secouant les poitrines d’un même rythme, telle ces cavalcades, debout, pied tendu et avancé comme un sabot, ou assises, une jambe galopant à flanc de sol. Elles forment bataillon.

Les magnifiques interprètes d’Amazones portent avec elles, dans leur plus simple appareil, toutes les représentations de notre histoire des arts. Et ces mains levées pour claquer avec élan leurs cuisses, si elles échauffent leur sang, font surtout apparaître ces rougeurs, marbrent leur peau à l’instar de statues mythologiques, les colorent aussi somptueusement qu’une peinture de Rubens. Mais plus encore, ce qui nous transporte, ce qui nous fascine, ce sont ces regards partagés, ces attentions de chaque instant, ces affects circulant sans entrave, sans retenue, dans le nu de la vie, ces modulations qui strient leurs êtres et les émeuvent comme le vent à la surface de l’eau, les liant plus surement que tout serment. Si nudité il y a, c’est avant tout celle de l’âme qui prévaut ici. Leur indicible grâce, leur beauté, tient à cela : cette disponibilité des unes aux autres comme une communion de l’être sans fausse pudeur dans un dévoilement tout grotowskien. Cette sororité, littéralement incarnée, est ce qui les couvre, majestueuses, souveraines, telle une précieuse parure les protégeant de nos regards.

Si Philippe Descola a théorisé et critiqué l’invention de la nature par l’Occident, ce retrait de l’homme moderne pour contempler et plus encore exploiter et asservir son milieu, tenu à distance, objectivé, ouvrant la voie à l’insatiable dévoration capitaliste, l’histoire des arts peut bien également se lire à cette aune, ainsi de la représentation des femmes, véhicule mental de la domination patriarcale à travers son appropriation par la figuration du corps des femmes. Avec Amazones, avec ces figures tutélaires échappant au pouvoir de l’homme, Marinette Dozeville met en pratique un retour à la nature, qu’il faut comprendre comme un effacement de ce qui fait tableau, de ce qui encombre nos regards, une déconstruction par la performance de ce qui met à distance et instrumentalise, nous donnant à vivre une forme spectaculaire inclusive, déployant la puissance de jouissance de l’être vivant. Ce geste profondément éthique et politique s’accomplit dans une magistrale réalisation.

 

© Marie Maquaire

 

Amazones, chorégraphie de Marinette Dozeville

Interprétation : Léa Lourmière, Elise Ludinard, Florence Gengoul, Frida Ocampo, Delphine Mothes, Lucille Mansas, Dominique Le Marrec

Musique : Dope St Jude

Texte : Luvan

Voix : Lucie Boscher

Conseillère artistique : Julie Nioche

Dramaturge : Rachele Borghi

Regard plastique : Frédéric Xavier Liver

Création lumières : Louise Rustan et Agathe Geffroy

Durée : 1 h

 

Vendredi 17 mars à 19h

Le Générateur

16 rue Charles Frérot

94250 Gentilly

www.legenerateur.com

 

En collaboration avec le Théâtre de Vanves

12 rue Sadi Carnot

92170 Vanves

Tél : 01.41.33.93.70

www.theatre-vanves.fr 

 

 

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