© Pascal Gély
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
Créance de sang, la ronde, le cinéma a amplement utilisé le motif de la triangulation amoureuse quand le passé est comptable jusqu’au centime près des débits et crédits de chacun. Dans Créanciers, deux hommes aiment la même femme, Tekla ; Gus a été son premier mari, son pygmalion ; Al le second a parachevé l’œuvre du premier en facilitant la reconnaissance sociale de sa muse. Mais l’épouse reprend sa liberté, divorce de Gus et n’entend pas se laisser enfermer dans la jalousie maladive de son nouveau conjoint. Gus rongé par le ressentiment vient réclamer sa créance d’amour et va manipuler Al pour la recouvrer
Duos alternés, unité de temps et de lieu, Philippe Calvario condense l’intrigue dans un huit clos hitchcockien, une partie de billard à 3 bandes avec une direction d’acteurs au cordeau. Ruptures, stratégies, rebondissements la scène prend des allures d’échiquier fatal, les cartes du second mari étant pipées. Benjamin Baroche juché sur une chaise souffle le chaud le froid, malin comme un singe, persécuteur ou sauveur face à Al qui se décompose à petits feux. Le metteur en scène mise tout sur le jeu des comédiens, pari réussi ; lui-même touche juste dans le rôle ingrat de l’époux masochiste, hormis quelques gémissements inutiles de la première scène. Tekla apparait dans le second duo, Julie Debazac déboule littéralement, hollywoodienne Grace Kelly de Fenêtre sur cour, active, vivante, pleine d’humour et d’initiatives quand son mari est paralysé par le doute. Elle assume ses désirs amoureux et artistiques, veut tout et ne lâche rien. « J’ai besoin d’une femme qui irait n’importe où et ferait n’importe quoi » disait Jeff le héros d’Hitchcock dans son fauteuil roulant. Vaste tache !
Comme dans le triangle de Karpman, chacun occupe tour à tour la place de sauveur, victime ou bourreau et se retrouve aux portes de la folie. Ces hommes aiment les femmes d’un amour névrotique, fusionnel ; quand elles s’affranchissent du statut de femme-objet auquel ils voudraient les renvoyer, ils les considèrent comme ingrates et se vautrent dans un machisme cache misère de leurs fragilités narcissiques, grandeur et misère de la dépossession ! La leçon de Strindberg ne laisse aucun espoir,Philippe Calvario montre l’avènement de cette pulsion de mort théorisée par Freud et nous offre une soirée en enfer pavé de duos comiques. La boule de billard prend son élan chez Hitchcock et percute sa cible chez Strindberg, regardez les hommes tomber à l’Epée de Bois !
© Pascal Gély
Créanciers d’August Strindberg
Adaptation et mise en scène : Philippe Calvario
Lumières : Bertrand Couderc
Costumes : Coline Ploquin
Son : Eric neveux
Durée du spectacle : 1h 30
Du 02 au 19 mars 2023
du jeudi au samedi à 19h, samedi et dimanche à 14h30
Théâtre de l’Epée de Bois
Cartoucherie
route du champ de manœuvre
75012 Paris
Réservation : 01 48 08 39 72
wwwepeedebois.com
Les Créanciers d’August Strindberg, éditions L’Avant-Scène, juin 2018.
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