© Lucille Belland
ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot
Les performances de Kidows Kim dressent, pièce après pièce, une cosmologie inouïe dont les créatures extraordinaires, renouvelées et préexistantes, déploieraient d’autres manières d’être vivant, d’articuler espace et temps. L’effet de sidération est son principal fait, comme la découverte de nouvelles planètes dans une galaxie inconnue qui n’en finirait pas de produire ses avatars. Et c’est toujours à une sorte de révolution, au sens autant astronomique qu’artistique, à laquelle on assiste. Le temps suspend ici étrangement son vol pour s’effondrer dans un corps concaténant d’infimes pulsions. La notion même de spectacle performatif est mise à mal tant il s’agirait presque d’expérimentation biologique d’organismes mutants. La pleine conscience s’abime dans le désordre d’un nouvel ordre. Le bestiaire proposé par Kidows Kim de performance en performance se construit de bric et de broc, dans un dénuement et un rafistolage baroque, au croisement de l’intimité la plus engoncée d’un être enfoui dans une corporéité fantastique déviant des règles du « bien vivre », et d’un univers en perpétuel expansion. C’est un plein et un vide, une superposition de perceptions quantiques pour le spectateur, tant la performance conjugue les opposés du spectaculaire.
Les chaises sont disposées en deux lignes courbes formant une amande, un œil bridé. Au centre Kidows Kim, replié sur lui-même au sol, tête masquée sous un collant marron, traits du visage gommés, deux nattes formées par les jambes de la résille régulièrement nouée, coulant le long du corps. La forme monstrueuse se condense en un tronc vêtu d’un tee-shirt auquel s’agglomèrent une nuisette noire et d’autres vêtement encore, pendouillant. Hors de ce tronc, tout ne semble qu’appendices, membres imparfaitement développés. Les doigts s’agitent telles les têtes de la méduse. C’est une communication inconnue, secrète et secrétée, qui s’établit entre la périphérie et le centre, comme des parties disjointes en pleine découverte et reconnaissance mutuelle. Dans une bascule mettant cul en l’air, jambes affaissées, le slip kangourou blanc fait apparaître de manière surprenante et comique un buste humain, sans tête, deux larges épaules formées par les cuisses pendantes : Kidows Kim prend racine dans le Jardin des délices de Jérôme Bosch. Circonvoluant sur elle-même, la créature comme offerte au regard sur un plateau de dissection extirpera deux baguettes chinoises et entreprendra d’attraper à travers un trou opportunément percé dans l‘entrejambe du slip dit kangourou, la peau de la racine d’un sexe. Nous catapultant dans une étrangeté toute surréaliste, une sorte de dérision germine entre les mots et les corps, car à quoi d’autre pourraient servir ces baguettes qu’attraper une nouille ? A moins qu’il ne s’agisse d’évoquer les sophistiqués bras robotiques opérés dans les stations spatiales… A sa façon économe, Funkenstein peut ainsi s’envisager comme un space opera, ce que ne démentiraient pas les mélopées lyriques que produira la créature de Kidows Kim au moment de disparaître. Avant de quitter la salle de la Ménagerie de verre, j’ouvre le Fortune cookie trouvé sur ma chaise à mon arrivée : Be good or be good at something. J’espère l’avoir été.
© Lucille Belland
Funkenstein, création et performance de Kidows Kim
Collaboration costume : Josiane Martinho
Accompagnement artistique : Lucille Belland
Régie générale : Marie Sol Kim
Dialogue artistique Pauline L.Boulba, DD Dorviller, Kazuki Fujita, Myrto Katsiki, Jennifer Lacey, Anne Kerzerho, Fuyuhiko Takata et cohue.
Durée : 25 minutes
8 et 9 décembre 2023, vendredi à 19h et samedi à 18h
Ménagerie de verre
12/14 rue Léchevin
75011 Paris
Tel : 01 43 38 33 44
https://www.menagerie-de-verre.org
comment closed