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R.OSA, de Silvia Grabaudi, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre du festival Faits d’hiver

Jan 30, 2024 | Commentaires fermés sur R.OSA, de Silvia Grabaudi, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre du festival Faits d’hiver

 

© Eleonora Radano

  

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Lorsqu’elle pénètre la scène au sol blanc immaculé, juste colorée d’un maillot une pièce bleu arlequin, le silence emplit la salle aussi pleinement que l’eau une piscine : à ras bord. De l’ordre du phénomène proprement météorologique. Sont-ce ses dimensions hors normes, ce débordement de chair pareil à une luxuriante nature, cette physicalité aux proportions picturales évoquant évidemment Botero, ou certains tableau de Picasso, qui nous en imposent, ou est-ce, de façon plus invisible, cette capacité d’un corps à assécher ce qui bruit alentour aussi soudainement qu’une marée refluant ? Puis, après avoir pris le temps de jauger l’assistance par un chant a capella, elle finira de nous apprivoiser, modulant sa voix claire entre puissance et effets murmurés. Et mangera, en guise d’amuse-gueule, ses mots dans une élocution accélérée.

Avec R.OSA, Silvia Gribaudi et sa trublionne interprète Claudia Marsicano osent le tout pour le tout et montent au front : s’exposer sur une scène de danse dans un corps qui ne répond pas au stéréotype de la danseuse. Parler de déconstruction serait réducteur tant la proposition, proprement performative et disruptive, nous embarque, dans une chevauchée aventureuse, clownesque et poétique à la fois, vers des contrées inédites. R.OSA fait du public partie prenante de sa forme spectaculaire. C’est un corps à corps dans lequel on s’engouffre avec frénésie, porté par un désir proprement dionysiaque, soulevé par une excitation collective pareille à celle d’une foule faisant tomber un mur, prenant sa Bastille. Scandant la pièce en exercices, Claudia Marsicano se fait coach, avatar de l’éternelle Jane Fonda, et lève le cul des spectateurs de leur fauteuil. La démarche n’a pourtant rien à voir avec celle d’un Rodrigo Garcia amenant certains à baisser leur froc sur un plateau, non, ici il s’agit, en toute bienveillance, d’embrasser ludiquement et joyeusement les mouvements d’un corps central pour ne faire plus qu’un. Et de déplacer ainsi le centre de gravité de la performance, et du jugement. C’est beau un public qui, par ses faits et gestes, s’identifie et fusionne avec une soliste : par le miracle de cette soirée se révèle enfin la véritable nature et étendue d’une œuvre, non plus confinée aux corps sur la scène mais se ramifiant dans tous les corps de la salle. R.OSA dresse la forêt qui, du plateau à la foule de l’orchestre, forme un continuum de vie. Avec un port de reine, gonflée à bloc, Claudia Marsicano transporte son public. Elle est notre souveraine caisse de résonnance. Elle séduit aussi et impressionne par la virtuosité de sa dance, mêlant rapidité et précision, déliant avec bonheur chaque partie de ses membres, et tout autant capable d’un fantastique ballet de grimaces sur un tube de Britney Spears à faire pâlir Jim Carrey.

Silvia Grabaudi a l’intelligence du dispositif spectaculaire : déportant notre regard pour en finir avec le jugement, elle invente une forme qui ne serait plus le miroir aux alouettes de nos représentations mais une expérimentation en chair et en os d’un autre rapport possible entre performeur et spectateur. R.OSA se vit, pour reprendre une terminologie d’histoire de l’art, comme une manière de s’abstraire (des clichés), en quittant les stéréotypes du figuratif. C’est une traversée des apparences. Plutôt qu’une vision de l’autre, une communauté des sens, un vivre ensemble spectaculaire. Semblable en cela au travail du clown, la pièce de Silvia Grabaudi gomme les frontières entre extériorité et intériorité, corps et être, plongeant sa muse et nous-mêmes dans ce même bain dont parle Maeterlinck : « Matière, esprit, c’est de l’eau bleue ou de l’eau rouge, la couleur diffère, mais c’est toujours de l’eau ».

 

© Manuel Cafini

 

 

R.OSA, concept, chorégraphie & direction de Silvia Gribaudi

Lumière : Leonardo Benetollo

Costumes : Erica Sessa

Consultants artistiques : Antonio Rinaldi, Giulia Galvan, Francesca Albanese, Matteo Maffesanti

Avec Claudia Marsicano

Durée : 45 minutes

 

Du 25 au 27 janvier 2023 à 20H sauf samedi à 17h

 

Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville

31, rue des Abbesses

75018 Paris

Tél : 01 42 74 22 77

https://www.theatredelaville-paris.com

 

 

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