© Vincent Pontet
ff article de Denis Sanglard
Opéra en trois actes de 1724 à la trame historique, les amours de César et Cléopâtre, c’est un festival pour les amateurs de voix. Les airs qui le composent, fort nombreux, demandent une virtuosité, une musicalité et un réel talent dramatique pour restituer toute la complexité des personnages et des enjeux dramaturgiques contenus dans le livret de Haym. Si les deux premiers arguments furent dans l’ensemble tenus, le troisième en revanche n’a pas rempli toutes ses promesses. La mise en scène de Laurent Pelly, datant de 2011, on pense irrésistiblemen au film La nuit au musée (2006) de Shawn Levy, fait se passer l’action dans les réserves égyptologiques d’un musée. Le personnel s’affaire, déplacements d’œuvre et inventaire, tandis qu’intriguent nos personnages, invisibles et dans l’indifférence donc du premier. Laurent Pelly donne ainsi une vérité archéologique, voire historique, à une Egypte fantasmée. Et ces réserves de devenir également un formidable magasin d’accessoires sur lesquels s’appuie avec justesse la mise en scène. L’entrée de Cléopâtre sur la statue de Ramsès II ne manquant pas de panache et d’ironie. Seulement Laurent Pelly, malgré la qualité de sa mise en scène, a la fâcheuse tendance ici d’appuyer un peu trop sur la comédie et le ressort comique. C’est particulièrement vrai et agaçant dans le traitement réservé aux Egyptiens nullement crédible par le traitement qui leur est réservé. Pourquoi faire de Ptolémée ce personnage histrionique, efféminés de surcroit, un cliché qu’on pensait aujourd’hui ne plus voir qui de fait et paradoxalement dévitalise sa formidable partition chantée. Même traitement pour Nireno qui prend ici trop souvent des poses de profils, « à l’égyptienne ». Quand à Cléopâtre, à vouloir lui donner absolument une juvénilité amoureuse frôlant l’hystérie, elle en perd toute dignité royale et cela tourne au comique involontaire que rattrape avec justesse le troisième acte qui la voit en danger de perdre sa situation et son amour. Seul Achilla échappe à ce traitement sans doute pour avoir trahi son maître au profit de César. Il n’y a ici que les romains, Jules César, Sextus et Cornelia, qui s’en sortent avec dignité, royaux de bout en bout. Laurent Pelly aurait sans doute dû s’appuyer davantage sur le chant pour donner à la distribution et à chacun une cohésion que porte indubitablement la partition et que volontairement ou non casse cette direction d’acteur à contre-sens.
Et si la pyrotechnie vocale attendue était au rendez-vous il manquait malheureusement pour certain un supplément d’âme qui entachait cette soirée où l’on aurait aimé il est vrai plus d’aspérité, d’homogénéité et d’engagement scénique pour des rôle qui demandent de ce côté-ci une réelle exigence, la même que la partition. Particulièrement Lisette Oropesa, Cléopâtre, qui si elle convainc au chant ne réussit pas dans son incarnation à donner une véritable émotion. Un manque de nuance dommageable pour un tel personnage qu’une technique vocale au demeurant parfaite et éblouissante, une justesse idoine, ne parviennent pas à offrir, peu aidées non plus par une direction d’acteur étrangement des plus sommaires qu’elle ne réussit pas à dépasser la cantonnant à un jeu univoque. La mezzo-soprano Gaëlle Arquez, César, aguerrie au rôle, quelque peu lestée dans son jeu hiératique offre néanmoins à son personnage, par la finesse expressive de son chant, une incarnation tout en contraste. Lestyn Davies est à son affaire dans le rôle de Ptolémée, vocalement s’entend, mais la contrainte d’un jeu comique dont il ne se déprend pas décrédibilise son personnage et ne lui autorise pas de nous donner une véritable émotion. S’il y a bien deux révélations lors de cette production c’est sans aucun doute Emily d’Angelo qui dans le rôle de Sextus apporte une fraicheur, une jeunesse que porte une voix insolente et éblouissante et d’une grande d’agilité qui compensait un jeu quelque peu figé mais malgré tout véritablement incarné par sa fougue vengeresse. Et Wiebke Lehmkuhl, Cornelia, dont la voix de contralto, merveilleusement crémeuse, atteint dans son interprétation une dimension doloriste et une noblesse tragique de la plus belle eau. Dans la fosse, Harry Bickett dirige sans faute de goût mais sans originalité ni plus d’allant l’Orchestre National de Paris. Si l’on passe une agréable soirée il est vrai, ce n’est pas non plus l’acmé attendu, rien qui ne nous transporte vraiment. Reste le chant. Un regret, et pas des moindre, ne pas avoir bénéficié d’un véritable orchestre baroque qui aurait sans nul doute offert une sonorité, un timbre sans doute moins uniforme et bien plus subtil.
© Vincent Pontet
Giulio Cesare, de Haendel
Livret de Haym
D’après Bussani
Direction musicale : Harry Bicket
Mise en scène et costumes : Laurent Pelly
Responsable de la reprise : Laurie Feldman
Décors : Chantal Thomas
Lumières : Joël Adam
Dramaturgie : Agathe Mélinand
Chef des chœurs : Gaël Darchen
Chœur Unikanti
Orchestre National de l’Opéra de Paris
Avec Gaëlle Arquez, Adrien Mathonnat, Wiebke Lehmkuhl, Emily d’Angelo, Lisette Oropesa, Lestyn Davies, Luca Pisaroni, Rémi Bres
Jusqu’au 16 février 2024
Opéra Garnier
Place de l’Opéra
75009 Paris
Réservations : 01 71 25 24 23
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