À l'affiche, Agenda, Critiques, Festivals // Forever, chorégraphie de Tabea Martin au Théâtre de la Cité Internationale, dans le cadre du Festival Faits d’hiver

Forever, chorégraphie de Tabea Martin au Théâtre de la Cité Internationale, dans le cadre du Festival Faits d’hiver

Jan 23, 2024 | Commentaires fermés sur Forever, chorégraphie de Tabea Martin au Théâtre de la Cité Internationale, dans le cadre du Festival Faits d’hiver

 

 

© Nelly Rodriguez

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

Cela s’appelle toiser. Ce surplomb qui rend inaccessible, ce regard qui instruit mieux qu’un juge, ils en usent, tous autant qu’ils sont, plantés en bord de scène, couverts (en partie) de vinyle blanc, tandis que nous prenons place dans les gradins. Eux sont effectivement éternels, forever, cela crée forcément des différences. Tabea Martin pose cette particularité ontologique : l’éternité, comme on glisserait un coussin péteur sous le siège d’un invité. Cet infini est irritant autant qu’une mélodie de boite à musique dont la boucle ne terminerait jamais. Les cinq interprètes remarquables n’auront donc de cesse de jouer, danser leur mort, passe-temps d’un temps qui ne passe pas. D’essayer d’y croire quand plus rien n’est crédible. L’esprit de compétition semble décupler dans ce monde où les concurrents ne sauraient être éliminés. Les avis de décès s’affichent sur des bâches blanches comme des mots d’ordre incongrus : ainsi « FRAPPÉ PAR LA FOUDRE », « TOMBER D’UNE FALAISE » ou encore « MORT DE FAIM ». Quand bien même ils apparaitraient en grand, les mots sont une plate écriture puisqu’ils sont ici sans conséquences. C’est peut-être cela alors l’éternité : une absence de sens.

Forever travaille les excès mais sans gravité, et produit une sorte de monde de Bisounours grandguignolesque. Les corps utilisent le vocabulaire de la pantomime, du dessin animé quand ils ne dansent pas sur un air baroque. La radicalité, par les giclées de sang, les cris, est dans le même temps désinvestie par les danseurs pour ne pas rendre grave ce qui ne doit pas l’être. C’est un spectacle de désarmement, en quelque sorte. En dépit de la suractivité qui structure la pièce, elle semble finalement gonflée d’un vide, à l’instar de la scénographie suspendant ses ballons blancs et disséminant d’autres baudruches au sol.

Tout en la détournant, Tabea Martin cite une certaine danse contemporaine, et plus particulièrement celle de Jan Fabre, avec ces deux bidons suspendus, étiquetés, l’un LARME, l’autre SANG. D’autres références au chorégraphe, plus vraiment en odeur de sainteté depuis sa condamnation, émaillent encore le spectacle. Cette sensation de déjà vu (à prononcer pourquoi pas avec un accent américain pour faire plus glamour) est finalement assez inconfortable : dans ce spectacle qui travaille de manière ludique à l’idée d’éternité et à ce qu’elle impliquerait, transparait le cadavre d’autres spectacles. C’est bien sûr le propre de l’art de recycler les formes qui précédent, mais ici c’est comme si ce recyclage acquérait lui-même une forme de vanité somme toute assez creuse. Ce qui est un comble pour une œuvre voulant tutoyer l’éternité. Tout est affaire de temps d’ailleurs. Hormis la scène, excellente, de l’enterrement final, Forever a tendance à enchainer les très nombreux événements qui le composent sans leur laisser leur temps propre, ce qui a tendance à paradoxalement dévitaliser le spectacle alors même qu’il carbure de l’énergie de ses interprètes. Et d’être dans une économie du gag (plutôt téléphoné) quand Forever pourrait être dans ce temps de l’instant, capable d’ouvrir l’infini dans la seconde : celui de la souveraine performance.

 

© Nelly Rodriguez

 

 

Forever, chorégraphie Tabea Martin

 

avec : Tamara Gvozdenovic, Benjamin Lindh Medin, Emeric Rabot, Daniel Staaf, Miguel do Vale

scénographie : Veronika Mutalova

costumes : Mirjam Egli

lumière : Simon Lichtenberger

dramaturgie : Irina Müller, Moos van den Broek

stagiaire en dramaturgie : Nadja Rothenburger

création sonore : Donath Weyeneth

œil extérieur : Sebastian Nübling

assistante à la chorégraphie : Laetitia Kohler

 

Du 15 au 16 janvier 2024 à 20h

Durée : 1h

 

Théâtre de la Cité internationale

17, boulevard Jourdan 75014 Paris

réservations  : 01 85 53 53 85

Be Sociable, Share!

comment closed