À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Dom Juan ou le festin de pierre, de Molière, Mise en scène de David Bobée, à La Villette

Dom Juan ou le festin de pierre, de Molière, Mise en scène de David Bobée, à La Villette

Mar 31, 2023 | Commentaires fermés sur Dom Juan ou le festin de pierre, de Molière, Mise en scène de David Bobée, à La Villette

 

 

© Arnaud Bertereau

 

fff article de Denis Sanglard

L’enfer, ce n’est pas ce qui attend ce Dom Juan-là, l’enfer c’est ce qu’il fait subir aux autres. Le ciel est vide et sans présage, les dieux sont morts, la civilisation et la pensée ne sont plus que ruine, déboulonnées comme ses statuts émasculées, renversées, gisantes sur le plateau. Vision noire, radicale et âcre que celle de David Bobbée, Dom Juan cristallise ici le mal de notre début de siècle, cette gangrène qui ronge encore aujourd’hui les sociétés et fragilise nos démocraties en souffrance, patriarcat rance, perte de sens, et tentation du totalitarisme. Dom Juan ici n’est qu’une sale ordure, un parfait salaud, qui jouit sans entrave mais sans plaisir, jouit de son pouvoir de domination, de sa classe, de son sexe. Séducteur compulsif, et qu’importe ici le genre, c’est un libertin cynique d’une froide brutalité, un prédateur. Mais dans un monde désormais sans dieu et sans plus de vertu, à l’heure de #metoo ce libertinage n’est qu’une masculinité toxique. Dom Juan n’a pas d’autre morale que la sienne qui n’est que béance idéologique signant bientôt sa perte. Pétrifié en sa pensée, « profiter de la faiblesse des hommes et s’accommoder des vices de son siècle », descendu salement de son piédestal par celle qui fut par lui violée, pas d’autre mot ici, abattu froidement par Charlotte donc, il rejoindra le Commandeur dans ce cimetière de pierres et poussière, ce champs de ruine des idéaux totalitaires, ségrégationnistes et masculinistes. Mise en scène spectaculaire, comme toujours un sens de l’image percutant, et distribution inclusive dirigée au cordeau, David Bobbée reste fidèle au texte qu’il interroge à l’aune de ses préoccupations humanistes et détestations contemporaines. Lecture contextualisée et critique, voire franchement politique, d’une œuvre complexe non pas tant pour « déboulonner » le répertoire comme il l’affirme avec sincérité, même symboliquement, que finalement voir en quoi il nous interroge encore aujourd’hui. C’est d’ailleurs en ce sens qu’en préambule, dans le monologue du tabac, où le mot théâtre se substitue au mot tabac, la question est posé de savoir s’il est poison ou un remède pour l’âme…

David Bobbée respecte le texte mais prend comme à son habitude et en toute logique quelques heureuses libertés pour affirmer son propos. Il ose avec un sacré culot supprimer le personnage de Mathurine pour le remplacer par Pierrot. Ainsi Dom Juan séduit-il dans un même élan les deux promis, Pierrot et Charlotte ( Jin Xuan Mao et Xiao Yi Liu), leur offrant à l’un et à l’autre le mariage. Scène de séduction cocasse mais d’une grande noirceur dans le fond où Dom Juan fait feu de tout bois et de genre en matière de sexualité. Et d’un mépris absolu non de leur condition, quoique, mais de leurs origines, tous deux jouant leur texte en mandarin et en français. Et puisque le théâtre donc n’est pas une question de genre, l’impériale Catherine Dewitt joue ici le rôle du père en imposante matriarche. Mais s’il fallait résumer par une unique scène cette mise en scène crépusculaire, résumant par là même le personnage de Dom Juan, elle tient dans la confrontation avec Monsieur Dimanche (l’impeccable Grégori Miège) venu réclamer son dû, scène d’humiliation d’une froide cruauté et violence sourde. Evacuant la question de Dieu et du commandeur, ce dernier n’étant qu’un pauvre simulacre pour jouer à se faire peur, sans Deus ex machina Don Juan ne peut avoir affaire qu’à la justice des hommes. Sans impunité. Résolution imparable et logique où David Bobbée offre à Charlotte sa rédemption désespérée et aux autres personnages leur libération.

Radouan Leflahi campe un Dom Juan d’une jeunesse insolente et d’une beauté ravageuse, ancré dans une solitude existentielle vertigineuse exprimée par cette rage explosive qui le fouaille. Il dépouille sans façon son personnage de son héroïsme, le met à plat, n’en fait au final qu’un type imbu et sclérosé de ses privilèges, d’une vacuité abyssale. Face à lui, et c’est la révélation sans nul doute de cette création, Shade Hardy Garvey Mougondo, est un Sganarelle épatant, original, contrepoint et contrepoids idéal pour ce Dom Juan sans humanité. C’est un clown, oui, d’une élégance et d’une légéreté qui compense la violence cynique de son maître. Le reste de la distribution, d’une belle cohésion et cohérence, est au diapason de cette partition résolument noire, que le rire exacerbe, de cette lecture abrasive d’un mythe que David Bobbée déconstruit au regard de nos avancées sociétales toujours fragiles pour en terminer avec le patriarcat et ses conséquences désastreuses, avec in fine, cette question irrésolue, en avons-nous vraiment fini avec ce que représente Dom Juan ?

 

© Arnaud Bertereau

 

Dom Juan ou le festin de pierre, de Molière

Mise en scène et adaptation de David Bobbée

Avec : Radouan Leflahi, Shade Hardy Garvey Mougondo, Nadège Cathelineau, Nine d’Urso, Orlande Zola, Grégori Miège, Catherine Dewitt, Xiao Yi Liu, Jin Xuan Mao

Scénographie : David Bobée et Léa Jezéquel

Lumière : Stéphane Babi Aubert

Vidéo : Wojtek Doroszuk

Musique : Jean-Noël Françoise

Costumes : Alexandra Charles

Construction décor : les ateliers du théâtre du Nord

Assistanat à la mise en scène : Sophie Colleu et Grégori Miège

 

Du 30 mars au 2 avril 2023

Jeudi et vendredi à 20h, samedi 19h, Dimanche 16h

 

La Villette

Grande Halle

211 avenue Jean-Jaurès

75019 Paris

 

Réservations : 01 40 03 75 75

www.lavillette.com

 

Tournée :

2023

6 / 7 avril Le Phénix, scène nationale de Valenciennes (59)

14 / 15 avril Le Carré, Sainte-Maxime (83)

19 au 21 avril MAC Créteil (93)

25 au 28 avril La Comédie de Clermont-Ferrand, scène nationale (63)

4 / 5 mai La Filature, scène nationale, Mulhouse (68)

7 / 8 juin La Coursive, scène nationale, La Rochelle (17)

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed