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On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo et Franca Rame, mise en scène de Bernard Levy, au Théâtre de la Tempête

Mar 06, 2023 | Commentaires fermés sur On ne paie pas ! On ne paie pas ! de Dario Fo et Franca Rame, mise en scène de Bernard Levy, au Théâtre de la Tempête

 

 

© Pascale Cholette

 

fff article de Denis Sanglard

La faim justifiant les moyens, nécessité faisant loi, Antonia, comme toutes les ménagères du quartier, devant la flambée des prix injustifiée décide de ne rien payer, de rafler ce qu’elle peut sans passer par la caisse du supermarché. Pâté de luxe pour chien ou millet pour les oiseaux, têtes de lapins congelés, qu’importe, aujourd’hui le cabas est plein, déborde. Mais où cacher le butin quand les gendarmes engagent une course poursuite, perquisitionnent votre domicile ? Quand votre mari, ouvrier de gauche et probe, ne veut pas entendre parler de vol ? Dario Fo et Franca Rame signent un vaudeville, une satire politique jubilatoire où la farce énorme et le rire tonitruant dénoncent vertement la crise économique frappant en premier lieu le quart-monde. Ecrite en 1974 sur fond de luttes ouvrières, réécrite en 2008 lors de la crise des subprimes, cette pièce n’a rien perdue de son mordant et de sa férocité, de son acuité, plus actuelle que jamais. Une mécanique comique implacable poussée au paroxysme, jusqu’à l’absurde et d’une inventivité folle qu’une écriture brillante et au cordeau exhausse davantage encore. Schéma classique : un mensonge en entraînant un autre, bientôt tout s’enraye et déraille jusqu’à la folie, l’irrationnel en toute logique. Les portes tremblent et les répliques claquent pour un propos politique brûlant, résolument engagé, à gauche toute. Ce n’est pas la lutte finale mais cela y ressemble et tant pis si les lendemains déchantent, en attendant le grand soir c’est le temps de la débrouille à l’heure du dîner. Derrière le rire franc, libératoire, exutoire, c’est une humanité en souffrance, victime d’un patronat cynique, du capitalisme triomphant et de politiques volontairement aveugles qui est dénoncé au vitriol.

Dario Fo et Franca Rame signent un brûlot militant où la comédie aussi énorme soit elle ne cache nullement une critique virulente de notre société de consommation et des rapports de classe où les perdants sont toujours les ouvriers, les petits et les obscurs.  Rien de dire que ça nous pète joyeusement à la gueule ! Avec ça, un féminisme volontiers affiché où les femmes ici ont le beau rôle devant des hommes dépassés par les évènements et par celles-là même qui ont engagées la lutte à leur corps défendant (et ce n’est là pas une métaphore…). Ici, la ménagère est l’avenir de l’homme, c’est certain. Parce que la faiblesse et l’ignorance des maris, elles savent.

C’est jouissif, oui et Bernard Levy trouve le ton absolument juste et insuffle un rythme d’enfer qui jamais ne faiblit. Mise en scène explosive qui ne craint pas le burlesque, en fait un superbe atout, mais qui jamais ne déborde du cadre stricte de la pièce et de son écriture. C’est fichtrement inventif, toujours, sur une crête fragile quand au ressort comique mais qui jamais ne tombe dans l’outrance absolue. Oui c’est gros, c’est énorme parfois mais ça passe crème, respectant toujours au plus près les situations insensées qui s’emballent crescendo dans une mécanique irrésistible, infernale et ne perdant pour autant pas de vue son sujet ô combien sensible. On rit sans barguigner mais sans rien perdre de la virulence, de l’actualité du propos.  Et dans ce décor de guingois, à l’image de la vie de ses personnages, les acteurs, le corps fébrile en avant, lequel a son importance ici, sont au diapason, qui de leur partition originale font un feu d’artifice où crépitent, fusent et font mouche les répliques à se tordre. Et avec ça humains, terriblement humains, miroirs tendus de notre impuissance et de nos utopies à la peine. Même la gendarmerie ici a du vague à l’âme, c’est dire. C’est cet équilibre réussi entre la satire et cette humanité désespérée, en révolte, mâtinée de poésie rude, il y en a oui, ce mouvement de pendule entre un réalisme social et la farce qui permet et excuse tout, qui donne à l’ensemble de cette création son prix unique, toute sa valeur ajoutée, en fait une diable de réussite et, en ces temps difficultueux de crise ouverte non larvée, le rend plus que nécessaire, voire indispensable.

 

© Pascale Cholette

 

On ne paie pas ! On ne paie pas !  Texte de Dario Fo et Franca Rame

Traduction, adaptation : Toni Cecchinato, Nicole Colchat

Mise en scène : Bernard Levy

Avec : Flore Babled, Elie Chapus, Eddie Chignara, Grégoire Lagrange, Jean-Philippe Salério, Anne-Elodie Sorlin

Collaboration artistique : Jean-Luc Vincent

Scénographie : Damien Caille-Perret

Lumières : Christian Pinaud

Costumes : Claudia Jenatsch

Son : Jean de Almeida

Maquillage : Catherine Saint-Sever

Accessoires : Roberta Chiarito

Régie générale : Thierry Lacroix

Construction décor : Atelier MC2 : Grenoble

 

Du 3 au 18 mars 2023

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h

 

Théâtre de la Tempête

Cartoucherie

Route du champ de manœuvre

75012 Paris

Réservations : 01 43 28 36 36

www.la-tempête.fr

 

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