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La nuit sera blanche, d’après Dostoïevski, adaptation et mise en scène de Lionel Gonzàlez au théâtre de l’Aquarium, cartoucherie de Vincennes

Jan 23, 2024 | Commentaires fermés sur La nuit sera blanche, d’après Dostoïevski, adaptation et mise en scène de Lionel Gonzàlez au théâtre de l’Aquarium, cartoucherie de Vincennes

 

 © Christophe Raynaud de Lage

ƒƒƒ article de Sylvie Boursier

« Et maintenant que vais-je faire de tout ce temps que sera ma vie..? », chantait Gilbert Bécaud. Que faire lorsqu’on est devenu le bourreau de celle qu’on aimait, qu’on l’a humiliée et poussée au suicide à son insu. Un prêteur sur gages prônait la sévérité et faisait barrière aux rires, à la joie et à l’innocence de sa jeune épouse, une distance s’est installée entre eux. Sans violence physique, à bas bruit, le chemin de croix de la suicidée fut une ascèse, protester, parler lui paraissait inutile, aucun reproche, simplement vivre ne lui semblait plus possible. Cela, il le réalise au prix d’un récit introspectif et quatre heures après que sa femme se soit défénestrée, le mari songe avec horreur à la solitude qui l’attend.

Lionel Gonzales nous accueille dans sa soupente, peuplée de bassines, ustensiles de cuisines et reliques, nous invite d’un signe à occuper l’espace des gradins, il passe de la chaise au lit, se tourne vers une icône, lisse sa barbe, pointe du doigt un objet… voilà trois fois rien et le monologue a commencé. L’homme devant nous se coule dans les méandres d’une pensée qui s’élabore en direct, improvise, rétropédale   et nous prend à témoin. Le récit se construit image après image par le souffle du comédien qui lève un bras, cherche, bouge une jambe, mange un morceau, change de chaise, indifférent à l’arrière-boutique ou jeanne Candel dans le rôle de la servante s’affaire, procède à des ablutions, cuit le chou et récure le sol ensanglanté, terrible banalité d’un quotidien dont il est désormais exclu. Le monde tourne maintenant sans lui dans le silence assourdissant d’une douleur rentrée.

Jamais Dostoïevski, hanté par la culpabilité et le suicide, n’a été si bien saisi dans ses non-dits, la manière avec laquelle chacun de nous peut faire le mal en toute bonne conscience sans y comprendre grand-chose. Peut-on aimer quelqu’un en attendant qu’il se transforme à notre image ?  L’usurier réalise peu à peu qu’il a épousé cette jeune femme sans défense et lui a fait payer les injustices qu’il a subies dans sa vie. Il ne l’a ni battue, ni affamée, mais lui a imposée au fil des mois un silence inhumain, une écrasante domination. On chemine en même temps que l’acteur vers cette vérité ignoble, l’ordinaire du mal. Lionel Gonzalez est formidable de simplicité, on lit en lui à livre ouvert, goguenard au départ il s’achemine progressivement vers l’horreur qu’il refoule à coups de raisonnements spécieux, sans effets spéciaux, sans accessoires, par la force de son interprétation. Un homme, un texte c’est tout, les heures blanches d’une nuit sans fond, remarquable !

 

  © Christophe Raynaud de Lage

 

La nuit sera blanche d’après la Douce nouvelle extraite du Journal d’un écrivain de Dostoïevski

Direction artistique : Lionel González

Conception et jeu : Jeanne Candel , González , Thibault Perriard

Scénographie : Lisa Navarro

Lumière : Fabrice Olivier

Costumes : Elisabeth Cerqueira

Durée : 2 heures

Jusqu’au 27 janvier à 20h30 dans le cadre du festival BRUIT

 

Théâtre de L’Aquarium

2 route du champ de Manœuvre

75012 Paris

Réservation : 01 43 74 99 61

https://aquarium.mapado.com

 

Tournée : du 11 au 18 octobre 2024 à la Comédie de Genève.

 

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