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Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, mise en scène d’Emmanuel Daumas, à La Comédie-Française

Déc 16, 2023 | Commentaires fermés sur Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, mise en scène d’Emmanuel Daumas, à La Comédie-Française

© Christophe Raynaud de Lage

 

article de Denis Sanglard

Du passé faisons table-rase, ainsi pense-t-on des intentions d’Emmanuel Daumas dans sa mise en scène de Cyrano de Bergerac au Français dont il est régulièrement invité. Il est vrai que la concurrence est rude tant cette pièce est régulièrement reprise, montée et démontée en ce lieu. Mais Mordiou ! Cela patauge sévère et l’on peine à trouver sens à tout cela, à y perdre même notre gascon… Dans un décor kitch et franchement laid, de mauvais goût, rideaux lamé or et couleurs criardes, un peu de carton-pâte aussi, avec en son centre un podium circulaire, à se croire dans un cabaret de seconde zone fauché, plus ou moins queer dans sa volonté, peut-être, mais sans le second degré assumé, on s’effraie d’une lecture à contre-sens et d’un parti-pris qui loucherait sérieusement vers le théâtre amateur, théâtre aux armées ou d’un pensionnat de garçons clôturant leur année par une pièce de répertoire. On jouera donc à jouer, au premier degré et tant pis pour l’approximation. A l’exception de Jennifer Decker, cheveux court et allure androgyne, il n’y a que des garçons dans la distribution. La jeune garde de la Comédie Française qu’entourent Laurent Stoker (Ragueneau), Nicolas Lormeau (de Guiche), tous deux comme à leur habitude solides et précis mais peu inspirés ici, et Laurent Lafitte (Cyrano). Onze jeunes hommes donc qui déboulent curieusement en caleçon intégral avant de se vêtir au fil de la représentation de pourpoints divers, oubliant toujours les hauts-de-chausses, ou de robes puisqu’assumant l’ensemble des seconds rôles de la distribution, le genre importe peu ici. Distribution de fait inégale où l’assurance de certains accuse la fragilité d’autres devant une direction d’acteur quelque peu flottante.

Il faut attendre le quatrième acte, après trois de vaines gesticulations, de goutte à l’imaginative – dont la scène du balcon, un escabeau d’échaffaudage, attendue mais qui fait flop – où Emmanuel Daumas semblait ne pas savoir quoi faire s’étant fourvoyé d’emblée, enferré dans son idée (laquelle ?) qu’il peine à concrétiser sinon de façon grotesque ou expéditive, pour qu’enfin quelque chose se passe. Le siège d’Arras, et la mort de Christian, le jeune Yoann Gasiorowski parfait dans ce pacte faustien qui l’enferme dans un mensonge, terne et falot jusque-là et que la révélation foudroyante de la vérité, Roxane ne l’aimant pas, déchire soudain. Eclair de lucidité fatale qui le voue à mourir. Sur un plateau enfin débarrassé de son kitch, dépouillé, dortoir militaire enténébré sans rien d’autre que des lits de fer, le metteur en scène apporte enfin par un sursaut tardif de rigueur dans la direction d’acteur, et de la mise en scène, une émotion et une sensibilité qui faisant jusque-là défaut mais qui s’évapore avec le sacrifice de Christian. Puisque tout à nouveau s’écroule dans un dernier acte raté où l’agonie de Cyrano au pied d’une silhouette d’un arbre stylisé (maudite scénographie) ne convainc pas, n’émeut nullement, qui même au seuil de la mort a perdu de son panache et quelques plumes. Le nez de Cyrano qui en tout lieu le précède est trop grand pour Laurent Lafitte, que l’on aime pourtant, mais qui semble courir après son personnage dont il n’a ni l’envergure, ni la démesure, ni la blessure intérieure. Reste les traces fugaces d’une mélancolie mais c’est un peu court. Il n’y a pas jusque sa verve poétique, ces vers de mirlitons sublimes, si subtiles, à vous  faire pleurer -mais nos yeux ici restent secs -, cette langue poétique qui le définit, qu’il peine parfois à maîtriser et à nuancer. Trop étal, trop lisse, il n’apporte pas ce souffle dramatique, parfois histrionique, dont souffre par son manque cette mise en scène qui dévitalise ce chef d’œuvre immarcescible, ce monument (national) tant visité.

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand

Mise en scène d’Emmanuel Daumas

Dramaturgie : Laurent Muhleisen

Scénographie : Chloé Lamford

Costumes : Alexia Crisp-Jones

Lumières : Bruno Marsol

Musiques originales et son : Joan Cambon

Réglage des combats : Jérôme Westholm

Collaboration artistique : Vincent Deslandres

Assistant aux costumes : Pauline Juille

Avec : Laurent Stocker, Nicolas Lormeau, Jennifer Decker, Laurent Lafitte, Yoann Gasiorowski, Birane Ba, Nicolas Chupin, Adrien Simion, Jordan Rezgui

Et les comédiens de l’académie de La Comédie-Française : Pierre-Victor Cabrol, Alexis Debieuvre, Elrick Lepercq

 

Du 8 décembre 2023 au 29 avril 2024

En matinée à 14h, en soirée à 20h30

 

Comédie-Française

Salle Richelieu

Place Colette

75001 Paris

 

Réservations : www.comedie-francaise.fr

 

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