Neandertal, de David Geselson, mis en scène par David Geselson, L’autre Scène - Vedène (Festival d’Avignon In)
    © Christophe Raynaud de Lage    ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia  Neandertal est une création du Festival d’Avignon, écrite, mise en scène et jouée (notamment) par David Geselson. L’artiste est même présent avant le début du spectacle, venant auprès de chaque spectateur dans l’attente impatiente, après une navette précoce, de l’ouverture des portes de l’Autre Scène de Vedène. Il vient distribuer à chacun un morceau de roche noire expliquant avec douceur que nous en aurons besoin pendant le spectacle. L’idée peut paraître banale ou puérile, elle s’avère être charmante et intrigante. Cela permet de se mettre dans l’attente de ce qui va suivre, de commencer à se poser de questions (elles ne manqueront pas), d’être disponible à ce qui suivra, un témoignage de respect envers le spectateur qui en amuse certains, indiffère d’autres, interpelle la plupart. Après un prologue dans le noir complet entre deux scientifiques venus se réfugier dans un sous-sol en Californie après l’accident nucléaire de Tchernobyl et laissant cours à un dialogue et un « coup de foudre » cocasses, le spectacle se poursuit par une discussion fictive entre deux scientifiques à un symposium à Berkeley en avril 1986, partant des météorites (nos fameuses petites pierres noires) jusqu’à notre condition actuelle dotée de sens critique (truculente boutade sur la profession située au rang G), en passant par Neandertal et Homo Sapiens. En s’inspirant de l’autobiographie de Svante Pääbo (Néandertal, à la recherche des génomes perdus), qui a révolutionné la science par son étude sur l’ADN de fossiles humains (travaux qui lui valurent le prix Nobel de Médecine) et de la vie d’autres scientifiques qui vont être les matrices des personnages de la pièce, David Geselson poursuit dans la lignée de ses précédents spectacles (Doreen ; Le silence et la peur) ses portraits sensibles en passant par les histoires intimes pour mieux raconter leur propre histoire publique, ayant un impact sur la grande histoire artistique, politique, et ici en l’occurrence scientifique. « Le vivant c’est comme l’amour c’est fragile »… De fait, le couple de Luca et Rosa s’étiole, se déchire sous nos yeux de la manière la plus banale qui soit, mêlant les enjeux de leurs carrières scientifiques à leurs insatisfactions personnelles (les classiques décalages sur l’attention portée ou non à l’autre dans un couple, la place des enfants…) et les rapprochements professionnels (mais qui pourraient être aussi simplement amicaux) entrainent de nouvelles attractions, qui se transforment en un désir mutuel irrépressible, qui rend incrédules Rosa et Lüdo (après la scène érotico-comique du prologue dans le noir) mettant en jeu aussi bien les recherches scientifiques en cours que l’amitié et l’amour. Un trio amoureux et scientifique qui ne peut faire long feu se forme mais ne condamne pas la révolution scientifique en marche. Les scientifiques aussi peuvent tomber amoureux et être sujets comme tout le monde aux attractions entre les corps, aussi incontrôlables dans un laboratoire de recherche que dans toute irrépressible et fulgurante histoire d’amour naissante. Puis le récit passe à un autre registre : l’impact de la science sur l’Histoire et inversement la tentative d’instrumentaliser la science pour faire parler ou refaire l’histoire. C’est sans doute cette séquence « politique » qui est la plus convenue, ou la plus politiquement correcte du spectacle. Des vidéos du perpétuel conflit israélo-palestinien, les discours de Clinton, Rabin et Arafat, viennent appuyer la critique des demandes démentes de certaines personnalités de prouver par la science l’antériorité de la présence d’un peuple sur un territoire ou la supériorité raciale dans cette partie du monde où les ADN de Neandertal et d’Homo Sapiens se seraient mélangés. L’utilisation de ces images bien connues vient paradoxalement affadir le propos et la puissance quelque part aussi poétique de la création de David Geselson. Cette faiblesse ne remet nullement en cause l’intérêt de la pièce, sa scénographie ingénieuse, son humour souvent jubilatoire, et la perfection de la distribution. L’équipe de six comédiens, totalement impliquée, soudée, accompagnée par le violoncelle superbe de Jérémie Arcache, offre de très belles scènes individuelles et collectives (on retiendra notamment le truculent passage à Zagreb entre amour lesbien et bataille d’os de Neandertal), contribuant toutes à faire croire en l’amour et à se demander quand même s’il n’y a pas des gènes qui lui sont spécifiques, mais aussi à notre identique passé d’être humain, en dépit d’une image conclusive poignante.   © Christophe Raynaud de Lage   Neandertal de David Geselson Mise en scène :  David Geselson Scénographie : Lisa Navarro Lumière : Jérémie Papin Son : Loïc Le Roux Musique : Jérémie Arcache Costumes : Benjamin Moreau Avec :  David Geselson, Adeline Guillot, Marina Keltchewsky, Laure Mathis, Elios Noël, Dirk Roofthooft et Jérémie Arcache (violoncelle), Marine Dillard (dessins)   Jusqu’au 12 juillet, 15 h Durée 2h30   L’autre scène du Grand Avignon Vedène  Réservation : www.festival-avignon.com    Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Neandertal, de David Geselson, mis en scène par David Geselson, L’autre Scène – Vedène (Festival d’Avignon In)
Femme capital d’après Stéphane Legrand, adaptation Sylvain Cartigny, mise en scène Mathieu Bauer à la patinoire - Manufacture Avignon - festival off
    © Jean Louis Fernandez ƒƒƒ article de Sylvie Boursier Any Rand, très peu connue en France et adulée aux Etats Unis par les membres du Tea Party, s’est imposée avec deux romans culte outre atlantique, La Grève et La Source vive qui exaltent l’individualisme comme valeur suprême, l’égoïsme comme mystique, la suprématie des élites supérieures sur « les zéros, les minables ». Beaucoup de républicains s’inspirent de sa pensée dont Ronald Reagan et Donald Trump. Jimmy Wales, le créateur de Wikipedia, la vénère ainsi que Elon Musk, le patron de Tesla, reçu en grande pompe en France récemment. La bête est morte mais le cadavre se porte bien et distille toujours son venin ; pour la combattre il faut la connaitre, Sylvain Cartigny et Mathieu Bauer nous présente les délires de la dame dans un cabaret musical déjanté ou Emma Liégois accomplit une véritable performance. L’épicentre de la gorgone est une cage vitrée, en milieu de scène, où elle trône, cigarette au bec. Une seule fois, elle en sort, bras allongés, elle tourne sur elle-même, comme ivre de cet espace soudain puis chante avec une voie lyrique à couper le souffle. Pendant 1 heure elle va éructer ses théories mégalomaniaques, tour à tour enjôleuse, prédatrice, abattue, boudeuse, d’un cynisme absolu, accompagnée par les musiciens du théâtre de Montreuil. Elle alterne confidences et harangues. Son amoureux transi, joué par Clément Barthelet reprend en écho le credo de sa diva et la rejoint dans sa cellule. L’orchestre semble  lui aussi grisé par son discours ajustant son tempo à la cadence de ses mots dans une reprise possédée de « I happen to like New York » de Judy Garland ; il prend parfois ses distances et invente collectivement un rythme qui lui est propre. La synchronisation voix, chant et orchestre est impeccable. Dans cette cage, symbole de son enfermement et narcissisme, Emma Liégeois, formée comme danseuse et chanteuse lyrique, est hallucinante, chaque geste, chaque regard, chaque battement de cil, chaque murmure transpire la suffisance ; avec une liberté folle elle passe de la moue concentrée à l’ironie carnassière allant jusqu’à se lover sur la vitre, amoureuse de son reflet pour l’éternité. Sa voix parlée est magistrale, timbrée, mélodique et les passages chantés d’une beauté fatale, on en frissonne. Mathieu Bauer dans sa direction d’acteurs a eu l’intelligence de nous faire sentir le magnétisme de la dame qui est réel, on se surprend à être emportés par sa jouissance sans entraves, sa volonté de puissance hors règlements, lois qui limitent notre pouvoir personnel. Extraits d’entretiens ou d’ouvrages d’Any Rand, discours publics, tout est vrai. Le malheur est que cette « Che Guevara du capitalisme » selon ses propres termes, a du style, écrit bien « Avec le cinéma, j’ai découvert l’Amérique, une utopie peuplée de Rolls Royce étincelantes sous le soleil de Californie, de vamps anorexiques et sophistiquées, de rivières d’autoroutes entrelacées… […] et de gratte-ciels qui transpercent les nuages pour s’en aller défier Dieu ». Quand on déconstruit ses arguments l’effet de sidération s’estompe. Nous sommes invités à ne rien lâcher sur la pensée, à résister aux images ; ne pas abdiquer et démonter les discours racistes, ce spectacle nous y invite magnifiquement, théâtralement par la force de sa scénographie et de ses interprètes. Grand show du capitalisme, ego trip d’une Lili Marlène aux jambes de rêve, putain du libéralisme patentée Emma Liégeois explose son reflet au point qu’on se demande si c’est bien à Ayn Rand que nous avons à faire ou à une image de synthèse. Mathieu Bauer pousse à l’extrême le spectacle d’un grand barnum capitaliste mondial, la terre devient une vaste machine à sous dans un Las Vegas rutilant adorateur du dieu dollar. L’horreur absolue ! un spectacle d’utilité publique original, impressionnant de bout en bout ! Au final les musiciens quittent la scène en ligne, la bête reste seule dans l’obscurité avec son mari, gorgée de sang et assoupie, le souffle coupé. Pour combien de temps encore ? débranchez là ! Festivaliers vous n’avez que jusqu’au 18 juillet, allez-y !   © Jean Louis Fernandez   Femme Capital d’après Stéphane Legrand, éditions Nova. Musique : Sylvain Cartigny Costumes : Nathalie Saulnier Lumière : William Lambert Son : Alexis Pawlak Avec : Emma Liégeois, Clément Barthelet et L’Orchestre de spectacle du Nouveau théâtre de Montreuil : Blaise Cardon-Mienville, Joseph Cartigny, Orane Culeux, Lili Gomond, Tommy Haullard, Zacharie Hitter, Nils Kassap-Dhelin, Lilli Lacombe, Marc Lebeau, Steve Matingu Nsukami, Fania Morange, Lolita Morange, Jonas Thierry, Bob Voisembert, Nicolas Vouktchevitch   Du 7 juillet 2022 au 18 juillet, relâche le mercredi Durée : 1h   La Manufacture Avignon La piscine 2483 avenue de l’amandier 84 000 Avignon Accès navette manufacture de la porte Thiers à 13h 40   Réservation : 04 90 85 12 71. billetterie@lamanufacture.org Tournée : Pontault Combault le 8 décembre Du 16 au 25 Novembre, Maison des métallos, Paris   Any Rand, femme capital de Stéphane Legrand est publié aux éditions Nova.    Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Femme capital d’après Stéphane Legrand, adaptation Sylvain Cartigny, mise en scène Mathieu Bauer à la patinoire – Manufacture Avignon – festival off
An Oak Tree, de Tim Crouch, mis en scène par Tim Crouch, Karl James, Andy Smith, Cloître des Célestins (Festival d’Avignon In)
    © Christophe Raynaud de Lage    ƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia  L’acteur, scénariste et metteur en scène britannique Tim Crouch a ouvert le bal de la partie de la programmation axée partiellement sur la langue anglaise du Festival 2023 avec un show (car ça en est un) bien rodé, dans le Cloître des Célestins, lieu évidemment idéal avec ses deux magnifiques platanes, pour un spectacle intitulé An Oak Tree. Bien rodé car il l’a en effet déjà joué plus de 350 fois depuis 2015 de par le monde, mais jamais en France jusqu’alors. Mais différent chaque soir, car le dispositif repose sur un binôme composé de lui-même et d’un comédien invité. Que ce soit à Avignon ou partout ailleurs, Tim Crouch, le manipulateur (car il en est un) s’adresse à chaque représentation à un nouveau camarade de jeu aux sens propre et figuré. Il joue en effet avec lui, le fait jouer, et au final se joue (un peu beaucoup, passionnément selon la perception de chacun) de nous-mêmes. Dès son entrée, il met en place une forme de connivence avec son public. Bonhomme, ou plutôt hâbleur, il explique le déroulement du spectacle, fait venir son invité (en l’occurrence la comédienne et metteuse en scène Natacha Koutchoumov le 6 juillet) du soir, équipé d’un micro et d’oreillettes, lui donne le script lui précisant et nous précisant par la même occasion son dispositif théâtral. Tout est écrit, le comédien invité doit lire le texte ou répéter celui passant par l’oreillette. Tim Crouch est l’hypnotiseur. L’invité joue un père de 46 ans d’un mètre 90, mal rasé, qui a perdu sa fille dans un accident de voiture dont est responsable son interlocuteur. A partir de ce moment-là, de cette phrase là (« J’ai tué ta fille »), le malaise s’installe vraiment. Des chaises sont installées avec des invités fantômes, le public désigné comme celui enivré d’un pub anglais, le lieu magique et les arbres majestueux du cloître ne sont pas utilisés… La première impression en sortant (voire même dès le début du spectacle), peut-être non partagée par une partie des spectateurs (même si beaucoup d’entre eux verbalisent leur indisposition à la sortie), est la perplexité. Et la deuxième impression la circonspection. Qu’a-t-on vu ? Une réflexion sur le deuil ou un exercice de style où le fond a finalement peu d’importance ? C’est évidemment la deuxième option. Elle est légitime si elle apporte quelque chose. C’est une œuvre d’art conceptuelle (un verre d’eau posé sur une étagère accompagné d’un texte expliquant sa transformation en chêne) de Michael Craig-Martin qui aurait inspiré à l’artiste le titre comme l’exercice. Soit. Le verre devient chêne par la seule volonté du créateur. Le comédien devient un personnage par la seule volonté de l’auteur. Il s’agit d’observer la transformation. Soit, encore. N’est-ce pas le cas de tout processus artistique et spécifiquement de l’interprétation ? A-t-on appris quelque chose de nouveau sur ce processus, sur la réception du public ? Pas vraiment. Il faut sans doute dans An Oak Tree accepter de s’abandonner ou pas. On confesse, en le regrettant, être restée de côté, comme la comédienne qui semblait embarrassée, au bord de la route comme le père endeuillé.   © Christophe Raynaud de Lage    An Oak Tree  de Tim Crouch Mise en scène : Tim Crouch, Karl James, Andy Smith Musique : Peter Gill Avec : Tim Crouch, Natacha Koutchoumov (le 6 juillet)   Durée 2h20 Spectacle en anglais (surtitré en français)   An Oak Tree Cloître des Célestins Place des Corps-Saints – Avignon    Read More →
Suite... Commentaires fermés sur An Oak Tree, de Tim Crouch, mis en scène par Tim Crouch, Karl James, Andy Smith, Cloître des Célestins (Festival d’Avignon In)
Welfare d’après le documentaire de Frederick Wiseman mise en scène de Julie Deliquet, Cour d’Honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon In
  © Christophe Raynaud de Lage ƒ article de Sylvie Boursier Frederick Wiseman, ce monsieur de 93 ans au regard de chat, tourna un documentaire en 1972 dans un centre de « bien-être social » à New York, bénéficiant de subsides publics dont peuvent bénéficier ceux qui n’ont pas réussi pendant vingt-quatre semaines à trouver du travail, les invalides ou les personnes âgées sans retraite. Chacun défend âprement son dû, tout se plaide comme un véritable procès avec une ferveur incroyable, les employés à l’accueil exigent des preuves et argumentent selon leurs compétences dialectiques, avec des scènes d’anthologie. Ainsi cet intellectuel réduit à la mendicité qui cite Godot et sa vaine attente, ou cet ancien de la guerre de Corée assez atteint « je vais prendre mon magnum et je vais tuer autant de noirs que je verrais en visant le bide, non, mieux, les couilles », face à un employé imperturbable. Fiction radicale, Welfare de Wiseman est aussi fort que Moi, Daniel Blake de Ken Loach sur l’horreur bureaucratique. Julie Deliquet s’appuie sur la force des dialogues pour adapter le documentaire au théâtre. Elle substitue au découpage serré des visages dans les box d’entretiens l’horizontalité de plans larges dans un gymnase bordé de gradins, de matelas. On sent que chaque personnage aura son moment dans cette mise en scène chorale ou tout le monde attend. A qui le tour ?  « Le centre d’aide social est le grand manège de New-York » siffle un allocataire. La première partie est forte grâce notamment à la comédienne Marie Payen, remarquable avec ses chaussettes bouchonnées, son manteau râpé et son cabas. Le front plissé, sous la poussée des angoisses ou d’une intense réflexion, elle sourit pour amadouer son monde, tente de montrer aux services sociaux qu’elle « fait tout bien » comme on lui dit de faire, répond comme elle peut, à côté le plus souvent et tout à coup implose, débordée d’émotions. D’autres bluffent, qui jouent la carte de la complicité avec les employés, entre les deux il y les agressifs qui menacent. La seconde partie patine dans une succession de séquences répétitives ou tout est sur le même plan. On n’est pas touchés par les récits des comédiens alors que le documentaire montrait des gens drôles, vivants, manipulateurs, désespérés, malades, poétiques sur des séquences shakespeariennes « to be, or not to be » bonne question ! Imaginez Hamlet dans un bureau d’aide sociale ! Il y avait là matière pour un drame beckettien ou kafkaïen. Par absence de regard, d’auteur, d’empathie on reste en surface. Julie Deliquet qui nous avait enchanté avec ses précédentes adaptations, Un Conte de Noël ou Fanny et Alexandre, manque ici d’imagination, elle reste trop fidèle aux dialogues du documentaire dans un format qui n’a plus rien à voir avec des cadrages de cinéma. Sidérante plongée dans un monde de laissés-pour-compte, malmenés par un système dépassé, maintenus en vie par le bon vouloir de quelques employés, on dort, on crie, on bluffe, on pleure. La vie n’est plus qu’attente. Cour d’honneur devait rimer avec cour des miracles mais le lieu majestueux écrase la fresque sociale qui manque de souffle, d’un geste fort. On sort avec une furieuse envie de voir la version restaurée du film et l’on se dit qu’il suffirait de presque rien pour être sur le trottoir d’en face, du mauvais côté. Que savons-nous du courage insensé à mobiliser pour décrocher une aide, un emploi, un regard, des égards, en aurions-nous la force ? Cinquante ans plus tard, dans un monde numérisé ou échanger se réduit si souvent à cocher des cases en ligne, et où l’accueil du singulier est rare, ou sont les lieux ouverts qui prennent les gens tels qu’ils sont ? Le système de protection sociale serait-il devenu un système de contrôle ? © Christophe Raynaud de Lage   Welfare d’après le documentaire de Frederick Wiseman Mise en scène : Julie Deliquet Adaptation scénique : Julie André, Julie Deliquet, Florence Seyvos Collaboration artistique : Anne Barbot, Pascale Fournier Lumière : Vyara Stefanova Musique : Thibault Perriard Costumes : Julie Scobeltzine Marionnette : Carole Allemand Avec : Julie André, Astrid Bayiha, Éric Charon, Salif Cissé, Aleksandra De Cizancourt, Evelyne Didi, Olivier Faliez, Vincent Garanger, Zakariya Gouram, Nama Keita, Mexianu Medenou, Marie Payen, David Seigneur, Agnès Ramy, Thibault Perriard Durée : 2h30   Du 5 au 14 juillet à 22h Cour d’Honneur du Palais des Papes, Festival Avignon IN Place du Palais des Papes, Avignon Réservation : 04 90 14 14 14 https://festival-avignon.com/fr/billetterie   Dates de tournées 2023-2024 : Du 27 septembre au 15 octobre 2023, Théâtre Gérard Philipe Du 15 au 19 janvier 2024, Théâtre Dijon Bourgogne Du 24 janvier au 3 février, Théâtre des Célestins, Lyon Les 14 et 15 février, Le Quartz, scène nationale, Brest Les 20 et 21 février, La Passerelle, scène nationale, Saint-Brieuc Du 6 au 9 mars, Comédie de Genève Du 13 au 15 mars, Comédie de Reims, Du 20 au 22 mars, Théâtre de l’Union, Limoges Les 26 et 27 mars, La Coursive, scène nationale, La Rochelle Les 4 et 5 avril, L’Archipel, scène nationale, Perpignan Les 10 et 11 avril, Comédie de Saint-Étienne, Du 14 au 19 avril, Théâtre du Nord, centre dramatique national, Lille-Tourcoing Du 3 au 5 mai, Grande halle de La Villette, Paris Welfare, le documentaire de Frederick Wiseman d’une durée de 2h45 sort en version restaurée à compter du 5 juillet 2023.      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Welfare d’après le documentaire de Frederick Wiseman mise en scène de Julie Deliquet, Cour d’Honneur du Palais des Papes, Festival d’Avignon In
Le jardin des délices, d’après Jérôme Bosch, mise en scène de Philippe Quesne à la Carrière de Boulbon, Festival d’Avignon IN
  © Christophe Raynaud de Lage ƒƒƒ article de Sylvie Boursier Le cratère Boulbon est à nous, enfin ! une page minérale comme aux premiers temps du monde, elle nous a manqué cette carrière de légende que les Savary, Brook, Delbono, Mouawad, Cherkaoui, Sivadier ont marqué de leurs empreintes, la scène de tous les possibles comme une cour d’honneur dans la lumière ocre et le thym au milieu des oliviers. Au bout du chemin, à 15 km d’Avignon, il y a un trou, le Boulbon, outre brute, irradiante. Qui osera le premier fouler le demi-cercle pierreux abandonné depuis 2016 et entouré de falaises vertigineuses, viendra-t-il du ciel, de la montagne ou du centre de la terre ? Une petite troupe désopilante de hippies vintage surgit de nulle part tractant un bus, une arrivée de cinéma comme dans Bagdad café de Percy Adlon, non loin du village fantôme de Bagdad sur l’ancienne Route 66 et investit le lieu comme si elle recherchait un nouveau monde après la destruction de leur planète originelle ou pour le tournage d’un film. On installe des chaises, des marteaux piqueurs, des instruments de musique, des valises, un œuf énorme rappelant le motif de l’œuf brisé sur le volet droit du jardin des délices de Jérôme Bosch qui représente la folie, la gourmandise et le péché stérile. Chapeaux de cowboys vissés sur le crâne, boots de western, trognes à la Jack Palance ou Calamity Jane ils sont impayables les saltimbanques de Philippe Quesne. Leurs mouvements de tête chevelues à l’intérieur du bus font figure de boite à musique rythmée par des vieux airs heavy métal tandis que leur mentor chauve propose des masques à oxygène au parfum de chèvrefeuille. Ils vont se livrer à des rituels foireux sur la carrière avec l’air sérieux des nouveaux convertis. On adore cet Higgy Pop gothique et sa danse tulipe ou ce fildefériste sans fil qui traverse la scène de bout en bout sur une ligne imaginaire ou encore ce tour de magie bricolé qui voit le chauve retrouver une pilosité crânienne. Des petits êtres grimpent sur des échelles dérisoires face à la falaise, ils ne doutent de rien et poursuivent vaillamment la mission qui leur a été confiée. Fidèle au bestiaire du peintre flamand, le spectacle fourmille de détails, de scènes ou animaux et humains sont à parité, un mollusque en justaucorps blanc prêche, un diable rouge danse et chante les enfers. Certains moments de poésie pure ressemblent aux mystères du Moyen âge avec ce mélange de dragons, de créatures divines et de licornes tandis que sur la falaise sont projetés des squelettes à la Jean Michel Folon. Un prédicateur en chair nous interpelle : « les cannibales ont-ils des cimetières ? quel est ton objectif à long terme ? Et le fantôme dit “j’aimais bien la vie” ”. Un cercle de parole sur des extraits de Georges Perec, Dante, Patti Smith, William Shakespeare résonne sous la voute étoilée et, comme souvent dans les créations de Quesne,  la musique occupe une place centrale avec une bande son éclectique qui va de Purcell au hard rock. Progressivement nous traversons avec les artistes l’espace et le temps sans que l’on puisse dévoiler l’issue de cette geste héroïque. Loin du bruit, protégés du monde, 1200 personnes ont veillé ensemble au fond d’une grotte à ciel ouvert, suspendus à la mémoire d’un lieu, à l’histoire qu’on leur raconte. La nuit provençale est douce sur la peau comme la promesse d’une aube nouvelle à imaginer. Philippe Quesne a dessiné son spectacle pour Boulbon et réenchante la belle endormie, en hommage à tous les comédiens qui ont foulé ce sol depuis des générations.  Nous sommes avec lui, cette communauté humaine qui nous lie fait chaud au cœur, merci !   © Christophe Raynaud de Lage   Le jardin des délices, d’après Jérôme Bosch, textes originaux de Laura Vazquez Mise en scène : Philippe Quesne Son : Janyves Coïc Lumière : Jean-Baptiste Boutte Costumes : Karine Marques Ferreira   Avec : Jean-Charles Dumay, Léo Gobin, Sébastien Jacobs, Elina öwensohn Nuno Lucas, Isabelle Prim, Thierry Raynaud, Gaëtan Vourc’h Durée : 2h Du 6 au 18 juillet, Carrière Boulbon Avignon à 21h 30 (départ navette gare routière d’Avignon : 19h) Réservation : 04 90 14 14 14 www.festival-avignon.com   Tournée 23/24 (en cours) : Le 4 août 2023 : Athens Epidaurus Festival (Grèce) Odeon of Herodes Atticus Du 7 au 10 septembre 2023 : Ruhrtriennale, Duisbourg (Allemagne) Du 26 septembre au 05 octobre 2023 (relâche le 1er octobre) : Théâtre Vidy-Lausanne Les 13 et 14 octobre 2023 : Théâtre du Maillon, Strasbourg Du 20 au 25 octobre 2023 (relâche le 23 octobre) : MC93 de Bobigny dans le cadre du Festival d‘Automne Les 23 et 24 novembre 2023 : Maison de la culture d’Amiens, dans le cadre du Festival Next Du 29 novembre au 1er décembre 2023 : Théâtre du Nord, Lille / avec la Rose des Vents – Villeneuve d’Ascq, dans le cadre du Festival Next Du 25 au 27 janvier 2024 : Kampnagel, Hambourg (Allemagne) Les 5 et 6 avril 2024 : Carré-Colonnes à St Médard en Jalles Du 12 au 14 avril 2024 : Centro Dramatico de Madrid (Espagne) Les 19 et 20 avril 2024 : Berliner Festspiele, Berlin (Allemagne)      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Le jardin des délices, d’après Jérôme Bosch, mise en scène de Philippe Quesne à la Carrière de Boulbon, Festival d’Avignon IN
Cutting Mushrooms de Kidows Kim, au Centre National de la Danse, Pantin
  © Hubert Crabières     ƒƒ article de Nicolas Thevenot A même le sol, un cluster de canettes métalliques, Monster multicolores, jaune, rose, vert, rouge… : fluo. Boissons énergisantes. Sur le sol de béton, des câbles électriques épars tracent d’improbables arabesques, plus loin une toile entortillée, sombre comme un lac. Lui : de dos, lenteur extrême, disparaissant sous des couches de vêtements. Comme défroqué. Collant blanc crasseux, fripé, veste anorak d’où pendent matières effilochées vertes et autres fils électriques. Tout n’est qu’appendice. Le studio 8 du CND apparait spacieux entre ses quatre murs de béton, produit une sensation de dépeuplement, un vide inquiétant, comme si tout ce qui restait de l’humanité avait été aspiré dans cette créature vagabonde. Cutting Mushrooms opère une dépressurisation et une dépression, obère nos capacités à nommer. Quand bien même je ne pourrais m’empêcher de projeter ce que je crois reconnaître sur ce que je vois : un SDF, une figure marginale, de celles qui peuplent le bord éloigné de nos regards, quelque chose me retient. La performance de Kidows Kim déterritorialise le reconnaissable vers l’inconnu. Ce qui est visible est oblitéré par ce que l’on entend sans comprendre. La pensée est mise à l’arrêt, engluée, hypnotisée par une symphonie de sons étranges s’approchant d’une respiration chargée, de mouvements liquides, mais on peut aussi y entendre la fonte des glaciers, le débordement d’un volcan, des sonorités amples et souterraines, des bruits lointains et intimes comme un gargouillement. L’espace est un ventre. La figure produite par Kidows Kim avance comme entravée. Elle est un délitement. Intubée, un tuyau noir est enfoncé dans sa bouche, comme une ligne de vie. S’il incarne cette être monstrueux, présenté dans la feuille de salle comme une nouvelle créature du bestiaire fantastique qu’il compose depuis plusieurs années, cette incarnation est paradoxale. En attestent indiscutablement un corps, une présence, une réalité : cette façon de se mouvoir dans une économie de mouvement, cette mesure concrète de l’effort, cette bile verte régurgitée de sa bouche et tachant le teeshirt blanc suspendu comme une serviette à son torse, mais aussi ce vestige d’élégance dans une main ornée de bagues semblant vouloir s’éloigner ou remettre en place quelque chose d’une ancienne apparence… mais cette incarnation brille d’une absence, d’un retrait dans un repli de l’espace et du temps comme celui que procure une trop grande consommation de champignons. Kidows Kim travaille un état, pour reprendre un terme technique de jeu d’acteur. Cet état existentiel dressant une sorte d’état des lieux à tous les sens du terme, définitif aussi : apocalyptique. L’environnement sonore, que l’on comprend comme résultant de capteurs amplifiant des sons divers, organiques ou liés au déplacement de Kidows Kim, instaure un régime de déréalisation, un retournement de situation comme un gant, avec cette prééminence de la matière sonore extériorisée d’un intérieur habituellement inaudible, supplantant la torpeur maladive de ce cueilleur de champignons égrenant sur son chemin des piments rouges tels Hansel et Gretel leurs cailloux blancs. Dans la sidération qui nous gagne, on se sent transporter dans une troublante performance muséale, vernissage 2.0, où l’homme, ou ce qui lui serait advenu, quantité résiduelle, ne serait plus qu’une espèce mutante, chevrotante, dont les branchies se font tuyères synthétiques, dans une galerie freaks de l’évolution.   © Hubert Crabières     Cutting Mushrooms, création, chorégraphie et interprétation : Kidows Kim Collaboration artistique, scénographie : Hubert Crabières Collaboration artistique, création costumes : Josiane Martinho Collaboration artistique, création lumière et régie générale : Marie-Sol Kim Dialoque artistique : Ji-Min Park, Kazuki Fujita, Lucille Belland, Pauline L. Boulba, Daniel Lühmann   Durée : 55 minutes Du 28 juin au 29 juin 2023 à 19h     Centre national de la danse 1 rue Victor-Hugo 93500 Pantin Tél : + 33 (0)1 41 83 98 98 https://www.cnd.fr/fr/      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Cutting Mushrooms de Kidows Kim, au Centre National de la Danse, Pantin
Monsieur Proust, d’après Georges Belmont et Céleste Albaret, adapté et mis en scène par Ivan Morane, Théâtre du Petit Louvre – Salle Van Gogh (Festival d’Avignon Off)
  © Photo Lot   ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia Créé en novembre 2022 au Lucernaire à Paris, Monsieur Proust mis en scène par Ivan Morane est l’un des seuls en scène immanquables dans le Off du Festival d’Avignon 2023, évidemment par tous les amateurs de Proust, de littérature, d’atypiques rencontres humaines, mais surtout et éventuellement seulement, de grandes voix de théâtre. Car Céline Samie est magistrale. Sa prestation mérite à elle seule le déplacement dans la jolie salle Van Gogh du Théâtre du Petit Louvre. On avait déjà été témoin, au-delà de ses rôles en compagnie de ses camarades de la Comédie-Française, de son évidente capacité à magnifier et émouvoir dans un monologue exigeant (au Vieux-Colombier dans Lampedusa Beach de Lina Prosa) ; dans Monsieur Proust l’émotion et la grâce sont présente à chaque instant de l’heure 15 de représentation, où l’on ne perd pas une miette de sa diction parfaite et ses sourires irrésistibles, du pétillement de ses yeux bleus dans un visage d’une expressivité extraordinaire, sous la simple lumière du plateau, qui l’accompagne à jardin et à cour. Céline Samie est à la fois Céleste, la touchante gouvernante de Proust dans sa dernière décennie, et Marcel lui-même, l’homme plus que l’écrivain, taquin et bienveillant. Céleste Albaret fut tellement fidèle à son Monsieur Proust, que ce n’est que 60 ans après l’avoir rencontré pour la première fois qu’elle accepta de confier ses souvenirs, de raconter leur quotidien, contribuant à montrer une autre facette de l’écrivain, en racontant sa « vérité ». C’est sur le ton de la confidence, mais aussi de la joie, de la complicité, de la confiance, que Céline Samie nous fait partager l’intelligente adaptation par Ivan Morane de ces entretiens (publiés chez Robert Laffont) menés à la fin de sa vie par le journaliste et écrivain Georges Belmont (par ailleurs traducteur de Beckett notamment). Le comédien (que l’on a aimé en dernier lieu au Théâtre de la Ville dans La solitude des champs de coton) et metteur en scène s’empare en effet avec tact d’un texte évidemment dépourvu de toute structure théâtrale qu’il parvient à transformer en une superbe conversation intimiste, laquelle devient naturellement dramaturgique et à nous faire partager finalement ce qui a été un grand amour entre Céleste et cet « homme unique » que Marcel fut pour elle, tout à tour mère ou enfant. Avec pour tout décor une chaise en bois, une robe noire et des souliers d’époque, Céline Samie personnifie aussi une période. Un âge d’or littéraire peuplé de grands écrivains, dont son Monsieur Proust faisait partie et qu’elle analysait avec son intuition de « petite campagnarde » comme elle aimait à se qualifier et sa finesse de caractère, non dénuée de férocité (pour Gide en particulier dont elle n’oubliait sans doute pas qu’il avait été à l’origine du refus par Gallimard de la Recherche) et de générosité amplifiées par le respect qu’elle porta immédiatement à cette célébrité littéraire qu’un (presque) hasard lui fit côtoyer et qu’elle entendit manifestement protéger jusqu’à la fin de sa vie. Le respect et le désir de protection étaient à l’évidence mutuels. En cultivant « l’habitude de la conversation », M. Proust offre à sa chère « Céleste » (prénom répété ad libidum avec la même gourmandise à chaque itération de ce qui ressemble à une superbe allitération par la comédienne) des conseils de lecture, ses émois esthétiques, ses souvenirs d’enfance et ses inquiétudes quant à sa postérité (« Ma chère Céleste, vous devriez écrire votre journal. Je suis sérieux, Céleste. Vous savez tout de moi. Je vous dis tout. Après ma mort, votre journal se vendrait plus que mes livres »), ainsi que ses doutes au moment de la mort. Le décalage que l’on ressent, en sortant bouleversé du Petit Louvre dans les rues dorées et actives d’Avignon, semble encore plus grand que cet automne en s’extirpant du Paradis du Lucernaire. Prévoyez chers festivaliers de ne pas enchaîner trop vite avec un autre spectacle afin de laisser la petite musique albaretienne et samienne tinter encore dans vos oreilles (ou non proustiennes). Et si vous pensez apercevoir une jeune et élégante Céleste dans les ruelles chaudes de l’après-midi, il se pourrait bien que vous ayez eu la chance d’avoir croisé en fait la majestueuse Céline, grande dame du théâtre français.   © Photo Lot   Monsieur Proust D’après Georges Belmont et Céleste Albaret Mise en scène et lumières : Ivan Morane Avec : Céline Samie Durée 1h20   Théâtre du Petit Louvre (salle Van Gogh) 23 rue Saint Agricol – Avignon Jusqu’au 29 juillet (relâche les mercredis 12, 19, 26 juillet), 10h   www.theatre-petit-louvre.fr      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Monsieur Proust, d’après Georges Belmont et Céleste Albaret, adapté et mis en scène par Ivan Morane, Théâtre du Petit Louvre – Salle Van Gogh (Festival d’Avignon Off)
Les quatre femmes de Dieu, conception et écriture de Marie Le Corre, au Café de la danse
  © Antoine Monegier du Sorbier   fff article de Denis Sanglard  Quatre femme de Dieu, quatre femmes de feu, quatre femmes du feu de Dieu ! Loin du paradis mais bien plus proche des enfers, ces quatre circassiennes mènent un formidable sabbat carbonisant plus les planches que les brulant. Sorcière, sainte, putain et imbécile, quatre archétypes pour représentation de la femme au cours des siècle hérités de l’Eglise, tirés de l’ouvrage éponyme de Guy Bechtel qui donne son titre à cette création ardente et dont Marie Le Corre s’empare pour cette création chaude comme la braise des bûchers de l’inquisition sur lesquelles elle souffle avec jubilation. Marie Le Corre sur son fil, Thaïlai Knight sur son tapis de bris de verre, Tarzana Foures sur son trapèze, Séverine Bellini en ses contorsions, offrent un spectacle décapant et rude, entre cirque et cabaret, pulvérisant non sans humour ni poésie les clichés qui leur collent à la peau depuis des lustres. Point d’angélisme non plus, la sororité affichée d’emblée avec le sourire de circonstance n’est pas sans vilains accrocs, et la compétition entre elles l’écornant sévèrement, se termine ici en pugilat des plus féroce. Le féminisme n’est pas toujours ici un humanisme quand il se cogne à l’individualisme. La femme est une louve pour la femme, nous voilà prévenu. « Pathétique », le mot lâché en conclusion de cette création teintée de vitriol, aussi drôle et définitif soit-il, ne doit pas non plus faire illusion.  Rien n’est ici pathétique, les numéros vous laissent pantois, on fait des ho et des ha !, les dents grincent d’effroi, on frémit même de tant d’aisance dans la prise de risque. Marie Le Corre dans le rôle de l’ingénue, est une funambule d’une grande élégance, maîtrisant aussi bien l’art de la chute… provoquée sciemment par ses consœurs (et l’on se dit que ça commence mal dans la concorde affichée). Thaïlai Knight, la sorcière, ne crache pas le feu, non, elle l’avale le plus naturellement du monde. Femme fakir faisant son lit d’une planche à clou ou de verres tranchants. Et les aiguilles ici ne brodent que sa peau tatouée. Tarzana Foures est une sainte qui lévite sur son trapèze ballant, sans longe, entre ciel et cintres, côtoyant au plus près les projecteurs comme elle le ferait des étoiles. Séverine Bellini nous la joue putain, nue comme lilith, contorsionniste exhibitionniste qu’on croirait sortie toute droite d’un peep-show infernal. Avec cette différence d’importance qu’elle se fout du regard des hommes, n’exprimant là vertement, crûment que son propre désir. Voilà en grossier résumé la part de chacune. Mais leur art est bien plus que cela. Elles y insufflent un foutu sentiment de puissance ancrée, défiant, voire s’en méfiant, la représentation traditionnelle de leur discipline respective. C’est trash, cash et crû. Surtout, à l’exception de Marie Le Corre, elles ont une maturité que l’on voit peu chez les circassiennes. D’ailleurs elles ne se le font pas dire deux fois qu’elles sont vieilles, balancé ici comme réplique vacharde. Et ça, c’est leur force absolue. C’est le plus de cette création où la précision du mouvement se double de l’expérience, d’un sentiment de vie traversée qu’elles déversent à flot chacune dans leur discipline, la transfigurant au plus haut point et qui devient un manifeste. Imparable. Ici le cirque c’est bien plus que du cirque, c’est la traversée d’une existence qu’on devine ardue et dense. C’est d’ailleurs ça qui apparait ici, l’envers du décor, l’enfer des corps soumis à la discipline, à la compétition, qui peut faire imploser une communauté et la plus belle des utopies. Marie Le Corre a bien saisi ça, qu’elle met au service d’une dramaturgie intelligente et d’une mise en scène sans concession, impeccable, de tableaux satiriques en tableaux oniriques, qui au final dresse en creux le portrait de quatre femmes puissantes, artistes performeuses se jouant, pas dupes et crânes, de l’image infernale qu’elles offrent sur ce plateau couvert de sciure, comme autant de cendre à venir.   © Antoine Monegier du Sorbier   Les quatre femmes de Dieu, écriture et mise en scène de Marie Le Corre   Avec Marie Le Corre, Tarzana Foures, Séverine Bellini, Thaïlai Knight   Lumières : Chaleix Regard extérieur Théâtral : Karelle Prugnaud Regard extérieur chorégraphique : Dalila Cortes Régie générale son : Pierre Pleven Construction : Bastien Ortega   Spectacle conseillé à partir de 16 ans   Le 5 et 6 juillet 2023 à 21h   Le Café de la Danse 5 passage Louis-Philippe 75011 Paris    Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Les quatre femmes de Dieu, conception et écriture de Marie Le Corre, au Café de la danse
Le Mont des hérons. Danse des esprits et des oiseaux. Variation 2., par Les Volontiers à La Fonderie, Le Mans, dans le cadre des rencontres Encore heureux...
  © Jérome Lourdais   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Il rêve. Les songes quadrillent la nuit. Un cadre de bois, immense comme un tableau du Louvre, suspendu et profond comme une trouée secrète dans un jardin. De sa perspective obscure remonte une nuée fantomatique, à peine discernable, chapeaux échevelés, gigantesques fleurs en fête, ou oiseaux migrateurs. C’est selon le bon vouloir de ce que je veux voir. Ces formes, lettres à déchiffrer de l’inconscient de l’être, se révéleront de papier mâché, montées sur de grandes et impavides échasses, se fondant tels des phasmes à leur environnement. A pas de loup, un homme traverse la scène comme un voleur, à moins qu’il ne marche sur des œufs. Le Mont des hérons n’est pas le Mont des oliviers. Sous un bec de lumière, ses bras s’ouvrent devant lui, portant enfant l’espace d’un instant (celui qu’il fut ?), puis s’ouvrant grand, s’écartant, montant au ciel et se repliant le long du corps. Homme-oiseau, damoiseau, il dame immédiatement le pion et s’envole. De le voir faire ce geste, mon cœur s’émeut, ce geste d’oiseau, vernaculaire et spectaculaire, qui remonte aussi loin que les hiéroglyphes égyptiens et que la cour d’école. Le Mont des hérons. Danse des esprits et des oiseaux. Variation 2. est le titre complet du dernier opus des Volontiers, atelier composé de personnes résidentes de foyers d’hébergement, de vie et d’accueil médicalisés de la Sarthe et d’artistes, metteurs en scène, plasticien, musicien, technicien lumière. Ils travaillent à la Fonderie, qui est aussi le port d’attache du Théâtre du Radeau. Sauf Walser et Virgile (en latin!) qui s’y invitent, tous les textes, poèmes, sont issus de leurs plumes. L’art des Volontiers est unique, l’art d’être spectateur s’en trouve régénéré. Comme un long poème qui se déplierait au-delà des mots, Le Mont des hérons se déploie entre eux et nous, entre ciel et terre, entre imaginaire et réel. Les déficiences qui peuvent affecter les acteurs, si elles sont apparentes, n’invisibilisent pas le geste artistique collectif et de chacun, ni ne chargent notre regard d’un quelconque apitoiement. Bien au contraire. La forme spectaculaire se révèle réjuvénée, comme si la ligne claire du théâtre que l’on peut voir ailleurs, sa brillance lisse, son efficace, étaient ici complexifiées des milles et un reflets et linéaments de chacun, tel un sfumato gorgeant le geste artistique et l’écriture du plateau d’un supplément d’être. Ils ne sont jamais en défaut. Ce qui se met à exister pleinement devant nous, avec nous, c’est un écosystème de l’être au monde embrassant l’être en scène, bâtissant sa cathédrale de verre, fragile, subtile, y inscrivant sa rosace d’émotions, lançant sa flèche poétique. D’où vient que ceux-là semblent nous prolonger sur cette scène-ci quand ailleurs, sur d’autres scènes, c’est toujours le principe de la discontinuité qui opère ? D’où vient que ce jeune homme étrangement fagoté dans son costume noir, ceint d’un chapeau melon, accroché à sa table, éructant comme un oiseau piégé, d’une voix ferrailleuse et sans âge, empêchée, rende à la fois Pessoa et Kafka à leur bureau plus vrais que n’importe quel biopic ne pourrait le faire? D’où vient que leurs récits, leurs colères, leurs désirs, me parlent aussi surement et plus secrètement que les auteurs classiques et leurs tragédies? Peut-être parce que leur présence ne s’encombre pas du regard qu’un acteur porte sur lui-même, taraudé par le souci de plaire. Sans doute aussi parce qu’ils se partagent et se passent ce poème collectif comme un plat que l’on ferait passer autour de la table, que ce prosaïsme-là poétise la vie, jette des ponts entre eux et nous, que dans ce jeu d’assemblage ils forment un tout où la fragilité des parties est sublimée en puissance du tout alors que nous sommes nous-mêmes esseulés avec nos peines. S’ils forcent le trait, ils donnent alors à voir d’un même geste le trait et l’effort pour le faire exister, l’artefact n’en étant que plus vibrant, la vie s’emmêlant à l’art, se mêlant de l’art. Habillé de milles étoffes, robes, vestes, chapeau, comme autant d’atours théâtraux, ils sont tous ce point d’exclamation que l’un d’entre eux, avant l’entrée du public, annotait à chaque fin de phrase de son texte qu’il souhaitait ainsi ponctuer. S’exclamer, ou remplir la forme dans ses moindres replis, de tout son être téméraire et tremblant, comme un coloriage, quitte à déborder un peu. S’emparant de la scène pour dire et montrer le monde depuis leur mont, dans leur quête rêvée, oiseaux migrateurs parcourant le plateau de part en part, c’est comme s’ils avaient aussi le pouvoir de saisir, en filigrane, de convoquer sans mot dire, dans un écho lointain, dans la langue des oiseaux, motifs se superposant, le drame des migrants. Parce que Le Mont des hérons où nidifient Les volontiers est un refuge de l’humain. Ils soignent le monde quand c’est le monde qui pense les soigner. Et lorsque, au sol, dépouille ensanglantée dans sa chemise rouge, un cri s’éleva, avant les mots, c’est l’humain d’avant les mots qui me déchira, puis enfin je compris : « Mon cœur ! ».   © Jérome Lourdais     Le Mont des hérons. Danse des esprits et des oiseaux. Variation 2. Avec : Dylan Acedes, Frédéric Blottière, Lynda Buain, Fabien Cassé, Hortense Gomis, Mickaël Guédé, Rémy Guette, Stéphane Juglet, Laurent Lemaitre, Lindsay Papin, Pascal Vovard, Clément Villa, Stéphane Perlinski Accompagnés par : Frode Bjornstad, comédien et Claudie Douet, danseuse, Léo Boisson, musicien et Jean Guillet, éclairagiste. Atelier écriture : Victoria Horton   Le 3 et 10 juin 2023 à 17h Durée : 60 minutes   La Fonderie 2 Rue de la Fonderie, 72000 Le Mans Tél : 02 43 2493 60 www.lafonderie.fr www.lesvolontiers.fr   Dans le cadre des Rencontres Encore heureux…        Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Le Mont des hérons. Danse des esprits et des oiseaux. Variation 2., par Les Volontiers à La Fonderie, Le Mans, dans le cadre des rencontres Encore heureux…
Ressources humaines, d’après le film de Laurent Cantet, mise en scène d’Élise Noiraud au Théâtre Paris-Villette
    © Christophe Raynaud de Lage     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot A travers la brume grise qui flotte en écharpes sinueuses au fond de la scène, les tubulures inox du mobilier de bureau empilé sont semblables à une mâchoire de fer. Une bête tapie dans l’ombre sociale. Le théâtre, comme la peinture, sait jouer des ambiguïtés visuelles, nous faire toucher du regard certains raccourcis et développer de nouvelles intelligences, car contrairement au cinéma, le théâtre ne peut prélever du « réel » mais le compose. Le théâtre cherche et éprouve ses questions et ses vérités à l’aune d’un plateau où la polysémie essaime entre les mots, les actes, la scénographie, le jeu etc… Élise Noiraud, avec cette adaptation pour la scène du film Ressources humaines de Laurent Cantet, explore avec conviction et invention la théâtralité d’une cause. Pour mémoire, le film éponyme de 1999, succès critique et publique, suivait les pas d’un jeune étudiant d’une école de commerce venant faire son stage dans l’entreprise où son père était ouvrier. Grisé par son idéalisme naïf, aveuglé par l’endoctrinement libéral transfusé tout au long de ses études et surtout par la méconnaissance du milieu qu’il pénètre en tant que transfuge de classe, le jeune homme au sein de la direction des ressources humaines s’engage tout feu tout flamme dans la négociation des accords sur la réduction du temps de travail (35 heures) avant de découvrir qu’un plan de licenciement est préparé secrètement par la direction de l’entreprise, et que son père fait partie de la charrette. Élise Noiraud prend résolument le parti du théâtre, évitant l’usage des micros HF qui aurait permis de retourner dans les traces d’une esthétique cinéma. C’est la première qualité de ce travail et c’est un geste politique de le faire. Seul l’artifice du théâtre le permet et l’impose : il crée une assemblée. Ceux qui parlent là sur scène, au-delà des mots échangés entre eux, de la violence des situations qui pourrait les isoler, nous parlent. La projection des mots, la profération inhérentes à cet art doivent se soutenir et se souvenir du public quand bien même le texte ne serait pas adressé frontalement. C’est la loi et la raison d’être du théâtre. Il a cette capacité à nous prendre à témoin dans l’instant du drame quand le cinéma nous laisserait à notre place de spectateur. Le théâtre nous soulève et nous fait ressentir la force d’une foule rassemblée, traversée par une intelligence sensible, en partage. Si le drame de Ressources humaines se noue autour de la question de la honte, de la honte sociale, ce stigmate d’une origine, de qui sont nos géniteurs, de ne pas être à sa place dans le système de représentation sociale, quel endroit plus puissant qu’une scène de théâtre, lieu de la représentation, pour la mettre en jeu, cette honte, la verbaliser, telle une déflagration dans le nu du plateau ? Rarement silence fut aussi dense après que les mots qui dirent enfin la vérité crue de la honte surgirent, comme si ce que Ressources humaines avait à nous dire ne pouvait être dit et vécu ailleurs que là pour pouvoir être pleinement compris au-delà des mots. C’est ce que l’on pense fermement, intimement, collectivement en sortant du Théâtre Paris Villette. La mise en scène d’Élise Noiraud, le travail fin et précis des interprètes gardant cette justesse dans la puissance de feu du forum théâtral, tout cela participe à la déconstruction de certaines idées reçues prônées par la novlangue libérale. A travers une narration efficace épousant les mécanismes de la contestation sociale faisant chemin par une prise de conscience individuelle, la mise en lumière du mensonge agit comme carburant de la révolte mais également de la forme spectaculaire. Ce théâtre social infuse en nous tout au long de la représentation, nous prenant à parti, nous saisissant avec émotion au plus profond de nous-mêmes comme une chanson de variétés, Bernard Lavilliers ou France Gall, peut le faire, et c’est comme si de cette matière fictionnelle, de cette expérience théâtralisée, affleuraient depuis d’autres profondeurs, non pas le souvenir d’un film que l’on aurait vu et qui nous reviendrait par bribes, mais les traces d’une histoire sociale, violente et inégalitaire, tressant les lauriers des vainqueurs dans l’humiliation des déclassés, que l’on avait fini par ne plus voir parce qu’elle se serait imprimée en nous comme un paysage naturel.     © Christophe Raynaud de Lage     Ressources humaines, adaptation et mise en scène Elise Noiraud Texte : Laurent Cantet, Gilles Marchand et Elise Noiraud Avec : Benjamin Brenière, François Brunet, Sandrine Deschamps, Julie Deyre, Sylvain Porcher, Vincent Remoissenet, Guy Vouillot   Création lumière : Philippe Sazerat Création sonore : Baptiste Ribrault Scénographie : Fanny Laplane Régie générale : Lison Foulou Régie de tournée : Ugo Perez  et Thibaud Caumon Costumes : Mélisande de Serres Lumière : Yannick Fouassier Création son : Nicolas Barrot Régisseur son : Jonathan Reig   Durée : 1h25 minutes Du 27 juin au 2 juillet 2023 à 20h sauf vendredi 19h et dimanche 15h30   Théâtre Paris-Villette 211 Avenue Jean Jaurès 75019 Paris Tel : 01 40 03 74 20 www.theatre-paris-villette.fr      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Ressources humaines, d’après le film de Laurent Cantet, mise en scène d’Élise Noiraud au Théâtre Paris-Villette
Méduse.s, de Sophie Delacolette, Alice Martinache et Eloïse Meire, Théâtre des Doms, Festival d'Avignon Off
    © Alice Piemme       fff article de Louve Le Coadou et Emmanuelle Saulnier-Cassia  « Je vais le tuer » déclare une des femmes victimes de viol qui prête sa voix et un bout de son histoire au collectif La Gang autrices de la pièce Méduse.s. Cette rage qui va jusqu’à l’envie de meurtre, à la rage, la fureur, le récit mythologique de Méduse l’incarne. En effet, nous connaissons ou croyons tous connaître le personnage de Méduse qui, coiffée de serpents et affublée d’écailles, transforme les hommes en pierre avec un simple regard. Dans la culture commune, c’est elle la barbare de l’histoire, et même, de l’Histoire. Or, Méduse.s nous invite à replonger dans le mythe et à aller au-delà ou en amont de ce que nous connaissons (« HISTORY ») pour s’intéresser à « HER STORY » (ainsi que nous le propose un tag astucieux apposé sur les célèbres représentations iconographiques du mythe par Cellini et Caravage jusqu’aux utilisations par Rihanna ou Versace). Sophie Delacolette, Alice Martinache et Héloïse Meire, les trois talentueuses comédiennes qui se passent chacune à leur tour le rôle de Méduse, ainsi que de nombreux autres personnages, auxquelles on doit également la conception et l’écriture, nous guident dans la vie de la jeune Méduse. Accompagnées par une scénographie riche (presque trop parfois), vêtues de noir, avec pour principal décor, trois boîtes utilisées de manière très polyvalente, un écran, et un aquarium, c’est une stimulation continue des sens qui attend les spectat.eur.ice.s. Un jeu de lumières, de sons et de matières maintiennent nos capteurs sensoriels éveillés tout du long. Cet usage passe par la manipulation du papier, de l’eau et même de la peau si bien que l’on sentirait presque leurs doigts se poser sur notre corps. L’utilisation de fluides fluorescents ajoutée notamment aux images de ce toucher projetées en direct nous tire, nous aspire presque, à l’intérieur de ce récit mythique, à la fois surnaturel et très réaliste. La musique créée et jouée sur le plateau par Loïc Le Foll magnifie cette catharsis des sens, laquelle mêlée au récit du viol de Méduse par Poséidon et entrecoupée par les témoignages de réelles victimes d’agressions sexuelles en voix off ne nous donne d’autre choix que de plonger dans les ressentis puissants de leurs traumas. Néanmoins, grâce à l’équilibre procuré par le rythme de la scénographie et le talent des comédiennes, la légèreté, elle , ne nous suffoque pas et n’a conduit personne le jour de la générale à sortir de la salle. Les spectat.eur.ice.s avaient été prévenu.e.s et autorisé.e.s à le faire, dans un prologue créant une forme d’avertissement original sur la possibilité de sentir notre sensibilité heurtée et le besoin de « crier un bon coup ». Cette annonce en forme de boutade installe curieusement un lien fort d’écoute, de compréhension entre la salle et le plateau et même entre les spectat.eur.ice.s eux-mêmes, rendant  légitime l’émotion aussi intense soit elle, suivant l’histoire de chacun.e. On se laisse emporté.e alors dans un balancement habilement manié entre passé et présent, mythe et réalité, extravagance et sobriété, drame et humour, rage et tristesse mais aussi au final une forme de joie et d’apaisement. Malgré le trouble éprouvé, on ne ressort pas attéré.e.s et fatalistes de Méduse.s. D’une part, la pièce nous autorise à tourner la page. Méduse perd ses écailles et ses serpents et ré-apprend à vivre dans son corps et aux côtés d’autres femmes victimes ou non de viol. D’autre part, Méduse.s nous impose d’aller au-delà du filtre patriarcal apposé sur l’histoire, que l’Histoire avec un grand H nous a imposée ou actuellement les médias, éventuellement des proches et parfois même la justice. Combien de spectat.eur.ice.s dans la salle savaient avant d’assister au spectacle que Poséidon avait violé Méduse ? Combien parmi eux auraient deviné que c’est pour punir Méduse de cette « liaison » qu’Athéna, déesse de la sagesse de surcroît, affubla la jeune fille de cette apparence repoussante de Gorgone pour ensuite la faire mettre à mort par Persée ? Partant, sommes-nous d’apprendre que Poséidon demeura le dieu admiré qu’il était, alors même que ce n’était pas son premier viol ? Or ce récit, n’en préfigure-t-il pas tant d’autres depuis ? Pourquoi n’avions-nous pas creusé plus loin ou plutôt plus avant de ce que nous connaissions de Méduse ? Même avec nos yeux modernes et féministes, nous la réduisons encore à un monstre pétrificateur sans pitié. C’est en nous racontant cette histoire-là, la sienne, vécue dans sa propre chair, que le mythe archaïque grec prend sens aujourd’hui grâce à la compagnie belge La Gang. A voir absolument par toutes les générations.   © Alice Piemme   Méduse.s de Sophie Delacolette, Alice Martinache et Héloïse Meire   Regard extérieur à la mise en scène et à la dramaturgie : Isabelle Jonniaux Création vidéo :  Bénédicte Alloing Scénographie et costumes : Irma Morin et Amarande Angely Création lumière : Laurence Halloy Création sonore et musique au plateau : Loïc Le Foll Avec : Sophie Delacolette, Alice Martinache et Héloïse Meire   Durée 1h10   Méduse.s Théâtre des Doms 1bis rue des Escaliers Saint-Anne – Avignon Du 6 au 27 juillet (relâche les 12 et 19), 15h www.lesdom.eu      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Méduse.s, de Sophie Delacolette, Alice Martinache et Eloïse Meire, Théâtre des Doms, Festival d’Avignon Off
A Revue, création et mise en scène de Benjamin Abel Meirhaegue, à La Villette
    © Fred Debrock fff article de Denis Sanglard   Voilà, on dira que nous sommes en 4020 – si le changement climatique permet à l’humanité de tenir jusque là – et ce à quoi nous assistons ici, dans cet étrange cabaret, à l’heure de son renouveau d’une liberté frondeuse et vivifiante, cette revue des temps futur est un drôle d’éblouissement, proche de la sidération dubitative… Benjamin Abel Meirhaegue signe une création tout aussi déroutante que le fut Madrigals, où règne encore une fois une étrange et prenante atmosphère, entre poésie moirée un peu kitsch et archéologie savante. Avec au centre un questionnement, quel héritage musical et son interprétation aurons-nous dans le futur ? Quels souvenirs émergeront des ballets et opéras ? Quelles émotions aurons-nous devant ces fragments peut-être ou désormais diffus du passé ? Cette revue, ce « cabaret rétro-futuriste », où le temps est aboli, la distinctions des sexes et des genres disparue, est une tentative de remonter le temps, d’interroger cette mémoire où le chant, la danse et le corps, toujours intimement liés, faisaient lien, voire communauté, à la fois dans son rituel mais aussi par l’émotion collective donnée. Drôle de cabaret à vrai dire, « rétro-futuriste » est-il dit, où se trouve compressée en strates composites et savantes l’histoire de l’humanité, projetée dans un futur imaginé, chantée et dansée par d’étranges humanoïdes n’hésitant pas à faire appel aux rituels les plus archaïques qu’accompagnent le chant et la voix, mis en miroir avec de nouveaux cérémoniels exaltant et l’un et l’autre avec en son hypocentre, en considérant cela comme un séisme, le corps. Qu’il soit dans sa brutalité et nudité sans fard, ou mutant et d’une extrême sophistication. Dans cette revue, on cherche le cri primal, inarticulé, celui qui deviendra chant, qui engage le corps jusqu’à provoquer la transe qui deviendra danse. Plus loin encore remonte-on au moyen-âge, revisite-ton Vivaldi ou Mozart, voire Schubert et Kurt Weill, désacralisés, débridés, hybridés où l’acoustique, l’acousmatique, l’électronique injecté crée d’étranges et prenant paysages sonores et visuelles que quelques fragments mémoriels et fragiles de ballets traversent. Avec un sens inouï et inégalé du décalage incongru assumé, de l’audace, du bricolage et du pas de côté propre au cabaret. Et un érotisme franc aussi cru que ludique. Cela peut paraître déroutant, entre-autre de par son rythme singulier toujours étal, ou presque, mais la proposition ne manque ni de culot, ni d’aplomb, ni d’intelligence et de science musicale. Les images et les situations créées frappent fort sans que le chant en soit pour autant brouillé même soumis aux torsions et tensions les plus incongrues que lui impose le metteur en scène et performer qui semble tester là la résistance de ce répertoire. Et c’est bien en performer qu’il conçoit cette revue. Et pour ce faire il fallait bien des artistes à la hauteur de cette proposition sans concession, demandant un engagement total, corps et voix en avant dans la plus grande liberté. Tous avec un talent monstre répondent à cet étrange appel, cette extravagance qui est aussi exigence. La réussite de cette création tient aussi à ça, de jeter allegrement leur corps (et leur voix) dans la bataille et du passé non faire table rase mais un formidable champ d’expérimentation  pour le présent et le futur.   © Fred Debrock   A Revue, création et mise en scène de Benjamin Abel Meirhaegue Avec : Ellen Wils, Maribeth Diggle, Arnaut Lems, Hanaka Hayakawa, Dolly Bing Bing, Simon Van Schuylenbergh, Jelle Haen, Bjorn Floreal, Sophia Rodriguez, Oriana Mangala, Adrien De Biasi, Eurudike De Beu, Linel Couchard, Dramaturgie et textes : Louise van den Eede Dramturgie musicale : Katharin Lindehkens, Lena Meyskens Son et composition : Laurens Mariën, Jasper Segers Piano : Maya Dhondt Scénographie : Bart van Merode, Julien Weber Lumières : Bart van Merode Assistant scénographe : Zaza Dupont Artistes visuels : Julian Weber, Sietske van Aerde, Daan Couzijn, Benjamin Abem Meirhaegue Costumes : Julien Weber, Sietske van Aerde Maquillage : Jelle Haen   Du 28 au 30 juin 2023 à 20h   Grande Halle Parc de la Villette 211 avenue Jean-Jaurès 75019 Paris Réservations : 01 40 03 75 75 www.lavillette.com    Read More →
Suite... Commentaires fermés sur A Revue, création et mise en scène de Benjamin Abel Meirhaegue, à La Villette
La vie matérielle, de Marguerite Duras, adapté par Michel Monnereau, mise en scène de William Mesguich, avec Catherine Artigala, Lucernaire
  © Xavier Cantat   ƒƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette Un bon rendez-vous au Lucernaire avec Marguerite Duras et La vie matérielle. La mise en place de cette suite de textes, publiée en 1987, avait été conçue avec Jérôme Beaujour, concepteur de la plupart de ses entretiens cinématographiques. Cet ouvrage, comme elle le dit dans la présentation du livre « (…) n’est pas un journal, il n’est pas du journalisme, il est dégagé de l’événement quotidien. (…) Loin du roman mais plus proche de son écriture – c’est curieux du moment qu’il est oral – que c’elle de l’éditorial d’un quotidien. » Quarante-huit textes s’y suivent, « raccourcis » grâce à l’aide de Jérôme Beaujour, évoquant des thèmes allant de son enfance, de sa mère, de l’écriture, de l’amour, de Trouville ou Bonnard. Ceux qui ont été choisis nous offrent une sorte de « biographie express » de Duras, son enfance, sa mère, l’amour, l’alcool. Un choix net et sans doute un peu trop « sobre », si ce mot peut être utilisé ici, tout près de Duras, mais le résultat est efficace. Avant ce spectacle, aimant Duras, on peut grogner et se dire que nous ne serons pas emportés, c’est impossible, comment toucher à Duras ?? Catherine Artigala est sur scène, silhouette presque invisible, plongée dans le noir, à quelques mètres des spectateurs. Puis, lumière et… le plaisir débarque, l’intérêt, et pourquoi pas le rire ici ou là. Une fausse Duras est là, oui, mais elle gagne et nous emmène. Une petite dizaine de textes se diffusent allègrement, nous rappellent Duras et c’est un bonheur. Ou presque, c’est vrai, quelques petits détails ne fonctionnent pas tout à fait : la lumière n’est pas d’une véritable subtilité, on allume, on éteint, c’est l’impression qui en ressort en tout cas, c’est comme si on brandissait un panneau sur lequel était écrit : « Soyez touchés, on jouit d’une subtilité lumineuse, si, si, c’est émouvant ! ». C’est un peu la même chose avec ces bandes sons qui veulent passer pour du vrai Duras sonore se collant sur du vrai Duras vivant, celui sur scène. Duras qui s’écoute, du bis, du trop, du pas besoin puisque nous sommes en train de discuter avec elle. C’est comme si d’un seul coup nous revenions sur scène, alors que nous étions déjà un peu plus loin, charmés. Et une mini déception encore, avec l’utilisation d’extraits, toujours sonores, du film L’amant par exemple. Dommage, des essais sensés charmer le public et qui au contraire rappellent qu’il y a un public, que ce n’est pas Duras en face mais une comédienne qu’un metteur en scène a tout fait pour la faire décoller devant nous. Et que cela ne fonctionne pas. Le doute est énorme ici. Sainte Barbara chante pour finir Ma plus belle histoire d’amour alors que Jeanne Moreau et India Song nous aurait sans doute davantage « scotchés » sur ces derniers instants. Oui, peut-être. Mais nous sommes néanmoins emportés, séduits. Comme plongés pendant trois heures face à Catherine Artigala, alors que le spectacle n’en dure qu’une. Et pas parce que nous nous sommes ennuyés mais parce que nous étions à Hanoï, parce que nous étions amoureux de Yann Andréa, rue Saint Benoît. Parce que Duras, la vraie, celle que nous aimons, nous parlait, s’emportant parfois, grognant, amoureuse. Une bonne soirée donc, comme un partage, un échange. Qui pousse, une fois chez soi, à se saisir de La vie matérielle et de continuer.   © Xavier Cantat   La vie matérielle, de Marguerite Duras Adaptation de Michel Monnereau Mise en scène de William Mesguich Avec Catherine Artigala Création sonore : Matthieu Rolin Lumières et décor : William Mesguich Costumes : Sonia Bosc   Du 14 juin au 27 août 2023 Durée 1 heure A 21h du mercredi au samedi, à 17h30 le dimanche   Lucernaire 53 rue Notre-Dame-Des-Champs 75006 Paris Réservation : 01 45 44 57 34 www.lucernaire.fr      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur La vie matérielle, de Marguerite Duras, adapté par Michel Monnereau, mise en scène de William Mesguich, avec Catherine Artigala, Lucernaire
Ma Séraphine, de Patrice Trigano, mise en scène de Josiane Pinson à l’espace Roseau Teinturiers, Festival off Avignon
  © Karine Letellier   ƒƒ Article de Sylvie Boursier Ma Séraphine raconte la relation entre un marchand d’art allemand, Wilhelm Uhde et une femme de ménage, Séraphine Louis, dite Séraphine de Senlis, au physique ingrat assorti d’un esprit simple, peintre de génie qui lutte contre des voix persécutrices grâce à l’art. Wilhelm est tombé amoureux de ses arbres avec pommes, grappes de raisin rouge incarna, feuilles irréelles presque célestes puisque, Séraphine en est sûre, son don lui vient de la vierge Marie. Son mentor la finance mais touché par la crise de 1929, Wilhelm Uhde cesse de l’aider d’autant qu’elle s’est lancée dans des dépenses excessives. En 1932, Séraphine de Senlis, internée à l’hôpital psychiatrique de Clermont-de-l’Oise à la suite d’une crise de folie, cesse définitivement de peindre en proie au délire paranoïaque. L’artiste connut une célébrité posthume, grâce à une Yolande Moreau solaire, dans le film de Martin Pruvost, au milieu de ses peintures, de ses encaustiques, de ses casseroles et de sa nature chérie. Chaque plan dessinait une nature morte sur fusain. La pièce, fidèle au texte de Patrice Trigano, met en avant le secret de cette femme qui peint la nuit, à la chandelle, avec du Ripolin. On voit l’envers du décor, les ravages de la schizophrénie, la chambre de bonne qui sert d’atelier, les bondieuseries d’une femme ignorée de tous dont on a l’impression qu’elle n’a jamais grandi depuis ses huit ans, l’asile ou elle croupit dans la puanteur de ses excréments. La scénographie épurée laisse toute la place à deux solitudes réunies par l’art, l’artiste, à peine considérée comme un être vivant à Senlis et son protecteur, triplement coupable, Allemand dans la France de l’après-guerre, homosexuel dans une société qui ne le tolère pas et déchu de sa nationalité pour son soutien à « l’art dégénéré ». Josiane Pinson mise tout sur le jeu de ses comédiens, pari réussi : Bénédicte Roy incarne avec naturel l’inconscience d’un pauvre personnage violent, totalement démuni.  Ses œuvres sont invisibles jusqu’à la fin on les imagine, par les yeux de Laurent Charpentier, ébloui du talent fou d’un être aussi humble. Le comédien donne à Wilhelm une épaisseur qu’il n’avait pas dans le film par son élégance, son désarroi. On croit avec lui au miracle de l’art qui peut changer à jamais une vie. Séraphine, qui signait ses tableaux avant de les peindre, fut soumise à un régime d’internement inhumain, douches glacées, nourriture avariée, et décéda le 11 décembre 1942 d’un cancer, fourmillante de vermine. Quand le noir se fait, un bouquet de lilas dans un vase noir, un cerisier, deux pieds de vigne sont projetés, on découvre les toiles comme Wilhelm Uhde les vit et là on reste sans voix face au mystère de l’artiste. D’où lui vient une telle maîtrise ?   © Karine Letellier   Ma Séraphine de Patrice Trigano, éditions Maurice Nadeau 2023 Mise en scène : Josiane Pinson Lumière : Anne Bigou Son : Edouard Dosseto Avec : Marie-Bénédicte Roy et Laurent Charpentier   Durée : 1h Du 7 au 29 juillet à 18h 35, relâche le mardi, espace Roseau Teinturiers, 45 rue des Teinturiers Avignon Réservation : 04 84 51 26 00 www.espaceroseauteinturiers.fr      Read More →
Suite... Commentaires fermés sur Ma Séraphine, de Patrice Trigano, mise en scène de Josiane Pinson à l’espace Roseau Teinturiers, Festival off Avignon