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Méduse.s, de Sophie Delacolette, Alice Martinache et Eloïse Meire, Théâtre des Doms, Festival d’Avignon Off

Juil 06, 2023 | Commentaires fermés sur Méduse.s, de Sophie Delacolette, Alice Martinache et Eloïse Meire, Théâtre des Doms, Festival d’Avignon Off

 

 

© Alice Piemme

 

 

 

fff article de Louve Le Coadou et Emmanuelle Saulnier-Cassia 

« Je vais le tuer » déclare une des femmes victimes de viol qui prête sa voix et un bout de son histoire au collectif La Gang autrices de la pièce Méduse.s. Cette rage qui va jusqu’à l’envie de meurtre, à la rage, la fureur, le récit mythologique de Méduse l’incarne. En effet, nous connaissons ou croyons tous connaître le personnage de Méduse qui, coiffée de serpents et affublée d’écailles, transforme les hommes en pierre avec un simple regard. Dans la culture commune, c’est elle la barbare de l’histoire, et même, de l’Histoire. Or, Méduse.s nous invite à replonger dans le mythe et à aller au-delà ou en amont de ce que nous connaissons (« HISTORY ») pour s’intéresser à « HER STORY » (ainsi que nous le propose un tag astucieux apposé sur les célèbres représentations iconographiques du mythe par Cellini et Caravage jusqu’aux utilisations par Rihanna ou Versace).

Sophie Delacolette, Alice Martinache et Héloïse Meire, les trois talentueuses comédiennes qui se passent chacune à leur tour le rôle de Méduse, ainsi que de nombreux autres personnages, auxquelles on doit également la conception et l’écriture, nous guident dans la vie de la jeune Méduse. Accompagnées par une scénographie riche (presque trop parfois), vêtues de noir, avec pour principal décor, trois boîtes utilisées de manière très polyvalente, un écran, et un aquarium, c’est une stimulation continue des sens qui attend les spectat.eur.ice.s. Un jeu de lumières, de sons et de matières maintiennent nos capteurs sensoriels éveillés tout du long. Cet usage passe par la manipulation du papier, de l’eau et même de la peau si bien que l’on sentirait presque leurs doigts se poser sur notre corps. L’utilisation de fluides fluorescents ajoutée notamment aux images de ce toucher projetées en direct nous tire, nous aspire presque, à l’intérieur de ce récit mythique, à la fois surnaturel et très réaliste. La musique créée et jouée sur le plateau par Loïc Le Foll magnifie cette catharsis des sens, laquelle mêlée au récit du viol de Méduse par Poséidon et entrecoupée par les témoignages de réelles victimes d’agressions sexuelles en voix off ne nous donne d’autre choix que de plonger dans les ressentis puissants de leurs traumas. Néanmoins, grâce à l’équilibre procuré par le rythme de la scénographie et le talent des comédiennes, la légèreté, elle , ne nous suffoque pas et n’a conduit personne le jour de la générale à sortir de la salle. Les spectat.eur.ice.s avaient été prévenu.e.s et autorisé.e.s à le faire, dans un prologue créant une forme d’avertissement original sur la possibilité de sentir notre sensibilité heurtée et le besoin de « crier un bon coup ». Cette annonce en forme de boutade installe curieusement un lien fort d’écoute, de compréhension entre la salle et le plateau et même entre les spectat.eur.ice.s eux-mêmes, rendant  légitime l’émotion aussi intense soit elle, suivant l’histoire de chacun.e.

On se laisse emporté.e alors dans un balancement habilement manié entre passé et présent, mythe et réalité, extravagance et sobriété, drame et humour, rage et tristesse mais aussi au final une forme de joie et d’apaisement. Malgré le trouble éprouvé, on ne ressort pas attéré.e.s et fatalistes de Méduse.s. D’une part, la pièce nous autorise à tourner la page. Méduse perd ses écailles et ses serpents et ré-apprend à vivre dans son corps et aux côtés d’autres femmes victimes ou non de viol. D’autre part, Méduse.s nous impose d’aller au-delà du filtre patriarcal apposé sur l’histoire, que l’Histoire avec un grand H nous a imposée ou actuellement les médias, éventuellement des proches et parfois même la justice. Combien de spectat.eur.ice.s dans la salle savaient avant d’assister au spectacle que Poséidon avait violé Méduse ? Combien parmi eux auraient deviné que c’est pour punir Méduse de cette « liaison » qu’Athéna, déesse de la sagesse de surcroît, affubla la jeune fille de cette apparence repoussante de Gorgone pour ensuite la faire mettre à mort par Persée ? Partant, sommes-nous d’apprendre que Poséidon demeura le dieu admiré qu’il était, alors même que ce n’était pas son premier viol ? Or ce récit, n’en préfigure-t-il pas tant d’autres depuis ? Pourquoi n’avions-nous pas creusé plus loin ou plutôt plus avant de ce que nous connaissions de Méduse ? Même avec nos yeux modernes et féministes, nous la réduisons encore à un monstre pétrificateur sans pitié. C’est en nous racontant cette histoire-là, la sienne, vécue dans sa propre chair, que le mythe archaïque grec prend sens aujourd’hui grâce à la compagnie belge La Gang.

A voir absolument par toutes les générations.

 

© Alice Piemme

 

Méduse.s

de Sophie Delacolette, Alice Martinache et Héloïse Meire

 

Regard extérieur à la mise en scène et à la dramaturgie : Isabelle Jonniaux

Création vidéo :  Bénédicte Alloing

Scénographie et costumes : Irma Morin et Amarande Angely

Création lumière : Laurence Halloy

Création sonore et musique au plateau : Loïc Le Foll

Avec : Sophie Delacolette, Alice Martinache et Héloïse Meire

 

Durée 1h10

 

Méduse.s

Théâtre des Doms

1bis rue des Escaliers Saint-Anne – Avignon

Du 6 au 27 juillet (relâche les 12 et 19), 15h

www.lesdom.eu

 

 

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