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Invisibili, conception, scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory, au Théâtre de la Ville / Les Abbesses

Jan 08, 2024 | Commentaires fermés sur Invisibili, conception, scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory, au Théâtre de la Ville / Les Abbesses

 

© Rosellina Garbo

 

f article de Denis Sanglard

Inspirée d’une fresque palermitaine du XVIème siècle, le triomphe de la mort, chevauchée macabre reproduite à l’identique sur le plateau, la dernière création d’Aurélien Bory est tout entière habitée par le sujet de cet emblème de Palerme. La mort au travail dans son aspect le plus intime, le cancer, ou politique et collective, la traversée tragique des migrants. Danse fortement illustrative empreinte de théâtralité, hantée par la chorégraphe Pina Baush dont Aurélien Bory semble rendre un hommage un peu trop appuyé, Palermo Palermo pour mémoire, pièce iconique dont le souvenir ne cesse de vouloir surgir par effraction au sein de cette création. C’est d’ailleurs dans une citation directe et explicite qu’Aurélien Bory avoue ce faux palimpseste, on peut dire cela, image puissante et prégnante de chaises de bistrot sur un plateau vidé de ses danseurs, secouées de tremblement incontrôlés, allusion aux tremblements de terre coutumiers de la Sicile mais aussi au violent séisme chorégraphique et scénographique (le mur de parpaing s’écroulant dès les premiers instants) que fut cette création inspirée par la ville de Palerme. C’est donc dans le même moule et les mêmes pas que se glisse Aurélien Bory auscultant Palerme à l’aune d’une fresque emblématique. Scène médicale de palpation d’une poitrine, canot bousculé, renversé par les flots, c’est le même traitement, celui d’aller jusqu’à l’épuisement du mouvement et de la séquence, toujours réitérés. Avec des glissements et décalages qui emmènent irrésistiblement vers d’autres lectures, d’autres empreints, d’autres sources. Ainsi de ce chant, Hallelujah de Leonard Cohen, qui se métamorphose en longue plainte, celui sans doute des pleureuses palermitaines ou des chants traditionnels des frères Mancuso, chanteurs siciliens vus, entre-autre, chez l’artiste Emma Dante (in Verso Médéa, 2016). Avec toujours centrale et point focale cette fresque impressionnante, immense toile évoquant les ravages de la peste, la mort à cheval et son arc noir éradiquant chacun sans distinction de classe, qui se meut, ondule par vagues, absorbe les corps agonisants ou recrache ses victimes et rescapés d’une mer démontée. Devenue espace mental autant que physique et géographique, culturelle même, qui imprègne l’ensemble , qui se fond en elle, dont en premier lieu les quatre danseuses, toutes de Palerme, et de l’unique danseur, le musicien nigérien Chris Obéhi, lui-même migrant ayant survécu à la traversée pour Lampedusa racontée ici.

Aurélien Bory se nourrit de la gestuelle des figures peintes, s’arrête et zoome sur des détails pour donner son impulsion à cette chorégraphie où la mort se dispute à la vie, reproduire une danse macabre, ronde infernale et mécanique comme inspirée de l’opéra dei pupi traditionnel propre à la Sicile et comme surgissant tout soudain de la fresque devenue ici l’épicentre de nos fléaux contemporains. Alors pourquoi peine-t-on à être ému devant tant de gravité affichée et volontaire ? Devant des images souvent d’une réelle beauté ? Sans doute qu’Aurélien Bory à tant appuyer, à tant vouloir démontrer, épuise le sens même de ces images d’une beauté âpre et sèche qu’il vide paradoxalement de sa profondeur par sa répétition même et sa littéralité brute que ni la danse aussi théâtrale soit-elle ne réussit à dépasser. Là ou Pina Baush jouait de la brièveté, de la concision, voire de l’ellipse, n’étant jamais démonstrative mais laissant toute la place à l’imaginaire fermement ancré à une réalité indépassable, Aurélien Bory comme emporté par les images créées et par une volonté sans doute généreuse de démontrer absolument prolonge plus que de raison celles-ci sans jamais dépasser le premier degré jusqu’à en oublier l’invisible des choses propre à toute création. Cela finit par lasser et nos yeux de rester sec non devant les malheurs du monde mais, ici, de sa représentation.

 

© Rosellina Garbo

 

 

Invisibili, conception, scénographie et mise en scène d’Aurélien Bory

Collaboration artistique, costumes : Manuela Agnesini

Collaboration technique et artistique : Stéphane Chipeaux-Dardé

Musique : Gianni Gebbia, Joan Cambon

Musiques additionnelles : Arvö Part Pari Intervallo (Transcription Olivier Seiwert), Léonard Cohen Hallelujah, J.S Bach Gigue, 2éme suite pour Violoncelle

Création lumière : Arno Veyrat

Décors, machinerie et accessoires : Hadrien Alboury, Stéphane Chipeaux-Dardé, Pierre Dequivre, Thomas Dupeyron, Mickaël Godbille

Régie générale : Thomas Dupeyron

Régie son : Stéphane Ley

Régie lumière : Arno Veyrat ou François Dareys

Régie plateau : Mickaël Godbille, Thomas Dupeyron

 

Avec : Gianni Gebbia, Blanca Lo Verde, Chris Obehi, Maria Stella Pitarresi, Arabella Scalisi et Valeria Zampardi

 

Du 5 au 20 janvier 2024

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 15h

 

Théâtre de la Ville / Les Abbesses

31 rue des Abbesses

75018 Paris

Réservations : 01 42 74 22 77

www.theatredelaville-paris.com

 

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