© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ Article de Sylvie Boursier
Une jeune fille nous raconte la « normalité » d’une soirée parisienne avec sa sœur, la balade dans Paris, des détails insignifiants prennent une importance énorme car ce soir-là elles décident de dîner au « petit Cambodge » un restaurant du Xe arrondissement de Paris et nous sommes le 13 novembre 2015. Nous qui l’écoutons savons que sa vie va basculer à brève échéance, la promenade avec sa sœur reste le dernier moment sur la rive avant que le pont n’explose.
Les Consolantes est construit à partir des témoignages des victimes de l’attentat du Bataclan, la fiction de Pauline Susini suit la temporalité du traumatisme, le chemin radical de personnes ordinaires confrontées à une expérience humaine extraordinaire, celle du temps qui n’existe plus, qui se fige dans la douleur, quand le corps et l’espace s’effacent. La personne qui n’est pas tout à fait morte va devoir cohabiter avec celle qui va devoir survivre. Le fil rouge du récit est celui des relations « patient / soignants / familles ou proches » dans un décor de bâches en plastiques et de tréteaux figurant un cabinet médical, un parc, un tribunal, une chambre d’hôpital, un appartement déserté.
La mise en scène stylisée de Pauline Susini s’inspire très justement des mythes grecs, des rituels ancestraux de deuil : d’une rive à l’autre du Styx, les morts reviennent à la vie malgré eux, par surprise, certaines images sont d’une intensité inouïe, le réveil dans une chambre d’hôpital d’un homme arraché à sa propre conscience, décollé de son corps, qui flotte littéralement. Comment revenir à la vie quand on était si loin de la lumière, des soins qui vous transforment en paquet à hisser dans les couloirs, à laver, à retaper. Nicolas Giret-Famin, au jeu épuré, a la grâce des héros antiques, guidé par la voix de son médecin tel Charon, passeur entre le monde des vivants et des morts. Le retour à la vie se fait grâce à la tiédeur de l’eau quand on lave les cheveux du corps allongé dans la chambre, pour d’autres c’est un premier baiser des mois après les attentats. Une mère fume longuement une cigarette laissée par son fils disparu dans son bureau déserté, comme un lien avec lui, une chance d’avoir pu le côtoyer et partager tous ces moments ensemble. On pense à ces mots de Giraudoux « comment cela s’appelle-t-il, quand le jour se lève, comme aujourd’hui et que tout est gâché, que tout est saccagé, mais que l’air pourtant se respire […] cela porte un très beau nom, cela s’appelle l’aurore. » Une jeune fille s’enfuit du Bataclan et se retourne sur la fosse jonchée de cadavres, telle Perséphone qui, après avoir connu l’Enfer rejoint la lumière dans la belle lueur de César Godefroy.
La parole est au centre de l’action dramatique, on suit la genèse de cette prise de parole pour chaque personnage en quête de soi et des autres. Comment transmettre ? Ne rien dire, c’est laisser la place aux discours contraires au vécu intime, discours d’exclusion intolérants et intransigeants ou simplement conventionnels « consolants », « vous ne voulez pas voir quelqu’un qui ne veut pas guérir comme VOUS l’imposez, dit une victime a ses médecins, je ne veux pas faire la paix avec moi-même, et avec mon passé, je ne veux pas me dire que ça n’a pas existé et je n’ai pas envie d’être consolé. »
Malgré certaines scènes anecdotiques qui ne s’imposaient pas, Les Consolantes nous saisissent car chaque évocation ouvre une méditation universelle sur notre temps, nos existences, la solitude d’êtres vivants que nous ne voulons pas regarder en face. Il y a une responsabilité à prendre la parole, quoiqu’il en coûte, ils sont revenus d’entre les morts et ont quelque chose à nous dire, écoutons-les.
© Christophe Raynaud de Lage
Les Consolantes texte et mise en scène de Pauline Suzini
Scénographie : Camille Duchemin
Lumière : César Godefroy
Son : Loïc Leroux
Costumes : Clara Hubert
Jeu : Noémie Develay-Ressiguier, Sébastien Desjours, Sol Espèche, Nicolas Giret-Famin
Durée : 1h45
Vu au théâtre de L’Etoile du Nord 75018 Paris
Du 30 janvier 2024 au 9 février 2024
Du lundi au vendredi à 20h, samedi à 18h
Théâtre 13
30 rue du Chevaleret
75013 Paris
Réservations Théâtre 13 :
01 45 88 62 22
Du 29 février au 02 mars 2024 à Anis Gras Le lieu de L’autre Arcueil (94)
Le 16 mars 2024 à l’Ecam Kremlin- Bicêtre (94)
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