À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Des châteaux qui brûlent, d’après le roman d’Arnaud Bertina, adaptation et mise en scène d’Anne-Laure Liégeois, au Théâtre de la Tempête

Des châteaux qui brûlent, d’après le roman d’Arnaud Bertina, adaptation et mise en scène d’Anne-Laure Liégeois, au Théâtre de la Tempête

Avr 03, 2023 | Commentaires fermés sur Des châteaux qui brûlent, d’après le roman d’Arnaud Bertina, adaptation et mise en scène d’Anne-Laure Liégeois, au Théâtre de la Tempête

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

fff article de Denis Sanglard

« On ne fait pas de politique en passant au-dessus des gens. » Au fin fond du Finistère, à Châteaulin, dans un abattoir de poulets placé en liquidation judiciaire, explose la colère. Ouvrières et ouvriers séquestrent le secrétaire d’état à l’industrie. Cernés par les forces de l’ordre, l’état de siège et la lutte qui se refuse à être finale, s’organisent. On débat et c’est houleux. On s’engueule, on diverge, on s’entend, mais la solidarité n’est plus ici un vain mot et l’on apprend à se connaître, à se respecter. La parole circule et libère, chacun retrouve sa part d’humanité, espère en de nouveaux lendemains où les blessures et la misère changeraient de camps. Et en en attendant la catastrophe, la révolte devient fête, un baroud d’honneur avant la tragédie.

Des châteaux qui brûlent c’est d’abord un roman d’Arno Bertina paru en 2017, remarquablement adapté ici par Anne-Laure Liégeois pour une mise en scène, une oeuvre chorale non moins remarquable. Crispation sociale aigue, rupture des politiques avec le peuple que traduit un pouvoir devenu vertical et un refus du dialogue, un ultralibéralisme décomplexé et un patronat sans scrupule, un monde ouvrier broyé par une crise économique dont ils sont les victimes méprisées, une variable d’ajustement dans le jeu de la mondialisation. De ça, « Nous sommes innocents » dit l’une. Qu’importe, ils en paient le prix fort. Les gilets jaunes en furent la manifestation, aujourd’hui la loi sur les retraites réactivent les cendres encore rougeoyantes d’une colère qui embrase l’espace public. Des châteaux qui brûlent n’exprime rien moins que cette colère-là, ce désarroi, cette détresse et cette impuissance. Ils sont douze, pour une fresque d’un monde ouvrier qui soudain se découvre capable de prendre en main son destin, entre doutes et espoirs. Dans cette usine d’abattage, on peut y voir une métaphore, où la déshumanisation liée aux conditions de travail et de productions abrutit chacun, ces ouvrières et ouvriers expriment enfin, puisqu’ils ont pris la parole, le mal-être d’une existence que le politique et le patronat ignore sciemment. Chacun dans sa diversité est le visage d’une souffrance au travail, d’une souffrance existentielle, l’une n’allant pas sans l’autre, qui éclatent dans l’urgence de cet état-de-siège improvisé. Anne-Laure Liégeois, c’est la force de son adaptation et du roman, donne à toutes et tous une bouleversante humanité, sans jamais de manichéisme. C’est dans la confrontation avec l’autre qu’ils se révèlent, avec leur force et fragilité, leur contradiction. Ces « sans-dents » ou ces « illettrés » puisent soudain dans ce collectif qui se structure peu ou prou, une force de vie et de combat qui leur rend leur dignité et leur fierté. C’est tout ça qui est brassé ici, sans pathos aucun. Avec cette question incongrue et formidable à la fois, la révolution peut-elle passer par la fête, qui ne soit pas une défaite ? Elle aura bien lieu cette fête, scène surréaliste (et réussie) d’une kermesse, avant la curée et le drame.

Entre prise de parole individuelle, au public adressé, et scènes de groupes, circule une conviction et une énergie qui vous poignent rudement, ouvrent de même à la réflexion. On ne peut rester indifférent à ce qui se dit et se partage sur le plateau, dans un sentiment d’urgence, où la contradiction fait dialogue et non confrontation. Même avec Montville, le secrétaire d’état séquestré, bientôt sacrifié par le politique, au final bouc émissaire des deux parties. Anne-Laure liégeois va droit à l’essentiel dans une mise en scène rigoureuse, épurée, fluide et dynamique, une ligne claire et sans heurt où la parole, et les corps, circulent en continue sans que jamais nous ne perdions le fil de ce qui exprimé là et mis en jeu. Avec ça une langue singulière, celle d’Arno Bertina, travaillée à l’os, se refusant sciemment, intelligemment à toute imitation de ce que pourrait être la langue supposée d’un ouvrier, qui participe sans conteste à la dignité et à la valeur de ces personnages. Sans nullement sacrifier la pertinence et la justesse de son propos, lui offrant au contraire plus d’acuité. Langue que s’approprient avec intelligence les comédiennes et comédiens qui offrent à leur personnage une vérité sans fard, sans triche, une humanité non ébarbée. C’est aussi à ça que l’on reconnaît la réussite d’une création, car c’est une réussite sans conteste, de savoir fédérer autour d’un projet une troupe talentueuse, unie dans un même élan à défendre une œuvre polémique, polémique parce prémonitoire et ancrée dans une réalité sociale et politique qui la rattrape. C’est du théâtre dans son essence première, celui des affaires de la citée, engagé, fort bien foutu qui plus est, et en ces temps quelques peu difficiles il est bien, il est nécessaire de nous remettre les pendules à l’heure, et qu’importe nos idées, de ne pas regarder ailleurs quand les châteaux brûlent avec raison.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

Des châteaux qui brûlent d’après le roman d’Arno Bertina

Adaptation et mise en scène d’Anne-Laure Liégeois

Avec la collaboration d’Arno Bertina

Avec Alvie Bitemo, Sandy Boizard, Olivier Dutilloy, Anne Girouard, Fabien Joubert, Mélisende Marchand, Marie-Christine Orry, Charles-Antoine Sanchez, Agnès Sourdillon, Assane Timbo, Olivier Werner, Laure Woolf

Scénographie : Aurélie Thomas, Anne-Laure Liégeois

Lumières : Guillaume Tesson

Création sonore : François Leymarie

Costumes : Séverine Thiebault

Vidéos : Grégory Hiétin

Régie générale : François Tarot

Régie plateau : Alexandrine Rollin, François tarot,

Construction décor : atelier de la Comédie de Saint-Etienne

Régie : Laurent Cupif, Wilhelm Garcia-Messant

 

Du 1er au 23 avril 2023 à 20h

Dimanche 16h

 

Théâtre de la Tempête

Cartoucherie

Route du champs-de-manœuvre

75012 Paris

 

Réservations : 01 43 28 36 36

www.la-tempete.fr

 

Be Sociable, Share!

comment closed