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Tom na fazenda (Tom à la ferme), texte de Marc Bouchard, mise en scène de Rodrigo Portella, au Théâtre Paris-Villette

Mar 13, 2023 | Commentaires fermés sur Tom na fazenda (Tom à la ferme), texte de Marc Bouchard, mise en scène de Rodrigo Portella, au Théâtre Paris-Villette

 

© Victor Novaes

 

fff article de Denis Sanglard

Le loup et le lièvre. Tom dévasté par la mort de son compagnon se rend aux funérailles. C’est au plus profond de la campagne, dans une ferme isolée. La mère, ignore tout de ce fils aimé parti très tôt à la ville, ignore son homosexualité, puise dans les évangiles un sens à toute chose. En Tom elle ne voit qu’un ami qu’elle accueille dans le souvenir de son fils. Désespérée aussi de ne pas voir Sarah, la fiancée que Guillaume s’était inventé. Et il y a Francis, le frère, être fruste, viril et violent, qui brutalisant Tom, lui enjoint de se taire sur la relation exacte qu’ils entretenaient. Pour le bien de sa mère et l’honneur de la famille, le maintien de la tradition et de la terre, le mensonge s’installe. Une relation des plus ambigüe entre Francis et Tom s’enracine lentement, l’étau de violence psychologique et physique de Francis sur Tom et la révélation de la vérité mène à la tragédie. Parce qu’un un lièvre peut aussi devenir un loup.

C’est une création aride, faite de boue, de chair, de sang, de sueur et de larmes. Sur ce plateau vide et boueux, s’affrontent deux hommes dans une relation charnelle, érotique, sadomasochiste, d’une violence et d’une sensualité enchaînées l’une à l’autre sans que rien ne puisse les défaire. Rodrigo Portella signe un huis-clos étouffant, incandescent, porté par quatre acteurs prodigieux. Les sentiments sont aussi âcres et rougeoyant que cette boue qui leur colle à la peau et les relie à la terre. Il y a, oui, quelque chose de tellurique et de primaire, dans sa brutalité nue et rêche où l’homme dans la haine sans compassion de l’autre et de la différence devient un animal, un loup pour le lièvre. L’homophobie dans sa monstruosité absolue explose ici dans toute sa barbarie. Francis torture Tom mais n’est-ce pas lui-même, dans la détestation de ce qu’il est, au nom des principes qu’il défend, qu’il broie ? Et Tom, qu’éprouve-t-il dans la soumission à ce traitement effroyable qui le voit malgré tout, un soir, demander à dormir avec Francis ? Lequel accepte et c’est un instant incongru et bouleversant de douceur… Etrange et perverse oscillation des sentiments que traduit chaque scène jouant de cette pendulation constante, bientôt affolée, maintenant le spectateur dans l’effroi de l’incertitude et de l’ignorance de ce qui peut advenir. Une scène magistrale et inattendue résume ça, cette danse, la cumbia si sensuelle qui voit ces deux-là s’enlacer et s’étreindre, où chaque caresse se mue bientôt en coups. Un corps à corps viril et sensuel comme une parade amoureuse et la promesse d’un acte sexuel et d’une jouissance qui se refuse où l’homme se cabre devant sa peur et ses contradictions. Et frappe. C’est d’une âpre beauté sans apprêt et, oui, c’est à pleurer. Cette tragédie est portée par l’interprétation incandescente d’Armando Babaioff et Gustavo Rodrigues qui transcendent chacun leur personnage et leur offre une vérité troublante, insondable, autant d’humanité blessée que de féroce bestialité. Démontrant que tout ça, par contamination, peut être dangereusement réversible. Quand le lièvre devient loup… Et d’avoir contextualisé et crée cette pièce au Brésil, pendant la mandature de Bolsonaro, pays qui détient le records de meurtres homophobes, où le patriarcat, la propriété et la religion excusent et autorisent en toute impunité toutes exactions envers les minorités ne donne que plus de poids à cette création qui nous cingle salement.

 

© Victor Novaes

 

 

Tom na Fazenda (tom à la ferme), de Michel Marc Bouchard

Traduction : Armando Babaioff

Mise en scène : Rodrigo Portella

Avec Armando Babaioff, Soraya Ravenle, Gustavo Rodrigues, Camilla Nhary

Scénographie : Aurora dos Campos

Lumières : Tomás Ribas

Costumes : Bruno Perlatto

Musique : Marcello H

Chorégraphie : Toni Rodrigues

 

Du 9 au 31 mars à 20h

Le vendredi à 19h, le dimanche à 15h30

Relâche le lundi

 

Théâtre Paris-Villette

211 avenue Jean Jaurès

75019 Paris

 

Réservations : 01 40 03 72 23

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