Rusalka de Antonín Dvorák, direction musicale d’Elena Schwarz, mise en scène de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, Opéra Nice Côte d’Azur
  © Dominique Jaussein   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier L’ondine de Dvorák a quitté son lac pour une piscine vide aux carreaux abimés, qui semble avoir échoué tel un navire usé dans un refuge provisoire, en l’occurrence l’Opéra de Nice qui accueillait pour trois soirs après Bordeaux et Avignon et avant Toulon et Marseille (dans des distributions différentes dans chaque lieu), la très belle création de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil. Ils signent tant la mise en scène que la scénographie et les costumes de Rusalka qui continue ainsi d’enchanter les mélomanes. Cette œuvre extrêmement mélodique aux accents étrangement wagnériens et debussiens à la fois, qui suit une intrigue assez simple et proche de légendes slaves et contes bien connus (La Petite Sirène d’Andersen notamment) à travers le monde et le temps, compte beaucoup sur l’orchestre (très élégamment dirigé par Elena Schwarz à Nice) et les deux rôles-titres. De ce fait, le soir de création à l’Opéra de Nice, le public était un peu inquiet avant que les premières notes et airs ne soient entamés, car le directeur de l’Opéra est descendu micro en main devant la fosse pour faire une annonce, ce qui n’est jamais bon signe dans tous les opéra du monde et faisait craindre légitimement au renouvellement d’une sorte de malédiction, puisque sa création au Théâtre national de Prague (1901) faillit ne pas avoir lieu en raison de la défection du Prince. Bertrand Rossi indiqua qu’en dépit d’une grippe du ténor coréen et de son absence à la générale, ainsi que d’un long passage nocturne aux urgences de la soprane espagnole, les deux rôles titres chanteraient ! Et ils n’ont pas démérité. On peut même dire que c’est une des plus belles Rusalka qui nous ait été donné d’entendre jusqu’à présent. L’émotion de Vanessa Goikoetxea, copieusement et à juste titre très applaudie, était à son comble au moment des saluts, ce qui semble corroborer qu’elle revenait de loin… Et pourtant, aucune trace de cette nuit blanche dans son timbre. La présence scénique est intense dans la robe lamée et les collants résille, notamment quand elle devient mutique. Alerte et agile, projetant sa voix aussi efficacement allongée sur un banc en agitant sa nageoire, qu’assise dans sa piscine en plastique rouge, clin d’œil cocasse dans la piscine en coupe qui fait face au public et où se projettent des vidéos de bassins de nage dans lesquels on pourrait presque se sentir immergés. La princesse étrangère, à laquelle Camille Schnoor donne la dimension sensuelle attendue, offre également une très belle prestation dans les rôles féminins. Du côté de la sorcière Jezibaba, Marion Lebègue suscite de superbes émotions dès qu’elle est dans les passages les plus exigeants, après avoir mis toutefois quelques minutes à s’imposer ou tout simplement à chauffer suffisamment sa voix de mezzo. Si le balai de ménage a remplacé le balai d’une sorcière en bonne et due forme, son gilet jaune et son attelle la rendant partiellement infirme ne convainc pas vraiment même si l’on comprend qu’elle peut symboliser une séquelle de son passage du monde aquatique au monde terrestre et des difficultés à marcher sur deux jambes après toute une vie en nageoire. Si l’on sentait David Junghoon Kim prudent dans certains passages lors de sa première prestation dans le rôle du Prince, il a pris son rôle avec beaucoup d’énergie et de conviction. Quant à Vazgen Gazaryan, dans le rôle de Vodnik, son arrivée sur scène en caricature de Philippe Lucas (l’entraîneur de Laure Manaudou), mâtiné de Brice de Nice avait tout pour inquiéter ; à tort, car sa basse puissante et riche s’est imposée avec évidence dès sa première ligne de chant. Dans les rôles secondaires, le trio des sœurs a témoigné d’une grande clarté et limpidité et le duo du mirliton et garde-chasse d’une fraîcheur vocale et de jeu. La manière dont les metteurs en scène ont transposé Rusalka dans le monde contemporain des compétitions de natation synchronisée est très pertinente, même si son réalisme conduit à supprimer toute la dimension fantastique de l’opéra, sauf à considérer que l’absence d’eau dans la piscine sur scène et les étranges troncs d’arbres la surplombant, ainsi que les vidéos de sites lacustres remplissent ce rôle. Une vidéo presque omniprésente sur un rideau de gaze en front de scène, tournée à la fois dans une piscine couverte de type municipal et une magnifique piscine extérieure (qui s’avère être la piscine olympique d’Avignon), dont le plongeoir blanc fait écho à un spot niçois bien connu, vient illustrer en miroir de l’opéra la préparation des nageuses, dont certains mouvements chorégraphiés sont doublés sur scène par les trois sœurs accompagnées de trois danseuses. Un petit film vient en outre servir d’interlude entre l’Acte I et II proposant le témoignage désabusé de jeunes nageuses en train de se maquiller (ce qui rappelle la séance de maquillage-coiffage de Rusalka qui se voit en outre confier des talons donnés par Jezibaba pour un passage à une vie de femme hypersexualisée) et ainsi appuyer le propos politique des metteurs en scène et leur dénonciation évidente tant des femmes-objets, que du patriarcat et des violences faites aux femmes, en particulier dans le monde du sport, qui est encore une question largement taboue. La scène de viol de Rusalka par le Prince (« je dois te posséder complétement ») nous rappelle que la scène d’une insupportable actualité est bien dans le livret de cette si envoûtante Rusalka.   © Dominique Jaussein     Rusalka, d’Antonin Dvorák Livret : Jaroslav Kvapil Direction musicale : Elena Schwarz Mise en scène, scénographie et costumes : Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil Collaboration à la scénographie : Christophe Pitoiset Lumières : Rick Martin (reprises par Christophe Pitoiset) Collaboration artistique : Lodie Kardouss Vidéo : Pascal Boudet et Timothée Buisson Graphisme : Julien Roques Dramaturgie : Luc Bourrousse Avec : Vanessa Goikoetxea, David Junghoon Kim, Vazgen Gazaryan, Marion Lebègue, Camille Schnoor,
 Clara Guillon, Valentine Lemercier, Marie Karall Coline Dutilleul, Fabrice Alibert Et : le Chœur de l’Opéra de Nice,
l’Orchestre Philharmonique de Nice   Durée : 2h50 (avec 1 entracte)   En tchèque, surtitré en français et anglais     Opéra Nice Côte d’Azur 4-6 rue Saint-François de Paule Nice   Jusqu’au 30 janvier 2024   www.opera-nice.org      Read More →
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Le Songe d’une nuit d’été, de William Shakespeare, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Motta, au Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt
    © Nadége Le Lezec f article de Denis Sanglard   Bien sombre Songe que ce Songe-là. Emmanuel Demarcy-Motta met en scène Le songe d’une nuit d’été avec une noirceur peu coutumière. Plastiquement, scéniquement c’est une réussite même s’il on eut aimé qu’un peu de clarté traverse cette forêt où s’enfoncent nos amoureux en fuite. Le plateau est une forêt en marche, longs fûts sans faîtes, que tapisse un sol plus rugueux que mousseux, éclairée par une lune chiche, une nuit d’été lugubre entre chien et loup peu propice à la féerie, plus encline au cauchemar enfantin. Mise en scène au cordeau, trop sans doute, nulle rugosité, de belles images, tout est lisse au risque de l’ennui. C’est beau, oui, mais sans plus. Nous sommes sous le charme, nous aimerions du moins, mais point d’éblouissement. La faute sans doute à une vision trop littérale qui se voudrait limpide et compréhensible par tous et qui ne s’autorise pas la folie absolue et permissive d’un mystère de deux mondes cohabitant, où la facétie des fées trouble le temps d’une nuit d’été l’ordre du monde des humains. Ces deux mondes ici semble n’en faire qu’un, annulant de fait la poésie du conte et de son imaginaire autorisé. Emmanuel Demarcy-Motta signe une mise en scène de l’ordre du désenchantement, se refusant au merveilleux et son essence, à tordre le cou à la réalité et opère sciemment un contre-sens. Il n’y a que Titania ici qui décolle, littéralement. Pour le reste, nous restons irrémédiablement terre-à-terre. Pourtant quelque chose aurait pu ne pas obscurcir davantage cette vision quelque peu univoque. La tragédie Pyrame et Thisbé, donnée en l’honneur d’Hyppolyte et de Thésée, que préparent les artisans d’Athènes devait être un instant de comédie pure, théâtre dans le théâtre fait de bric et de broc, bricolé maladroitement, répété et joué malhabilement. Mais las, Emmanuel Demarcy-Motta échoue là-aussi. S’ils sont caricaturaux, ils ne sont que caricaturaux. Rien des clowns shakespeariens et de leur démesure, de leur grotesque faconde et profonde sensibilité. Cet hommage au théâtre dans ce qu’il peut avoir de sincère et de mal dégrossi dans sa naïveté reste de l’ordre de l’intention, de l’hésitation et ne décolle pas du texte ni du reste. On reste donc sur sa faim, espérant dès lors l’aurore de cette nuit qui n’en finit plus.  Sauf qu’il y a Elodie Bouchez. Au jeu plus ou moins uniforme et convenu de l’ensemble, cohérent cependant, elle se démarque à bas-bruit. Elle apporte à cette mise en scène, dans le rôle d’Héléna, l’amante délaissée, ce qui lui manque cruellement, cette part de mystère et d’irrésolution. Une fée.   © Nadége Le Lezec   Le Songe d’une nuit d’été, de William Shakespeare Traduction de François Regnault Mise en scène et version scénique : Emmanuel Demarcy-Motta Assistanat à la mise en scène : Julie peigné Assistée de : Judith Gottesman Scénographie : Natacha Le Guen de Kerneizon, Emmanuel Demarcy-Motta Lumières : Christophe Lemaire Assisté de : Thomas Falinower Costumes : Fanny Brouste Assistée de : Véra Boussicot Musique : Armand Méliès Vidéo : Renaud Rubiano Assisté de : Romain Tanguy Son : Flavien Gaudon Maquillage et coiffures : Catherine Nicolas Assistée de Elisa Provin Objets de scènes et régie : Erik Jourdil Coiffes et couronnes : Laetitia Mirault Coaching acteurs : Jean-Pierre Garnier Training Physique : Claire Richard, Nina Dipla Training chant : Vincent Leterme, Maryse Martines   Avec la troupe du Théâtre de la Ville : Elodie Bouchez, Sabrina Ouazani, Jauris Casanova, Jackee Toto, Valérie Daschwood, Philippe Demarle, Edouard Efrimakis, Ilona Astoul, Mélissa Polonie, Gérald Maillet, Sandra Faure, Gaëlle Guillou, Ludovic Parfait Goma, Stéphane Kräkenbühl, Marie-France Alvarez   Du 26 janvier au 10 février 2024 à 20h Le dimanche à 15h Théâtre de la Ville-Sarah Bernhardt Place du châtelet 75001 Paris   Réservations : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com  Read More →
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La Brande, de la compagnie Courir à la catastrophe, mise en scène d’Alice Vannier au théâtre de la Cité Internationale, Paris
  © Luc Jacquin   ƒƒƒ article de Sylvie Boursier   La Brande rime avec bande, bringue et Borde, cette institution psychiatrique installée dans le Loir et Cher où la souffrance psychique fut accueillie dès les années 1960 dans un groupe contenant et où l’on accordait une valeur aux désirs de chacun, à la fête, au rêve et au vagabondage. Soigner l’hôpital en même temps que les malades, cette belle utopie se concrétisa dans ce château perdu au milieu des bois, peuplé de pensionnaires qui venaient librement se protéger d’un monde devenu trop anxiogène. Avec La Brande, Alice Vannier nous immerge dans l’esprit unique de l’endroit et cette attention que chacun portait aux autres. Salle des pas perdus ou grand salon, tout se passe sur une cour des miracles hétéroclite où se croisent résidents et médecins, espace de vie et lieu   thérapeutique toujours en mouvement ; ça cause, on distribue les médicaments, on s’y réunit pour régler les problèmes ordinaires d’une institution et on y répète Comme il vous plaira, le spectacle de l’année. Avec un sens accompli du rythme, de la composition et des plans, la mise en scène alterne les silences et les cris, le brouhaha des répétitions et la lenteur d’un quotidien fait de quelques gestes ébauchés, de regards, de bribes d’échange dans un groupe extrêmement solidaire malgré les prises de bec, souplesse et ritualisation d’une routine au jour le jour, à la nuit la nuit, quand un gouffre d’angoisse tord les tripes et que tout risque d’exploser. Les comédiens changent de rôle à vue comme de chemise. La folie nous renvoie à une certaine laideur parce qu’elle s’accompagne souvent de tics, de compulsions du corps et d’une déformation des traits, on fuit le regard des aliénés. La Brande nous interroge sur notre rapport à cette difformité par la justesse des acteurs qui ne « jouent pas les fous ». Leur incarnation délicate transforme cette « laideur » en une grâce à l’éloquence subtile, on ne peut oublier Christian, joué par Simon Terretoire, le grand mélancolique, tellement lucide qu’il en crève. Sa vision de nos misérables petites vies ordinaires et sa recherche d’un idéal pour échapper à sa prostration nous glace d’effroi. Quelques personnages émergent lors de séquences burlesques, ainsi Michel, l’obsessionnel maniaque de l’ordre qui se voit débordé par le bazar d’un petit déjeuner improvisé, raide comme une asperge, nord, sud, est, ouest, son espace mental est structuré comme à l’armée. Il se déplace par propulsion millimétrée sur des diagonales imaginaires : Adrien Guiraud, qui nous avait marqué dans Bartleby au théâtre Gérard Philippe, est follement drôle. Certains résidents errent de leur chambre au salon sans arrêt et sans savoir que faire, enchaînant les cigarettes les unes après les autres ou laissant libre court à leurs compulsions. Il est des discussions tristes et vides ne menant à rien, ou passionnantes à la dérobée, des moments de défoulement général. On capte le sourire d’un médecin quand il semble s’amuser de la situation ou se questionner sur son utilité, la chaleur de sa main qui calme, l’intensité de son écoute. Que fait-on ici ? Au final la représentation tient du miracle joyeusement foutraque comme à la Borde, tant le regard des tiers galvanise soignants et soignés. Sous leurs oripeaux, les illuminés mal fagotés d’Alice Vannier ont une présence incroyable, avec une étrange correspondance entre leur situation et la pièce. La forêt d’Ardenne de Shakespeare abrite des transfuges qui ont choisi de vivre à l’écart de la société, à l’image de Jacques, le grand mélancolique dont le monologue célèbre appelle notamment à l’humilité, la vie d’un homme possédant la brièveté d’une pièce de théâtre. Le plateau charrie fougères, branchages et feuilles mortes, comme un surgissement de l’infra moi qui se joue des normes sociales, insignifiant aux yeux du monde. « Que sont [nos utopies] devenues, que nous avions de si près tenues et tant aimés, elles ont été trop clairsemées, je crois le vent les a ôtées », Rutebeuf nous accompagne aux marches de la Cité Universitaire ; courez rencontrer Michel, Maurice, Christian, Emilienne et tous les autres, fous mais pas idiots, presque des amis à l’issue des deux heures de spectacle. Magnifique moment de vérité au théâtre sur la beauté d’une humanité qui perd la raison, parle d’or et mérite mieux que l’indigence des moyens qui lui sont alloués aujourd’hui !   © Luc Jacquin     La Brande, écriture collective de la compagnie Courir à la catastrophe Mise en scène : Alice Vannier avec la collaboration de Marie Menechi Scénographie : Lucie Auclair Lumière : Clément Soumy Son : Robert Benz Costumes : Léa Emonet Avec : Anna Bouguereau, Margaux Grilleau, Adrien Guiraud, Simon Terrenoire, Sacha Ribeiro et Judith Zins   Durée : 2h15 Jusqu’au 5 février, lundi et mardi 20h, jeudi et vendredi 19h, samedi 18h   Théâtre de la Cité Internationale 17 bd Jourdan 75014 Paris Réservation : 01 85 53 53 85 www.theatredelacite.com               Read More →
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R.OSA, de Silvia Grabaudi, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre du festival Faits d’hiver
  © Eleonora Radano    ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Lorsqu’elle pénètre la scène au sol blanc immaculé, juste colorée d’un maillot une pièce bleu arlequin, le silence emplit la salle aussi pleinement que l’eau une piscine : à ras bord. De l’ordre du phénomène proprement météorologique. Sont-ce ses dimensions hors normes, ce débordement de chair pareil à une luxuriante nature, cette physicalité aux proportions picturales évoquant évidemment Botero, ou certains tableau de Picasso, qui nous en imposent, ou est-ce, de façon plus invisible, cette capacité d’un corps à assécher ce qui bruit alentour aussi soudainement qu’une marée refluant ? Puis, après avoir pris le temps de jauger l’assistance par un chant a capella, elle finira de nous apprivoiser, modulant sa voix claire entre puissance et effets murmurés. Et mangera, en guise d’amuse-gueule, ses mots dans une élocution accélérée. Avec R.OSA, Silvia Gribaudi et sa trublionne interprète Claudia Marsicano osent le tout pour le tout et montent au front : s’exposer sur une scène de danse dans un corps qui ne répond pas au stéréotype de la danseuse. Parler de déconstruction serait réducteur tant la proposition, proprement performative et disruptive, nous embarque, dans une chevauchée aventureuse, clownesque et poétique à la fois, vers des contrées inédites. R.OSA fait du public partie prenante de sa forme spectaculaire. C’est un corps à corps dans lequel on s’engouffre avec frénésie, porté par un désir proprement dionysiaque, soulevé par une excitation collective pareille à celle d’une foule faisant tomber un mur, prenant sa Bastille. Scandant la pièce en exercices, Claudia Marsicano se fait coach, avatar de l’éternelle Jane Fonda, et lève le cul des spectateurs de leur fauteuil. La démarche n’a pourtant rien à voir avec celle d’un Rodrigo Garcia amenant certains à baisser leur froc sur un plateau, non, ici il s’agit, en toute bienveillance, d’embrasser ludiquement et joyeusement les mouvements d’un corps central pour ne faire plus qu’un. Et de déplacer ainsi le centre de gravité de la performance, et du jugement. C’est beau un public qui, par ses faits et gestes, s’identifie et fusionne avec une soliste : par le miracle de cette soirée se révèle enfin la véritable nature et étendue d’une œuvre, non plus confinée aux corps sur la scène mais se ramifiant dans tous les corps de la salle. R.OSA dresse la forêt qui, du plateau à la foule de l’orchestre, forme un continuum de vie. Avec un port de reine, gonflée à bloc, Claudia Marsicano transporte son public. Elle est notre souveraine caisse de résonnance. Elle séduit aussi et impressionne par la virtuosité de sa dance, mêlant rapidité et précision, déliant avec bonheur chaque partie de ses membres, et tout autant capable d’un fantastique ballet de grimaces sur un tube de Britney Spears à faire pâlir Jim Carrey. Silvia Grabaudi a l’intelligence du dispositif spectaculaire : déportant notre regard pour en finir avec le jugement, elle invente une forme qui ne serait plus le miroir aux alouettes de nos représentations mais une expérimentation en chair et en os d’un autre rapport possible entre performeur et spectateur. R.OSA se vit, pour reprendre une terminologie d’histoire de l’art, comme une manière de s’abstraire (des clichés), en quittant les stéréotypes du figuratif. C’est une traversée des apparences. Plutôt qu’une vision de l’autre, une communauté des sens, un vivre ensemble spectaculaire. Semblable en cela au travail du clown, la pièce de Silvia Grabaudi gomme les frontières entre extériorité et intériorité, corps et être, plongeant sa muse et nous-mêmes dans ce même bain dont parle Maeterlinck : « Matière, esprit, c’est de l’eau bleue ou de l’eau rouge, la couleur diffère, mais c’est toujours de l’eau ».   © Manuel Cafini     R.OSA, concept, chorégraphie & direction de Silvia Gribaudi Lumière : Leonardo Benetollo Costumes : Erica Sessa Consultants artistiques : Antonio Rinaldi, Giulia Galvan, Francesca Albanese, Matteo Maffesanti Avec Claudia Marsicano Durée : 45 minutes   Du 25 au 27 janvier 2023 à 20H sauf samedi à 17h   Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville 31, rue des Abbesses 75018 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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  © Julien Piffaut ff article de Denis Sanglard La vie de Colette, du moins un précipité, femme libre, journaliste et écrivaine, jurée du Goncourt qu’elle n’eut jamais, artiste de music-hall, amoureuse des hommes, des femmes et des bêtes. De la petite Gabrielle-Sidonie Colette de Saint-Sauveur-en-Puisaye à Colette, de la scandaleuse de la Belle-Epoque, épouse et négre de Willy, de la vagabonde au sein nu aimée de Missy (Mathilde de Morny) à la vieille dame gourmande, arthritique et si peu assagie du Palais-Royal, des années d’apprentissage à la maturité, de la journaliste à la romancière, c’est une évocation mise en scène tambour-battant par Léna Bréban, entre artisanat et high-tech, une revue de music-hall conçue par Alexandre Zambeaux et Cléo Sénia, comédienne mais aussi artiste burlesque, vraie boule de pure énergie explosive à l’abattage pétaradant d’une vraie meneuse de revue. Tout commence par la fin, les funérailles nationales – commentées non sans ironie par Cléo/Colette- et se clôt sur le visage vieilli de l’écrivaine et son regard charbonneux, où sa voix rocailleuse à l’accent bourguignon dont elle ne s’est jamais départie, résonne encore pour célébrer la vie et que porte cette photo à jamais iconique. (Le diable étant dans les détails la description de son visage entré dans la vieillesse est tiré de la vagabonde ou l’auteure, derrière le personnage de Renée Néré, n’a que 33 ans !). Entre les deux, c’est l’évocation de cette vie émancipée du regard des hommes, de la société bourgeoise patriarcale et de sa morale étriquée et catholique. Et ce dès l’enfance par la grâce de Sido, mère fusionnelle et femme foncièrement libre, dont la correspondance inquiète ponctue ce récit. Mais à ce récit biographique s’ajoutent les interventions intempestives de Claudine, son personnage de fiction par qui vint la reconnaissance en même temps que le scandale, et les commentaires de Cléo, la comédienne qui met tout ça en perspective avec aujourd’hui et sa propre expérience. Claudine qui remet avec beaucoup d’espièglerie les pendules à l’heure quand la fiction semble l’emporter sur une réalité moins avenante. Et c’est peut être ça qui pèche ici derrière l’enthousiasme virevoltant et communicatif de cette adaptation, les lacunes d’une vérité de fait édulcorée et moins avouable que pourtant Colette elle-même dénonçât dans son œuvre (pour exemples Mes apprentissages, portrait à charge sur la réalité de son mariage avec Willy). Ou qu’elle tut, comme sa rupture violente avec Missy, vite oubliée après son mariage avec Henry de Jouvenel dit « le pacha ». On est un peu frustré de ça, de cet évitement d’une part d’ombre qui ne donne de Colette au final par cet exercice d’admiration qu’une vison partiale et moins rugueuse qu’elle ne le fut sans doute. Reste l’évocation sensible et réussie de l’envers du music-hall, pages que l’on retrouve dans ces chroniques au titre éponyme ou dans la vagabonde, évocation des soutiers de l’art, ces petits et ses obscurs artistes de caf’conc’ et de leurs coulisses crasseuses. Cléo Sénia en meneuse de revue jouant, chantant et dansant avec un égal talent est formidable de spontanéité et d’allant, voire de folie. Qu’elle s’effeuille, une danse des éventails sensuelle digne des plus grands numéros burlesque ou encore une danse nue au miroir d’une troublante beauté érotique, ou rende hommage par une danse serpentine à Loïe Fuller, pionnière de la danse contemporaine et symbole d’une Belle-Epoque effervescente, Cléo Sénia fait sienne cette pensée de Colette, et par là lui rend un bel et juste hommage, « Moi c’est mon corps qui pense ! Il est plus intelligent que mon cerveau. Toute ma peau a une âme. » Oui c’est bien à cette Colette-là, profondément sensuelle et pour qui le corps était un facteur d’émancipation plus que l’écriture que nous avons affaire. Et puis ce qui résume sans doute et symboliquement ce que fut Colette un temps, jouant déjà du genre et de son ambiguïté aussi bien avec Willy que la chanteuse Polaire -non évoquée ici et pourtant ses frasques avec le couple firent scandale – ou encore Missy travestie, ce numéro de cabaret digne de Barbette et plus tard d’O’dett, où dans un costume mi-homme mi-femme, Cléo /Colette déjoue et se joue de la nature et du désir, entre provocation, subversion et naturel. Porter l’impertinence et ‘intelligence de cette pensée qui ne se revendiquait pourtant pas féministe mais simplement libre, liberté dans son absolu, de cette vie audacieuse et affranchie de la morale au music-hall, lieu de toute les transgressions et interdits, le corps un champ de bataille politique et poétique, tient alors de l’évidence. Et tant pis pour nos réticences.   © Julien Piffaut   Music-hall Colette, de Cléo Sénia et Alexandre Zambeaux Librement inspiré de la vie de Colette Adaptation et mise en scène : Léna Bréban Avec : Cléo Sénia Assistanat à la mise en scène : Ambre Reynaud Scénographie : Marie Hervé Chorégraphie : Jean-Marc Hoolbecq Chansons : Hervé Devolder Musique et création sonore : Victor Belin et Raphaël Aucler Création lumière : Denis Koransky Assisté de : Sébastien Sivade Création costumes : Alice Touvet Perruquière : Julie Poulain Création vidéo et réalisation : Julien Dubois Voix off : Martine Schambacher & François Chattot Mapping vidéo : Jean-Christophe Charles   Jusqu’au 30 mars 2024 Les jeudis, vendredis et samedis à 19h   Théâtre Tristan Bernard 64 rue du Rocher 75008 Paris   Réservations :  01 45 22 08 40 tristanbernard.billeterie@gmail.com    Read More →
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La Traviata de Giuseppe Verdi, direction musicale de Giacomo Sagripanti, mise en scène de Simon Stone, Opéra national de Paris (Opéra Bastille)
  © Vahid Amanpour    ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia La Violetta de Simon Stone n’est plus une demi-mondaine du XIXème, mais une influenceuse du XXIème, qui court autant après l’argent, la célébrité, et les plaisirs que La Dame aux camélias (1848), de Dumas, laquelle a inspiré La Traviata à Verdi. Cet opéra en trois Actes, ne cesse depuis sa création (quelques mois à peine après Le Trouvère, le deuxième opéra de la trilogie verdienne) en 1853 à la Fenice de Venise où il fit un « fiasco » pour reprendre les mots de Verdi lui-même, de fasciner, comme tous les destins universels des héroïnes tragiques, figures historiques ou anonymes. Il fut joué pour la première fois en français au théâtre italien trois ans plus tard, puis au Palais Garnier en 1926, mais seulement à partir de 1983 en italien à la salle Favart. Même s’il est commun de souligner que Verdi a largement amoindri les aspects les plus moraux du roman, le compositeur étant lui-même confronté aux conventions sociales en raison de son ménage avec une ancienne chanteuse longtemps après son veuvage, La Traviata reste une œuvre extrêmement marquée par ce que nous qualifions aujourd’hui de patriarcat où la dimension sacrificielle de l’héroïne est extrêmement moralisatrice par son renoncement à l’amour vrai, comme un rachat de ses fautes passées et la mort qu’elle sait inéluctable (« Morro ! » à l’Acte II) au bout de son chemin de martyre ; « la dévoyée », celle qui a été de travers (traviata), condamnée inéluctablement par la société, accepte son destin avec une rhétorique divine récurrente. L’intrigue est simple et bien connue, la ligne mélodique, où se multiplient les tubes, est elle aussi sans complexité, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit pas sans embûche pour les chanteurs (en particulier pour le rôle de Violetta qui demande une présence presque constante sur scène), ni sans attentes, du côté de l’orchestre (finement dirigé par Giacomo Sagripanti qui revient pour la dixième fois à l’ONP) et du Chœur. Si chacun peut avoir en tête, ou dans les oreilles, sa soprano colorature préférée dans le rôle de Violetta et éventuellement son Alfredo (en l’occurrence, le duo Anna Netrebko/Rolando Villazón reste pour la présente chroniqueuse indépassable), il faut reconnaître que la prestation de la sublime Nadine Sierra est captivante, tant sur le plan vocal que de son jeu. Les aigus sont parfaits, la fluidité et projection impeccables, et la comédienne est dans une harmonie parfaite avec la cantatrice, ce qui suscite des applaudissements nourris et mérités tout au long du spectacle, en solo notamment après le « Sempre libera » (l’un des airs les plus célèbres de Violetta à la fin de l’Acte I) ou en duo avec son amant Alfredo chanté par le ténor René Barbera, ou le père de celui-ci, Ludovic Tézier précité. Elle succède à Pretty Yende dans le rôle-titre dans la mise en scène de Simon Stone qui a été créée 2019 (à Garnier) dans une distribution largement différente (il n’y a guère que Ludovic Tézier qui revient dans le rôle de Germont) et dont il faut souligner l’ingéniosité dans un gigantisme imposant pourtant des défis techniques évidents. Sur un plateau tournant, une double cloison accueille des vidéos, des photographies et projections de fils de publications sur les réseaux sociaux, de courriers bancaires, renforçant le côté ultra réaliste déjà présent dans l’opéra dans son esprit d’origine, projeté dans le contemporain, et des décors apparaissant et disparaissant en quelques instants au fur et à mesure de la rotation du dispositif. Quand on sait qu’il s’agit d’une statue grandeur nature, d’une grande berline, d’un restaurant, d’un tracteur, on ne peut qu’applaudir aussi l’efficacité et la prouesse des équipes de machinerie. La vulgarité de la scénographie de certaines scènes (la scène de sexe sur le coffre de la voiture) ou des costumes (du chœur des bohémiennes et des matadors du deuxième finale de l’Acte II) est en parfait accord avec la nouvelle contextualisation de l’œuvre et tranche avec le final épuré revenant à la dimension divine qui est discrètement présente tout au long de cette célébration opératique du fatum et du sacrifice.   © Vahid Amanpour   La Traviata Musique : Giuseppe Verdi Livret : Francesco Maria Piave Direction musicale : Giacomo Sagripanti Chef des chœurs : Alessandro di Stefano Mise en scène : Simon Stone Décors : Bob Cousins Costumes : Alice Babidge Lumières : James Farncombe Vidéo : Zakk Hein   Avec : Nadine Sierra, Kristina Mkhitaryan, René Barbera, Ludovic Tézier, Marine Chagnon, Cassandre Berthon, Maciej Kwaśnikowski et Alejandro Baliñas Vieites, Florent Mbia, Hyun-Jong Roh, Olivier Ayault Durée : 3h05 (avec deux entractes)   Opéra Bastille Place de la Bastille 75012 Paris   Jusqu’au 25 février 2024 www.operadeparis.fr        Read More →
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Les Consolantes, texte et mise en scène de Pauline Susini, au Théâtre 13, Paris
  © Christophe Raynaud de Lage   ƒƒ Article de Sylvie Boursier Une jeune fille nous raconte la « normalité » d’une soirée parisienne avec sa sœur, la balade dans Paris, des détails insignifiants prennent une importance énorme car ce soir-là elles décident de dîner au « petit Cambodge » un restaurant du Xe arrondissement de Paris et nous sommes le 13 novembre 2015. Nous qui l’écoutons savons que sa vie va basculer à brève échéance, la promenade avec sa sœur reste le dernier moment sur la rive avant que le pont n’explose. Les Consolantes est construit à partir des témoignages des victimes de l’attentat du Bataclan, la fiction de Pauline Susini suit la temporalité du traumatisme, le chemin radical de personnes ordinaires confrontées à une expérience humaine extraordinaire, celle du temps qui n’existe plus, qui se fige dans la douleur, quand le corps et l’espace s’effacent. La personne qui n’est pas tout à fait morte va devoir cohabiter avec celle qui va devoir survivre. Le fil rouge du récit est celui des relations « patient / soignants / familles ou proches » dans un décor de bâches en plastiques et de tréteaux figurant un cabinet médical, un parc, un tribunal, une chambre d’hôpital, un appartement déserté. La mise en scène stylisée de Pauline Susini s’inspire très justement des mythes grecs, des rituels ancestraux de deuil : d’une rive à l’autre du Styx, les morts reviennent à la vie malgré eux, par surprise, certaines images sont d’une intensité inouïe, le réveil dans une chambre d’hôpital d’un homme arraché à sa propre conscience, décollé de son corps, qui flotte littéralement. Comment revenir à la vie quand on était si loin de la lumière, des soins qui vous transforment en paquet à hisser dans les couloirs, à laver, à retaper. Nicolas Giret-Famin, au jeu épuré, a la grâce des héros antiques, guidé par la voix de son médecin tel Charon, passeur entre le monde des vivants et des morts. Le retour à la vie se fait grâce à la tiédeur de l’eau quand on lave les cheveux du corps allongé dans la chambre, pour d’autres c’est un premier baiser des mois après les attentats. Une mère fume longuement une cigarette laissée par son fils disparu dans son bureau déserté, comme un lien avec lui, une chance d’avoir pu le côtoyer et partager tous ces moments ensemble. On pense à ces mots de Giraudoux « comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui et que tout est gâché, que tout est saccagé, mais que l’air pourtant se respire […] cela porte un très beau nom, cela s’appelle l’aurore. » Une jeune fille s’enfuit du Bataclan et se retourne sur la fosse jonchée de cadavres, telle Perséphone qui, après avoir connu l’Enfer rejoint la lumière dans la belle lueur de César Godefroy. La parole est au centre de l’action dramatique, on suit la genèse de cette prise de parole pour chaque personnage en quête de soi et des autres. Comment transmettre ? Ne rien dire, c’est laisser la place aux discours contraires au vécu intime, discours d’exclusion intolérants et intransigeants ou simplement conventionnels « consolants », « vous ne voulez pas voir quelqu’un qui ne veut pas guérir comme VOUS l’imposez, dit une victime a ses médecins, je ne veux pas faire la paix avec moi-même, et avec mon passé, je ne veux pas me dire que ça n’a pas existé et je n’ai pas envie d’être consolé. » Malgré certaines scènes anecdotiques qui ne s’imposaient pas, Les Consolantes nous saisissent car chaque évocation ouvre une méditation universelle sur notre temps, nos existences, la solitude d’êtres vivants que nous ne voulons pas regarder en face. Il y a une responsabilité à prendre la parole, quoiqu’il en coûte, ils sont revenus d’entre les morts et ont quelque chose à nous dire, écoutons-les.   © Christophe Raynaud de Lage   Les Consolantes texte et mise en scène de Pauline Suzini Scénographie : Camille Duchemin Lumière : César Godefroy Son : Loïc Leroux Costumes : Clara Hubert Jeu : Noémie Develay-Ressiguier, Sébastien Desjours, Sol Espèche, Nicolas Giret-Famin Durée : 1h45 Vu au théâtre de L’Etoile du Nord 75018 Paris     Du 30 janvier 2024 au 9 février 2024 Du lundi au vendredi à 20h, samedi à 18h   Théâtre 13 30 rue du Chevaleret 75013 Paris   Réservations Théâtre 13 : 01 45 88 62 22 www.theatre13.com   Du 29 février au 02 mars 2024 à Anis Gras Le lieu de L’autre Arcueil (94) Le 16 mars 2024 à l’Ecam Kremlin- Bicêtre (94)      Read More →
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Grand jeté, de Silvia Grabaudi, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre du festival Faits d’hiver
  © Andrea Macchia   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Grand jeté, pas de bourrée, plié, pas de chat, glissé… la danse classique est une constellation de vocabulaire français qui fleure bon son fumet d’époque. Héritage de l’histoire et de sa filiation au maître de ballet français, il est repris tel quel avec une savoureuse pointe d’accent dans toutes les langues. Il y a la même surprise à l’entendre cité par des danseurs étrangers que de découvrir ces Bourbons partis procréer sur d’autres terres, dans d’autres idiomes. La rigueur de ce catalogue exhaustif n’a d’égale que la perfection imposée aux mouvements qu’il classe. École de l’exigence, la danse classique est une philosophie de la discipline à tous les sens du terme. Silvia Grabaudi, qui a suivi elle-même cette formation dans sa prime jeunesse, s’en empare pour la déconstruire joyeusement dans un pas de côté qui fait la part belle à la rencontre avec le public. Démontant les rouages de cet événement mondain par excellence (la soirée à l’opéra), elle inverse ironiquement les causes et les effets : Grand jeté commence par la fin, une succession de saluts, d’applaudissements sollicités comme une mise en ridicule de ces exclamations, cris, vivats, qui émaillent les opéras et les ballets et signent autant une sincère émotion qu’une manière de s’afficher et se distinguer en tant que connaisseur de ce monde. Silvia Grabaudi rhabille également le corps de ballet en attifant ses danseurs de tenues de soirée noires, qui un minishort, qui un haut en résille, qui une chemise satinée, qui des bottes de cowboys, qui des talons aiguilles. Tous diablement sexy, arborant un sourire de magazine. Car si la danse classique est le lieu d’une norme, la chorégraphe espiègle, mais perspicace, souligne les nouvelles lois du marché du beau : celles de la fashion, d’une exhibition qui porte sur le devant de la scène des déhanchés sensuels, des roulements de bassin. La scène est aujourd’hui celle du podium de mode, la danse est celle des pop stars d’une efficacité à la sensualité stylisée, immédiatement consommable en produits dérivés. Silvia Gribaudi, pour cette pièce, fait œuvre de passage puisqu’elle convoque à ses côtés la dynamique MM Contemporary Dance Company de Michele Merola. Cette passation comme un dos rond sous un déluge de grands jetés, autrement dit un saute-mouton (mais n’est-elle pas le mouton noir de ce troupeau ?). Car entre elle et ce groupe pimpant, c’est un peu le mariage de la carpe et du lapin qu’elle assume et maîtrise, avec virtuosité, dans une mécanique toute burlesque : Silvia Grabaudi a souvent un train de retard ou bien elle manque d’entrain. De ces décalages, comme de cet écart d’âge, de cet enfumage très fellinien, naît un autre rapport spectaculaire non plus fondé sur la seule performance technique mais sur l’enjouement de la danse. Il y a du Tati chez Silvia Grabaudi quand elle baguenaude sur ce terrain de jeu avec la souveraineté et l’innocence de celle à qui on ne le fait pas. Son ludisme se révèle dans le détachement de l’effort, le somptueux lâcher prise qu’elle éclaire d’une bonhommie presque enfantine. La partition est à lire sur son visage : quand on n’a plus rien à démontrer, on peut tout montrer dans une humble et lumineuse transparence. Si le monde du ballet est celui de l’extrême retenu des émotions, d’un impénétrable sérieux, Grand jeté les libère comme un jeté de bouquet de mariée. Si ce monde-là est celui des pas comptés, soumis à l’infernal métronome des nombres qui assèchent l’esprit virevoltant, Grand Jeté les clame pour mieux les décompter et s’en affranchir. Et Silvia Gribaudi de créer une nouvelle arithmétique soumise aux seuls répons du public. C’est elle qui lance les dés, secoue le cornet et jauge de l’effet produit. Désarmant les conventions, la chorégraphe invente avec bonheur une autre séduction loin des (boulets de) canons qui meurtrissent les âmes.   © Andrea Macchia     Grand jeté, concept et chorégraphie de Silvia Gribaudi Interprétation : Silvia Gribaudi & MM Contemporary Dance Company: Emiliana Campo, Lorenzo Fiorito, Mario Genovese, Matilde Gherardi, Fabiana Lonardo, Alice Ruspaggiari, Rossana Samele, Nicola Stasi, Giuseppe Villarosa, Leonardo Zannella Musique : Matteo Franceschini Lumière : Luca Serafini Costumes : Ettore Lombardi Assistant chorégraphie : Paolo Lauri Consultante dramaturgie : Annette Van Zwoll Collaboration artistique : Matteo Maffesanti Conseil technique : Leonardo Benetollo Creative producer : Mauro Danesi   Durée : 1h Les 23, 24, 27 et 28 janvier 2024 à 20h, vendredi 14h30 et dimanche 15h   Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville 31, rue des Abbesses 75018 Paris Tél : 01 42 74 22 77   https://www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Parpaing, conception et écriture Nicolas Petisoff, au Théâtre 13
  © Julie Glassberg ff article de Denis Sanglard Devenir ce que l’on est, pour reprendre la phrase de Nietzche, s’inventer soi et construire son identité parpaing après parpaing. Nicolas Petisoff raconte son itinéraire, celui d’un enfant adopté, soumis au poids du mensonge des adultes, aux secrets de famille qui vous rongent, où – Nietzche encore- les vérités que l’on tait deviennent vénéneuses. Enfance dans une zone industrielle, élevé dans un marasme ordinaire, jusqu’à la révélation par effraction, que l’on gardera un temps pour soi, d’être un enfant adopté. Et jeune adulte lâcher enfin le secret jadis éventé par mémé, crever l’abcès pour en finir une fois pour toute. Mais d’entendre s’énoncer une autre vérité. N’être ni le petit fils d’un tsar, encore moins un bébé miracle rescapé d’un accident, ce que l’on croyait, ce que l’on avait affirmé, mais le fruit d’un accouchement sous X, enfant de la DDASS. Révélation brutale qui cautérise, un temps seulement, les plaies. Et que faire avec ça désormais ? Et puis il y a la révélation de son homosexualité qu’on ne veut plus taire. Et tout de voler en éclat, on ne veut plus de lui dans la maison Phénix. Le sentiment aigu d’un nouvel abandon. Jusqu’à la réconciliation. Et puis la mort du père que le cancer emporte, bouffé lui aussi par son secret d’avoir été un enfant abandonné, fils de pute. Tout pourrait s’arrêter là. Au militantisme LGBTQIA +, une colonne vertébrale qui vous fait tenir droit, fier de sa singularité, au théâtre qui vous responsabilise, à la famille de cœur que l’on s’est choisie comme souvent choisissent les homos déracinés. Seulement que se passe-t-il quand ce que l’on a construit patiemment, parpaing après parpaing, ce que l’on a choisi d’être absolument, ne colle plus avec une autre réalité qui vous tombe dessus sans crier gare ? La découverte d’un frère et d’une mère biologique décédée, contrainte à l’abandon par ses parents, qui ébranle vos certitudes. Un secret, un de plus, qui tient en quelques feuillets tachés de larmes dans un dossier administratif de la protection de l’enfance. Avec au final cette question, qu’est-ce que ça change ? Sinon cette pugnacité à se construire coûte que coûte, avancer toujours. Vivre c’est choisir et les possibilités sont infinies. C’est tout ça et plus encore que raconte Nicolas Petisoff. Rien de racoleur, nul pathos pour un récit exemplaire, une écriture au cordeau sans scorie, brute de coffre, dit avec la sérénité de celui dont la rage et la colère, il y en eu, il le dit, loin d’être destructrice furent un formidable élan pour construire une vie au-delà du mensonge, des secrets, traverser les apparences, être soi absolument. Plateau dépouillé, juste une estrade, quelques vidéos d’une enfance heureuse en super 8, Christine Taubira aussi pour un discours historique en clôture de l’adoption de la loi dite du mariage pour tous, l’allocution d’adieu au père, et quelques dates clefs. Une ponctuation musicale en live, nappe sonore (signée Guillaume Bertrand ou Pierre Lucas en alternance) pour habiller cet exercice délicat et impudique de la confession. C’est tout et c’est bien suffisant, il n’y a ainsi rien entre ce qui est dit et le public, pas de cache-misère, rien qui ne fasse obstacle, seule la force de frappe et l’assurance d’un texte incisif et tranchant au plus près d’une expérience sensible et sans filtre. Et il est formidable de générosité Nicolas Petisoff, tatoué jusque là – ce qui a son importance – à nous offrir ça, sans manière et sans façon, naturellement et que l’on reçoit curieusement avec gratitude, oui. Le théâtre, comme l’écriture, est aussi une affaire d’engagement. Lequel est le cœur battant de cette création. Non pour venger sa race, comme l’écrit Annie Ernaux, mais ici tout à la fois comme une épiphanie, un acte de d’émancipation et de réconciliation. Il y a du Didier Eribon là-dedans, dans cette volonté de comprendre et non de condamner pour atteindre l’âge d’homme et avancer parpaing après parpaing et de transmettre. Et on ne peut rester insensible devant cet itinéraire d’une vie, l’histoire d’une résilience, que Nicolas Petisoff expose sans vanité mais avec une réelle profondeur et une vraie sensibilité pour dire que oui, demain est toujours possible, il y a toujours un autre jour. Et ce dernier bisou qu’il nous envoie en conclusion, ça fait du bien et pour un peu, qu’il nous pardonne, on lui rendrait la pareille.   © Julie Glassberg   Parpaing, conception, écriture et jeu Nicolas Petisoff Conception, régie générale et régie son : Denis Malard Composition musicale : Guillaume Bertrand Musique en tournée : Guillaume Bertrand en alternance avec Pierre Lucas Création lumière : Benoit Brochard Régie lumière : Baptiste Michel Regard sur l’écriture : Ronan Chéneau Direction d’acteur : Emmanuelle Hiron Construction : François Aubry Création graphique : Karosabutkiss Photos : Julie Glassberg   Jusqu’au 3 février 2024 Du lundi au vendredi à 20h, le samedi à 18h Théâtre 13 / Glacière 103A boulevard Auguste Blanqui 75013 Paris Réservations : www.billeterie.theatre13.com   Tournée : 12 /03/24 l’archipel, Granville  (50) 26/03/24 Eve, LE mans Université (72) 28/03/24 L’Atelier des Zrts Vivants, Changé (53) 05/04/24 Centre Culturel Le Mosaïque, Le Mené-Collinée (22)  Read More →
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Le fil, suivi de 48e parallèle, de Sylvain Prunenec, au Carreau du temple, dans le cadre du festival Faits d’hiver
  © Marc Domage   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Baissant son pantalon, il découvre un short au motif de camouflable militaire et enjambe la scène depuis le public. Ainsi Sylvain Prunenec commence-t-il, sans façon, à dérouler ce fil qui, de l’ici et maintenant, va se dérouler jusqu’en 1986. 48e parallèle poursuivra dans une deuxième partie en suivant un autre fil, spatial, qui de la pointe du Raz amena le danseur jusqu’à Sakhaline. Deux projets distincts qui finalement épousent la linéarité par le truchement d’un corps. Sylvain Prunenec embrasse les deux dimensions, temps et espace, qui structurent l’expérience humaine. Il est le témoin, comme une vigie, d’une histoire de la danse et d’une traversée des espaces. C’est une présence au monde, sensible, émotive, comme un brin d’herbe balancé par les vents des steppes, qui se révèle en racontant le monde de la danse et celui des lointains. Fort de son parcours, Sylvain Prunenec est le réceptacle d’un travail accumulé à travers ses rencontres avec différents chorégraphes, en l’occurrence, Trisha Brown, Dominique Bagouet, Deborah Hay. Il en est empreint, façonné, comme il en fut tout autant contributeur : la danse contemporaine travaille cet écheveau où s’entremêlent jusqu’à l’indistinction geste conscient du chorégraphe et mouvements inconscients, irréductiblement propres au danseur. L’œuvre se construit à cette intersection : le contrôle et la pulsion. Si Sylvain Prunenec a quelque chose a raconté, ce quelque chose part de son corps, de la mémoire qu’il a conservée des gestes passés, et qui peut se révéler trompeuse, car le corps comme l’esprit jouent des tours aux danseurs, et c’est à ces aberrations, comme on pourrait dire en optique, qu’il s’attache : ces gestes involontaires, ces hésitations, ces moments de lâcher prise, qui nourrissent la conduite des improvisations ou des répétitions dans le cadre d’un travail de création. Ces scories, habituellement passées sous silence, invisibilisées dans l’œuvre finalement produite, Sylvain Prunenec chausse les lunettes de la remémoration pour les atteindre et découvrir que ce fil temporel est retors. Il y a dans la mémoire, épaulée par le corps (on ne saurait mieux dire), un processus perpétuel de reconfiguration, de réajustement. Cette instabilité, cette fragilité, inhérentes à la danse, ce vacillement au risque de l’effacement comme Pauline L. Boulba le rappelle avec justesse dans son livre CritiQueer la danse en se déplaçant dans le regard du spectateur, c’est ce qui fait le prix et paradoxalement la force du travail de Sylvain Prunenec. Si les premiers pas qu’il effectue sur la scène s’articulent sur des positions d’équilibres précaires et de bascules (One story as in falling, Trisha Brown), Sylvain Prunenec ne pouvait choisir meilleure entame : dans cette salle des pas perdus, il est un funambule sur le fil. Dans le resurgissement au plateau des gestes qui échappèrent au contrôle à un moment donné de l’histoire du danseur, son visage, son regard, son élocution, donnent à percevoir une autre danse encore, vibrionnante : un ballet d’affects, de sourires, d’émotions multiples et ineffables, incontrôlés, chargeant sa présence de la brillance du vivant. Le danseur prend l’épaisseur d’un paysage fluant au gré des coups de vent. Cette intrication de l’infime, un mouvement de cil, et du notable, une marche, tisse avec le même bonheur 48e parallèle. Augmenté des puissantes images filmées et travaillées par Sophie Laly, cette autre pièce étalonne l’immensité au prisme du minuscule : un insecte, un flocon de neige, et Sylvain Prunenec lui-même pris dans la vaste étendue du cadre de l’image. Si la danse est une marche, elle ne peut que s’écrire aux dimensions de l’espace qui l’accueille. Qu’en est-il alors d’une danse de l’infini ? Sylvain Prunenec s’en fait le miroir, il en devient le chemin à la manière d’un chaman oserais-je dire. Conjuguant l’infiniment petit et l’infiniment grand, son corps s’ouvre au monde telle une ligne de faille où les forces cosmiques peuvent s’affronter et paraître dans l’irrémédiable solitude humaine.   © Marc Domage     Le fil, récit parlé-dansé à propos de quelques événements survenus dans mon parcours d’interprète de Sylvain Prunenec conception et interprétation : Sylvain Prunenec Le fil contient des extraits ou citations d’œuvres de Dominique Bagouet (Necesito), Trisha Brown (One Story as in falling), Odile Duboc (Insurrection), Deborah Hay (« O,O » et Oleg Mimosa) durée : 60 min   48e parallèle, une création de Sylvain Prunenec en collaboration avec Sophie Laly et Ryan Kernoa chorégraphie, interprétation, textes : Sylvain Prunenec vidéo : Sophie Laly espace sonore et musique : Ryan Kernoa lumière : Sylvie Garot assistant création lumière : Luc Jenny régie générale et conseil technique : Christophe Poux citations et inspirations : Pour une juste cause, Vassili Grossman,Tchévengour, Andreï Platonov, Eugène Onéguine, Alexandre Pouchkine. durée : 40 min   Le 19 janvier 2024 à 19h30 Carreau du Temple 2 Rue Perrée 75003 Paris réservations : 01 83 81 93 30 https://www.lecarreaudutemple.eu    Read More →
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Ils nous ont oubliés, d’après Thomas Bernhard, mise en scène de Séverine Chavrier, théâtre de La Colline
    © Christophe Raynaud de Lage  ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia  Ils nous ont oubliés est une adaptation de La Platrière de Thomas Bernhard, mais pas seulement. C’est vraiment une œuvre en soi, qui réussit l’exploit de respecter l’esprit bernhardien tout en créant une œuvre complète sur les plans dramaturgique, scénographique, vidéo et musical, avec une distribution au cordeau. La metteuse en scène et nouvelle directrice de la Comédie de Genève, Séverine Chavrier, qui avait déjà commis une adaptation libre (Nous sommes repus mais pas repentis) de Déjeuner chez Wittgenstein, s’est frottée cette fois à l’un de ses épais romans dont la transposition sur scène était potentiellement périlleuse du fait notamment du côté très circulaire du texte, dans sa forme et son intentionnalité. Ils nous ont oubliés ne se résume pas du tout au récit de l’enfer conjugal comme les présentations sommaires annonçant le spectacle le laissaient entendre. Même s’il y a souvent un peu (beaucoup, passionnément) de cela chez Bernhard, C’est toujours plus compliqué. La situation relèverait, dans un vocabulaire contemporain, davantage d’une relation toxique que d’une simple manipulation ou relation dominant – dominé. Ce n’est, de plus, pas qu’un récit réaliste et intimiste du couple. C’est justement aussi à la fois un récit sociétal et fantastique et une plongée introspective naviguant entre les frontières du conscient et de l’inconscient. Cette pluralité d’entrée est rendue possible par la mise en scène et scénographie époustouflantes de Séverine Chavrier et Louise Sari, ainsi que par l’excellence des comédiens, en particulier celle de Laurent Papot qui incarne d’une manière stupéfiante le rôle le plus exigeant de Konrad. La pièce dure plus de 3h sans compter les entractes, alors qu’il ne se passe rien en fait. Aucun effet de suspens n’est ménagé puisqu’au contraire le crime est décrit par le menu dès le début comme dans le roman. C’est la descente aux enfers ou dans la folie qui se déroule sous nos yeux étonnés dans un no man’s land, atemporel et agéographique. Un percussionniste (Florian Satche) rythme (énergiquement afin de nous faire sans peine ressentir l’hyperacousie de Konrad) le délire à Cour sur ses percussions ou même au centre du plateau sur les cloisons en bois. Les cloisons ou ce qu’il en reste, car dès le début elles sont largement abattues à la massue, puis tout le long de la pièce à la crosse d’un fusil (l’arme du crime) afin « d’ouvrir les fenêtres » quand Madame Konrad, impotente a besoin d’air… Des créatures étranges (masquées donc anonymes mais individualisées par leurs voix) et des volatiles (dont une corneille incroyablement dressée) déambulent dans cette habitation à la fois passoire et forteresse. On ne sait pas toujours immédiatement si ce sont des êtres humains, des mannequins de tissus ou des morts-vivants ; des témoins ou des complices de Konrad. Ils sont à la fois là et indirectement là, notamment parce qu’on ne les voit parfois que par écran interposé, la vidéo prenant beaucoup de place aux sens propre et figuré. Des superpositions d’images et des effets de démultiplication contribuent à nous faire perdre tout repère et à nous sentir aspirés dans ce flux et ce reflux nauséabonds. Seule l’infirmière (qui n’existe pas dans le roman) semble représenter le monde de la normalité et de la modernité (avec des citations d’autrices féministes), celui qui vient de l’extérieur et repart à l’extérieur, même si elle finit par rester un peu après avoir offert un aperçu de sa propre instabilité. On n’en finit pas de nager en plein marécage et désespoir, mais même si le temps s’étire, il ne paraît pas long, bien que l’on se demande constamment combien de temps ce « martyre provoqué et subi en commun » selon les propres mots de Bernhard, peut durer. Ce « double exil » ou « double-double exil » toujours selon les termes de l’auteur. On pourrait aussi dire triple : un exil commun et deux exils individuels, unis par une interdépendance affectivement malsaine. Elle a besoin physiquement de lui pour se déplacer, se nourrir, avoir de l’air. Il n’existe en fait qu’à travers elle, ses besoins, exigences et caprices, bon alibi pour ne pas écrire une ligne depuis des décennies de son fameux traité pseudo scientifique sur l’ouïe, qui est une obsession bien commode pour fuir la réalité. Le spectateur aurait presque envie de s’enfuir lui aussi au terme de cette épreuve un peu masochiste d’observation d’êtres vivants en train de se débattre sans espoir, comme des animaux de laboratoire sous le télescope géant de scientifiques perdus sur leur Colline…   © Christophe Raynaud de Lage   Ils nous ont oubliés , d’après La Plâtrière de Thomas Bernhard   Adaptation et mise en scène : Séverine Chavrier Scénographie : Louise Sari Vidéo : Quentin Vigier Son : Simon d’Anselme de Puisaye, Séverine Chavrier Lumières : Germain Fourvel Costumes : Andrea Matweber Educateur des oiseaux : Tristan Plot Accessoires : Louise Sari et Rodolphe Noret Régie plateau : Armelle Lopez Régie vidéo : Tiphaine Steiner Assistanat à la scénographie : Amandine Riffaud Assistanat à la mise en scène : Ferdinand Flame Construction du décor : Julien Fleureau, Olivier Berthel Conception de la forêt : Hervé Mayon – La Licorne Verte Intervention Ircam : Augustin Muller   Avec : Laurent Papot, Marijke Pinoy, Camille Voglaire, Florian Satche (musicien)   Jusqu’au 10 février 2024 Du mardi au samedi à 19h30, dimanche à 15h30 Durée : 3h45 mn (avec deux entractes)   La Colline – Théâtre national 15 rue Malte-Brun Paris 20ème   Réservations : www.colline.fr  Read More →
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Forever, chorégraphie de Tabea Martin au Théâtre de la Cité Internationale, dans le cadre du Festival Faits d’hiver
    © Nelly Rodriguez   ƒƒ article de Nicolas Thevenot Cela s’appelle toiser. Ce surplomb qui rend inaccessible, ce regard qui instruit mieux qu’un juge, ils en usent, tous autant qu’ils sont, plantés en bord de scène, couverts (en partie) de vinyle blanc, tandis que nous prenons place dans les gradins. Eux sont effectivement éternels, forever, cela crée forcément des différences. Tabea Martin pose cette particularité ontologique : l’éternité, comme on glisserait un coussin péteur sous le siège d’un invité. Cet infini est irritant autant qu’une mélodie de boite à musique dont la boucle ne terminerait jamais. Les cinq interprètes remarquables n’auront donc de cesse de jouer, danser leur mort, passe-temps d’un temps qui ne passe pas. D’essayer d’y croire quand plus rien n’est crédible. L’esprit de compétition semble décupler dans ce monde où les concurrents ne sauraient être éliminés. Les avis de décès s’affichent sur des bâches blanches comme des mots d’ordre incongrus : ainsi « FRAPPÉ PAR LA FOUDRE », « TOMBER D’UNE FALAISE » ou encore « MORT DE FAIM ». Quand bien même ils apparaitraient en grand, les mots sont une plate écriture puisqu’ils sont ici sans conséquences. C’est peut-être cela alors l’éternité : une absence de sens. Forever travaille les excès mais sans gravité, et produit une sorte de monde de Bisounours grandguignolesque. Les corps utilisent le vocabulaire de la pantomime, du dessin animé quand ils ne dansent pas sur un air baroque. La radicalité, par les giclées de sang, les cris, est dans le même temps désinvestie par les danseurs pour ne pas rendre grave ce qui ne doit pas l’être. C’est un spectacle de désarmement, en quelque sorte. En dépit de la suractivité qui structure la pièce, elle semble finalement gonflée d’un vide, à l’instar de la scénographie suspendant ses ballons blancs et disséminant d’autres baudruches au sol. Tout en la détournant, Tabea Martin cite une certaine danse contemporaine, et plus particulièrement celle de Jan Fabre, avec ces deux bidons suspendus, étiquetés, l’un LARME, l’autre SANG. D’autres références au chorégraphe, plus vraiment en odeur de sainteté depuis sa condamnation, émaillent encore le spectacle. Cette sensation de déjà vu (à prononcer pourquoi pas avec un accent américain pour faire plus glamour) est finalement assez inconfortable : dans ce spectacle qui travaille de manière ludique à l’idée d’éternité et à ce qu’elle impliquerait, transparait le cadavre d’autres spectacles. C’est bien sûr le propre de l’art de recycler les formes qui précédent, mais ici c’est comme si ce recyclage acquérait lui-même une forme de vanité somme toute assez creuse. Ce qui est un comble pour une œuvre voulant tutoyer l’éternité. Tout est affaire de temps d’ailleurs. Hormis la scène, excellente, de l’enterrement final, Forever a tendance à enchainer les très nombreux événements qui le composent sans leur laisser leur temps propre, ce qui a tendance à paradoxalement dévitaliser le spectacle alors même qu’il carbure de l’énergie de ses interprètes. Et d’être dans une économie du gag (plutôt téléphoné) quand Forever pourrait être dans ce temps de l’instant, capable d’ouvrir l’infini dans la seconde : celui de la souveraine performance.   © Nelly Rodriguez     Forever, chorégraphie Tabea Martin   avec : Tamara Gvozdenovic, Benjamin Lindh Medin, Emeric Rabot, Daniel Staaf, Miguel do Vale scénographie : Veronika Mutalova costumes : Mirjam Egli lumière : Simon Lichtenberger dramaturgie : Irina Müller, Moos van den Broek stagiaire en dramaturgie : Nadja Rothenburger création sonore : Donath Weyeneth œil extérieur : Sebastian Nübling assistante à la chorégraphie : Laetitia Kohler   Du 15 au 16 janvier 2024 à 20h Durée : 1h   Théâtre de la Cité internationale 17, boulevard Jourdan 75014 Paris réservations  : 01 85 53 53 85  Read More →
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Giulio Cesare, opera de Georg Friedrich Haendel, livret de Nicola Francesco Haym, mise en scène de Laurent Pelly, à l’Opéra Garnier
© Vincent Pontet ff article de Denis Sanglard Opéra en trois actes de 1724 à la trame historique, les amours de César et Cléopâtre, c’est un festival pour les amateurs de voix. Les airs qui le composent, fort nombreux, demandent une virtuosité, une musicalité et un réel talent dramatique pour restituer toute la complexité des personnages et des enjeux dramaturgiques contenus dans le livret de Haym. Si les deux premiers arguments furent dans l’ensemble tenus, le troisième en revanche n’a pas rempli toutes ses promesses. La mise en scène de Laurent Pelly, datant de 2011, on pense irrésistiblemen au film La nuit au musée (2006) de Shawn Levy, fait se passer l’action dans les réserves égyptologiques d’un musée. Le personnel s’affaire, déplacements d’œuvre et inventaire, tandis qu’intriguent nos personnages, invisibles et dans l’indifférence donc du premier. Laurent Pelly donne ainsi une vérité archéologique, voire historique, à une Egypte fantasmée. Et ces réserves de devenir également un formidable magasin d’accessoires sur lesquels s’appuie avec justesse la mise en scène. L’entrée de Cléopâtre sur la statue de Ramsès II ne manquant pas de panache et d’ironie. Seulement Laurent Pelly, malgré la qualité de sa mise en scène, a la fâcheuse tendance ici d’appuyer un peu trop sur la comédie et le ressort comique. C’est particulièrement vrai et agaçant dans le traitement réservé aux Egyptiens nullement crédible par le traitement qui leur est réservé. Pourquoi faire de Ptolémée ce personnage histrionique, efféminés de surcroit, un cliché qu’on pensait aujourd’hui ne plus voir qui de fait et paradoxalement dévitalise sa formidable partition chantée. Même traitement pour Nireno qui prend ici trop souvent des poses de profils, « à l’égyptienne ». Quand à Cléopâtre, à vouloir lui donner absolument une juvénilité amoureuse frôlant l’hystérie, elle en perd toute dignité royale et cela tourne au comique involontaire que rattrape avec justesse le troisième acte qui la voit en danger de perdre sa situation et son amour. Seul Achilla échappe à ce traitement sans doute pour avoir trahi son maître au profit de César. Il n’y a ici que les romains, Jules César, Sextus et Cornelia, qui s’en sortent avec dignité, royaux de bout en bout. Laurent Pelly aurait sans doute dû s’appuyer davantage sur le chant pour donner à la distribution et à chacun une cohésion que porte indubitablement la partition et que volontairement ou non casse cette direction d’acteur à contre-sens. Et si la pyrotechnie vocale attendue était au rendez-vous il manquait malheureusement pour certain un supplément d’âme qui entachait cette soirée où l’on aurait aimé il est vrai plus d’aspérité, d’homogénéité et d’engagement scénique pour des rôle qui demandent de ce côté-ci une réelle exigence, la même que la partition. Particulièrement Lisette Oropesa, Cléopâtre, qui si elle convainc au chant ne réussit pas dans son incarnation à donner une véritable émotion. Un manque de nuance dommageable pour un tel personnage qu’une technique vocale au demeurant parfaite et éblouissante, une justesse idoine, ne parviennent pas à offrir, peu aidées non plus par une direction d’acteur étrangement des plus sommaires qu’elle ne réussit pas à dépasser la cantonnant à un jeu univoque. La mezzo-soprano Gaëlle Arquez, César, aguerrie au rôle, quelque peu lestée dans son jeu hiératique offre néanmoins à son personnage, par la finesse expressive de son chant, une incarnation tout en contraste. Lestyn Davies est à son affaire dans le rôle de Ptolémée, vocalement s’entend, mais la contrainte d’un jeu comique dont il ne se déprend pas décrédibilise son personnage et ne lui autorise pas de nous donner une véritable émotion. S’il y a bien deux révélations lors de cette production c’est sans aucun doute Emily d’Angelo qui dans le rôle de Sextus apporte une fraicheur, une jeunesse que porte une voix insolente et éblouissante et d’une grande d’agilité qui compensait un jeu quelque peu figé mais malgré tout véritablement incarné par sa fougue vengeresse. Et Wiebke Lehmkuhl, Cornelia, dont la voix de contralto, merveilleusement crémeuse, atteint dans son interprétation une dimension doloriste et une noblesse tragique de la plus belle eau. Dans la fosse, Harry Bickett dirige sans faute de goût mais sans originalité ni plus d’allant l’Orchestre National de Paris. Si l’on passe une agréable soirée il est vrai, ce n’est pas non plus l’acmé attendu, rien qui ne nous transporte vraiment.  Reste le chant. Un regret, et pas des moindre, ne pas avoir bénéficié d’un véritable orchestre baroque qui aurait sans nul doute offert une sonorité, un timbre sans doute moins uniforme et bien plus subtil.   © Vincent Pontet Giulio Cesare, de Haendel Livret de Haym D’après Bussani Direction musicale : Harry Bicket Mise en scène et costumes : Laurent Pelly Responsable de la reprise : Laurie Feldman Décors : Chantal Thomas Lumières : Joël Adam Dramaturgie : Agathe Mélinand Chef des chœurs : Gaël Darchen Chœur Unikanti Orchestre National de l’Opéra de Paris Avec Gaëlle Arquez, Adrien Mathonnat, Wiebke Lehmkuhl, Emily d’Angelo, Lisette Oropesa, Lestyn Davies, Luca Pisaroni, Rémi Bres   Jusqu’au 16 février 2024   Opéra Garnier Place de l’Opéra 75009 Paris Réservations : 01 71 25 24 23 www.operadeparis.fr  Read More →
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La nuit sera blanche, d’après Dostoïevski, adaptation et mise en scène de Lionel Gonzàlez au théâtre de l’Aquarium, cartoucherie de Vincennes
   © Christophe Raynaud de Lage ƒƒƒ article de Sylvie Boursier « Et maintenant que vais-je faire de tout ce temps que sera ma vie..? », chantait Gilbert Bécaud. Que faire lorsqu’on est devenu le bourreau de celle qu’on aimait, qu’on l’a humiliée et poussée au suicide à son insu. Un prêteur sur gages prônait la sévérité et faisait barrière aux rires, à la joie et à l’innocence de sa jeune épouse, une distance s’est installée entre eux. Sans violence physique, à bas bruit, le chemin de croix de la suicidée fut une ascèse, protester, parler lui paraissait inutile, aucun reproche, simplement vivre ne lui semblait plus possible. Cela, il le réalise au prix d’un récit introspectif et quatre heures après que sa femme se soit défénestrée, le mari songe avec horreur à la solitude qui l’attend. Lionel Gonzales nous accueille dans sa soupente, peuplée de bassines, ustensiles de cuisines et reliques, nous invite d’un signe à occuper l’espace des gradins, il passe de la chaise au lit, se tourne vers une icône, lisse sa barbe, pointe du doigt un objet… voilà trois fois rien et le monologue a commencé. L’homme devant nous se coule dans les méandres d’une pensée qui s’élabore en direct, improvise, rétropédale   et nous prend à témoin. Le récit se construit image après image par le souffle du comédien qui lève un bras, cherche, bouge une jambe, mange un morceau, change de chaise, indifférent à l’arrière-boutique ou jeanne Candel dans le rôle de la servante s’affaire, procède à des ablutions, cuit le chou et récure le sol ensanglanté, terrible banalité d’un quotidien dont il est désormais exclu. Le monde tourne maintenant sans lui dans le silence assourdissant d’une douleur rentrée. Jamais Dostoïevski, hanté par la culpabilité et le suicide, n’a été si bien saisi dans ses non-dits, la manière avec laquelle chacun de nous peut faire le mal en toute bonne conscience sans y comprendre grand-chose. Peut-on aimer quelqu’un en attendant qu’il se transforme à notre image ?  L’usurier réalise peu à peu qu’il a épousé cette jeune femme sans défense et lui a fait payer les injustices qu’il a subies dans sa vie. Il ne l’a ni battue, ni affamée, mais lui a imposée au fil des mois un silence inhumain, une écrasante domination. On chemine en même temps que l’acteur vers cette vérité ignoble, l’ordinaire du mal. Lionel Gonzalez est formidable de simplicité, on lit en lui à livre ouvert, goguenard au départ il s’achemine progressivement vers l’horreur qu’il refoule à coups de raisonnements spécieux, sans effets spéciaux, sans accessoires, par la force de son interprétation. Un homme, un texte c’est tout, les heures blanches d’une nuit sans fond, remarquable !     © Christophe Raynaud de Lage   La nuit sera blanche d’après la Douce nouvelle extraite du Journal d’un écrivain de Dostoïevski Direction artistique : Lionel González Conception et jeu : Jeanne Candel , González , Thibault Perriard Scénographie : Lisa Navarro Lumière : Fabrice Olivier Costumes : Elisabeth Cerqueira Durée : 2 heures Jusqu’au 27 janvier à 20h30 dans le cadre du festival BRUIT   Théâtre de L’Aquarium 2 route du champ de Manœuvre 75012 Paris Réservation : 01 43 74 99 61 https://aquarium.mapado.com   Tournée : du 11 au 18 octobre 2024 à la Comédie de Genève.    Read More →
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