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Grand jeté, de Silvia Grabaudi, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre du festival Faits d’hiver

Jan 26, 2024 | Commentaires fermés sur Grand jeté, de Silvia Grabaudi, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre du festival Faits d’hiver

 

© Andrea Macchia

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Grand jeté, pas de bourrée, plié, pas de chat, glissé… la danse classique est une constellation de vocabulaire français qui fleure bon son fumet d’époque. Héritage de l’histoire et de sa filiation au maître de ballet français, il est repris tel quel avec une savoureuse pointe d’accent dans toutes les langues. Il y a la même surprise à l’entendre cité par des danseurs étrangers que de découvrir ces Bourbons partis procréer sur d’autres terres, dans d’autres idiomes. La rigueur de ce catalogue exhaustif n’a d’égale que la perfection imposée aux mouvements qu’il classe. École de l’exigence, la danse classique est une philosophie de la discipline à tous les sens du terme. Silvia Grabaudi, qui a suivi elle-même cette formation dans sa prime jeunesse, s’en empare pour la déconstruire joyeusement dans un pas de côté qui fait la part belle à la rencontre avec le public. Démontant les rouages de cet événement mondain par excellence (la soirée à l’opéra), elle inverse ironiquement les causes et les effets : Grand jeté commence par la fin, une succession de saluts, d’applaudissements sollicités comme une mise en ridicule de ces exclamations, cris, vivats, qui émaillent les opéras et les ballets et signent autant une sincère émotion qu’une manière de s’afficher et se distinguer en tant que connaisseur de ce monde. Silvia Grabaudi rhabille également le corps de ballet en attifant ses danseurs de tenues de soirée noires, qui un minishort, qui un haut en résille, qui une chemise satinée, qui des bottes de cowboys, qui des talons aiguilles. Tous diablement sexy, arborant un sourire de magazine. Car si la danse classique est le lieu d’une norme, la chorégraphe espiègle, mais perspicace, souligne les nouvelles lois du marché du beau : celles de la fashion, d’une exhibition qui porte sur le devant de la scène des déhanchés sensuels, des roulements de bassin. La scène est aujourd’hui celle du podium de mode, la danse est celle des pop stars d’une efficacité à la sensualité stylisée, immédiatement consommable en produits dérivés.

Silvia Gribaudi, pour cette pièce, fait œuvre de passage puisqu’elle convoque à ses côtés la dynamique MM Contemporary Dance Company de Michele Merola. Cette passation comme un dos rond sous un déluge de grands jetés, autrement dit un saute-mouton (mais n’est-elle pas le mouton noir de ce troupeau ?). Car entre elle et ce groupe pimpant, c’est un peu le mariage de la carpe et du lapin qu’elle assume et maîtrise, avec virtuosité, dans une mécanique toute burlesque : Silvia Grabaudi a souvent un train de retard ou bien elle manque d’entrain. De ces décalages, comme de cet écart d’âge, de cet enfumage très fellinien, naît un autre rapport spectaculaire non plus fondé sur la seule performance technique mais sur l’enjouement de la danse. Il y a du Tati chez Silvia Grabaudi quand elle baguenaude sur ce terrain de jeu avec la souveraineté et l’innocence de celle à qui on ne le fait pas. Son ludisme se révèle dans le détachement de l’effort, le somptueux lâcher prise qu’elle éclaire d’une bonhommie presque enfantine. La partition est à lire sur son visage : quand on n’a plus rien à démontrer, on peut tout montrer dans une humble et lumineuse transparence. Si le monde du ballet est celui de l’extrême retenu des émotions, d’un impénétrable sérieux, Grand jeté les libère comme un jeté de bouquet de mariée. Si ce monde-là est celui des pas comptés, soumis à l’infernal métronome des nombres qui assèchent l’esprit virevoltant, Grand Jeté les clame pour mieux les décompter et s’en affranchir. Et Silvia Gribaudi de créer une nouvelle arithmétique soumise aux seuls répons du public. C’est elle qui lance les dés, secoue le cornet et jauge de l’effet produit. Désarmant les conventions, la chorégraphe invente avec bonheur une autre séduction loin des (boulets de) canons qui meurtrissent les âmes.

 

© Andrea Macchia

 

 

Grand jeté, concept et chorégraphie de Silvia Gribaudi

Interprétation : Silvia Gribaudi & MM Contemporary Dance Company: Emiliana Campo, Lorenzo Fiorito, Mario Genovese, Matilde Gherardi, Fabiana Lonardo, Alice Ruspaggiari, Rossana Samele, Nicola Stasi, Giuseppe Villarosa, Leonardo Zannella

Musique : Matteo Franceschini

Lumière : Luca Serafini

Costumes : Ettore Lombardi

Assistant chorégraphie : Paolo Lauri

Consultante dramaturgie : Annette Van Zwoll

Collaboration artistique : Matteo Maffesanti

Conseil technique : Leonardo Benetollo

Creative producer : Mauro Danesi

 

Durée : 1h

Les 23, 24, 27 et 28 janvier 2024 à 20h, vendredi 14h30 et dimanche 15h

 

Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville

31, rue des Abbesses

75018 Paris

Tél : 01 42 74 22 77

 

https://www.theatredelaville-paris.com

 

 

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