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Rusalka de Antonín Dvorák, direction musicale d’Elena Schwarz, mise en scène de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, Opéra Nice Côte d’Azur

Jan 31, 2024 | Commentaires fermés sur Rusalka de Antonín Dvorák, direction musicale d’Elena Schwarz, mise en scène de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, Opéra Nice Côte d’Azur

 

© Dominique Jaussein

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier

L’ondine de Dvorák a quitté son lac pour une piscine vide aux carreaux abimés, qui semble avoir échoué tel un navire usé dans un refuge provisoire, en l’occurrence l’Opéra de Nice qui accueillait pour trois soirs après Bordeaux et Avignon et avant Toulon et Marseille (dans des distributions différentes dans chaque lieu), la très belle création de Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil. Ils signent tant la mise en scène que la scénographie et les costumes de Rusalka qui continue ainsi d’enchanter les mélomanes. Cette œuvre extrêmement mélodique aux accents étrangement wagnériens et debussiens à la fois, qui suit une intrigue assez simple et proche de légendes slaves et contes bien connus (La Petite Sirène d’Andersen notamment) à travers le monde et le temps, compte beaucoup sur l’orchestre (très élégamment dirigé par Elena Schwarz à Nice) et les deux rôles-titres.

De ce fait, le soir de création à l’Opéra de Nice, le public était un peu inquiet avant que les premières notes et airs ne soient entamés, car le directeur de l’Opéra est descendu micro en main devant la fosse pour faire une annonce, ce qui n’est jamais bon signe dans tous les opéra du monde et faisait craindre légitimement au renouvellement d’une sorte de malédiction, puisque sa création au Théâtre national de Prague (1901) faillit ne pas avoir lieu en raison de la défection du Prince. Bertrand Rossi indiqua qu’en dépit d’une grippe du ténor coréen et de son absence à la générale, ainsi que d’un long passage nocturne aux urgences de la soprane espagnole, les deux rôles titres chanteraient ! Et ils n’ont pas démérité. On peut même dire que c’est une des plus belles Rusalka qui nous ait été donné d’entendre jusqu’à présent. L’émotion de Vanessa Goikoetxea, copieusement et à juste titre très applaudie, était à son comble au moment des saluts, ce qui semble corroborer qu’elle revenait de loin… Et pourtant, aucune trace de cette nuit blanche dans son timbre. La présence scénique est intense dans la robe lamée et les collants résille, notamment quand elle devient mutique. Alerte et agile, projetant sa voix aussi efficacement allongée sur un banc en agitant sa nageoire, qu’assise dans sa piscine en plastique rouge, clin d’œil cocasse dans la piscine en coupe qui fait face au public et où se projettent des vidéos de bassins de nage dans lesquels on pourrait presque se sentir immergés.

La princesse étrangère, à laquelle Camille Schnoor donne la dimension sensuelle attendue, offre également une très belle prestation dans les rôles féminins. Du côté de la sorcière Jezibaba, Marion Lebègue suscite de superbes émotions dès qu’elle est dans les passages les plus exigeants, après avoir mis toutefois quelques minutes à s’imposer ou tout simplement à chauffer suffisamment sa voix de mezzo. Si le balai de ménage a remplacé le balai d’une sorcière en bonne et due forme, son gilet jaune et son attelle la rendant partiellement infirme ne convainc pas vraiment même si l’on comprend qu’elle peut symboliser une séquelle de son passage du monde aquatique au monde terrestre et des difficultés à marcher sur deux jambes après toute une vie en nageoire.

Si l’on sentait David Junghoon Kim prudent dans certains passages lors de sa première prestation dans le rôle du Prince, il a pris son rôle avec beaucoup d’énergie et de conviction. Quant à Vazgen Gazaryan, dans le rôle de Vodnik, son arrivée sur scène en caricature de Philippe Lucas (l’entraîneur de Laure Manaudou), mâtiné de Brice de Nice avait tout pour inquiéter ; à tort, car sa basse puissante et riche s’est imposée avec évidence dès sa première ligne de chant.

Dans les rôles secondaires, le trio des sœurs a témoigné d’une grande clarté et limpidité et le duo du mirliton et garde-chasse d’une fraîcheur vocale et de jeu.

La manière dont les metteurs en scène ont transposé Rusalka dans le monde contemporain des compétitions de natation synchronisée est très pertinente, même si son réalisme conduit à supprimer toute la dimension fantastique de l’opéra, sauf à considérer que l’absence d’eau dans la piscine sur scène et les étranges troncs d’arbres la surplombant, ainsi que les vidéos de sites lacustres remplissent ce rôle. Une vidéo presque omniprésente sur un rideau de gaze en front de scène, tournée à la fois dans une piscine couverte de type municipal et une magnifique piscine extérieure (qui s’avère être la piscine olympique d’Avignon), dont le plongeoir blanc fait écho à un spot niçois bien connu, vient illustrer en miroir de l’opéra la préparation des nageuses, dont certains mouvements chorégraphiés sont doublés sur scène par les trois sœurs accompagnées de trois danseuses. Un petit film vient en outre servir d’interlude entre l’Acte I et II proposant le témoignage désabusé de jeunes nageuses en train de se maquiller (ce qui rappelle la séance de maquillage-coiffage de Rusalka qui se voit en outre confier des talons donnés par Jezibaba pour un passage à une vie de femme hypersexualisée) et ainsi appuyer le propos politique des metteurs en scène et leur dénonciation évidente tant des femmes-objets, que du patriarcat et des violences faites aux femmes, en particulier dans le monde du sport, qui est encore une question largement taboue. La scène de viol de Rusalka par le Prince (« je dois te posséder complétement ») nous rappelle que la scène d’une insupportable actualité est bien dans le livret de cette si envoûtante Rusalka.

 

© Dominique Jaussein

 

 

Rusalka, d’Antonin Dvorák

Livret : Jaroslav Kvapil

Direction musicale : Elena Schwarz

Mise en scène, scénographie et costumes : Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil

Collaboration à la scénographie : Christophe Pitoiset

Lumières : Rick Martin (reprises par Christophe Pitoiset)

Collaboration artistique : Lodie Kardouss

Vidéo : Pascal Boudet et Timothée Buisson

Graphisme : Julien Roques

Dramaturgie : Luc Bourrousse

Avec : Vanessa Goikoetxea, David Junghoon Kim, Vazgen Gazaryan, Marion Lebègue, Camille Schnoor,
 Clara Guillon, Valentine Lemercier, Marie Karall Coline Dutilleul, Fabrice Alibert

Et : le Chœur de l’Opéra de Nice,
l’Orchestre Philharmonique de Nice

 

Durée : 2h50 (avec 1 entracte)

 

En tchèque, surtitré en français et anglais

 

 

Opéra Nice Côte d’Azur

4-6 rue Saint-François de Paule

Nice

 

Jusqu’au 30 janvier 2024

 

www.opera-nice.org

 

 

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