Wasted (Fracassé.e.s), de Kae Tempest, mise en scène de Martin Jobert, au Nouveau Théâtre de l’Atalante
© Paul Delvaux   f Article de Denis Sanglard Trois jeunes adultes enterrent l’un des leurs et la mort de Toni est une déflagration pour ces trois. Que se seraient-ils devenus s’il n’était pas mort ? Et qu’ont-ils faits depuis leur 15 ans ? La réponse est cinglante, rien. Rien n’est advenu, l’impression réelle d’être passé à côté de leurs rêves et quoiqu’installés, ou presque, s’enliser dans les faux semblants et la vacuité d’un quotidien morne, aussi mornes que leurs amours sans illusion. Alors en cette nuit de commémoration, prendre une dernière ligne de coke, se défoncer et tirer un trait définitif sur tout ça, partir peut-être. Loin. Changer tout. Repartir à zéro. Mais en sont-ils capable ? Kae Tempest, poétesse, dramaturge et figure du spoken word, signe un texte lumineux sur une jeunesse désenchantée, aux idéaux fracassés par la réalité, un monde qui change mais sans eux, restés à la traîne et à l’écart d’eux-mêmes. Un texte sans complaisance où la nostalgie à le goût amer de l’échec. Mais un regard bienveillant sur ces perdants qui ne seront jamais magnifiques. Lucides sur leur condition ou de mauvaise foi, enferrés dans le mensonge de ce qui n’a a jamais été et qu’ils ont cru possible. Ridicules, parfois, pathétiques aussi, mais sans jugement Kae Tempest dresse le portrait d’une génération perdue, paumée soudain devenue brutalement adulte sans être armée pour la triste banalité de leur destin.  Ecriture volontairement sans ornementation mais d’une précision redoutable pour exprimer ça, cette indicible sentiment de médiocrité ressentie, d’échec avoué et de culpabilité. Fragments de vies minuscules mais d’une désespérante et déchirante humanité. C’est à Londres mais ce pourrait être partout ailleurs, la question étant la même : qu’est-ce qu’être adulte aujourd’hui sinon « le deuil de nos anciens futur glorieux ». Heureuse mise en scène qui ne cherche nullement le spectaculaire mais colle au texte dans sa simplicité même. Tout tient dans la direction de ses acteurs qui empoignent avec un naturel confondant leur personnage et leur logorrhée de plus en plus cocaïnée, entre exaltation et abattement. La cocaïne n’est que paillette ici, poudre aux yeux pour que scintille un bref instant, avant la descente brutale, cette vie sans aspérités. Il n’y a rien qui ne fasse obstacle à ce qui est exprimé ici, nul effet, rien qui ne soit appuyé. Et ils sont formidables de justesse ces trois-là, Simon Cohen, Tristan Pellegrino et Kim Verschueren, qui se débattent pour s’extraire sans illusion quand au résultat, d’une chienne de vie. Offrant avec subtilité à leur personnage écorché, profondeur, contradiction et complexité. On peut juste regretter l’inclusion de monologues en anglais qui n’apportent rien, ou du moins n’en comprend-on pas l’utilité, rompant brutalement le maillage serré de cette mise en scène intelligente et maîtrisée et parfaitement tenue dans sa sobriété. D’autant plus que la traduction française est en soi une réussite. C’est d’autant plus dommageable que pour ceux qui connaissent le flow particulier de Kae Tempest lors de ces prestations, la comparaison peut être cruelle.   © Paul Delvaux   Wasted (Fracassé.e.s), texte de Kae Tempest Traduction : Gabriel Dufay et Oona Spengler Mise en scène : Martin Jobert Avec Simon Cohen, Tristan Pellegrino, Kim Verschueren Assistant à la mise en scène : Fabien Chapeira Musique : Raphaël Mars Conception décors : Louis Heiliger Construction décors : Louis Heiliger, Nicolas Jobert, Jean-Jacques Colas   Du 13 au 18 mars 2023 à 19h   Nouveau Théâtre de l’Atalante 10 place Charles Dullin 75018 Paris Réservations : reservation@theatre-latalante.com    Read More →
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Dans la solitude des champs de coton, texte de Bernard-Marie Koltès, mis en scène de Kristian Frédéric, à la MAC de Créteil
    © Soo Lee ƒ article de Hoël Le Corre Un décor sombre, de roche, de cendres, de boue, de fumée, de poussière, une ambiance sonore tissée de cris, d’aboiements, de nappes sourdes et inquiétantes. Nous sommes littéralement dans les mots de Koltès, plongés dans « une heure et à lieu indéfinissables», au milieu « de grognements d’animaux dont on n’aperçoit même pas la queue». La scénographie d’Enki Bilal   nous   entraine   directement   et   fatalement   au   cœur   des ténèbres, et son univers postapocalyptique entre en résonnance avec cette  sombre allégorie du commerce, du désir et des rapports entre les hommes « aux heures et aux lieux que ni la loi, ni l’électricité n’ont investis». Une fois le décor posé, de façon assez insistante, car la pièce met du temps  à   vraiment   démarrer,   la   confrontation   entre   les   deux protagonistes que tout oppose, ou presque, peut commencer. Le client, interprété par le charismatique Ivan Morane, est mystérieux, tout de noir vêtu, la peau marquée de tatouages, la voix rocailleuse et la démarche de celle des   animaux   qui   rampent   inéluctablement   vers   leur   victime. L’acheteur, Xavier Galais, semble venir de nulle part, dépenaillé dans son costume clair, oscillant de la peur à l’emportement, éclatant parfois de rires aussi étonnants autant que glaçants. Entre ces deux-là, la joute verbale se fait   incisive   et   on   ne   sait   jamais   vraiment   qui   aura   le   dessus.   Le texte magnifique de Bernard-Marie Koltès, plein de circonvolutions, se fait très bien entendre, avec toutefois quelques approximations (peut-être du au stress de la première ?). Kristian Frédéric, on le sent, est traversé par cette langue, et sa mise en scène s’attache à la mettre en valeur, prenant le temps de se développer et   de   se   refermer   inéluctablement   autour   des   âmes   de ces   deux personnages. Mais c’est aussi ce qui donne à la pièce un rythme lancinant, parfois lent, dans lequel les comédiens semblent un peu dépassés et où le public se lasse par moment, avant des jaillissements plus fulgurants. Au final, la tension est là, mais la mise en scène est quelque peu redondante, notamment sans doute, du fait de l’emprisonnement du Client, le pied gauche coincé dans une chaussure attachée à un rail, qui ne lui permet que   de   sempiternels   aller-retours.   Il   cherche   alors   les mouvements de son âme dans un jeu qui nous parait trop appuyé, fait d’éclats étranges. Au final, cette version esthétiquement puissante a tendance à s’essouffler et la tension qu’elle fait pourtant bien émerger peine à convaincre sur la longueur.   © Soo Lee   Dans la solitude des champs de coton, de Bernard-Marie Koltès Mise en scène :  Kristian Frédéric Avec :  Xavier Gallais, Ivan Morane Avec   l’aimable   participation   de :  Tchéky   Karyo, voix   et   chant Avec les voix de : Dominique Arnaud, Uliana Bazylska, Baratunde Ba Muhoya, Yacine   Benhachenhou, Léo   Berodiaux, Elisabeth Brulas, Maud Chautard, Baptiste Cerutti, Alessandra Domenici, Wenxin Dai, Fatim Doiuf, Loua Elashlimi, Maeleg Fouquet, Cilandra  Fraissard,  Jonathan  Guillouet, Tanya  Harczi, Kim eongwoon, Diane   Justin, Mohammad   Kalosh, Alexander Kirichenko, Marika   Kozlowska, Thomas   Landbo, Pablo Lechapelier, Hissein   Mahamoud, Marie-Chantal Manset, Alexandra Marcovici, Raquel Martin, Armin Messager, Pauline Migeon, Simon Mienandi, Gustavo Orso, Mayté Perea, Cyrielle Ponmat. Les fantômes de cette traversée : Alberto Giacometti, Cindy Sherma, Pierre Soulages, Christian Marie Dominique Liberté Boltanski, Grégory  Crewdson, Francis   Bacon, Arthur   Rimbaud, Jean Genet, Dante Alighieri, Hiram Abi, Francis Ford Coppola, David Cronenberg, Martin Scorsese, Steven Spielberg, Jean Bouise, Roger Planchon et les Eléphants D’Afrique.   Création Décor et Costumes  : Enki Bilal Création Lumière :  Yannick Anché Création Sonore et Musicale : Hervé Rigaud Assistante à la mise en scène :  Alessandra Domenici Assistant décor : Philippe Miesch Assistante aux costumes : Louise Snoek Traducteur Araméen : Père Youssef Chédid Régisseur lumière & Direction technique :  Yannick Anché Régisseur son & plateau : Etienne Bluteau . Du 9 au 11 mars 2023 à 20h Durée : 2h   MAC de Créteil Pl. Salvador Allende ​94000 Créteil Réservations : 01 45 13 19 19 mac@maccreteil.com   A retrouver : Théâtre de la Ville – Espace Cardin : du 14 au 29 mars 2023    Read More →
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Tom na fazenda (Tom à la ferme), texte de Marc Bouchard, mise en scène de Rodrigo Portella, au Théâtre Paris-Villette
  © Victor Novaes   fff article de Denis Sanglard Le loup et le lièvre. Tom dévasté par la mort de son compagnon se rend aux funérailles. C’est au plus profond de la campagne, dans une ferme isolée. La mère, ignore tout de ce fils aimé parti très tôt à la ville, ignore son homosexualité, puise dans les évangiles un sens à toute chose. En Tom elle ne voit qu’un ami qu’elle accueille dans le souvenir de son fils. Désespérée aussi de ne pas voir Sarah, la fiancée que Guillaume s’était inventé. Et il y a Francis, le frère, être fruste, viril et violent, qui brutalisant Tom, lui enjoint de se taire sur la relation exacte qu’ils entretenaient. Pour le bien de sa mère et l’honneur de la famille, le maintien de la tradition et de la terre, le mensonge s’installe. Une relation des plus ambigüe entre Francis et Tom s’enracine lentement, l’étau de violence psychologique et physique de Francis sur Tom et la révélation de la vérité mène à la tragédie. Parce qu’un un lièvre peut aussi devenir un loup. C’est une création aride, faite de boue, de chair, de sang, de sueur et de larmes. Sur ce plateau vide et boueux, s’affrontent deux hommes dans une relation charnelle, érotique, sadomasochiste, d’une violence et d’une sensualité enchaînées l’une à l’autre sans que rien ne puisse les défaire. Rodrigo Portella signe un huis-clos étouffant, incandescent, porté par quatre acteurs prodigieux. Les sentiments sont aussi âcres et rougeoyant que cette boue qui leur colle à la peau et les relie à la terre. Il y a, oui, quelque chose de tellurique et de primaire, dans sa brutalité nue et rêche où l’homme dans la haine sans compassion de l’autre et de la différence devient un animal, un loup pour le lièvre. L’homophobie dans sa monstruosité absolue explose ici dans toute sa barbarie. Francis torture Tom mais n’est-ce pas lui-même, dans la détestation de ce qu’il est, au nom des principes qu’il défend, qu’il broie ? Et Tom, qu’éprouve-t-il dans la soumission à ce traitement effroyable qui le voit malgré tout, un soir, demander à dormir avec Francis ? Lequel accepte et c’est un instant incongru et bouleversant de douceur… Etrange et perverse oscillation des sentiments que traduit chaque scène jouant de cette pendulation constante, bientôt affolée, maintenant le spectateur dans l’effroi de l’incertitude et de l’ignorance de ce qui peut advenir. Une scène magistrale et inattendue résume ça, cette danse, la cumbia si sensuelle qui voit ces deux-là s’enlacer et s’étreindre, où chaque caresse se mue bientôt en coups. Un corps à corps viril et sensuel comme une parade amoureuse et la promesse d’un acte sexuel et d’une jouissance qui se refuse où l’homme se cabre devant sa peur et ses contradictions. Et frappe. C’est d’une âpre beauté sans apprêt et, oui, c’est à pleurer. Cette tragédie est portée par l’interprétation incandescente d’Armando Babaioff et Gustavo Rodrigues qui transcendent chacun leur personnage et leur offre une vérité troublante, insondable, autant d’humanité blessée que de féroce bestialité. Démontrant que tout ça, par contamination, peut être dangereusement réversible. Quand le lièvre devient loup… Et d’avoir contextualisé et crée cette pièce au Brésil, pendant la mandature de Bolsonaro, pays qui détient le records de meurtres homophobes, où le patriarcat, la propriété et la religion excusent et autorisent en toute impunité toutes exactions envers les minorités ne donne que plus de poids à cette création qui nous cingle salement.   © Victor Novaes     Tom na Fazenda (tom à la ferme), de Michel Marc Bouchard Traduction : Armando Babaioff Mise en scène : Rodrigo Portella Avec Armando Babaioff, Soraya Ravenle, Gustavo Rodrigues, Camilla Nhary Scénographie : Aurora dos Campos Lumières : Tomás Ribas Costumes : Bruno Perlatto Musique : Marcello H Chorégraphie : Toni Rodrigues   Du 9 au 31 mars à 20h Le vendredi à 19h, le dimanche à 15h30 Relâche le lundi   Théâtre Paris-Villette 211 avenue Jean Jaurès 75019 Paris   Réservations : 01 40 03 72 23  Read More →
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D’où venons-nous, où allons-nous, doit on prévoir des sandwichs ? Ecriture, mise en scène et interprétation de Luce Gaston, à la Nouvelle-Seine
      © Monsieur Gac fff article de Denis Sanglard D’où venons-nous, où allons-nous, doit on prévoir des sandwichs ? Question existentielle à laquelle Luce Gaston, retenez bien ce nom, tente de répondre. En fait non, elle répond… sauf sans doute pour les sandwichs. Mais qu’importe, Luce Gaston dresse un portrait au vitriol de la domination masculine, car si la femme est l’avenir de l’homme, c’est franchement râpé. Reprenons, cette création parle d’amour donc de sexe donc de politique. C’est un fait historique, tout ça est lié, collé-serré, l’un n’allant pas sans l’autre. Et côté Histoire Luce Gaston, qui en connaît un rayon et en peut en remontrer à certains, remonte aux origines ; de Neandertal à Sapiens, rien vraiment n’a changé. Les droits de l’homme ne concernent que les hommes, l’autre moitié de l’humanité, les femmes, n’existent pas. Ou, à la limite et au choix, maman ou putain. Et ce n’est pas Simone de Beauvoir qui nous dira le contraire, citée ici comme caution du sérieux de la chose. Et des citations, il y en a, de Sénèque à Ronsard, de Richelieu à Freud. La liste est longue des affirmations péremptoires de ceux qui de la femme ont une piètre opinion, jugement définitif et ravageur, pour des siècles et des siècles de domination. Rien que de très normal, « c’est dans l’air du temps ». Bref, Luce Gaston refait allégrement l’historique de la condition féminine, rappelant que chaque chose acquise de haute lutte reste fragile, soumis au moindre changement de régime. Simone encore… Et aujourd’hui, au regard du passé ? aujourd’hui, pas mieux. Et si #meetoo rabat les cartes, rien encore n’est acquis… Et le désir, et l’amour dans tout ça ? voilà le nerf de la guerre et le cœur battant de ce seul en scène que Luce Gaston mène au pas de charge avec un humour ravageur et une énergie qui jamais ne faille. Un regard aigu et lucide sur les relations hommes-femmes à l’heure des addictions au porno, des speed-dating et des sites de rencontres qui voit apparaître au bout de trois textos la photo de son sexe pour amorce et signature, du male gaze, des féminicides… paradoxe et absurdité d’une société de consommation caractérisée par le manque et la désillusion.  Manque d’amour et de compassion, solitude. Alors entre les rappels historiques, philosophiques aussi, Luce Gaston glisse sketchs acides et faux jingles, mâtiné d’un habillage sonore irrésistible, pour « un état des lieux de l’amour en milieux hostile ». Ecriture fine et ciselée, plume corrosive trempée dans l’acide, teintée parfois de poésie, au service d’un regard écorché par tant de violence envers son sexe, et d’une grande acuité sur notre société contemporaine, une causticité ne cédant jamais à la facilité, encore moins à la vulgarité. Spectacle féministe, interrogation subtile et grinçante sur ce qu’est être femme aujourd’hui, certes, mais pas que. Car il est question aussi d’homosexualité, de genre, de toutes les victimes d’un patriarcat rance et triomphant turlupiné par la chose qu’on voudrait ne pas voir et qu’on exploite dûment. Alors oui, on rit beaucoup, aux éclats, de tant de vérités assénés avec autant d’intelligence, de style que de talent. On rit, mais des claques on en prend aussi, salement. Et sans être masochiste, ça fait un bien fou. Alors, doit-on prévoir les sandwichs ? Et pour ceux qui n’auraient pas eu le bonheur de découvrir cette création, Luce Gaston officie de temps à autre au cabaret Le Secret, invité régulière, voire sociétaire, de monsieur K. Occasion de rencontrer ce bel oiseau rare à l’univers à nul autre pareil, aussi explosif que raffiné où le rire le dispute à l’émotion.   © Monsieur Gac     D’où venons-nous, où allons-nous, doit on prévoir des sandwichs ? Ecriture, mise en scène et interprétation, Luce Gaston Dramaturgie et direction d’actrice : Xavier Legat Musique : Julie Gasnier et Katel Show-case vu le 7 mars 2023 à La Nouvelle-Seine, 3 quai de Montebello, 75005 Paris  Read More →
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ADN, de Denis Kelly, mise en scène de Marie Mahé, au Théâtre de la Tempête / Cartoucherie
    © Ema Martins   ƒƒƒ  article de Hoël Le Corre   Cela pourrait être un jeu, entre des bourreaux rigolards et un bouc-émissaire consentant. Cela pourrait   presque mettre en valeur cet adolescent à part, capable de montrer un courage admirable, s’il n’était pas aussi périlleux. Mais on comprend tout de suite qu’Adam représente la cible facile, pour ce groupe d’adolescents pris dans le tourbillon de l’inconscience et du harcèlement. Et, dès les premières minutes, la tension s’installe: le « jeu » mortifère a déjà dérapé, Adam en est la victime. Et pour les trois autres personnages présents, Léa, John et Cathy, il s’agit alors de se mettre d’accord sur la version des faits… C’était sans compter sur Phil   (interprété par un Maxime Boutéraon aussi glaçant que  charismatique…) , garçon taiseux, mystérieux et dont la domination s’étend sur tous ses camardes, qui prétend les «sortir de la merde » en inventant une histoire d’enlèvement qui les dédouane. Commence alors une tension qui ne nous lâchera plus jusqu’à la fin de la pièce. Le   mécanisme de la dissimulation se met en marche et les personnages se retrouvent en proie à la panique, la culpabilité. Entre sang-froid et mauvaise conscience, entre acceptation et rébellion, nos protagonistes dessinent l’éventail des réactions face au pire, face à une mort dont ils sont responsables. Comment dès lors, assumer et sauver son humanité ? Peut-on   en   sortir   indemne     ? Quelle détermination   peut-on garder face à la force du groupe, quand ce groupe va à l’encontre de ses convictions? Marie Mahé a su adapter ADN pour passer de 11 à 5 personnages et elle réussit à s’emparer de la langue lapidaire et fulgurante de Denis Kelly, en évitant   le   piège   de   la   psychologie,   mais   demandant   plutôt   à   ses comédien.ne.s de faire fuser les mots, pour rendre compte de la violence des décisions, de l’urgence de la situation. C’est diablement efficace et on est tenu en haleine, suspendus aux lèvres de chacun.e d’entre elleux, car à tout moment, la situation est susceptible de basculer. A moins que la peur, la soumission au pouvoir de l’un d’entre eux ne permette jamais à l’engrenage fatal de s’arrêter.  Ici, pas de fioritures de mise en scène, les mots et les réactions corporelles des comédien.ne.s ont toute la place de se déployer dans cet espace vide, occupé   seulement   par   un   banc.   Les   autres   endroits   sont   suggérés suffisamment puissamment pour que le décor quotidien de ce groupe « d’amis » devienne concret. La référence au sang sur les mains et au rouge de la violence renforce le propos de la pièce sans illustrer outre mesure. Jusqu’au choix de la musique qui nous évoque l’intériorité des personnages face à la complexité de la situation. Bref, ce huis-clos passionne, captive et résonne malheureusement énormément   avec l’actualité…   © Ema Martins   ADN, de Denis Kelly, Mise en scène :  Marie Mahé Avec : Maxime Boutéraon, Léa Luce Busato, Marie Mahé, Tigran Mekhitarian en alternance avec Achille Reggiani Scénographie:  Marie Mahé, Isabelle Simon Costumes: Marie Mahé Lumière : Édith Biscaro Artiste-peintre : Ymanol Perset   Du 2 au 19 mars 2023 Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30 Durée : 1h15   Théâtre de la Tempête Cartoucherie Théâtre de la Tempête Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris   Réservations: 01 43 28 36 36 www.la-tempete.fr    Read More →
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Créanciers, d’August Strindberg, adaptation et mise en scène de Philippe Calvario au Théâtre de L’Epée de Bois – Cartoucherie   
  © Pascal Gély   ƒƒ  Article de Sylvie Boursier   Créance de sang, la ronde, le cinéma a amplement utilisé le motif de la triangulation amoureuse quand le passé est comptable jusqu’au centime près des débits et crédits de chacun. Dans Créanciers, deux hommes aiment   la   même   femme,  Tekla ; Gus   a   été   son   premier   mari,   son pygmalion ; Al le second a parachevé l’œuvre du premier en facilitant la reconnaissance sociale de sa muse. Mais l’épouse reprend sa liberté, divorce de Gus et n’entend pas se laisser enfermer dans la jalousie maladive  de son nouveau conjoint. Gus rongé par le ressentiment vient réclamer sa créance d’amour et va manipuler Al pour la recouvrer Duos alternés, unité   de   temps et de lieu, Philippe Calvario condense l’intrigue dans un huit clos   hitchcockien, une partie de billard à 3 bandes avec une direction d’acteurs au cordeau. Ruptures, stratégies, rebondissements la scène prend des allures d’échiquier fatal, les cartes du second mari étant pipées. Benjamin Baroche juché sur une chaise souffle le chaud le froid, malin comme un singe, persécuteur ou sauveur face à Al qui se décompose à petits feux. Le metteur en scène mise tout sur le jeu des comédiens, pari réussi ; lui-même touche juste dans le rôle ingrat de l’époux   masochiste, hormis   quelques   gémissements inutiles de la première scène.   Tekla apparait dans le second duo, Julie Debazac déboule littéralement, hollywoodienne Grace Kelly de  Fenêtre sur cour, active, vivante, pleine d’humour et d’initiatives quand son mari est paralysé par le doute. Elle assume ses désirs amoureux et artistiques, veut tout et ne lâche rien. « J’ai besoin d’une femme qui irait n’importe où et ferait n’importe quoi » disait Jeff le héros d’Hitchcock dans son fauteuil roulant. Vaste tache ! Comme dans le triangle de Karpman, chacun occupe tour à tour la place de sauveur, victime ou bourreau et se retrouve aux portes de la folie. Ces hommes aiment les femmes d’un amour névrotique, fusionnel ; quand elles s’affranchissent du statut de femme-objet auquel ils voudraient les renvoyer,  ils  les  considèrent  comme ingrates  et se vautrent  dans  un machisme   cache   misère   de   leurs   fragilités   narcissiques,   grandeur   et misère de la dépossession ! La leçon de Strindberg ne laisse aucun espoir,Philippe Calvario montre l’avènement de cette pulsion de mort théorisée par Freud et nous offre une soirée en enfer pavé de duos comiques. La boule de billard prend son élan chez Hitchcock et percute sa cible chez Strindberg, regardez les hommes tomber à l’Epée de Bois ! ​ © Pascal Gély   Créanciers d’August Strindberg Adaptation et mise en scène : Philippe Calvario Lumières : Bertrand Couderc Costumes : Coline Ploquin Son : Eric neveux   Durée du spectacle : 1h 30   Du 02 au 19 mars 2023 du jeudi au samedi à 19h, samedi et dimanche à 14h30   Théâtre de l’Epée de Bois Cartoucherie route du champ de manœuvre 75012 Paris   Réservation : 01 48 08 39 72 wwwepeedebois.com   Les Créanciers d’August Strindberg, éditions L’Avant-Scène, juin 2018.    Read More →
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Behind the light, mise en scène de Cristina Morganti et Gloria Paris, au Théâtre de la Ville / Les Abbesses
      © Antonella Carrara   ff article de Denis Sanglard   Ça commence par une grosse colère où Cristiana Morganti exaspérée se lâche, exprime un ras-le-bol inattendu, avant de repartir en coulisse… et de revenir tout sourire, tout ça n’était qu’un joke, dit-elle. Journal intime de son confinement pendant la COVID, Behind the light est un joyeux pêle-mêle, un heureux puzzle, celui d’une danseuse soudainement désœuvrée, bientôt et vite en crise, dont les projets s’annulent les uns après les autres, à quoi s’ajoute une vie intime soudain bousculée par la pandémie et sombrant dans le chaos. Comment avec tout ça qui s’accumule et semble ne plus avoir de fin, trouver la lumière ? Après lecture rapide de son journal intime exposant les faits, inventaire des emmerdes en escadrille accumulées pendant la pandémie, la suite voit Cristiana Morganti tout essayer pour continuer à avancer malgré-tout, faire un bilan, poursuivre ses projets, en commençant par perdre ses 8 kilos en trop. Entre yoga, développement personnel, cris de rage dans la campagne, conversation par vidéo, consultation de tuto pour training et zumba endiablée, Cristiana Morganti se confie, se livre sans pudeur, avec cette autodérision, cet humour franc qui la caractérise. Et danse, danse sans rien cacher des difficultés liés à son âge, de ses fragilités mises à nu par cette pandémie. Arthrose et douleur continue. Doute aussi devant un avenir incertain, compromis par le confinement. On remonte également le temps, la COVID était propice à l’exercice, dans une séquence opératique ou Cristina Morganti, apprenti danseuse, fatiguée et le mollet douloureux, désirant se soustraire à son enseignement se fait morigéner par son professeur. Courte séquence réitérée mais qui en dit long sur la discipline indispensable d’un art exigeant qui vous dévore et vous constitue. Tout ici est prétexte à danser, exprimer les hauts et les bas d’une danseuse à la peine, quelque peu déroutée. Danser sur un air baroque ou même au son d’un sèche-cheveux, séquence quelque peu surréaliste, la danse de Cristiana Morganti est ici un plus qu’exutoire, l’expression de toute une vie, et d’un moment singulier, y puisant là sa source pour trouver justement les ressources et la lumière quand celle-ci fait défaut. Une danse merveilleusement déliée, comme toujours et fortement expressive, ponctuée de commentaires aussi caustiques que sarcastiques, autodérision affirmée, exprimant une vérité intime. Avec ça, un sens de l’image formidable et de la formule définitive. Et Pina Bausch ? la question revient, inévitable, qu’elle anticipe, coutumière de l’exercice comme obligé. Mais comme on secoue ses cheveux, geste pinabauschien par excellence, Cristiana Morganti en est désormais libérée, et dans son passé de danseuse du Tanztheater, lien irréfragable, a trouvé là désormais, et au final, une formidable liberté plus qu’un carcan. Séquence hilarante qui la voit détailler toute la caractéristique de la danse de Pina Baush, de la matrice des mouvements de bras au soutien-gorge, du micro avec fil à la cigarette, des robes fluides et des haut-talons, à la musique, tant singuliers qu’il lui serait impossible aujourd’hui, exprime-t-elle, de danser sans être marqué au fer rouge quoiqu’elle fasse et malgré elle par cet héritage. A moins de faire tout le contraire mais là aussi, certains y chercheront toujours des réminiscences… Preuve est faite ici et de manière éclatante qu’il n’en est rien. Si on reconnait une certaine façon de faire, de se mouvoir, d’aborder le plateau, cela n’appartient désormais qu’à Cristiana Morganti qui, jetant dans les coulisses ses escarpins, se permet même certains clins d’œil, comme un hommage à Pina Bausch ou une adresse complice au public, dans l’esquisse d’un geste emprunté au Sacre du printemps inoubliable, où le léger mouvement de la main d’une danse serpentine entêtante à nulle autre pareille.   © Ilaria Constanzo   Behind the light, mise en scène de Cristina Morganti et Gloria Paris Lumière : Laurent P. Berger Vidéo : Connie Prantera Assistante répétition : Elena Copelli Régie son & vidéo : Alessandro Di Fraia Régie lumière : Matteo Mattioli Chorégraphie, dramaturgie et interprétation : Cristiana Morganti   Du 6 au 11 mars 2023 à 20h   Théâtre des Abbesses 31 rue des Abbesses 75018 Paris   Réservations : O1 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com   Une journée avec Cristiana Morganti Samedi 11 mars, Les Abbesses 11h atelier pour tous 14h rencontre 16h concert pour Pina, Lajos Sarkozy Jr et son orchestre tzigane 17h45 cycle de films  Read More →
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On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo et Franca Rame, mise en scène de Bernard Levy, au Théâtre de la Tempête
    © Pascale Cholette   fff article de Denis Sanglard La faim justifiant les moyens, nécessité faisant loi, Antonia, comme toutes les ménagères du quartier, devant la flambée des prix injustifiée décide de ne rien payer, de rafler ce qu’elle peut sans passer par la caisse du supermarché. Pâté de luxe pour chien ou millet pour les oiseaux, têtes de lapins congelés, qu’importe, aujourd’hui le cabas est plein, déborde. Mais où cacher le butin quand les gendarmes engagent une course poursuite, perquisitionnent votre domicile ? Quand votre mari, ouvrier de gauche et probe, ne veut pas entendre parler de vol ? Dario Fo et Franca Rame signent un vaudeville, une satire politique jubilatoire où la farce énorme et le rire tonitruant dénoncent vertement la crise économique frappant en premier lieu le quart-monde. Ecrite en 1974 sur fond de luttes ouvrières, réécrite en 2008 lors de la crise des subprimes, cette pièce n’a rien perdue de son mordant et de sa férocité, de son acuité, plus actuelle que jamais. Une mécanique comique implacable poussée au paroxysme, jusqu’à l’absurde et d’une inventivité folle qu’une écriture brillante et au cordeau exhausse davantage encore. Schéma classique : un mensonge en entraînant un autre, bientôt tout s’enraye et déraille jusqu’à la folie, l’irrationnel en toute logique. Les portes tremblent et les répliques claquent pour un propos politique brûlant, résolument engagé, à gauche toute. Ce n’est pas la lutte finale mais cela y ressemble et tant pis si les lendemains déchantent, en attendant le grand soir c’est le temps de la débrouille à l’heure du dîner. Derrière le rire franc, libératoire, exutoire, c’est une humanité en souffrance, victime d’un patronat cynique, du capitalisme triomphant et de politiques volontairement aveugles qui est dénoncé au vitriol. Dario Fo et Franca Rame signent un brûlot militant où la comédie aussi énorme soit elle ne cache nullement une critique virulente de notre société de consommation et des rapports de classe où les perdants sont toujours les ouvriers, les petits et les obscurs.  Rien de dire que ça nous pète joyeusement à la gueule ! Avec ça, un féminisme volontiers affiché où les femmes ici ont le beau rôle devant des hommes dépassés par les évènements et par celles-là même qui ont engagées la lutte à leur corps défendant (et ce n’est là pas une métaphore…). Ici, la ménagère est l’avenir de l’homme, c’est certain. Parce que la faiblesse et l’ignorance des maris, elles savent. C’est jouissif, oui et Bernard Levy trouve le ton absolument juste et insuffle un rythme d’enfer qui jamais ne faiblit. Mise en scène explosive qui ne craint pas le burlesque, en fait un superbe atout, mais qui jamais ne déborde du cadre stricte de la pièce et de son écriture. C’est fichtrement inventif, toujours, sur une crête fragile quand au ressort comique mais qui jamais ne tombe dans l’outrance absolue. Oui c’est gros, c’est énorme parfois mais ça passe crème, respectant toujours au plus près les situations insensées qui s’emballent crescendo dans une mécanique irrésistible, infernale et ne perdant pour autant pas de vue son sujet ô combien sensible. On rit sans barguigner mais sans rien perdre de la virulence, de l’actualité du propos.  Et dans ce décor de guingois, à l’image de la vie de ses personnages, les acteurs, le corps fébrile en avant, lequel a son importance ici, sont au diapason, qui de leur partition originale font un feu d’artifice où crépitent, fusent et font mouche les répliques à se tordre. Et avec ça humains, terriblement humains, miroirs tendus de notre impuissance et de nos utopies à la peine. Même la gendarmerie ici a du vague à l’âme, c’est dire. C’est cet équilibre réussi entre la satire et cette humanité désespérée, en révolte, mâtinée de poésie rude, il y en a oui, ce mouvement de pendule entre un réalisme social et la farce qui permet et excuse tout, qui donne à l’ensemble de cette création son prix unique, toute sa valeur ajoutée, en fait une diable de réussite et, en ces temps difficultueux de crise ouverte non larvée, le rend plus que nécessaire, voire indispensable.   © Pascale Cholette   On ne paie pas ! On ne paie pas !  Texte de Dario Fo et Franca Rame Traduction, adaptation : Toni Cecchinato, Nicole Colchat Mise en scène : Bernard Levy Avec : Flore Babled, Elie Chapus, Eddie Chignara, Grégoire Lagrange, Jean-Philippe Salério, Anne-Elodie Sorlin Collaboration artistique : Jean-Luc Vincent Scénographie : Damien Caille-Perret Lumières : Christian Pinaud Costumes : Claudia Jenatsch Son : Jean de Almeida Maquillage : Catherine Saint-Sever Accessoires : Roberta Chiarito Régie générale : Thierry Lacroix Construction décor : Atelier MC2 : Grenoble   Du 3 au 18 mars 2023 Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h   Théâtre de la Tempête Cartoucherie Route du champ de manœuvre 75012 Paris Réservations : 01 43 28 36 36 www.la-tempête.fr    Read More →
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Pic, du Surnatural Orchestra et Cirque Inextrémiste, Espace Cirque d’Antony Azimut
  © François Dehurtevent   ƒƒƒ article de Marta Plou Aller voir Pic pour y vivre l’esprit du Cirque avec un grand C, passer une soirée dans le terrain vague sous le chapiteau des saltimbanques, ceux qui vivent de leurs tours d’acrobatie mais surtout de communauté, de fantaisie, de joie franche, de musique, de confiance les yeux fermés et de bouts de ficelle. C’est là ce qui déborde si généreusement de la rencontre des deux collectifs que sont le Cirque Inextrémiste et le Surnatural Orchestra. Ce soir, tout commence par un grand trampoline à la renverse et un orchestre au son renversant ! Il y a là-dedans de la fanfare déambulante avec ses cuivres clinquants, sa grosse caisse et son imposant soubassophone mais en beaucoup plus foutraque et spiralé, et il y a du big band de jazz aux déstructurations contemporaines mais en moins « assis ». Les flûtes et le piccolo côtoient la famille des sax et des trombones au complet de leurs tessitures, auxquels s’ajoutent des claviers, guitares électriques, basse et batterie, tout cela juché sur une estrade et parfaitement orchestré, dans une musique qui a l’air de couler de source et de spontanéité mais dont les méandres fascinants n’en finissent pas de caresser nos oreilles, frapper les sens de fureurs stridentes, de dissonances superbes et de fréquences basses complexes. Cette musique s’étire comme plusieurs marées sur toute l’entrée du public, avouons que c’est un accueil grandiose. Grandiose, ou plutôt expressionniste ! Les musiciens vêtus et grimés en noir, blanc et quelques touches de rouge, debout, entassés et mus par des interactions et des déplacements le plus souvent indistincts, auraient pu sortir d’un tableau d’Otto Dix, la décadence en moins, entre ivresse, jovialité, chaos et profusion d’actions simultanées. Et voilà qu’une main se tend de sous le trampoline ! « – Y a-t-il quelqu’un pour m’aider à sortir de là ? oui, venez ! » Le décor était planté, voilà l’action. Agir car l’espoir est fait d’actes. Coopérer, oui, sans cesse, (dé)montrer la force de l’aide mutuelle en décomposant chaque action générale en une ribambelle de gestes singuliers qui se coordonnent. C’est beau comme un commencement. Car non seulement ils sont nombreux, mais ils le montrent et ils en jouent ! Les déplacements pour « tomber à pic », c’est-à-dire se trouver au bon endroit juste avant le moment où tout le monde s’en rend compte est un réel leitmotive de la pièce, que ce déplacement soit simple, périlleux, quotidien, acrobatique, drôle, absolument imperceptible ou massif, vital pour les partenaires ou d’une poésie gratuite. Ce qui est magique c’est qu’on s’y perd, à la manière, j’ose la comparaison, de spectacles de Meg Stuart. On s’y perd quant à ce qu’on voit, ce qu’on entend et ce qu’on ne voit pas, et on s’y perd en termes de repères (en cela le clown blanc créé par Delphine Dupin y est pour beaucoup). Car les actions ont lieu pour la beauté d’avoir été faites et non pour (en) dire quelque chose. Ni la musique, ni jamais personne n’est là pour illustrer. Il ne s’agit pas de faire un chant, un saut, une pirouette sur une corde mais on chante, on saute, on tourne et on joue, par bonne concordance, par hasard, par envie. Et dans tout ça, il n’y en a pas un qui a raison et qu’il s’agit de suivre. C’est l’aplanissement des il faut et on devrait. Ceux qui étaient tête en haut se retrouvent tête en bas et on tourne en rond, on ne va pas aller quelque part, d’ailleurs l’ailleurs est déjà ici. Il est assis sur une chaise en équilibre sur un pied et il y reste. Est-elle en train de voler ou de tomber ? Sont-ils en train de souffler pour jouer ou de jouer pour ne pas sombrer ? Peut-on supporter le bruit ? Et le silence ? Plonger du haut du chapiteau vers le trampoline pas encore placé ou voler d’un mât à l’autre ? Il y a eu des moments de cirque oui, avec acrobate soliste, mais ce furent presque les prétextes à tout le reste. Prétextes à être embarqué dans cette danse de la vie où on a toujours à faire avec quelques Autres. À la recherche de l’envol ? Certes, avec le grand trampoline, comme agrès et comme accessoire scénique omniprésent, l’aérien et la verticalité sous-tendent la pièce ; l’air devient palpable à force d’être traversé dans toutes les directions et si rempli de son. Il est si dense que jamais on n’aura vu avec autant d’intensité et d’étoiles dans les yeux le vol d’avions en papiers, magnifique scène méditative où, tous, nous sommes restés suspendus une bonne dizaine de minutes…   © François Dehurtevent     PIC du Surnatural Orchestra et Cirque Inextrémiste Mise en scène, conception scénographique : Yann Ecauvre (Inextrémiste) Coordination artistique / regard extérieur : Camille Secheppet et Delphine Dupin Adaptation chapiteau, conception gradins, scénographie cirque et direction technique : Nicolas Legendre Conception patience et assistant cordes : Hervé Banache Chef monteur et régie plateau : Bernard Molinier Création lumière : Jacques-Benoît Dardant et Anne Palomeres Création du dispositif sonore : Zak Cammoun, Rose Bruneau, Geoffrey Durcak et Manu Martin Costumes : Solenne Capmas   Avec : Surnatural Orchestra : Léa Ciechelski (flûtes, sax alto, chant), Clea Torales (flûte, sax alto), Basile Naudet (sax sopranino et alto), Jeannot Salvatori (sax baryton, chant), Guillaume Christophel (sax ténor, clarinette), Nicolas Stephan (sax ténor, chant), Fabrice Theuillon (sax baryton et alto), Pierre Millet et Antoine Berjeaut (trompette), Julien Rousseau (euphonium, trombone soprano), François Roche-Juarez (trombone, guitare, chant), Hanno Baumfelder (trombone), Bertrand Landhauser (trombone, claviers), Boris Boublil (claviers, guitare), Fabien Debellefontaine (sousaphone, flûte à bec), Ianik Tallet (batterie), Sven Clerx (percussions) Cirque Inextrémiste : Yann Ecauvre ou Delphine Dupin (acrobatie), Rémi Bezacier (trampoline), Viivi Rohia ou Julie Delhomme (corde), Fabrice Dominici (objets volants ultralégers, jonglage), Julien Favreuille et Hervé Banache (manipulation cordes)   Durée approximative 1h30   Tournée : Du 13 au 18 janvier 2023 Brest, Le Quartz Chapiteau dans le Complexe sportif de la Résistance – St Pierre Quilbignon 31 janvier, 1er et 2 février 2023 Quimper, Théâtre de Cornouaille – Scène nationale de Quimper, Festival Circonova Du 25 au 29 avril 2023 La Rochelle, La Coursive Du 1er au 4 juin 2023 Elbeuf, Cirque-Théâtre Du 13 au 16 juin 2023 Besançon, Les 2 Scènes        Read More →
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Le consentement, de Vanessa Springora, mise en scène de Sébastien Davis, avec Ludivine Sagnier, Théâtre de la Ville-Les Abbesses
  © Christophe Raynaud de Lage   f f article de Nicolas Brizault-Eyssette Le consentement est un livre de Vanessa Springora. Il raconte comment, à peine adolescente, elle a eu avec Gabriel Matzneff une relation indescriptible et terrible… Ce livre parle de ce dont il est très difficile de parler. La honte, la douleur, la peur… Le consentement est est un immense monologue, avec ici ou là des interventions de la mère, du père (toujours aussi violent et désagréable, même après le divorce des parents), de Cioran. La petite fille, la jeune adolescente raconte, montre qui elle est puis explique, met en plein jour la vérité, la souffrance. Le tout manque un peu de vitamines, l’impression que ces deux soirées « de plus », après celles de novembre 2022 à l’Espace Cardin, sont reprises sans trop de peps, juste pour montrer que oui, ce texte est bien, sans aucun doute, et que le spectacle devrait l’être aussi. On est emporté dès le début par la disparition de l’ado derrière ce voile blanc immense et tendu, en fond de scène, derrière lequel elle se dénude, reste figée, souffre. Très bon moment, repris une autre fois, puis une troisième, minimum comme si la bonne idée devenue circulaire revenait sans cesse. Pas de doute. Bon, pourquoi pas mais on sent une lenteur dans tout ça, comme s’il y avait un panneau au-dessus de la tête de Ludivine Sagnier où elle avait écrit, pour elle, « Allez, j’y retourne. Il faut aussi que je dise ça, que je parle de ça et n’oublie pas de répéter que… Encore, etc. » Cela ne nous attrape pas. Le jeu de la musique est une redondance aussi. Rien d’autre, pas le souffle coupé chez nous, de l’autre côté de la scène. Comme si nous étions face à un très bon spectacle qui avait mal vieilli avant même d’être sur scène. Dommage. La mère de cette gamine s’en fout ou alors ne se rend pas compte ou bien Matzneff est plus important. Il l’intimide ? Puis ce n’est que sa fille, peut-elle avoir raison ? Le père est toujours violent lorsqu’il passe, ou absent, le divorce n’arrange rien, donc comment lui parler de cela ? Cioran a aussi trouvé mille raisons pour tout expliquer à cette jeune fille qui devrait se rendre compte du talent immense de Matzneff. Devrait-elle apprécier cette chance d’être un jouet pour cet homme sachant mentir si bien ? Que les mensonges et la saleté existent ? Allez savoir ? Elle nous raconte tout, gesticulante, nous montre tout, brandit l’évidence. Celle du jeu de cet homme, dégueulasse, et celle de la non-importance qu’affichent les autres à ce qu’elle peut raconter, elle. Il faudra la justice, puis un livre, pour finir tout ça. Et une pièce de théâtre ? Allez savoir. Mais le jeu, ou bien la mise en scène de cette pièce ne paraissent pas à la hauteur. Le rythme n’est peut-être pas le meilleur. Lenteur et mollesse parfois, répétitions liées à ce que cette jeune fille a vécu ou bien mise en scène et jeu qui ne fonctionnent pas ? La fin est un mauvais sur-martelage. Un superbe éclat va nous laisser coi, c’est évident. Ah, il a un double, non un triple, on prend tout et on recommence avant d’éteindre les lumières pour faire comprendre que cette fois c’est vraiment terminé. Le trop, le rythme, les expressions faibles. On aime ou on aime pas. Le souffle n’est pas coupé.   © Christophe Raynaud de Lage   Le consentement, de Vanessa Springora Mise en scène de Sébastien Davis Avec Ludivine Sagnier Création musicale : Dan Lévy Scénographie : Alwyne de Dardel Lumières : Rémi Nicolas Collaboration Artistique : Cyril Cotinaut Chorégraphie : Dayana Brunoro Avec le musicien Pierre Belleville   Du 28 février au 1er mars, à 20 heures, (reprise) Durée 1 h 20   Le texte de Vanessa Springora a paru en 2020 aux Éditions Grasset   Théâtre de la Ville – Les Abbesses 31, Rue des Abbesses 75018 Paris, France      Read More →
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L’inondation, opéra de Francesco Filidei, livret et mise en scène de Joël Pommerat, à l’Opéra-Comique
  © DR S. Brion   fff article de Denis Sanglard Un couple sans enfant recueille une orpheline. L’adolescente prend bientôt une place inattendue entre ces deux-là qui bientôt se déchirent. L’homme, de plus en plus proche de la jeune fille, délaisse sa femme, impuissante devant cette situation qui l’exclue, brise son bonheur et l’entraîne vers le gouffre. La parole se raréfie, le silence s’installe, la femme s’enferme dans le mutisme, se construit un monde intérieur. Les eaux du fleuve montent, inondent l’appartement et la folie gagne lentement l’épouse. La tempête apaisée, la jeune fille disparaît. Trois mois plus tard, la femme tombe enceinte. La vie reprend, heureuse et déchirée de cauchemars. Une fille naît, le femme prise de fièvre sombre dans le délire et prend enfin la parole. La tragédie éclate. Commande de l’Opéra-Comique et fruit d’une collaboration étroite et fructueuse entre le compositeur Francesco Filidei et Joël Pommerat qui signe le livret et la mise en scène, L’inondation est une œuvre singulière d’une force et d’une beauté peu commune, un émerveillement. Un livret presque debussyste tant la parole est triviale, les conversations n’exprimant rien d’autre que la banalité d’un quotidien sans aspérité, troué de silence et bientôt menacé. Et c’est toute la force de cet opéra véritablement théâtral, atteignant ici un équilibre parfait entre les deux genres, puisqu’il demande en premier lieu aux chanteurs, privés de grands airs, une réelle exigence dramatique, un jeu d’une précision maniaque, d’une grande intériorité surtout, pour se confronter et se plier à cette exigence, ce « vide » dramaturgique en apparence qui leur interdit tout « expressionisme » prononcé propre trop souvent dans l’opéra, sans rien négliger d’une vraie musicalité. Et c’est là où la musique de Francesco Filidei prend sa source et son importance. C’est un véritable mascaret émotionnel vous emportant, qui s’engouffrant dans ces silences traduit la psyché intime de chaque personnage, leur complexité et fêlures, le climat de la situation dans ses circonvolutions jusque sa résolution tragique, et la présence de la nature environnante vite menaçante et comme constitutive des personnages et de l’action dont elle serait le reflet mouvant. Ainsi de l’importance des mouches ou des bruits provenant de l’appartement du dessus, des voisins sans histoires et de leurs enfants, comme un contrepoint à celui du rez-de-chaussée, du couple en crise. Contrepoints qu’accuse volontairement la scénographie, un immeuble de trois étages qui permet des actions simultanées, multipliant ainsi les points de vue, amplifiant comme par contraste le drame vécu et la tragédie à venir. L’ensemble d’une grande densité est intelligemment tressé, comme la montée du fleuve voit la montée de la folie pour ne faire plus qu’un seul motif. Il y a là, merveilleusement réussie, et c’est sans doute le centre de cet opéra, la création d’un climat, d’une atmosphère au cœur du sujet, sans doute le sujet lui-même. La partition cristallisant le trivial et ce qu’il révèle d’obscur, d’inconscient, qu’elle densifie, est ainsi soudée fermement à la mise en scène de Joël Pommerat, de fait indissociable et constitutive. Une mise en scène millimétrée, au cordeau, comme toujours avec Joël Pommerat, et dans le refus du spectaculaire pour un naturalisme volontairement sans éclat, jusque dans le fantastique, l’apparition fantomatique de la jeune fille, ramenée à de simples visions hallucinatoires. Gestes quotidiens, regards, inactivité, passage du temps (une des forces de cette création) … tout cependant prend sens jusque dans la réitération, la répétition des mouvements les plus anodins. Ce que met en scène avec clarté et épure Joël Pommerat, c’est un état de crise qui comme le fleuve, lentement, à bas-bruit envahit, emporte le personnage principal et le submerge. Il y a véritablement entre la musique et la mise en scène une symbiose absolue, fruit de cette collaboration unique, qui voit tout s’emboiter, de la fosse au plateau, et se répondre naturellement, ne faire qu’une seule et même entité, sans rien qui ne fasse défaut. Si ce ne sont pas tous les chanteurs de la création, à l’exception de Chloé Briot (la femme), de Enguerrand de Hys (le voisin) et Guillaume Terrail (Le narrateur, Le policier) qui participèrent aussi à l’élaboration de leur partition, comme faite sur mesure, cette reprise ne démérite toujours pas. Il faudrait les citer tous, citer leur abnégation pour une partition qui peut sans doute paraître ingrate, pas de morceaux de bravoure, des personnages sans envergure aucune, mais qui demande une forte présence, et un véritable engagement pour se fondre ainsi dans une partition et une mise en scène exigeantes et exigeant d’eux, outre leur musicalité, une simple et banale humanité. Leonhard Garms à la baguette dirige cette partition ardue avec sureté et aisance et l’Orchestre de chambre du Luxembourg bourdonne, bruisse, crisse, souffle, tempête, exprimant avec sensibilité toute la richesse et la force de cette partition faite de rupture, entre lyrisme âcre et atonalité sourde, dissonance et harmonie. L’ensemble est une grande réussite et osons le dire, un chef d’œuvre.   © DR S. Brion   L’inondation, opéra en deux actes de Francesco Filidei Livret de Joël Pommerat d’après la nouvelle éponyme d’Evgueni Zamiatine Direction musicale : Leonhard Garms Mise en scène : Joël Pommerat Reprise de la mise en scène : Valérie Nègre Décors et lumières : Eric Soyer Costumes, maquillage, perruques : Isabelle Deffin Vidéo : Renaud Rubiano Chef de chant : Thomas Palmer Assistante décors : Marie Hervé Stagiaire costumes : Margot Bonnafous Avec : Chloé Briot, Jean-Christophe Lanièce, Norma Nahoun, Pauline Huriet, Enguerrand de Hys, Victoire Brunel, Guilhem Terrail, Tomislav Lavoie Enfants : maîtrise Populaire de l’Opéra-Comique (Direction artistique : Sarah Koné) Ava Kavian de haro et Léon Prost (27/02 et 03/03), Sun Creola et Mani Ait Moussa (01/03 et 05/03) Figurants : Mickaël Halimi, Nicolas Ladjici, Tom le Pottier, Antoine Pelletier, Thomas Sagot Orchestre de chambre du Luxembourg   27 février, 1er et 3 mars à 20h et le 5 mars 2023 à 15h Durée 2 h sans entracte   Opéra-Comique 1 place Boieldieu 75002 Paris   Réservations : 01 70 23 01 31 opera-comique.com reservation@opera-comique.com      Read More →
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Happy Hype, par la collectif Ouinch Ouinch X Mulah, Au Carreau du Temple/Festival EveryBody
    © Julie Folly   fff article de Denis Sanglard Ils débarquent à la queue leu leu sur le dancefloor au son d’un DJ-set électrique d’enfer, mené de main de maîtresse par Mulah aux platines, et tout de suite, à peine sont-ils entrés en dansant qu’ils vous carbonisent déjà le parquet. Et le public spontanément, sans réfléchir, de frétiller des gambettes avant que de les accompagner fissa dans un emballement général infernal. Six énergumènes, dont on peine pour certains à déterminer le genre, qui déboulent, chapeaux multicolores enfoncés jusqu’aux yeux, lesquels dissimulés derrière des lunettes noires retro-futuriste, affublés d’une longue jupe noire en dentelle qu’ils retroussent bien vite avant que de s’en débarrasser pour n’être plus qu’en leggings ou shorts colorés. Voilà le collectif genevois Ouinch Ouinch, drôles de zigs non binaires qui mènent le sabbat sur fond de musiques issues des cultures afro, pop, rap et hip-hop, puisent aussi bien dans la danse traditionnelle qu’urbaine, du pur folklore au plus enragé krump, bourrée bretonne ou vogging et breaking dans un même élan carnavalesque et follement queer. Une fusion jubilatoire et explosive des styles chorégraphiques et musicaux jusqu’aux plus antagonistes en apparence qu’ils coagulent et réinventent avec un talent fou, une conviction chevillée au corps (qui n’est pas ici qu’une expression) et communicative. Un art bien malin du melting-pot et du zapping, de la rupture sèche, du filage incongru, pour un univers totalement décalé et merveilleusement déjanté qui les voit pour exemple reprendre la comptine Sur le pont d’Avignon revisitée Funky sans plus de façon, entre un lâcher de confettis et de sucettes.  Ainsi font-ils sauter ségrégation ou prévention en démontrant, avec éclat et humour ravageur, l’insolence de leur talent, que la danse toute catégorie confondue est avant tout affaire de plaisir pur et de plaisir avant tout partagé et sans distinction de sexe aucune. Chorégraphié comme une battle collective, le dispositif dit Hype Call, où chacun tour à tour appellent les encouragements des autres danseurs et du public, sans jamais lâcher pour autant le groupe, dans un beat démoniaque qui, ne les ménageant pas, les porte très vite à la transe. Une forte émulation et une énergie collective vertigineuse, bouillonnante, qui impressionnent parce qu’elle semble ne jamais pouvoir s’épuiser, se nourrissant du collectif même, voire de la réaction du public aspiré et littéralement emporté par ces korrigans facétieux venus de Suisse. Il y avait jusqu’alors la danse de Saint Guy, les possédés de Strasbourg de 1518, désormais c’est la Ouinch Ouinch attitude, contagion choréique des  plus heureuse.     Happy Hype, conception Marius Barthaux, Simon Crettol, Karine Dahouindji, Nicolas Fernando, Mulah, Mayorga Ramirez Co-création et performance : Elie Autun, Marius Barthaux, Collin Cabanis, Karine Dahouindji, Adél Juhász, Simon Peretti Musique live : Maud Hala Chami aka Muhla, avec les remix de Santo   Vu le 17 février 2023 dans le cadre du Festival Everybody, au Carreau du Temple.      Read More →
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Grand Reporterre #6, d’Aurélie Van Den Daele, Sidney Ali Mehelleb, Morgan Large et Hélène Servel au Théâtre du Point du Jour, Lyon
  © Bertrand Gaudillère   ƒƒ article de Victoria Fourel Morgan et Hélène sont journalistes. Elles enquêtent sur le terrain, sur nos terrains. Elles investiguent les fléaux qui polluent l’agriculture, au péril de leur sécurité. Elles sont mises face à leur pouvoir et à leur précarité, aussi. Des années à suivre un fil dangereux pour informer, pour dénoncer. Pour être justes. Cette nouvelle édition de GrandReporterre fait entrer le théâtre dans le lieu du journalisme d’investigation et inversement. La performance est déambulatoire et on ne s’installe pas tellement. Elle est pensée pour que l’on soit plongé d’abord dans l’un des deux sujets, puis dans l’autre. Les algues vertes en Bretagne d’une part, et l’exploitation de travailleurs étrangers dans le Sud de la France ensuite. Par des chiffres détaillés, de la vidéo et de l’audio extraits des recherches des journalistes, on expose, on rappe, on s’essouffle, on perd son calme, on tâche d’informer. Puis on trouve un point de convergence, on se rejoint et on se raconte. Tout cela est imaginé pour être éphémère et on est tout de suite séduit par l’aspect bricolé, créé sur le vif. Audio sur téléphone, textes lus, discussions presque informelles… On est dans la rapidité, dans l’effervescence de l’enquête. On peut aussi être touché par les espaces qui nous sont proposés, là aussi jamais trop installés et confortables pour rester, eux aussi éphémères. C’est une forme qui embarque le spectateur, mais qui a un aspect dangereux. A-t-on le temps de se laisser happer ? L’un ou l’autre des lieux sera-t-il plus marquant, aura-t-on le temps d’évoquer suffisamment les sujets ? Parfois, on a envie d’en savoir plus, d’en connaître plus sur les faits, sur les affaires. Parce qu’en tant que spectateur et potentiellement novice, on peut être totalement surpris par l’ampleur des dégâts, vouloir entrer plus loin dans le documentaire. Et c’est là que l’instant de théâtre à la fois très dense et engagé, avec beaucoup de sujets, mais aussi ludique et léger, peut nous perdre un peu. Et pourtant, on comprend dans la dernière partie qui rassemblent les sujets, les comédiens et les journalistes, que ce n’est pas tellement ça, dont parle la performance. Ce dont on parle, c’est la lutte, le commun. Ce que l’on partage de précarité d’un milieu à l’autre, ce qu’on partage d’engagement. Ce qu’on prend pour du courage, et qui n’est que de la conscience. Le sujet, c’est à quel point nos terres sont lieux de combat, ne serait-ce que pour les raconter. Ces créations à la frontière du journalisme, du théâtre, de la sociologie sont toujours des formes surprenantes. Parce qu’elles font entrer le spectateur dans un sujet en faisant un pas de côté, celui du beau. Et par la même occasion, donnent à voir ce que l’on voit rarement. Les femmes journalistes, là, juste à côté de nous, les menaces et les pressions, les parallèles entre l’art et l’info. Pour ça, c’est un exercice engagé et enthousiasmant.   © Bertrand Gaudillère     Grand Reporterre #6, d’Aurélie Van Den Daele, Sidney Ali Mehelleb, Morgan Large et Hélène Servel. Création lumière : Quentin Chambeaud Création son : Nicolas Lespagnol-Rizzi Collaboration artistique : Éric Massé Collaboration technique : Fabienne Gras et Thierry Pertière Avec aussi Lauryne Lopes de Pina   Jeudi 23 et vendredi 24 février 2023 à 20h Durée 1 h 30     Théâtre du Point du Jour 7 rue des Aqueducs 69005 LYON www.pointdujourtheatre.fr      Read More →
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Lucia di Lammermoor, de Gaetano Donizetti, mise en scène de Andrei Serban, Opéra national de Paris (Opéra Bastille)
  © Emilie Brouchon, Opéra national de Paris   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia   Il est difficile d’imaginer que la mise en scène d’Andrei Serban de Lucia di Lammermoor a déjà près de 30 ans et que ce soir de première du 18 février 2023, il s’agissait de la 62ème représentation (et 423ème toutes productions confondues depuis sa création à Paris en 1838 et son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris dans sa version française en 1889). On ne peut pas dire qu’elle ait vieilli. Le parti pris de situer l’action dans un espace qui s’apparente aussi bien à un lieu sportif que militaire ou carcéral, qui pourrait figurer une arène ou la cour d’un l’hôpital, dans une atmosphère principalement masculine oppressante, reste une bonne idée. En revanche, le déploiement de nombreux figurants acrobates s’exercant aux anneaux, barres parallèles et autres agrès dans plusieurs scènes et le placement de la partie masculine du Chœur en surplomb de la scène, tels des spectateurs au balcon d’un théâtre, ou des voyeurs bourgeois en observation ne convainc pas et surcharge l’espace déjà très occupé par les décors dont le gigantisme dispute à l’ingéniosité qui est encore tout à fait impressionnante. Les deux escaliers articulés qui se déplient en descendant comme les ponts d’un bateau sur scène, qui sont gravis telles des échelles sans fin, tout comme la structure du dernier Acte qui s’affaisse et devient un terrain également d’escalade ont inspiré une direction d’acteurs élaborée, pour ne pas dire périlleuse. Toutes les solistes qui s’y sont confrontées semblent s’en être bien sorties (de June Anderson qui a créé le rôle dans cette production à Pretty Yende qui l’a joué en 2016, en passant par Nathalie Dessay dix ans plus tôt). Brenda Rae ne fait pas exception. Elle a été triomphalement applaudie à de nombreuses reprises le soir de première et à juste titre. La soprane américaine ne chante certes pas Lucia pour la première fois (en l’occurrence depuis 2010 !), mais elle donne l’impression de l’avoir toujours chantée dans cette production, tant elle est à l’aise dans les différents défis d’équilibrismes imposés. Ses vocalises sont aussi cristallines et sonores sur la balançoire située à cour, que sur le banc à bascule à jardin ou à califourchon à (probablement) quatre mètres de hauteur au centre du plateau. On ne s’est étonnée que d’un suraigu étrange, un peu crié (Ah Edgardo avant Separarci omai conviene) à la fin du si beau duo des Adieux du Premier Acte, et inquiétée d’un glissement au sens propre dans le deuxième Acte, probablement dû à un léger dérapage sur l’une des feuilles répandues préalablement sur le plateau, provoquant une brève chute passant quasiment inaperçue tant son professionnalisme la fait se relever immédiatement avec agilité sans interrompre son chant. L’agilité physique vient donc s’ajouter à l’agilité vocale consubstantielle à ce rôle n’autorisant que des interprètes virtuoses. La difficulté de la partition de Donizetti pour le rôle-titre est connue. Elle est totalement dépassée par la maîtrise pleine de sensibilité de Brenda Rae. La gestuelle un peu mécanique dans le premier Acte prépare en fait la scène de la folie et n’empêche pas une sensualité morbide dans la botte de foin, au sein du superbe dialogue toujours attendu avec la flûte de l’Acte III succédant au fameux sextuor. La seconde belle surprise de la soirée fut la prestation de Mattia Olivieri dans le rôle d’Enrico Ashton qui domine incontestablement la distribution masculine. Même si les autres chanteurs ne déméritent pas, loin de là, le baryton s’impose avec une évidence déconcertante. Sa puissance vocale, la clarté de sa diction, la force de sa présence sur scène, aussi naturelle que séduisante se manifeste dès les premières notes de la première scène. Il fait donc des débuts éclatants à Paris où l’on attend avec impatience de le revoir. La présence du Chœur, qui n’est pas centrale dans Lucia di Lammermoor, n’est pas valorisée par la mise en scène imposant le statisme aux hommes, toujours alignés en hauteur, ce qui est peut-être la raison d’un petit décalage, fugace certes, dans la phrase « la pauvre se meurt », avec l’orchestre excellement dirigé par le jeune chef Aziz Shokhakimov. Quant à l’histoire de cet opéra en trois Actes, archétype du romantisme et du bel canto italien, considéré comme le chef d’œuvre du compositeur prolixe, elle reste d’une force bouleversante près de deux siècles après sa création, en 1835, à Naples. Elle a des ressorts incontestablement shakespeariens, mais qui regardent plus du côté d’Hamlet, que de Roméo et Juliette malgré l’importance de l’affrontement entre deux camps, deux familles, en raison de la présence centrale de l’exploration du thème de la folie, ici chez le personnage féminin. Le hasard fait d’ailleurs que Brenda Rae jouera Ophélie dans l’opéra d’Ambroise Thomas en avril, à Bastille de nouveau. Lucia amoureuse d’Edgardo di Ravenswood se voit imposer par son frère Enrico Ashton un mariage avec Arturo Bucklaw, à la fois pour des raisons de rivalité de familles avec le premier et de sauvetage financier potentiel grâce au second. Lucia qui s’est promise secrètement à Edgardo (l’échange des anneaux se transforme en celui d’une écharpe déchirée dans la présente mise en scène, dont ni la symbolique ni l’esthétique n’est des plus convaincantes) se voit sacrifiée (après avoir été faussement informée de l’infidélité de son amant) et tue son époux dans la chambre nuptiale (une tente qui s’affaisse), peu après qu’Edgardo, apparaissant quelques secondes après la signature du contrat de mariage, l’ait maudite. Donizetti a exploré la folie dans plusieurs autres de ses œuvres lyriques alors même que ce sujet sensible s’est heurté plusieurs fois à la censure. L’assassinat et la démence consécutive de Lucia (qui croit avoir épousé Edgardo avant de défaillir) ont été assimilées à de l’hystérie, telle que Freud et Charcot l’étudieront plusieurs décennies plus tard. De fait, la lecture psychanalytique qui a pu être proposée est fascinante, tant le propos aussi longtemps avant les travaux de Freud est signifiant, en particulier l’exposition du sang de l’époux versé à la suite de la pénétration du poignard (symbole évidemment phallique) et non celui de la défloration de l’épouse (comme relevé par Céline Sabiron dans le livret). Une telle subversive inversion de la part de l’auteur d’origine, à savoir l’écrivain écossais Walter Scott qui a publié La Fiancée de Lammermoor en 1819, et du compositeur et du librettiste qui s’en sont inspirés, ne cesse de captiver. Mais plus encore que la question de la folie, c’est celle de la négation du consentement qui devrait être aujourd’hui soulignée. Lucia sombre certes dans une phase de démence (et en meurt) après un acte d’une violence inouïe mais qui pourrait être aussi interprété comme un acte de légitime défense face à la propre violence qui lui a été imposée. D’ailleurs, la mise en scène d’Andrei Serban souligne tout au long de l’opéra la brutalité gestuelle de chacun à l’égard de Lucia, bousculée aussi bien par son amant que par son frère, par le chef des gardes et même par les femmes de chambre (lui enfilant son vêtement nuptial), jusqu’au viol. Il ne s’agit donc pas d’une femme rusée à la Dalila charmant Samson pour mieux l’assassiner, ou d’une séductrice à la Salomé orchestrant une stratégie pour assouvir sa vengeance, des assassinats commis avec préméditation, il s’agit d’une personnalité hypersensible dirait-on aujourd’hui, trahie et humiliée, sans autre échappatoire que la mort. Mais alors que les mythes ancestraux feraient attendre de la part de cette âme pure outragée, le sacrifice ou le suicide, un temps envisagé (dans la scène du pistolet sur la tempe avec son frère), elle commet un crime passionnel, qui a peut-être été qualifié d’acte de démence pour mieux recouvrir d’un manteau pudique, d’irresponsabilité, un acte évidemment inacceptable pour la société. Andrei Serban permet même d’aller plus loin en laissant envisager que son acte a été commis sous l’effet d’une substance illicite en suggérant qu’elle a été droguée (Normanno la force à boire une coupe après lui avoir mis ce qui semble être un comprimé dans la bouche), ce qui aurait provoqué de manière artificielle la crise de démence. On s’éloigne alors du romantisme d’une passion mortifère qui fait l’intensité de cet opéra, mais on gagne en réflexion sur le destin des héroïnes tragiques.   © Emilie Brouchon, Opéra national de Paris     Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti   Livret : Salvatore Cammarano d’après La Fiancée de Lammermoor de Walter Scott Direction musicale : Aziz Shokhakimov Mise en scène : Andrei Serban Décors et costumes : William Dudley Lumières : Guido Levi Cheffe des chœurs : Ching-Lien Wu Avec : Mattia Olivieri, Brenda Rae, Javier Camarena, Thomas Bettinger, Adam Palka, Julia Pasturaud, Éric Huchet   Durée 2h45 (dont un entracte de 30 minutes)   Lucia di Lammermoor Opéra national de Paris – Opéra Bastille Place de la Bastille, Paris 12ème   Jusqu’au 10 mars 2023, à 19h30   www.operadeparis.fr      Read More →
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