Invisibili, conception, scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory, au Théâtre de la Ville / Les Abbesses
  © Rosellina Garbo   f article de Denis Sanglard Inspirée d’une fresque palermitaine du XVIème siècle, le triomphe de la mort, chevauchée macabre reproduite à l’identique sur le plateau, la dernière création d’Aurélien Bory est tout entière habitée par le sujet de cet emblème de Palerme. La mort au travail dans son aspect le plus intime, le cancer, ou politique et collective, la traversée tragique des migrants. Danse fortement illustrative empreinte de théâtralité, hantée par la chorégraphe Pina Baush dont Aurélien Bory semble rendre un hommage un peu trop appuyé, Palermo Palermo pour mémoire, pièce iconique dont le souvenir ne cesse de vouloir surgir par effraction au sein de cette création. C’est d’ailleurs dans une citation directe et explicite qu’Aurélien Bory avoue ce faux palimpseste, on peut dire cela, image puissante et prégnante de chaises de bistrot sur un plateau vidé de ses danseurs, secouées de tremblement incontrôlés, allusion aux tremblements de terre coutumiers de la Sicile mais aussi au violent séisme chorégraphique et scénographique (le mur de parpaing s’écroulant dès les premiers instants) que fut cette création inspirée par la ville de Palerme. C’est donc dans le même moule et les mêmes pas que se glisse Aurélien Bory auscultant Palerme à l’aune d’une fresque emblématique. Scène médicale de palpation d’une poitrine, canot bousculé, renversé par les flots, c’est le même traitement, celui d’aller jusqu’à l’épuisement du mouvement et de la séquence, toujours réitérés. Avec des glissements et décalages qui emmènent irrésistiblement vers d’autres lectures, d’autres empreints, d’autres sources. Ainsi de ce chant, Hallelujah de Leonard Cohen, qui se métamorphose en longue plainte, celui sans doute des pleureuses palermitaines ou des chants traditionnels des frères Mancuso, chanteurs siciliens vus, entre-autre, chez l’artiste Emma Dante (in Verso Médéa, 2016). Avec toujours centrale et point focale cette fresque impressionnante, immense toile évoquant les ravages de la peste, la mort à cheval et son arc noir éradiquant chacun sans distinction de classe, qui se meut, ondule par vagues, absorbe les corps agonisants ou recrache ses victimes et rescapés d’une mer démontée. Devenue espace mental autant que physique et géographique, culturelle même, qui imprègne l’ensemble , qui se fond en elle, dont en premier lieu les quatre danseuses, toutes de Palerme, et de l’unique danseur, le musicien nigérien Chris Obéhi, lui-même migrant ayant survécu à la traversée pour Lampedusa racontée ici. Aurélien Bory se nourrit de la gestuelle des figures peintes, s’arrête et zoome sur des détails pour donner son impulsion à cette chorégraphie où la mort se dispute à la vie, reproduire une danse macabre, ronde infernale et mécanique comme inspirée de l’opéra dei pupi traditionnel propre à la Sicile et comme surgissant tout soudain de la fresque devenue ici l’épicentre de nos fléaux contemporains. Alors pourquoi peine-t-on à être ému devant tant de gravité affichée et volontaire ? Devant des images souvent d’une réelle beauté ? Sans doute qu’Aurélien Bory à tant appuyer, à tant vouloir démontrer, épuise le sens même de ces images d’une beauté âpre et sèche qu’il vide paradoxalement de sa profondeur par sa répétition même et sa littéralité brute que ni la danse aussi théâtrale soit-elle ne réussit à dépasser. Là ou Pina Baush jouait de la brièveté, de la concision, voire de l’ellipse, n’étant jamais démonstrative mais laissant toute la place à l’imaginaire fermement ancré à une réalité indépassable, Aurélien Bory comme emporté par les images créées et par une volonté sans doute généreuse de démontrer absolument prolonge plus que de raison celles-ci sans jamais dépasser le premier degré jusqu’à en oublier l’invisible des choses propre à toute création. Cela finit par lasser et nos yeux de rester sec non devant les malheurs du monde mais, ici, de sa représentation.   © Rosellina Garbo     Invisibili, conception, scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory Collaboration artistique, costumes : Manuela Agnesini Collaboration technique et artistique : Stéphane Chipeaux-Dardé Musique : Gianni Gebbia, Joan Cambon Musiques additionnelles : Arvö Part Pari Intervallo (Transcription Olivier Seiwert), Léonard Cohen Hallelujah, J.S Bach Gigue, 2éme suite pour Violoncelle Création lumière : Arno Veyrat Décors, machinerie et accessoires : Hadrien Alboury, Stéphane Chipeaux-Dardé, Pierre Dequivre, Thomas Dupeyron, Mickaël Godbille Régie générale : Thomas Dupeyron Régie son : Stéphane Ley Régie lumière : Arno Veyrat ou François Dareys Régie plateau : Mickaël Godbille, Thomas Dupeyron   Avec : Gianni Gebbia, Blanca Lo Verde, Chris Obehi, Maria Stella Pitarresi, Arabella Scalisi et Valeria Zampardi   Du 5 au 20 janvier 2024 Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h   Théâtre de la Ville / Les Abbesses 31 rue des Abbesses 75018 Paris Réservations : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com    Read More →
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Notes de départ, conception trio Degré 41, Théâtre de poche-Montparnasse
     ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia  Trois musiciens débarquent dans la toute petite salle du Théâtre de Poche – Montparnasse. L’un d’entre eux déballe partitions, livres et thermos de thé sortis d’une petite valise. C’est comme l’étalage d’une vie, les essentiels emportés par l’artiste sur la route du départ, le départ d’un lieu que l’on sait que l’on quitte sans avoir la certitude de ce que l’on va trouver, mais parce que l’on sait qu’il faut partir (« ne cesser de partir d’ici, c’est seulement comme cela que je pourrai atteindre mon but » comme le conte joliment Kafka dans Le départ). Dans Notes de départ, le trio Degré 41 (du nom d’un groupe poétique avant-gardiste fondé par les exilés russes à Tbilissi en 1918) enchaîne une alternance de textes de nature poétique ou philosophique émanant principalement d’auteurs russes très connus (Daniil Harms, Irène Némirovsky, Viktor Pélévine, Anton Tchékhov) auxquels il faut ajouter Baudelaire et Kafka, et de morceaux musicaux composés notamment par Vadim Sher, le pianiste du trio, qui est le principal narrateur et lecteur, aux côtés de l’excellent clarinettiste Yuri ukrainien Shraibman et du violoniste estonien Dimitri Artemenko. Avec humour ou mélancolie, différents types de départs sont donc mis en musique dans un mélange de tradition tzigane, klezmer, slave, caucasienne, en textes (dont les choix sont inégaux en dépit de leurs auteurs prestigieux) et même en images, avec un très joli film d’Igor Minaév sur un nouveau départ qu’est le mariage, avec ce qu’il suppose de renoncements et de glissements (aux sens propre et figuré). Les émotions provoquées par le départ, le sien, de ses proches, sont interrogées : joie, tristesse, folie, souffrance extrême. En attendant le départ définitif, celui où « nous quitterons cette terre pour toujours » et en convenant avec Olga dans les Trois sœurs, que « notre vie n’est pas encore terminée. Il faut vivre ! La musique est si gaie, si joyeuse ! Un peu de temps encore, et nous saurons pourquoi cette vie, pourquoi ces souffrances… Si l’on savait ! Si l’on savait ! ».   Notes de départ, conception Trio Degré 41 Musique : Vadim Sher, Dimitri Artemenko, Alfred Schnittke, Valeri Gavriline Mise en espace : Carolina Pecheny Mise en lumière : Alireza Kishipour Images cinématographiques : Igor Minaév   Avec : Vadim Sher (piano), Yuri Shraibman (clarinette, saxe), Dimitri Artemenko (violon) Jusqu’au 6 janvier 2023 Les vendredis et samedis à 19h Durée : 1h15 mn    Théâtre de Poche – Montparnasse 75 boulevard du Montparnasse Paris 6ème     www.theatredepoche-montparnasse.com  Read More →
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A Simple Space, par la troupe Gravity & Other Myths, à l’Espace Chapiteaux de la Villette
  © Steve Ullathorn ƒƒƒ article de Hoël  Le Corre   Rarement titre de spectacle n’aura été si explicite, et rarement troupe de cirque n’aura aussi bien porté son nom : sur un praticable d’une sobriété absolue, d’une vingtaine de mètres carré guère plus, les huit circassiens défient toutes les lois de la gravité en nous proposant un spectacle sur-vitaminé qui nous subjugue sans jamais oublier de nous faire rire ! C’est peut-être ça la recette du triomphe de ce Simple Space qui a été déjà été joué plus de mille fois à travers les cinq continents depuis dix ans… Sur cette petite scène qui rappelle un ring de boxe vont se succéder, sans fard, sous les yeux d’un public très proche de cet espace, des acrobaties hallucinantes. De salto arrière en pyramides humaines, les artistes passent de l’individuel au collectif avec une fluidité déconcertante, que seule une maitrise parfaite du corps de chacun et des chorégraphies de groupe peuvent offrir. Les corps virevoltent, s’entremêlent, rebondissent, se déploient, s’envolent, dans une énergie débordante ; et si d’aventure la chute est proche, il leur suffit de crier « falling !» pour être rattrapé par l’un des leurs dans une solidarité euphorisante. Car oui, complices ils le sont, et à plusieurs mètres au-dessus du sol, il vaut mieux que la confiance règne. Et pour nous spectateurs, c’est un plaisir de voir leurs regards, leurs sourires, leurs gestes se soutenir et s’encourager sans cesse. Cette profonde connivence leur permet également de se lancer dans des défis aussi cocasses qu’absurdes, qui sont un régal pour nos zygomatiques et notre étonnement. Dans des challenges dignes d’une cour de récréation, on assiste ainsi à un concours de corde à sauter, d’équilibre sur les mains, de salto arrière, et d’autres inventions qu’il serait dommage de dévoiler en intégralité. Dans leur créativité et leur talent, ils sont espiègles et irrévérencieux, et on adore ! Le tout avec cette force réservée à certains virtuoses de faire passer pour simples des voltiges époustouflantes et parvenir ainsi à faire battre nos cœurs au rythme de leurs acrobaties aussi vertigineuses qu’originales !   © Steve Ullathorn   A Simple Space, par la Troupe Gravity & Other Myths Création & interprétation : Gravity and Other Myths Avec : Lachlan Binns, Jascha Boyce, Joanne Curry, Lachlan Harper, Mieke Lizotte, Simon McClure, Martin Schreiber, Jacob Randell, Lewie West, Elliot Zoerner Musique : Elliot Zoerner Avec le soutien de Australia Council Du 12 au 31 décembre 2023 Du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h et dimanche à 16h Durée : 1h   Espace Chapiteaux de la Villette 75019 PARIS Réservations : 01 40 03 75 75 www. lavillette.com      Read More →
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Maggie the Cat, de Trajal Harrell à la Grande Halle de la Villette, dans le cadre du Festival d’Automne
  © Tristam Kenton ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot A voir la rampe en fond de scène tel un fil à linge où seraient suspendues jupe à volant, ceintures en tissus, corsets, et autres accessoires rehaussés de pois, rayures ou léopard, à voir les deux tables, sises sous la rampe, débordantes de coussins de velours rouge et taupe, le monde de la mode se destine à entrer en collision avec le monde de la déco dans l’immense salle de la Grande Halle de la Villette. Maggie the Cat est un crash test, auquel on assiste de bout en bout saisi par la puissance spectaculaire et ludique de son bazar qui pourrait presque nous faire oublier sa pertinence dramaturgique. Maggie the Cat déménage, sans même parler des piles de coussins portés à bout de bras. Sous étendard de Tennessee Williams, de sa pièce Cat on a hot tin roof (La chatte sur un toit brûlant en version française), Trajal Harrell chorégraphie un voguing porté par une évidence : il y a du cat dans la pièce de Tennessee Williams, comme il y en a dans la marche des mannequins, ce bien nommé catwalk, élancement puisé dans le déhanchement, comme deux eaux contraires, déployant des corps superbes et indifférents sur le podium des défilés. Avec le sourire malicieux et insolent du bluffeur assénant magistralement sa mise, Trajal Harrell joue cette carte dans une vigoureuse surenchère, exposant encore plus frontalement que dans d’autres créations cet invisible podium, cette parade des fiertés exacerbées, sans pour autant que ne s’estompent les traits de caractère de la pièce de Tennessee Williams. Bien au contraire. C’est comme si ce qui était gros comme une maison, éclipsé dans des sous-entendus criants, invisibilisé sous des draps de lits pour cause de moralité, trouvait ici sa place explicite : en premier lieu, cette dénomination : Maggie the Cat, Maggie la chatte, autant nom de personnage de la pièce que terme fétiche passé dans la culture populaire, concentré de sexualité, de fantasmes, et renvoi à une domestication du plaisir et du désir sous le joug de l’homme. Perle Palombe, ordonnatrice avec Trajal Harrell du grand défilé, endossant le costume de Big Daddy tandis que Trajal Harrell hérite de celui de Big Mama, slame et rappe et vocifère micro en main à tue-tête, effets de saturation garantie, ces quelques mots : Maggie the Cat. Miaulements, trémoussements, roulements de bassins, crissent au sein du ballet réglé des apparences familiales. La chatte, pussycat, comme l’alpha et l’oméga de notre monde capitaliste, consumériste, patriarcal, prédateur et colonialiste. « I want pussycat for my breakfast » hurle Big Daddy. Dans l’hystérie qui gagne ces chattes sur un toit brûlant, les coussins et autres molletons couvrant progressivement les corps participent autant de la contention de la folie que d’un embourgeoisement certain. Convoitise, accumulation de biens matériels comme seule issue aux pulsions sexuelles refreinées. La très grande force de Maggie the Cat est de prendre le parti du contrepied comme pour Tambourine (dernière création de Trajal Harrell) et d’inscrire et construire une jouissance performative, une jouissance spectaculaire, tel un antidote à cette impossibilité à jouir au cœur de l’œuvre de Tennessee Williams. Il fallait oser également, et c’est un bonheur absolu, faire incarner Maggie the Cat par tous ces corps, aussi différents les uns des autres, jusqu’à cela même bien loin des stéréotypes: Maggie the Cat figurée par un bear ! Trajal Harrell crée des pièces enlevées, à tous les sens du terme : de la même façon que les danseurs performeurs attrapent des vêtements et les portent en les détournant, en les retournant, en les déstructurant, Trajal Harrell s’empare de la pièce de Tennessee Williams, la découd, la dépièce, la déporte, la défroque et finalement découvre et exhibe ce que le vêtement dramaturgique recelait de signes escamotés par la primauté de l’histoire. Depuis les serviettes de bain rappelant la plantation de coton à l’origine de la fortune familiale jusqu’aux danses de cheerleader renvoyant au passé de sportif de Brick, tout est là dans cet irrésistible Maggie the Cat quand pourtant rien ne reste d’une narration. Bien loin des discours, bien loin des théories, Trajal Harrell est une pensée critique en acte et en fête.   © Tristam Kenton     Maggie the Cat, chorégraphie, costumes, scénographie et son de Trajal Harrell Avec : Stephanie Amurao, Helan Boyd Auerbach, Vânia Doutel Vaz, Rob Fordeyn, Trajal Harrell, Christopher Matthews, Nasheeka Nedsreal, Tiran Normanson, Perle Palombe, Songhay Toldon, Ondrej Vidlar Scénographie : Erik Flatmo, Trajal Harrell Lumières : Stéfane Perraud Assistant : Lennart Boyd Schürmann Dramaturgie : Katinka Deecke Durée : 50 min   Du 14 au 16 décembre 2023 à 19h sauf samedi 18h   Grande Halle de la Villette 211 Av. Jean Jaurès 75019 Paris Tél : +33 (0)1 40 03 75 75 https://lavillette.com      Read More →
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  LOI IMMIGRATION : CONSTERNATION DU SPECTACLE VIVANT PUBLIC Paris, le 21 décembre 2023 Suite au vote à l’Assemblée nationale de la loi relative à l’immigration, issue de la commission mixte paritaire, nous syndicats, associations représentatives du secteur du spectacle vivant, tenons à faire part au gouvernement, au nom de l’ensemble de nos adhérent.es, de notre profonde consternation. Nous désapprouvons totalement le contenu de cette loi qui aura, si elle était appliquée, des conséquences désastreuses dans l’exercice de nos métiers. Certains articles de cette loi s’opposent directement aux valeurs fondamentales sur la base desquelles se construit notre politique publique culturelle. L’universalisme de la France, son ouverture et sa politique d’accueil, son engagement à inclure et à intégrer par le partage des savoirs, sa constitution qui entend accorder à toutes et à tous de pouvoir accéder aux mêmes droits, seront grandement remis en cause. Nous ne pouvons accepter des mesures qui contribueront très concrètement et inévitablement à un repli de la société française sur elle-même. Nous ne pouvons accepter que nos étudiantes et étudiants étrangers, accueilli·es au sein de nos écoles supérieures nationales d’enseignement artistique, se voient soudainement traité·es différemment de leurs homologues nés sur le territoire français. Nous ne pouvons tolérer qu’ils et elles soient dans l’obligation de devoir payer – ou réserver – des « cautions financières de retour » afin de pouvoir intégrer nos écoles et accéder à nos formations. Nous rejetons l’idée d’appliquer de façon généralisée une majoration des droits d’inscription pour ces étudiantes et étudiants extra-communautaires. Nous ne pouvons accepter non plus que les artistes et ou technicien.nes étranger.es, avec lesquel·les nous travaillons, qui intègrent les distributions de nos spectacles, n’aient pas les mêmes droits sociaux que leurs collègues, au nom d’une intolérable « préférence nationale ». Cette idée empruntée à l’extrême-droite est totalement antinomique avec l’idée de produire des œuvres qui se nourrissent précisément de l’échange et de la rencontre avec l’autre. Quant à la spécificité de l’emploi artistique, et notamment sa discontinuité, elle rendra quasiment impossible l’intégration par le travail et l’accession à l’ouverture de droits sociaux minimaux. L’engagement de nos lieux d’arts et de culture, dans l’accueil des artistes en situation d’exil et demandeurs d’asiles politiques, comme ce fût récemment le cas avec le retour au pouvoir des Talibans en Afghanistan, ou suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, risque également d’être empêché par l’application de cette nouvelle loi. Au quotidien, dans l’exercice de nos missions de service public, nous oeuvrons à rassembler, sans aucune distinction d’origines sociales ou géographiques ni même de statut administratif. Nous travaillons, jour après jour, dans le cadre des droits culturels, à permettre une égalité d’accès à toutes et tous aux propositions artistiques qu’offre notre pays. Il est inimaginable que notre action sur le terrain, puisse être entravée par l’application d’une loi qui emprunte nombre de ses articles au programme de partis politiques extrémistes, que nous sommes par ailleurs engagé·es à combattre, tant la banalisation de leur idéologie contrevient aux valeurs humanistes qui sont les nôtres. L’image de la France, telle que notre vitalité artistique et culturelle a contribué à la construire aux yeux du monde entier, en serait profondément dégradée. La France, dans son histoire, a accueilli des milliers d’artistes étranger·es sur son sol, qui eux mêmes ont enrichi notre culture. L’identité et la culture françaises ne sont pas figées. Elles vivent et se transforment significativement et positivement grâce à notre politique d’accueil et d’intégration. C’est pourquoi nous appelons à une mobilisation massive contre l’entrée en vigueur de cette loi, qui porte gravement atteinte aux droits des étranger·es en France.   Autres signataires : ACCN · Association des centres chorégraphiques nationaux A-CDCN · Association des centres de développement chorégraphique nationaux ACDN · Association des centres dramatiques nationaux A-Cnarep Association des centres nationaux des arts de la rue et de l’espace public ASN · Association des scènes nationales FASAP-FO · Fédération des arts, du spectacle, de l’audiovisuel et de la presse Fevis · Fédération des Ensembles Vocaux et Instrumentaux Spécialisés France festivals Fédération Communication Conseil Culture CFDT Territoires de cirque Syndicat national des Musiciens et du Monde de la Musique – Force Ouvrière Syndicat national libre des artistes – Force ouvrière   SYNDEAC Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles 20 rue Saint-Nicolas · 75012 PARIS 0144537210 · www.syndeac.org  Read More →
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Austerlitz, de Gaëlle Bourges, au Carreau du temple, Paris
  © Danielle Voirin   ƒ article de Nicolas Thevenot Austerlitz, c’est une gare à Paris, c’est une bataille napoléonienne qui a donné son nom à une gare, et c’est le titre d’un vertigineux roman de W. G. Sebald. Comme pour Les émigrants, prochainement visible dans une adaptation et mise en scène de Krystian Lupa à l’Odéon, l’écriture se fait lieu du surgissement de la mémoire, construisant patiemment et sensiblement par avancées circonvolutives une histoire humaine sans cela vouée à un irrémédiable effacement. Une histoire dont les lettres lumineuses de son écriture se détachent dans l’ombre des crimes de masse du XXème siècle. Si Les émigrants renvoie au récit minutieusement forgé à partir d’archives et est basé exclusivement sur des faits et personnes réels, Austerlitz en est le versant romanesque sans rien perdre de l’acuité du précédent. Les deux font partie de ces lectures qui marquent une vie. Gaëlle Bourges ne s’empare pas du livre proprement dit mais du procédé d’écriture qui le meut : une narration qui progresse à force de digressions, de découvertes, de hasards, creusant comme un archéologue ce qui affleure du passé dans le contemporain, et ainsi remontant, à la manière d’un rhizome, jusqu’à l’origine du personnage éponyme du roman de Sebald. Puisant dans la matière mémorielle des danseurs, dans la sienne, Gaëlle Bourges produit un texte à la fois linéaire et spiralé, s’étendant sur plusieurs continents et à travers différentes époques. Filiations artistiques en premier lieu, notamment dans le champ de la danse contemporaine, mais aussi histoires de famille embrassant les deux guerres et celle d’Algérie. Les mots tissent leur toile d’araignée, des raccourcis se forment entre plusieurs histoires, lieux, ou personnes, rejoignant en cela ce qui faisait la force épiphanique du roman de Sebald. Gaëlle Bourges tapisse également cette matière documentaire de l’étoffe des rêves qui la traversent pendant la préparation de son projet. La scène est visible à travers une gaze tendue sur toute l’ouverture du plateau produisant un effet de lointain et de floutage selon le jeu des lumières. En fond de scène, à jardin, un espace de projection se fait le réceptacle de photos d’époque en lien avec le récit. Les danseurs apparaissent succinctement à la manière de flashs : moments découpés, stylisés, chorégraphiés au millimètre. Las, très vite on se sent expulsé et spectateur passif, désactivé, d’une proposition qui tourne au système et semble dans sa réalisation, dans sa phénoménologie, tourner le dos au geste de Sebald et nous tenir fermement à distance. La voix enregistrée confond la fermeture avec l’épure, annihilant toute possibilité polysémique, les mots au lieu de faire écho comme des ronds dans l’eau nous arrivent forclos. La perfection des mouvements chorégraphiés renvoie à une mémoire lissée, idéalisée, singulièrement dévitalisée et aboutit à une simple illustration d’un propos. Austerlitz affiche dans sa fabrication tous les signes qui renvoient à une idée de la mémoire, mais ne sauraient être une mémoire en jeu. La mémoire est imparfaite, flottante, et surtout elle semble se partager dans le tremblement d’une absence. C’est en cela qu’elle est force d’émotion, puissance d’agir dans le présent. La déception est à la mesure de la constellation des noms égrenés façon name droping de tous ceux qui ont fait l’histoire de l’art, d’Aby Warburg à Antonin Artaud, en passant par Steve Paxton, Emily Dickinson, et Brecht.   © Danielle Voirin     Austerlitz, conception et récit de Gaëlle Bourges Avec : Gaëlle Bourges, Agnès Butet, Camille Gerbeau, Stéphane Monteiro, Alice Roland, Pauline Tremblay & Marco Villari Accessoires : Gaëlle Bourges et Anne Dessertine Costumes : Anne Dessertine Chant : tou·te·s les performeur·euse·s + KrYstian Images projetées : archives (personnelles et autres) Lumières : Maureen Sizun Vom Dorp Musiques : KrYstian & Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK Régie générale : Stéphane Monteiro Régie son : Michel Assier-Andrieu   Durée : 1h30   Du 13 au 14 décembre 2023 à 19h30 Carreau du Temple 2 Rue Perrée 75003 Paris Tél : 01 83 81 93 30 https://www.lecarreaudutemple.eu   Du 18 au 30 janvier 2024 Théâtre Public de Montreuil – CDN Du 13 au 14 février 2024 Maison de la Culture d’Amiens Le 1er mars 2024 Théâtre Antoine Vitez Ivry-sur-Seine Du 5 au 7 mars 2024 Théâtre de la Vignette Montpellier      Read More →
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La Valse, chorégraphie de George Balanchine, L’Enfant et les sortilèges, chorégraphie de Jean-Christophe Maillot, musique de Maurice Ravel, Grimaldi Forum de Monaco
  © Hans Gerritsen   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Le Grimaldi Forum de Monaco et les Ballets de Monte-Carlo proposent en cette fin d’année 2023 une soirée Ravel, comme un dernier hommage au centenaire de la naissance du Prince Rainier III qui affectionnait particulièrement la seconde des deux œuvres du compositeur, présentées dans leurs versions de ballet. La Valse initialement conçue comme un poème chorégraphique pour piano seul, serait ces dernières années l’œuvre de musique classique la plus jouée dans le monde, dans sa version d’origine ou d’orchestre. Ravel avait souhaité dès le départ qu’elle soit dansée par les Ballets russes, mais Diaghilev opposa une fin de non-recevoir en dépit des discussions préalables à la Première guerre mondiale et de l’entremise de leur amie commune Misia en 1920 à laquelle il avait dédié sa composition. Ce n’est qu’une trentaine d’années plus tard que George Balanchine la chorégraphia à New-York, où elle fut créée en 1951 au City Center of Music and Drama. C’est cette chorégraphie entrée au Répertoire en 1975, qui est dansée par les Ballets de Monte-Carlo. Il s’agit d’un ballet néoclassique au sens propre et très classique au sens figuré, qui met en valeur traditionnellement les danseuses plutôt que les danseurs, dans des tenues scintillantes et longs gants blancs assez convenus et un décor minimaliste néanmoins très joliment éclairé. Aucune surprise ne surgit vraiment, mais l’ensemble est bien exécuté et les 90 musiciens de l’Orchestre Philarmonique de Monte-Carlo très enjoués sous la baguette de David Molard Soriano. C’est la seconde œuvre de Ravel qui fait tout l’intérêt et la joie de cette soirée à Monaco. C’est d’ailleurs en son Opéra que L’Enfant et les sortilèges composée peu après La Valse, fut représenté pour la première fois, et non à Paris comme initialement prévu en 1925. Cette pièce opératique, généralement qualifiée de fantaisie lyrique, est en soi un petit bijou vocal que l’on a toujours autant plaisir à écouter, en compagnie ou non de jeunes auditeurs. Le livret écrit par Colette peut être perçu comme un brin moralisateur, mais la chorégraphie de Jean-Christophe Maillot, qui est une recréation d’une première version (de 1992) lui donne la distance nécessaire en valorisant en quelques sortes l’apprentissage de l’enfant, lequel renâcle à faire ses devoirs (le fameux air « J’ai pas envie de faire ma page »), ce qui suscite les réprimandes de ses parents et en retour une colère qui se déverse sur tout ce qui est à sa portée. Le chorégraphe des Ballets de Monte-Carlo, accompagné par les décors et costumes sublimes de Jérôme Kaplan, s’est emparé du récit qui met en scène la rébellion des objets et animaux tourmentés dans une sorte de cauchemar éveillé venant faire prendre conscience à l’Enfant, dansé par la délicate et gracile Ashley Krauhaus, de la gratuité de sa méchanceté passée et provoquer la découverte progressive de la différence entre le bien et le mal et in fine de l’empathie pour un écureuil blessé (« Il a pansé la plaie, étanché le sang ») et du retour à l’amour maternel (« Maman » est le dernier mot prononcé). Le chorégraphe a également eu l’audace d’ajouter en une sorte de prologue d’environ deux minutes, avant le Prélude, le tic-tac d’une horloge (présente dans l’irrésistible quatrième scène du « ding, ding, ding et encore ding… je ne peux plus m’arrêter de sonner ») qui vient introduire l’univers onirique du spectacle. Les chanteurs solistes placés en bord de scène à jardin, viennent en sous-texte des tableaux tous plus enchanteurs les uns que les autres qui se succèdent à grande vitesse sur la scène du Grimaldi Forum, tandis que les cent choristes placés au balcon, à jardin et à cour, surprennent le public dès leur première intervention, et que le Chœur d’enfants (de l’Académie de musique et Théâtre Rainier III) en petites marinières émeut. On soulignera parmi les solistes en particulier les belles prestations des mezzo-soprano Cécile Madelin (l’Enfant) et Axelle Saint-Cirel (la Mère notamment). Les duos de chats, trio de batraciens (au sein duquel, musicalement, s’insère une citation de la partition de La Valse entendue avant l’entracte), ensemble de tasses et théière, oiseaux et l’Arithmétique en personne sont quelques-uns des personnages dansés (et chantés en miroir) par une cinquantaine de danseuses et danseurs s’épanouissant incontestablement dans ce registre qui dispute la fantaisie à la technique. Une allégresse et énergie éclatantes se transmettent du plateau à la salle et on ressort, des paillettes plein les yeux, avec la sensation d’être revenue à son âme émerveillée d’enfant le temps d’une soirée magique à Monaco.   © Hans Gerritsen     La Valse, chorégraphie de George Balanchine Musique : Maurice Ravel Costumes : Karinska Décors : Jean Rosenthal Lumières : Mark Stanley   Durée : 30mn     L’Enfant et les sortilèges, chorégraphie : Jean-Christophe Maillot Musique : Maurice Ravel Livret : Colette Assistant chorégraphe : Bernice Coppieters Costumes et décors : Jérôme Kaplan Lumières : Dominique Drillot Vidéo : Loïc Van der Heyden Dessins originaux : Ines Reddah Perruquier : Sky Flores   Durée 45 mn     Grimaldi Forum Salle des Princes 10 Avenue de la Princesse Grace Monaco   Jusqu’au 23 décembre 2023 19h30 www.balletsdemontecarlo.com      Read More →
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Funkenstein, de Kidows Kim, à la Ménagerie de verre, Paris, dans le cadre du festival INACCOUTUMÉS 2023
  © Lucille Belland   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Les performances de Kidows Kim dressent, pièce après pièce, une cosmologie inouïe dont les créatures extraordinaires, renouvelées et préexistantes, déploieraient d’autres manières d’être vivant, d’articuler espace et temps. L’effet de sidération est son principal fait, comme la découverte de nouvelles planètes dans une galaxie inconnue qui n’en finirait pas de produire ses avatars. Et c’est toujours à une sorte de révolution, au sens autant astronomique qu’artistique, à laquelle on assiste. Le temps suspend ici étrangement son vol pour s’effondrer dans un corps concaténant d’infimes pulsions. La notion même de spectacle performatif est mise à mal tant il s’agirait presque d’expérimentation biologique d’organismes mutants. La pleine conscience s’abime dans le désordre d’un nouvel ordre. Le bestiaire proposé par Kidows Kim de performance en performance se construit de bric et de broc, dans un dénuement et un rafistolage baroque, au croisement de l’intimité la plus engoncée d’un être enfoui dans une corporéité fantastique déviant des règles du « bien vivre », et d’un univers en perpétuel expansion. C’est un plein et un vide, une superposition de perceptions quantiques pour le spectateur, tant la performance conjugue les opposés du spectaculaire. Les chaises sont disposées en deux lignes courbes formant une amande, un œil bridé. Au centre Kidows Kim, replié sur lui-même au sol, tête masquée sous un collant marron, traits du visage gommés, deux nattes formées par les jambes de la résille régulièrement nouée, coulant le long du corps. La forme monstrueuse se condense en un tronc vêtu d’un tee-shirt auquel s’agglomèrent une nuisette noire et d’autres vêtement encore, pendouillant. Hors de ce tronc, tout ne semble qu’appendices, membres imparfaitement développés. Les doigts s’agitent telles les têtes de la méduse. C’est une communication inconnue, secrète et secrétée, qui s’établit entre la périphérie et le centre, comme des parties disjointes en pleine découverte et reconnaissance mutuelle. Dans une bascule mettant cul en l’air, jambes affaissées, le slip kangourou blanc fait apparaître de manière surprenante et comique un buste humain, sans tête, deux larges épaules formées par les cuisses pendantes : Kidows Kim prend racine dans le Jardin des délices de Jérôme Bosch. Circonvoluant sur elle-même, la créature comme offerte au regard sur un plateau de dissection extirpera deux baguettes chinoises et entreprendra d’attraper à travers un trou opportunément percé dans l‘entrejambe du slip dit kangourou, la peau de la racine d’un sexe. Nous catapultant dans une étrangeté toute surréaliste, une sorte de dérision germine entre les mots et les corps, car à quoi d’autre pourraient servir ces baguettes qu’attraper une nouille ? A moins qu’il ne s’agisse d’évoquer les sophistiqués bras robotiques opérés dans les stations spatiales… A sa façon économe, Funkenstein peut ainsi s’envisager comme un space opera, ce que ne démentiraient pas les mélopées lyriques que produira la créature de Kidows Kim au moment de disparaître. Avant de quitter la salle de la Ménagerie de verre, j’ouvre le Fortune cookie trouvé sur ma chaise à mon arrivée : Be good or be good at something. J’espère l’avoir été.   © Lucille Belland     Funkenstein, création et performance de Kidows Kim Collaboration costume : Josiane Martinho Accompagnement artistique : Lucille Belland Régie générale : Marie Sol Kim Dialogue artistique Pauline L.Boulba, DD Dorviller, Kazuki Fujita, Myrto Katsiki, Jennifer Lacey, Anne Kerzerho, Fuyuhiko Takata et cohue.   Durée : 25 minutes 8 et 9 décembre 2023, vendredi à 19h et samedi à 18h   Ménagerie de verre 12/14 rue Léchevin 75011 Paris Tel : 01 43 38 33 44 https://www.menagerie-de-verre.org      Read More →
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Bach, de María Muñoz, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris
  © Jordi Bover   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Les touches nettes et précises de Glenn Gould interprétant Le clavier bien tempéré de Bach. Le corps vêtu de noir, pantalon, chemise, et veste, de María Muñoz se détachant sur le sol et le fond de scène, pareillement blancs, comme un livre ouvert sur lequel la danse ferait écriture. Dans cet espace les mouvements contrastent et s’impriment dans la rétine comme les touches noires et d’ivoire du piano. La pièce de la chorégraphe espagnole, sobrement intitulée Bach, fait corps avec la musique comme l’âme peut le faire avec son enveloppe : cette danse est expression d’une intériorité autant qu’affirmation d’une extériorité. La beauté de cette musique, que je ne me lasse pas d’écouter dans la version de Glenn Gould depuis des dizaines d’années, tient à sa mécanique, mathématique et sensible à la fois, articulant et modelant les mouvements de l’âme dans des gammes infinies sans jamais se gripper en vaine sentimentalité. Le clavier bien tempéré luit de l’évidence en tant que champ exploratoire de la danse. María Muñoz travaille l’unisson, la corrélation du rythme musical et des mouvements mais laisse à chacun son irréductible part d’autonomie, sa propre vie, l’une éventuellement sans l’autre, comme si le geste se faisait l’écho d’une note disparue, ou que la mélodie anticipait ou dépassait une danse à venir ou déjà éteinte. A plusieurs reprises, dans le silence qui précède le premier son, avec le même calme plein d’une tension retenue que pour un saut dans le vide, María Muñoz se tient droite, les deux bras et mains tendus devant elle, l’un plus haut que l’autre, et je ne peux qu’y voir, dans une forme d’équivalence subtile, la position des mains du pianiste, suspendues au-dessus du clavier avant de s’élancer sur le clavier. La danse partage ceci avec la musique : deux arts vivants capables, sans la béquille d’une narration, d’en raconter une, d’histoire, au-delà des mots, dans un instant qui embrasserait la totalité de la comédie humaine. La musique de Bach bruisse ainsi d’une matière dramatique et dramaturgique pour qui sait l’entendre et la saisir. María Muñoz noue avec délicatesse la gestuelle chorégraphiée à celle de la pantomime, fait apparaître des états émotifs changeants au rythme des doigts virevoltants sur les touches. Rien d’illustratif dans cela, ni d’anecdotique, ces états d’être, ces figures presque chaplinesques, apparaissant et disparaissant comme des traces de buée sur une vitre, épousant la lunatique parade de nos gesticulations intérieures de la gravité la plus sombre à la légèreté la plus éthérée. Et pourtant, et pour cela même, l’émotion grandit et submerge lumineusement, comme si ce clavier bien tempéré, dévalé et chevauché par la brave María Muñoz, touchait aux même aventures désuètes et grandioses que celles de l’éternel Don Quichotte : une profonde humanité apparaît dans les pas comptés de cette danse, dont les moulins tournant à bout de bras sont aussi enthousiasmants et désarmants que ceux, picaresques, du célèbre chevalier à la triste figure. Ce Bach réussit l’exploit d’être à la fois à l’endroit enfantin de la marelle et à celui de l’impétueux saut de la foi, en un tour de main éblouissant il saisit toute l’humaine condition. María Muñoz se retroussera les manches à plusieurs reprises, et par ce simple et prosaïque geste, c’est comme si se rappelait à nous l’artisan derrière l’artiste, l’un n’allant jamais sans l’autre. La vie, telle que la dépeint Jean-Sébastien Bach et telle que la danse María Muñoz, est une course épuisante, où la ténacité n’empêche l’usure des corps, mais où le rebond est force vitale. Où une note, un pas, appellent toujours le suivant. Et la danseuse d’apparaître, poignets légèrement cassés, pieds bottinés empreints d’un précieux et facétieux boitillement, comme l’émouvante et fragile marionnette dont les fils semblent tirés par le pianiste.   © Jordi Bover   Bach, création et interprétation de María Muñoz Musique : Le Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach Version enregistrée interprétée par Glenn Gould Collaboration artistique : Cristina Cervià Aide à la direction : Leo Castro Réalisation vidéo : Núria Font Lumière : August Viladomat Costumes CarmePuigdevalliPlantéS, Montserrat Ros     Durée : 50 minutes Du 8 au 9 décembre 2023 à 20h   Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville 31, Rue des Abbesses 75018 Paris Tél : 01 42 74 22 77   https://www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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L'échappée, de et avec Philémon Vanorlé, Théâtre du Rond-Point
  © Marie Charbonnier   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette L’échappée ou la trajectoire improbable d’une œuvre d’art, un spectacle en « y » ou en i grec si l’on peut dire, de Philémon Vanorlé, un artiste belge chargé d’humour et tout autant charmé par la mort et ses alentours, est au sujet d’un cercueil avec, si l’on peut dire, des jambes. Oui, comme Philémon Vanorlé nous le demande dès le début, pourquoi un cercueil aurait toujours la même forme, et quel doit être l’ennui de nos jambes si elles ne s’entendent plus sous terre, imaginez-les confinées l’une contre l’autre, condamnées à se défairent sans se défaire… Ce spectacle est-il une publicité pour l’incinération ou une petite heure de légèreté pour jeunes endeuillés ? Face au tout début de ce spectacle on reste un peu coi, ne sachant pas vers quel univers nous allons étrangement être mené. La curiosité tremble, se dirigeant vers L’échappée. Le résultat est loin d’être sombre, presque au contraire. Philémon Vanorlé nous mène vers toute une série de questions liées au deuil, que pouvons-nous en penser ? Que ressentons-nous face à cela ? Et pourquoi sommes-nous habillés en noir avec une mine défaite ? Un beau et gentil monsieur, sourire au lèvres et ordinateur à la main, va nous expliquer beaucoup de choses sur la forme de ces longues boîtes aux épaules larges, si séduisantes que nous aurons forcément tôt ou tard une aventure avec elles. Les questions touchent aussi internet, la presse, les collectionneurs… Drôle, surprenant, et même pouvant nous remettre en forme, ce spectacle est positif, oui. Certes quelques petites questions de rythme, une « ponctuation » un peu trop nette, un manque de « tact visuel » remuent ici ou là. Dommage d’avoir l’ordinateur sous les yeux par exemple, parfois l’impression que ce personnage lit devant nous. Dommage. Lumière et sympathie indéniables s’évadent de ce bonhomme. Il nous parle de ce cercueil qu’il a fini par vendre a un type un peu plus ravagé que lui et qui est devenu un ami, finissant par s’installer pour toujours dans cette boîte, les jambes écartées. Vrai ou faux ? Vrai sans doute, pour la situation des jambes au cas-où. Pour le reste, allez savoir et peu importe. Certains spectateurs rient beaucoup, presqu’à tout, tout le temps. D’autres moins, ou pas du tout, chacun semble être en tout cas pris par cette histoire. Comment ? Cela nous regarde. On écoute, pense à autre chose, on revient vers cette histoire séduisante, amusante, légère et si bien présentée, comme honnête et sans souci. On aurait bien vu ce cercueil autrement qu’en photo suspendue, c’est trop tard, peut-être n’est-il plus que cendres ou HLM pour asticots ? L’échappée est une jolie réflexion sur vie et trépas, pour les morts ou les vivants, allez savoir. © Marie Charbonnier L’échappée, un spectacle de et avec Philémon Vanorlé Assistante mise en scène : Marine Fontaine Lumières : Romain Crivellari Musique : Maxence Vandevelde Scénographie : Philémon Vanorlé Regards extérieurs : Halory Goerger Voix : Carine Goron Création 3D : Armin Zoghi Construction : Arnaud Verley Photo et vidéo : Justine Pluvinage Production :  Frédérique Rebergue Régie : Romain Crivellari Diffusion : Claire Girod, Laurence Lang Durée : 55 minutes Salle Roland Topor Du mardi au vendredi, 20h – Samedi, 19h Relâche : les 17 et 18 décembre 2023 Théâtre du Rond-Point 2bis avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris Réservations : 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr   Tournée : 31 janvier et 1er février 2024 Le Salmanazar – Scène de création / Épernay (51) 13, 14 et 15 mars 2024 Le Phénix – scène nationale de Valenciennes (59) (Le Cabaret de curiosités)  Read More →
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3 clowns, par la compagnie des bleus de travail, au Cirque Electrique
  © Gilles Dantzer   ff article de Denis Sanglard Quand trois clowns se rencontrent qu’est-ce qu’ils se disent ? Des histoires de clowns, évidemment. 3 clowns, donc, deux Augustes et un Blanc, pour une évocation de leur métier, mais pas seulement. Hommages à leurs maîtres à commencer par Jean-Baptiste Oriol, au tout début du dix-neuvième siècle dont Théophile Gautier fit le portrait, Footit et Chocolat qu’un film récent a permit de faire connaître, Alfred Pauwels dit Pepete, Les frères Fratellini (Paul, François et Albert), Annie Fratellini et Pierre Etaix, Zavatta, les Bario, trio dont le clown blanc était une femme, Henny (également magicienne). On y apprend aussi qu’au cirque, un clown fait une entrée, pas un numéro. Et ces entrées qui étaient une signature en soi, dument répertoriées dans les années soixante par Tristan Remy, sont ici évoquées et revisitées par nos trois artistes, détournés promptement, mis en abyme aussi. Evidemment il y a des claques, des chutes, une peau de banane, des assiettes qui volent et se fracassent, des tours de magie plus ou moins réussis, des domptages de brosse à cheveux, des acrobaties, de la danse… des numéros génialement ratés qui sont une réussite. On pense à Beckett, qui en connaissait un rayon en clown métaphysique, « rater, rater encore, rater mieux ». On joue de la musique, on parade en fanfare, parce qu’un clown, ça s’est tout faire, ou presque, qu’on soit clown acrobate ou clown de reprise (celui-là comble les temps morts entre deux numéros). Dans cette loge un peu foutraque, un cirque miniature en soi, où on les voit se préparer minutieusement et peindre leur visage, ça discute ferme, ça boit sec, s’engueule sévère aussi parfois, avant d’entrer en piste…  Ici, chacun est à sa place. Monsieur Lô, le clown Blanc, fait le maître de cérémonie, rêve de briller un peu plus, garde comme il peut son sérieux, sermonne comme de juste Airbus et Marcel ses deux comparses Augustes qui n’en font qu’à leur tête, font avec talent n’importe quoi comme de bien entendu, récusant naturellement l’autorité du Blanc avant de se soumettre bon gré mal gré. Blanc qui explique doctement le métier de clown, et c’est passionnant. Parce que clown, faut pas croire, sous la perruque, derrière le nez-rouge – le plus petit masque de théâtre au monde – et le fard, c’est sérieux, ça ne rigole pas. Il y a même Airbus qui craque, trente ans de métier et le même numéro, forcément ça use. Parce que se pose aussi la question de savoir quel est l’intérêt de continuer ce métier qui consiste à prendre continuellement des tartes et de chercher à faire rire tous les soirs. Être clown, ce n’est pas toujours marrant non plus. Mais le résultat de tant de sueur, de doute aussi, est là, dans le dérapage contrôlé de classiques revisités dont ils sont les héritiers talentueux. Un gag ne s’use jamais, c’est comme les peaux de banane, il y a mille et une façon de glisser sur elle et de chuter. Laurent Barboux, Lionel Becimol, Alexandre Demay – quand ils sont démaquillés – sont certes fort drôles (pour des clowns cela vaut mieux) mais en plus de l’art de la chute qu’ils maîtrisent parfaitement ont cette formidable capacité à nous transmettre et partager avec bonheur cette passion qui les animent. Chapeau, les artistes !   © Gilles Dantzer   3 clowns écrit, mis en scène et interprété par Laurent Barboux, Lionel Becimol, Alexandre Demay / Compagnie les Bleus de travail Lumières : Gilles Cornier Costumes : Nathalie Tomasina Construction et création sonore : Lionel Becimol   Du 20 au 23 décembre 2023 à 20h3   Le Cirque Electrique Place du marquis de Vercores 75020 Paris   Réservations 09 54 54 47 24 reservation@cirque-electrique.com    Read More →
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Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, mise en scène d’Emmanuel Daumas, à La Comédie-Française
© Christophe Raynaud de Lage   article de Denis Sanglard Du passé faisons table-rase, ainsi pense-t-on des intentions d’Emmanuel Daumas dans sa mise en scène de Cyrano de Bergerac au Français dont il est régulièrement invité. Il est vrai que la concurrence est rude tant cette pièce est régulièrement reprise, montée et démontée en ce lieu. Mais Mordiou ! Cela patauge sévère et l’on peine à trouver sens à tout cela, à y perdre même notre gascon… Dans un décor kitch et franchement laid, de mauvais goût, rideaux lamé or et couleurs criardes, un peu de carton-pâte aussi, avec en son centre un podium circulaire, à se croire dans un cabaret de seconde zone fauché, plus ou moins queer dans sa volonté, peut-être, mais sans le second degré assumé, on s’effraie d’une lecture à contre-sens et d’un parti-pris qui loucherait sérieusement vers le théâtre amateur, théâtre aux armées ou d’un pensionnat de garçons clôturant leur année par une pièce de répertoire. On jouera donc à jouer, au premier degré et tant pis pour l’approximation. A l’exception de Jennifer Decker, cheveux court et allure androgyne, il n’y a que des garçons dans la distribution. La jeune garde de la Comédie Française qu’entourent Laurent Stoker (Ragueneau), Nicolas Lormeau (de Guiche), tous deux comme à leur habitude solides et précis mais peu inspirés ici, et Laurent Lafitte (Cyrano). Onze jeunes hommes donc qui déboulent curieusement en caleçon intégral avant de se vêtir au fil de la représentation de pourpoints divers, oubliant toujours les hauts-de-chausses, ou de robes puisqu’assumant l’ensemble des seconds rôles de la distribution, le genre importe peu ici. Distribution de fait inégale où l’assurance de certains accuse la fragilité d’autres devant une direction d’acteur quelque peu flottante. Il faut attendre le quatrième acte, après trois de vaines gesticulations, de goutte à l’imaginative – dont la scène du balcon, un escabeau d’échaffaudage, attendue mais qui fait flop – où Emmanuel Daumas semblait ne pas savoir quoi faire s’étant fourvoyé d’emblée, enferré dans son idée (laquelle ?) qu’il peine à concrétiser sinon de façon grotesque ou expéditive, pour qu’enfin quelque chose se passe. Le siège d’Arras, et la mort de Christian, le jeune Yoann Gasiorowski parfait dans ce pacte faustien qui l’enferme dans un mensonge, terne et falot jusque-là et que la révélation foudroyante de la vérité, Roxane ne l’aimant pas, déchire soudain. Eclair de lucidité fatale qui le voue à mourir. Sur un plateau enfin débarrassé de son kitch, dépouillé, dortoir militaire enténébré sans rien d’autre que des lits de fer, le metteur en scène apporte enfin par un sursaut tardif de rigueur dans la direction d’acteur, et de la mise en scène, une émotion et une sensibilité qui faisant jusque-là défaut mais qui s’évapore avec le sacrifice de Christian. Puisque tout à nouveau s’écroule dans un dernier acte raté où l’agonie de Cyrano au pied d’une silhouette d’un arbre stylisé (maudite scénographie) ne convainc pas, n’émeut nullement, qui même au seuil de la mort a perdu de son panache et quelques plumes. Le nez de Cyrano qui en tout lieu le précède est trop grand pour Laurent Lafitte, que l’on aime pourtant, mais qui semble courir après son personnage dont il n’a ni l’envergure, ni la démesure, ni la blessure intérieure. Reste les traces fugaces d’une mélancolie mais c’est un peu court. Il n’y a pas jusque sa verve poétique, ces vers de mirlitons sublimes, si subtiles, à vous  faire pleurer -mais nos yeux ici restent secs -, cette langue poétique qui le définit, qu’il peine parfois à maîtriser et à nuancer. Trop étal, trop lisse, il n’apporte pas ce souffle dramatique, parfois histrionique, dont souffre par son manque cette mise en scène qui dévitalise ce chef d’œuvre immarcescible, ce monument (national) tant visité.   © Christophe Raynaud de Lage     Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand Mise en scène d’Emmanuel Daumas Dramaturgie : Laurent Muhleisen Scénographie : Chloé Lamford Costumes : Alexia Crisp-Jones Lumières : Bruno Marsol Musiques originales et son : Joan Cambon Réglage des combats : Jérôme Westholm Collaboration artistique : Vincent Deslandres Assistant aux costumes : Pauline Juille Avec : Laurent Stocker, Nicolas Lormeau, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Yoann Gasiorowski, Birane Ba, Nicolas Chupin, Adrien Simion, Jordan Rezgui Et les comédiens de l’académie de La Comédie-Française : Pierre-Victor Cabrol, Alexis Debieuvre, Elrick Lepercq   Du 8 décembre 2023 au 29 avril 2024 En matinée à 14h, en soirée à 20h30   Comédie-Française Salle Richelieu Place Colette 75001 Paris   Réservations : www.comedie-francaise.fr    Read More →
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La tendresse de Julie Berès, Kevin Keiss, Alice Zeniter, Lisa Guez, mis en scène par Julie Berès, Théâtre des Bouffes du Nord
  © Axelle de Russé     ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia  Inutile de tergiverser. Dès le premier quart de seconde, les huit comédiens nous emballent, nous embarquent, nous impliquent, nous séduisent. Ils nous livrent un shoot d’énergie, de vitalité, de candeur, de sincérité, de vulnérabilité. Le propos est direct, qu’il soit énoncé, chanté ou dansé ; vulgaire souvent, intime continuellement, tendre assurément. La tendresse c’est celle de sept jeunes hommes + un(e) d’aujourd’hui, chamboulés par leurs hormones, la vague #meetoo, la banalisation du porno, l’explosion du nombre de féminicides et le rapport au consentement. Ils scrutent leurs poils comme ils sondent leur éducation de mâles dans une société qui continue à imposer ses diktats, préjugés et autres clichés sur ce que doit être un homme (fort, performant, le meilleur…) et comment ils doivent se comporter avec les femmes dont la parole s’est libérée et dont ils ont l’impression qu’elles sont en train de prendre leur revanche. Le spectacle a été conçu en miroir de Désobéir, créée en 2017, qui se plaçait « du côté » des filles, immigrées de la deuxième ou troisième génération apprenant à dire non. Comme dans Désobéir, les hommes se remettent en question dans La tendresse, acceptent leur vulnérabilité, leur émotivité, leur fragilité et partant, interrogent notre société sur ce que l’on attend des hommes aujourd’hui pour se poser à eux-mêmes et entre eux une nouvelle question : comment être un mec bien aujourd’hui ? Personne ne sonne faux dans ce groupe solidaire en dépit ou grâce à ses individualités marquées, aussi bien dans les personnages représentés que les artistes engagés qui conservent leurs prénoms. On suit chacun dans son histoire personnelle, ses doutes, ses petites rébellions contre cet héritage trop lourd de leurs pères, son rapport au romantisme autant qu’à la sexualité. Des stéréotypes ? Peut-être. Ils auraient sans doute pu aller encore plus loin dans certaines remises en cause. Nonobstant, on réfléchit un peu, on rit beaucoup, on est émus passionnément, on ne s’ennuie pas du tout. De fait, on ne voit pas l’heure 45 passer qui est une battle polyphonique : les récits sont ponctués de respirations dansées et chantées (avec des reprises délibérément provocatrices de chansons de Jul notamment) réglées au cordeau, utilisant l’espace idéalement et jouant avec la structure aussi simple qu’ingénieuse (un pont au-dessus d’une porte bétonnée avec une pente glissante de part et d’autre) qu’ils gravissent, escaladent, sur laquelle ils trébuchent également, comme dans leurs vies. Les scènes collectives telles celle de la guerre au ralenti sont parfaitement millimétrées. Les techniques de hip hop et classique irréprochables révèlent des prestations totalement bluffantes. On ne s’attendait pas à un tel niveau performatif qui n’a rien à envier aux meilleures compagnies de danse, avec un art du naturel et de l’évidence, en particulier le danseur de break-dance Junior Bosila Banya et la danseuse de popping Naso Fariborzi. Au final, les auteurs nous font réaliser qu’ils se sont attaqués à un tabou, celui de la déconstruction de la notion de masculinité qui reste largement un impensé et on se prend à penser à la fameuse phrase de Simone de Beauvoir que l’on pourrait à l’évidence aussi adapter à l’autre sexe : on ne nait pas homme, on le devient… Alors, on sort des Bouffes du Nord, plein d’espoir sur cette génération d’hommes et de femmes qui non seulement ont rejeté le patriarcat, mais surtout qui pensent à (re)construire une nouvelle masculinité qui n’a pas besoin d’entrer en compétition avec la nouvelle féminité elle aussi en plein bouleversement. De(ux) nouveaux ethos pour un monde que l’on espère ou rêve plus apaisé. * © Axelle de Russé     La tendresse, de Julie Berès, Kevin Keiss, Alice Zeniter, Lisa Guez   Mise en scène : Julie Berès   Avec : Avec Bboy Junior (Junior Bosila), Natan Bouzy, Charmine Fariborzi, Alexandre Liberati, Tigran Mekhitarian, Djamil Mohamed, Romain Scheiner et Mohamed Seddiki En binôme avec : Ryad Ferrad, Saïd Ghanem, Guillaume Jacquemont   Écriture et dramaturgie : Kevin Keiss, Julie Berès, Lisa Guez avec la collaboration d’Alice Zeniter Chorégraphie : Jessica Noita Référentes artistiques : Alice Gozlan et Béatrice Chéramy Création lumière : Kélig Le Bars assistée par Mathilde Domarle Création son et musique : Colombine Jacquemont Assistant à la composition : Martin Leterme Scénographie : Goury Création costumes : Caroline Tavernier et Marjolaine Mansot Régie générale création : Quentin Maudet Régie générale tournée : Alexis Poillot Régie plateau création : Dylan Plainchamp Régie plateau tournée : Amina Rezig, Matthieu Maury et Florian Caraby Régie son : Antoine Frech en alternance avec Colombine Jacquemont Régie lumière : Henri Coueignoux     Durée 1h45 Jusqu’au 23 décembre 2023   Du mardi au samedi à 20h, le dimanche 16h     Théâtre des Bouffes du Nord 37 bis Boulevard de la Chapelle 75010 Paris www.bouffesdunord.com     Tournée : Mars 2024 à Bienne (Suisse), Vesoul, Laval, Vitré, Poitiers, Saint-Etienne Avril 2024 à Périgueux, Auch, Bayonne, Mont-de Marsan, Tours, Tournai (Belgique), Rungis Mai 2024 à Nanterre, Montbéliard, Tarbes, Foix, Annemasse      Read More →
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Chamonix, un spectacle des 26 000 couverts, mise en scène de Philippe Nicolle, écriture de Philippe Nicolle et Gabor Rassov, création musicale d’Aymeric Descharrières, Erwan Laurent, Christophe Arnulf, Anthony Dascola, au Théâtre du Rond-Point
    © Christophe Raynaud de Lage   ff article de Denis Sanglard  Les 26 000 couverts n’ayant jamais peur de rien se lancent dans l’opérette. Après avoir dézingué le cabaret, Shakespeare, le théâtre forain et le théâtre de rue… les voilà embarqués dans une comédie musicale de science-fiction un chouïa écologiste, c’est dans l’air du temps, bien évidement totalement décalée et totalement bringuezingue. Dans un futur très très très lointain erre dans l’espace une poignée d’humains cherchant leur terre promise, Chamonix. Et voilà que leur vaisseau buggant ils atterrissent sur une planète qui n’est autre que la terre dont l’humanité fut éradiquée et dont ils sont les seuls et lointains descendants. Retour à la case départ, donc. La rencontre du troisième type ne se fait pas attendre, c’est un gros vers, un intra-terrestre, ça ne s’invente pas, qui les asticotant sévère, ne souhaite qu’une chose, les éradiquer à leur tour. Pourquoi et comment, c’est toute la trame de cette histoire totalement loufoque. Où il est question de suppositoire, d’apéricubes, de terrain de golf, de gruyère… Philippe Nicolle et ses acolytes ont joyeusement pioché pour mieux les dézinguer dans les références iconiques du genre. De La planète interdite à Cosmos 1999, en passant par Docteur Who (substituant à la cabine téléphonique un buffet – prénom Bernard ! – , machine à voyager dans le temps) ou Star-Trek. Alien aussi, mais version du pauvre ou, disons ça comme ça, minimaliste. Genre dont ils empruntent les tenues et les accessoires, les décors, les effets spéciaux et de style. Enfin presque. C’est dans l’esprit mais tient davantage du bricolage de série Z fauchée. C’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnait, cet art consommé du n’importe quoi et qui passe crème. Et il faut aimer cette propension au millième comme au premier degré, au gags énormes et jeux de mots approximatifs, au burlesque, à la parodie paroxystique. Le non-sens absolu mais avec la faculté de toujours retomber sur ses pattes, ou pas. La comédie musicale aussi en prend pour son grade avec ses clichés immuables. On chante avec approximation, les chorégraphies sont aléatoire, les paroles sont à pleurer. C’est dévastateur plus qu’enchanteur qui ferait prendre les opérettes de Francis Lopez pour du Pierre Boulez. Avouons-le, on s’y perd un peu quand même dans ce foutoir interstellaire. Et soir de première oblige ? Sans doute ou espérons-le, c’était parfois un tantinet longuet, manquant singulièrement et étonnement non d’énergie mais de rythme. Des gags étirés sans raison, ou pour le simple plaisir du jeu, plombant un peu tout ça au risque d’une pesanteur toute terrestre. Reste que la compagnie des 26 000 couverts reste fidèle à elle-même, nulle concession dans la fabrique d’un théâtre débridé se jouant avant tout de lui-même. Et si dans l’espace personne ne vous entend crier, dans la salle Renaud-Barraud du Théâtre du Rond-Point les rires se faisait bien entendre annulant nos quelques réserves d’une création peut être moins aboutie que les précédentes.   © Christophe Raynaud de Lage   Chamonix, mise en scène de Philippe Nicolle Ecriture de Philippe Nicolle et Gabor Rassov Création musicale d’Aymeric Descharrières, Erwan Laurent, Christophe Arnulf, Anthony Dascola   Avec : Kamel Abdessadock, Christophe Arnulf, Aymeric Descharrières, Olivier Dureuil, Patrick Girot, Erwan Laurent, Clara Machina, Florence Nicolle ou Gabor Rassov, Ingrid Strelkoff   Son : Anthony Dascola et Aude Petiard Lumières : Paul Deschamps assisté de Béranger Thierry Régie plateau : Laurence Rossignol et Christophe Perron Chorégraphies : Laurent Falguieras Scénographie, construction et accessoires : Patrick Girot, Julien Lett, Michel Mugnier, Laurence Rossignol Avec l’aide de Sophie Deck, Marek Guillemeney, Zazie Passajou Costumes : Camille Perreau et Sara Sandqvist Marionnette : Carole Allemand Régie générale et plateau : Patrick Girot Maquillage et coiffure : Pascal Jehan Assistanat à la mise en scène : Sarah Douhaire et Lise le Joncour   Du 8 au 31 décembre 2023 Du mardi au vendredi à 20h30 Samedi à 19h30 Dimanche 10 et 17 décembre à 15h Dimanche 31 à 18h30 Relâche les lundis et les 24 et 26 décembre   Durée 2 h   Théâtre du Rond-Point 2bis avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris   Réservations : 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr        Read More →
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