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Music-Hall Colette, de Cléo Sénia et Alexandre Zambeaux, mise en scène de Léna Bréban, au Théâtre Tristan Bernard

Jan 29, 2024 | Commentaires fermés sur Music-Hall Colette, de Cléo Sénia et Alexandre Zambeaux, mise en scène de Léna Bréban, au Théâtre Tristan Bernard

 

© Julien Piffaut

ff article de Denis Sanglard

La vie de Colette, du moins un précipité, femme libre, journaliste et écrivaine, jurée du Goncourt qu’elle n’eut jamais, artiste de music-hall, amoureuse des hommes, des femmes et des bêtes. De la petite Gabrielle-Sidonie Colette de Saint-Sauveur-en-Puisaye à Colette, de la scandaleuse de la Belle-Epoque, épouse et négre de Willy, de la vagabonde au sein nu aimée de Missy (Mathilde de Morny) à la vieille dame gourmande, arthritique et si peu assagie du Palais-Royal, des années d’apprentissage à la maturité, de la journaliste à la romancière, c’est une évocation mise en scène tambour-battant par Léna Bréban, entre artisanat et high-tech, une revue de music-hall conçue par Alexandre Zambeaux et Cléo Sénia, comédienne mais aussi artiste burlesque, vraie boule de pure énergie explosive à l’abattage pétaradant d’une vraie meneuse de revue.

Tout commence par la fin, les funérailles nationales – commentées non sans ironie par Cléo/Colette- et se clôt sur le visage vieilli de l’écrivaine et son regard charbonneux, où sa voix rocailleuse à l’accent bourguignon dont elle ne s’est jamais départie, résonne encore pour célébrer la vie et que porte cette photo à jamais iconique. (Le diable étant dans les détails la description de son visage entré dans la vieillesse est tiré de la vagabonde ou l’auteure, derrière le personnage de Renée Néré, n’a que 33 ans !). Entre les deux, c’est l’évocation de cette vie émancipée du regard des hommes, de la société bourgeoise patriarcale et de sa morale étriquée et catholique. Et ce dès l’enfance par la grâce de Sido, mère fusionnelle et femme foncièrement libre, dont la correspondance inquiète ponctue ce récit. Mais à ce récit biographique s’ajoutent les interventions intempestives de Claudine, son personnage de fiction par qui vint la reconnaissance en même temps que le scandale, et les commentaires de Cléo, la comédienne qui met tout ça en perspective avec aujourd’hui et sa propre expérience. Claudine qui remet avec beaucoup d’espièglerie les pendules à l’heure quand la fiction semble l’emporter sur une réalité moins avenante.

Et c’est peut être ça qui pèche ici derrière l’enthousiasme virevoltant et communicatif de cette adaptation, les lacunes d’une vérité de fait édulcorée et moins avouable que pourtant Colette elle-même dénonçât dans son œuvre (pour exemples Mes apprentissages, portrait à charge sur la réalité de son mariage avec Willy). Ou qu’elle tut, comme sa rupture violente avec Missy, vite oubliée après son mariage avec Henry de Jouvenel dit « le pacha ». On est un peu frustré de ça, de cet évitement d’une part d’ombre qui ne donne de Colette au final par cet exercice d’admiration qu’une vison partiale et moins rugueuse qu’elle ne le fut sans doute.

Reste l’évocation sensible et réussie de l’envers du music-hall, pages que l’on retrouve dans ces chroniques au titre éponyme ou dans la vagabonde, évocation des soutiers de l’art, ces petits et ses obscurs artistes de caf’conc’ et de leurs coulisses crasseuses. Cléo Sénia en meneuse de revue jouant, chantant et dansant avec un égal talent est formidable de spontanéité et d’allant, voire de folie. Qu’elle s’effeuille, une danse des éventails sensuelle digne des plus grands numéros burlesque ou encore une danse nue au miroir d’une troublante beauté érotique, ou rende hommage par une danse serpentine à Loïe Fuller, pionnière de la danse contemporaine et symbole d’une Belle-Epoque effervescente, Cléo Sénia fait sienne cette pensée de Colette, et par là lui rend un bel et juste hommage, « Moi c’est mon corps qui pense ! Il est plus intelligent que mon cerveau. Toute ma peau a une âme. » Oui c’est bien à cette Colette-là, profondément sensuelle et pour qui le corps était un facteur d’émancipation plus que l’écriture que nous avons affaire. Et puis ce qui résume sans doute et symboliquement ce que fut Colette un temps, jouant déjà du genre et de son ambiguïté aussi bien avec Willy que la chanteuse Polaire -non évoquée ici et pourtant ses frasques avec le couple firent scandale – ou encore Missy travestie, ce numéro de cabaret digne de Barbette et plus tard d’O’dett, où dans un costume mi-homme mi-femme, Cléo /Colette déjoue et se joue de la nature et du désir, entre provocation, subversion et naturel.

Porter l’impertinence et ‘intelligence de cette pensée qui ne se revendiquait pourtant pas féministe mais simplement libre, liberté dans son absolu, de cette vie audacieuse et affranchie de la morale au music-hall, lieu de toute les transgressions et interdits, le corps un champ de bataille politique et poétique, tient alors de l’évidence. Et tant pis pour nos réticences.

 

© Julien Piffaut

 

Music-hall Colette, de Cléo Sénia et Alexandre Zambeaux

Librement inspiré de la vie de Colette

Adaptation et mise en scène : Léna Bréban

Avec : Cléo Sénia

Assistanat à la mise en scène : Ambre Reynaud

Scénographie : Marie Hervé

Chorégraphie : Jean-Marc Hoolbecq

Chansons : Hervé Devolder

Musique et création sonore : Victor Belin et Raphaël Aucler

Création lumière : Denis Koransky

Assisté de : Sébastien Sivade

Création costumes : Alice Touvet

Perruquière : Julie Poulain

Création vidéo et réalisation : Julien Dubois

Voix off : Martine Schambacher & François Chattot

Mapping vidéo : Jean-Christophe Charles

 

Jusqu’au 30 mars 2024

Les jeudis, vendredis et samedis à 19h

 

Théâtre Tristan Bernard

64 rue du Rocher

75008 Paris

 

Réservations :  01 45 22 08 40

tristanbernard.billeterie@gmail.com

 

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