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Maggie the Cat, de Trajal Harrell à la Grande Halle de la Villette, dans le cadre du Festival d’Automne

Déc 25, 2023 | Commentaires fermés sur Maggie the Cat, de Trajal Harrell à la Grande Halle de la Villette, dans le cadre du Festival d’Automne

 

© Tristam Kenton

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

A voir la rampe en fond de scène tel un fil à linge où seraient suspendues jupe à volant, ceintures en tissus, corsets, et autres accessoires rehaussés de pois, rayures ou léopard, à voir les deux tables, sises sous la rampe, débordantes de coussins de velours rouge et taupe, le monde de la mode se destine à entrer en collision avec le monde de la déco dans l’immense salle de la Grande Halle de la Villette. Maggie the Cat est un crash test, auquel on assiste de bout en bout saisi par la puissance spectaculaire et ludique de son bazar qui pourrait presque nous faire oublier sa pertinence dramaturgique. Maggie the Cat déménage, sans même parler des piles de coussins portés à bout de bras. Sous étendard de Tennessee Williams, de sa pièce Cat on a hot tin roof (La chatte sur un toit brûlant en version française), Trajal Harrell chorégraphie un voguing porté par une évidence : il y a du cat dans la pièce de Tennessee Williams, comme il y en a dans la marche des mannequins, ce bien nommé catwalk, élancement puisé dans le déhanchement, comme deux eaux contraires, déployant des corps superbes et indifférents sur le podium des défilés. Avec le sourire malicieux et insolent du bluffeur assénant magistralement sa mise, Trajal Harrell joue cette carte dans une vigoureuse surenchère, exposant encore plus frontalement que dans d’autres créations cet invisible podium, cette parade des fiertés exacerbées, sans pour autant que ne s’estompent les traits de caractère de la pièce de Tennessee Williams. Bien au contraire. C’est comme si ce qui était gros comme une maison, éclipsé dans des sous-entendus criants, invisibilisé sous des draps de lits pour cause de moralité, trouvait ici sa place explicite : en premier lieu, cette dénomination : Maggie the Cat, Maggie la chatte, autant nom de personnage de la pièce que terme fétiche passé dans la culture populaire, concentré de sexualité, de fantasmes, et renvoi à une domestication du plaisir et du désir sous le joug de l’homme. Perle Palombe, ordonnatrice avec Trajal Harrell du grand défilé, endossant le costume de Big Daddy tandis que Trajal Harrell hérite de celui de Big Mama, slame et rappe et vocifère micro en main à tue-tête, effets de saturation garantie, ces quelques mots : Maggie the Cat. Miaulements, trémoussements, roulements de bassins, crissent au sein du ballet réglé des apparences familiales. La chatte, pussycat, comme l’alpha et l’oméga de notre monde capitaliste, consumériste, patriarcal, prédateur et colonialiste. « I want pussycat for my breakfast » hurle Big Daddy. Dans l’hystérie qui gagne ces chattes sur un toit brûlant, les coussins et autres molletons couvrant progressivement les corps participent autant de la contention de la folie que d’un embourgeoisement certain. Convoitise, accumulation de biens matériels comme seule issue aux pulsions sexuelles refreinées. La très grande force de Maggie the Cat est de prendre le parti du contrepied comme pour Tambourine (dernière création de Trajal Harrell) et d’inscrire et construire une jouissance performative, une jouissance spectaculaire, tel un antidote à cette impossibilité à jouir au cœur de l’œuvre de Tennessee Williams. Il fallait oser également, et c’est un bonheur absolu, faire incarner Maggie the Cat par tous ces corps, aussi différents les uns des autres, jusqu’à cela même bien loin des stéréotypes: Maggie the Cat figurée par un bear !

Trajal Harrell crée des pièces enlevées, à tous les sens du terme : de la même façon que les danseurs performeurs attrapent des vêtements et les portent en les détournant, en les retournant, en les déstructurant, Trajal Harrell s’empare de la pièce de Tennessee Williams, la découd, la dépièce, la déporte, la défroque et finalement découvre et exhibe ce que le vêtement dramaturgique recelait de signes escamotés par la primauté de l’histoire. Depuis les serviettes de bain rappelant la plantation de coton à l’origine de la fortune familiale jusqu’aux danses de cheerleader renvoyant au passé de sportif de Brick, tout est là dans cet irrésistible Maggie the Cat quand pourtant rien ne reste d’une narration. Bien loin des discours, bien loin des théories, Trajal Harrell est une pensée critique en acte et en fête.

 

© Tristam Kenton

 

 

Maggie the Cat, chorégraphie, costumes, scénographie et son de Trajal Harrell

Avec : Stephanie Amurao, Helan Boyd Auerbach, Vânia Doutel Vaz, Rob Fordeyn, Trajal Harrell, Christopher Matthews, Nasheeka Nedsreal, Tiran Normanson, Perle Palombe, Songhay Toldon, Ondrej Vidlar

Scénographie : Erik Flatmo, Trajal Harrell

Lumières : Stéfane Perraud

Assistant : Lennart Boyd Schürmann

Dramaturgie : Katinka Deecke

Durée : 50 min

 

Du 14 au 16 décembre 2023 à 19h sauf samedi 18h

 

Grande Halle de la Villette

211 Av. Jean Jaurès

75019 Paris

Tél : +33 (0)1 40 03 75 75

https://lavillette.com

 

 

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