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Parpaing, conception et écriture Nicolas Petisoff, au Théâtre 13

Jan 26, 2024 | Commentaires fermés sur Parpaing, conception et écriture Nicolas Petisoff, au Théâtre 13

 

© Julie Glassberg

ff article de Denis Sanglard

Devenir ce que l’on est, pour reprendre la phrase de Nietzche, s’inventer soi et construire son identité parpaing après parpaing. Nicolas Petisoff raconte son itinéraire, celui d’un enfant adopté, soumis au poids du mensonge des adultes, aux secrets de famille qui vous rongent, où – Nietzche encore- les vérités que l’on tait deviennent vénéneuses.

Enfance dans une zone industrielle, élevé dans un marasme ordinaire, jusqu’à la révélation par effraction, que l’on gardera un temps pour soi, d’être un enfant adopté. Et jeune adulte lâcher enfin le secret jadis éventé par mémé, crever l’abcès pour en finir une fois pour toute. Mais d’entendre s’énoncer une autre vérité. N’être ni le petit fils d’un tsar, encore moins un bébé miracle rescapé d’un accident, ce que l’on croyait, ce que l’on avait affirmé, mais le fruit d’un accouchement sous X, enfant de la DDASS. Révélation brutale qui cautérise, un temps seulement, les plaies. Et que faire avec ça désormais ? Et puis il y a la révélation de son homosexualité qu’on ne veut plus taire. Et tout de voler en éclat, on ne veut plus de lui dans la maison Phénix. Le sentiment aigu d’un nouvel abandon. Jusqu’à la réconciliation. Et puis la mort du père que le cancer emporte, bouffé lui aussi par son secret d’avoir été un enfant abandonné, fils de pute. Tout pourrait s’arrêter là. Au militantisme LGBTQIA +, une colonne vertébrale qui vous fait tenir droit, fier de sa singularité, au théâtre qui vous responsabilise, à la famille de cœur que l’on s’est choisie comme souvent choisissent les homos déracinés. Seulement que se passe-t-il quand ce que l’on a construit patiemment, parpaing après parpaing, ce que l’on a choisi d’être absolument, ne colle plus avec une autre réalité qui vous tombe dessus sans crier gare ? La découverte d’un frère et d’une mère biologique décédée, contrainte à l’abandon par ses parents, qui ébranle vos certitudes. Un secret, un de plus, qui tient en quelques feuillets tachés de larmes dans un dossier administratif de la protection de l’enfance. Avec au final cette question, qu’est-ce que ça change ? Sinon cette pugnacité à se construire coûte que coûte, avancer toujours. Vivre c’est choisir et les possibilités sont infinies.

C’est tout ça et plus encore que raconte Nicolas Petisoff. Rien de racoleur, nul pathos pour un récit exemplaire, une écriture au cordeau sans scorie, brute de coffre, dit avec la sérénité de celui dont la rage et la colère, il y en eu, il le dit, loin d’être destructrice furent un formidable élan pour construire une vie au-delà du mensonge, des secrets, traverser les apparences, être soi absolument. Plateau dépouillé, juste une estrade, quelques vidéos d’une enfance heureuse en super 8, Christine Taubira aussi pour un discours historique en clôture de l’adoption de la loi dite du mariage pour tous, l’allocution d’adieu au père, et quelques dates clefs. Une ponctuation musicale en live, nappe sonore (signée Guillaume Bertrand ou Pierre Lucas en alternance) pour habiller cet exercice délicat et impudique de la confession. C’est tout et c’est bien suffisant, il n’y a ainsi rien entre ce qui est dit et le public, pas de cache-misère, rien qui ne fasse obstacle, seule la force de frappe et l’assurance d’un texte incisif et tranchant au plus près d’une expérience sensible et sans filtre. Et il est formidable de générosité Nicolas Petisoff, tatoué jusque là – ce qui a son importance – à nous offrir ça, sans manière et sans façon, naturellement et que l’on reçoit curieusement avec gratitude, oui. Le théâtre, comme l’écriture, est aussi une affaire d’engagement. Lequel est le cœur battant de cette création. Non pour venger sa race, comme l’écrit Annie Ernaux, mais ici tout à la fois comme une épiphanie, un acte de d’émancipation et de réconciliation. Il y a du Didier Eribon là-dedans, dans cette volonté de comprendre et non de condamner pour atteindre l’âge d’homme et avancer parpaing après parpaing et de transmettre. Et on ne peut rester insensible devant cet itinéraire d’une vie, l’histoire d’une résilience, que Nicolas Petisoff expose sans vanité mais avec une réelle profondeur et une vraie sensibilité pour dire que oui, demain est toujours possible, il y a toujours un autre jour. Et ce dernier bisou qu’il nous envoie en conclusion, ça fait du bien et pour un peu, qu’il nous pardonne, on lui rendrait la pareille.

 

© Julie Glassberg

 

Parpaing, conception, écriture et jeu Nicolas Petisoff

Conception, régie générale et régie son : Denis Malard

Composition musicale : Guillaume Bertrand

Musique en tournée : Guillaume Bertrand en alternance avec Pierre Lucas

Création lumière : Benoit Brochard

Régie lumière : Baptiste Michel

Regard sur l’écriture : Ronan Chéneau

Direction d’acteur : Emmanuelle Hiron

Construction : François Aubry

Création graphique : Karosabutkiss

Photos : Julie Glassberg

 

Jusqu’au 3 février 2024

Du lundi au vendredi à 20h, le samedi à 18h

Théâtre 13 / Glacière

103A boulevard Auguste Blanqui

75013 Paris

Réservations : www.billeterie.theatre13.com

 

Tournée :

12 /03/24 l’archipel, Granville  (50)

26/03/24 Eve, LE mans Université (72)

28/03/24 L’Atelier des Zrts Vivants, Changé (53)

05/04/24 Centre Culturel Le Mosaïque, Le Mené-Collinée (22)

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