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Bach, de María Muñoz, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris

Déc 19, 2023 | Commentaires fermés sur Bach, de María Muñoz, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris

 

© Jordi Bover

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

Les touches nettes et précises de Glenn Gould interprétant Le clavier bien tempéré de Bach. Le corps vêtu de noir, pantalon, chemise, et veste, de María Muñoz se détachant sur le sol et le fond de scène, pareillement blancs, comme un livre ouvert sur lequel la danse ferait écriture. Dans cet espace les mouvements contrastent et s’impriment dans la rétine comme les touches noires et d’ivoire du piano. La pièce de la chorégraphe espagnole, sobrement intitulée Bach, fait corps avec la musique comme l’âme peut le faire avec son enveloppe : cette danse est expression d’une intériorité autant qu’affirmation d’une extériorité. La beauté de cette musique, que je ne me lasse pas d’écouter dans la version de Glenn Gould depuis des dizaines d’années, tient à sa mécanique, mathématique et sensible à la fois, articulant et modelant les mouvements de l’âme dans des gammes infinies sans jamais se gripper en vaine sentimentalité. Le clavier bien tempéré luit de l’évidence en tant que champ exploratoire de la danse. María Muñoz travaille l’unisson, la corrélation du rythme musical et des mouvements mais laisse à chacun son irréductible part d’autonomie, sa propre vie, l’une éventuellement sans l’autre, comme si le geste se faisait l’écho d’une note disparue, ou que la mélodie anticipait ou dépassait une danse à venir ou déjà éteinte. A plusieurs reprises, dans le silence qui précède le premier son, avec le même calme plein d’une tension retenue que pour un saut dans le vide, María Muñoz se tient droite, les deux bras et mains tendus devant elle, l’un plus haut que l’autre, et je ne peux qu’y voir, dans une forme d’équivalence subtile, la position des mains du pianiste, suspendues au-dessus du clavier avant de s’élancer sur le clavier.

La danse partage ceci avec la musique : deux arts vivants capables, sans la béquille d’une narration, d’en raconter une, d’histoire, au-delà des mots, dans un instant qui embrasserait la totalité de la comédie humaine. La musique de Bach bruisse ainsi d’une matière dramatique et dramaturgique pour qui sait l’entendre et la saisir. María Muñoz noue avec délicatesse la gestuelle chorégraphiée à celle de la pantomime, fait apparaître des états émotifs changeants au rythme des doigts virevoltants sur les touches. Rien d’illustratif dans cela, ni d’anecdotique, ces états d’être, ces figures presque chaplinesques, apparaissant et disparaissant comme des traces de buée sur une vitre, épousant la lunatique parade de nos gesticulations intérieures de la gravité la plus sombre à la légèreté la plus éthérée. Et pourtant, et pour cela même, l’émotion grandit et submerge lumineusement, comme si ce clavier bien tempéré, dévalé et chevauché par la brave María Muñoz, touchait aux même aventures désuètes et grandioses que celles de l’éternel Don Quichotte : une profonde humanité apparaît dans les pas comptés de cette danse, dont les moulins tournant à bout de bras sont aussi enthousiasmants et désarmants que ceux, picaresques, du célèbre chevalier à la triste figure. Ce Bach réussit l’exploit d’être à la fois à l’endroit enfantin de la marelle et à celui de l’impétueux saut de la foi, en un tour de main éblouissant il saisit toute l’humaine condition. María Muñoz se retroussera les manches à plusieurs reprises, et par ce simple et prosaïque geste, c’est comme si se rappelait à nous l’artisan derrière l’artiste, l’un n’allant jamais sans l’autre. La vie, telle que la dépeint Jean-Sébastien Bach et telle que la danse María Muñoz, est une course épuisante, où la ténacité n’empêche l’usure des corps, mais où le rebond est force vitale. Où une note, un pas, appellent toujours le suivant. Et la danseuse d’apparaître, poignets légèrement cassés, pieds bottinés empreints d’un précieux et facétieux boitillement, comme l’émouvante et fragile marionnette dont les fils semblent tirés par le pianiste.

 

© Jordi Bover

 

Bach, création et interprétation de María Muñoz

Musique : Le Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach

Version enregistrée interprétée par Glenn Gould

Collaboration artistique : Cristina Cervià

Aide à la direction : Leo Castro

Réalisation vidéo : Núria Font

Lumière : August Viladomat

Costumes CarmePuigdevalliPlantéS, Montserrat Ros

 

 

Durée : 50 minutes

Du 8 au 9 décembre 2023 à 20h

 

Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville

31, Rue des Abbesses

75018 Paris

Tél : 01 42 74 22 77

 

https://www.theatredelaville-paris.com

 

 

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