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Le fil, suivi de 48e parallèle, de Sylvain Prunenec, au Carreau du temple, dans le cadre du festival Faits d’hiver

Jan 24, 2024 | Commentaires fermés sur Le fil, suivi de 48e parallèle, de Sylvain Prunenec, au Carreau du temple, dans le cadre du festival Faits d’hiver

 

© Marc Domage

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Baissant son pantalon, il découvre un short au motif de camouflable militaire et enjambe la scène depuis le public. Ainsi Sylvain Prunenec commence-t-il, sans façon, à dérouler ce fil qui, de l’ici et maintenant, va se dérouler jusqu’en 1986. 48e parallèle poursuivra dans une deuxième partie en suivant un autre fil, spatial, qui de la pointe du Raz amena le danseur jusqu’à Sakhaline. Deux projets distincts qui finalement épousent la linéarité par le truchement d’un corps. Sylvain Prunenec embrasse les deux dimensions, temps et espace, qui structurent l’expérience humaine. Il est le témoin, comme une vigie, d’une histoire de la danse et d’une traversée des espaces. C’est une présence au monde, sensible, émotive, comme un brin d’herbe balancé par les vents des steppes, qui se révèle en racontant le monde de la danse et celui des lointains. Fort de son parcours, Sylvain Prunenec est le réceptacle d’un travail accumulé à travers ses rencontres avec différents chorégraphes, en l’occurrence, Trisha Brown, Dominique Bagouet, Deborah Hay. Il en est empreint, façonné, comme il en fut tout autant contributeur : la danse contemporaine travaille cet écheveau où s’entremêlent jusqu’à l’indistinction geste conscient du chorégraphe et mouvements inconscients, irréductiblement propres au danseur. L’œuvre se construit à cette intersection : le contrôle et la pulsion. Si Sylvain Prunenec a quelque chose a raconté, ce quelque chose part de son corps, de la mémoire qu’il a conservée des gestes passés, et qui peut se révéler trompeuse, car le corps comme l’esprit jouent des tours aux danseurs, et c’est à ces aberrations, comme on pourrait dire en optique, qu’il s’attache : ces gestes involontaires, ces hésitations, ces moments de lâcher prise, qui nourrissent la conduite des improvisations ou des répétitions dans le cadre d’un travail de création. Ces scories, habituellement passées sous silence, invisibilisées dans l’œuvre finalement produite, Sylvain Prunenec chausse les lunettes de la remémoration pour les atteindre et découvrir que ce fil temporel est retors. Il y a dans la mémoire, épaulée par le corps (on ne saurait mieux dire), un processus perpétuel de reconfiguration, de réajustement. Cette instabilité, cette fragilité, inhérentes à la danse, ce vacillement au risque de l’effacement comme Pauline L. Boulba le rappelle avec justesse dans son livre CritiQueer la danse en se déplaçant dans le regard du spectateur, c’est ce qui fait le prix et paradoxalement la force du travail de Sylvain Prunenec. Si les premiers pas qu’il effectue sur la scène s’articulent sur des positions d’équilibres précaires et de bascules (One story as in falling, Trisha Brown), Sylvain Prunenec ne pouvait choisir meilleure entame : dans cette salle des pas perdus, il est un funambule sur le fil.

Dans le resurgissement au plateau des gestes qui échappèrent au contrôle à un moment donné de l’histoire du danseur, son visage, son regard, son élocution, donnent à percevoir une autre danse encore, vibrionnante : un ballet d’affects, de sourires, d’émotions multiples et ineffables, incontrôlés, chargeant sa présence de la brillance du vivant. Le danseur prend l’épaisseur d’un paysage fluant au gré des coups de vent. Cette intrication de l’infime, un mouvement de cil, et du notable, une marche, tisse avec le même bonheur 48e parallèle. Augmenté des puissantes images filmées et travaillées par Sophie Laly, cette autre pièce étalonne l’immensité au prisme du minuscule : un insecte, un flocon de neige, et Sylvain Prunenec lui-même pris dans la vaste étendue du cadre de l’image. Si la danse est une marche, elle ne peut que s’écrire aux dimensions de l’espace qui l’accueille. Qu’en est-il alors d’une danse de l’infini ? Sylvain Prunenec s’en fait le miroir, il en devient le chemin à la manière d’un chaman oserais-je dire. Conjuguant l’infiniment petit et l’infiniment grand, son corps s’ouvre au monde telle une ligne de faille où les forces cosmiques peuvent s’affronter et paraître dans l’irrémédiable solitude humaine.

 

© Marc Domage

 

 

Le fil, récit parlé-dansé à propos de quelques événements survenus dans mon parcours d’interprète de Sylvain Prunenec

conception et interprétation : Sylvain Prunenec

Le fil contient des extraits ou citations d’œuvres de Dominique Bagouet (Necesito), Trisha Brown (One Story as in falling), Odile Duboc (Insurrection), Deborah Hay (« O,O » et Oleg Mimosa)

durée : 60 min

 

48e parallèle, une création de Sylvain Prunenec en collaboration avec Sophie Laly et Ryan Kernoa

chorégraphie, interprétation, textes : Sylvain Prunenec

vidéo : Sophie Laly

espace sonore et musique : Ryan Kernoa

lumière : Sylvie Garot

assistant création lumière : Luc Jenny

régie générale et conseil technique : Christophe Poux

citations et inspirations : Pour une juste cause, Vassili Grossman,Tchévengour, Andreï Platonov, Eugène Onéguine, Alexandre Pouchkine.

durée : 40 min

 

Le 19 janvier 2024 à 19h30

Carreau du Temple

2 Rue Perrée

75003 Paris

réservations : 01 83 81 93 30

https://www.lecarreaudutemple.eu

 

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