© Anna van Kooij
ƒƒ article de Nicolas Thevenot
Un octogone blanc au sol, espace de jeu et d’enjeu, lieu de projections. L’octogone, figure à huit faces, je pourrais le décrire comme la tentative avortée d’une ligne courbe, circulaire, approximativement tracée en lignes brisées. De manière très semblable, la sinuosité infinie d’une existence est rabattue au gré des normes, des schèmes culturels, des us et autres coutumes qui régissent notre tribu occidentale et ramènent à la ligne droite nos élans. Courtney May Robertson est allongée au centre de l’octogone dans la pénombre envahie progressivement par des flux de vidéos. Un micro en main, elle déroule d’une voix modifiée par un filtre aux intonations numériques une longue anaphore. « This body… ». Ce corps : formé, entraîné, cerné, épié, machiné, préparé… Effet de la voix transformée, effet aussi et surtout de l’écart entre immobilité de Courtney May Robertson et vitesse des images sur laquelle elle repose, l’impression troublante se dégage qu’elle nous parlerait, qu’elle agirait, à côté ou au-dessus de son corps comme dans ces expériences transcendantales du type « near death experience ». Ou comme depuis un vol plané après avoir été éjecté d’un cheval parti au galop.
Effet de sidération garantie avec cette pièce condensée en quinze minutes, à la manière d’un court-métrage saisissant l’entièreté d’une existence. Car dans une deuxième partie, après la relative immobilité initiale, la machine chorégraphique se met en mouvement, s’accélère, avec une précision d’horlogerie, gestes décomposés, fragmentant les parties de membre, dans une lumière stroboscopique, dans une rythmique de plus en plus effrénée, flux de plus en plus heurté, virtuose dans sa réalisation. Dans cette course folle de gestes en gestes, segmentés par bribes par les flashs de lumière, le corps de la danseuse et performeuse est progressivement secoué, tandis que son visage s’affecte de torsions grimaçantes étirées, le déformant tels ceux peints par Francis Bacon. Quelques mots surnagèrent encore sans tomber dans l’oreille d’un sourd : « a penis on my face put a price on my soul ». Courtney May Robertson a décidément l’art du raccourci et de la formule, et du politique.
The pleasure of stepping off a horse when it’s moving at full speed, qui n’est pas sans évoquer l’étrangeté opérée par un David Lynch, explore dissociation et distanciation, sexe et fiction, dans des corps modelés par les récits qui lui sont antérieurs. Œuvre queer dans l’hybridation de ses mediums, œuvre totale, en miniature tel un œuf de Fabergé qu’il faudrait décortiquer. Plutôt qu’un long discours, une concrétion de gestes. Courtney May Robertson est une femme de Vitruve, une pythie qui nous parlerait du présent comme d’un inexorable futur.
© Anna van Kooij
The pleasure of stepping off a horse when it’s moving at full speed, chorégraphie, performance et visuels de Courtney May Robertson
Dramaturgie : Merel Heering
Regard extérieur : Kristin de Groot & Yoko Ono Haveman
Soutien technique : Edwin van Steenbergen
Enregistrement des bandes-annonces et des vidéos : Paul Sixta
Durée : 15 minutes
Le 18 mars à 18h
Théâtre de Vanves (salle Panopée)
Théâtre de Vanves
12 Rue Sadi Carnot
92170 Vanves
Tél : 01.41.33.93.70
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