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Pas de deux d’Ana Marija Adomaityte au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARTDANTHE

Mar 28, 2023 | Commentaires fermés sur Pas de deux d’Ana Marija Adomaityte au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival ARTDANTHE

 

© Cie A M A

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Pas de deux. La forme codifiée par le ballet classique s’impose d’emblée à la lecture du titre de la proposition d’Ana Marija Adomaityte tout comme s’impose la présence in medias res des deux danseurs-performers (Mélissa Guex et Victor Poltier), objet de tous les regards dans un espace quadrifrontal, se tenant debout sur une moquette bleu vif, sous une lumière blanche, clinique, immobiles, serrés l’un contre l’autre, dans une posture que l’on reconnaît, mais qui apparaît déformée, comme peut l’être un visage sous l’emprise d’une émotion, ou encore ce même visage observé de trop près, le jeune homme derrière la jeune femme, son bras gauche à lui embrassant son corps à elle comme s’il la ceinturait pour aller se poser sur son ventre, elle, s’accrochant de sa main gauche à cette main posée là, tandis qu’elle tient en l’air son bras droit comme une invitation à danser ou comme un geste de défense, et qu’il tient, lui, avec son propre bras droit, comme une liane noueuse enlacée autour d’une branche. On reconnaît effectivement cette pose classique, préalable à toutes les figures de duo, qui condense dans cet agencement toute la structure de la société hétérosexuelle et patriarcale, la femme sous le regard de l’homme, la femme tenue par l’homme, dans un geste protecteur qui est surtout une emprise et une entrave. De ce point de départ, Ana Marija Adomaityte fait un point de fixation, comme un pas de visse enrayé, Mélissa Guex enclenchant un mouvement de rotation de sa tête comme pour aller voir ailleurs, entraînant son corps dans cette même fuite, Victor Poltier la ramenant à sa position initiale. Comme un disque rayé. Comme une indépassable butée, lui regard droit, elle regard de biais. Les deux ne sont que muscles, force et contre force dans l’intervalle d’un mouvement réduit à son élan à peine dégondé. Avec la musique, composée de boucles électroniques de Gautier Teuscher creusant leurs galeries psychiques, avec cette lumière qui augmente encore l’impression de zoom macroscopique, Pas de deux agit comme une hypnose où l’on voit apparaître ce qui n’a pas effectivement lieu, ce qui dépasserait le geste, ce qui le nourrit. C’est un véritable théâtre et son double, où l’on voit se déployer dans ces courts mouvements, à la manière d’un bonzaï (et avec peut-être le sadisme d’une telle pratique botanique, la danse d’une vie de couple normée, c’est-à-dire faite d’entraves, d’interdits, de limites, et leurs volontés, leurs désirs, leurs rêves, taillés courts. Et puis surtout, la forme trouvée par Ana Marija Adomaityte est d’une radicalité absolue. Loin de tomber dans l’anecdotique ou le discursif qu’un tel objet de recherche pourrait amener, son caractère éminemment performatif, évitant toute psychologie, le nimbe d’une puissance rare et auratique. C’est à une physique des corps très expérimentale à laquelle nous assistons : ce Pas de deux, qui est un pas de vis, rabote, perfore, répétant avec insistance le mouvement sur une majeure partie de la performance, jusqu’à l’épuisement physique, jusqu’à la tétanie, mains tremblantes, tee-shirt et visage ruisselants de sueur, doigts tordus comme des griffes. La position évoluera vers un retournement qui est un face à face, dans une aimantation littérale des corps, de leurs surfaces. L’infiniment petit, une paume à quelques millimètres d’une joue, ouvrant sur l’abyssal du désir. Fragmentation de l’être habitant entièrement la pulpe d’un doigt, ou la pupille d’un œil.

De cette épreuve, car c’en est une remarquable et passionnante, naît une présence au plateau des deux performeurs que n’aurait certainement pas reniée Claude Régy. Leurs regards, pourtant fixes, atteignent à l’expressivité surréaliste. Des yeux sans visage, privés de leur corps. Des yeux pour mieux voir ce qui régit nos relations.

 

© Cie A M A

 

Pas de deux, concept et chorégraphie d’Ana Marija Adomaityte

Collaboration à l’écriture chorégraphique, interprétation : Mélissa Guex et Victor Poltier

Création sonore et lumière : Gautier Teuscher

Regard extérieur : Pierre Piton

Durée : 1 h

Samedi 11 mars à 19 h

 

Théâtre de Vanves (salle Panopée)

12 rue Sadi Carnot

92170 Vanves

Tél : 01.41.33.93.70

https://www.theatre-vanves.fr

 

 

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