À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // Cutting Mushrooms de Kidows Kim, au Centre National de la Danse, Pantin

Cutting Mushrooms de Kidows Kim, au Centre National de la Danse, Pantin

Juil 07, 2023 | Commentaires fermés sur Cutting Mushrooms de Kidows Kim, au Centre National de la Danse, Pantin

 

© Hubert Crabières

 

 

ƒƒ article de Nicolas Thevenot

A même le sol, un cluster de canettes métalliques, Monster multicolores, jaune, rose, vert, rouge… : fluo. Boissons énergisantes. Sur le sol de béton, des câbles électriques épars tracent d’improbables arabesques, plus loin une toile entortillée, sombre comme un lac. Lui : de dos, lenteur extrême, disparaissant sous des couches de vêtements. Comme défroqué. Collant blanc crasseux, fripé, veste anorak d’où pendent matières effilochées vertes et autres fils électriques. Tout n’est qu’appendice. Le studio 8 du CND apparait spacieux entre ses quatre murs de béton, produit une sensation de dépeuplement, un vide inquiétant, comme si tout ce qui restait de l’humanité avait été aspiré dans cette créature vagabonde. Cutting Mushrooms opère une dépressurisation et une dépression, obère nos capacités à nommer. Quand bien même je ne pourrais m’empêcher de projeter ce que je crois reconnaître sur ce que je vois : un SDF, une figure marginale, de celles qui peuplent le bord éloigné de nos regards, quelque chose me retient. La performance de Kidows Kim déterritorialise le reconnaissable vers l’inconnu. Ce qui est visible est oblitéré par ce que l’on entend sans comprendre. La pensée est mise à l’arrêt, engluée, hypnotisée par une symphonie de sons étranges s’approchant d’une respiration chargée, de mouvements liquides, mais on peut aussi y entendre la fonte des glaciers, le débordement d’un volcan, des sonorités amples et souterraines, des bruits lointains et intimes comme un gargouillement. L’espace est un ventre. La figure produite par Kidows Kim avance comme entravée. Elle est un délitement. Intubée, un tuyau noir est enfoncé dans sa bouche, comme une ligne de vie.

S’il incarne cette être monstrueux, présenté dans la feuille de salle comme une nouvelle créature du bestiaire fantastique qu’il compose depuis plusieurs années, cette incarnation est paradoxale. En attestent indiscutablement un corps, une présence, une réalité : cette façon de se mouvoir dans une économie de mouvement, cette mesure concrète de l’effort, cette bile verte régurgitée de sa bouche et tachant le teeshirt blanc suspendu comme une serviette à son torse, mais aussi ce vestige d’élégance dans une main ornée de bagues semblant vouloir s’éloigner ou remettre en place quelque chose d’une ancienne apparence… mais cette incarnation brille d’une absence, d’un retrait dans un repli de l’espace et du temps comme celui que procure une trop grande consommation de champignons. Kidows Kim travaille un état, pour reprendre un terme technique de jeu d’acteur. Cet état existentiel dressant une sorte d’état des lieux à tous les sens du terme, définitif aussi : apocalyptique. L’environnement sonore, que l’on comprend comme résultant de capteurs amplifiant des sons divers, organiques ou liés au déplacement de Kidows Kim, instaure un régime de déréalisation, un retournement de situation comme un gant, avec cette prééminence de la matière sonore extériorisée d’un intérieur habituellement inaudible, supplantant la torpeur maladive de ce cueilleur de champignons égrenant sur son chemin des piments rouges tels Hansel et Gretel leurs cailloux blancs. Dans la sidération qui nous gagne, on se sent transporter dans une troublante performance muséale, vernissage 2.0, où l’homme, ou ce qui lui serait advenu, quantité résiduelle, ne serait plus qu’une espèce mutante, chevrotante, dont les branchies se font tuyères synthétiques, dans une galerie freaks de l’évolution.

 

© Hubert Crabières

 

 

Cutting Mushrooms, création, chorégraphie et interprétation : Kidows Kim

Collaboration artistique, scénographie : Hubert Crabières

Collaboration artistique, création costumes : Josiane Martinho

Collaboration artistique, création lumière et régie générale : Marie-Sol Kim

Dialoque artistique : Ji-Min Park, Kazuki Fujita, Lucille Belland, Pauline L. Boulba, Daniel Lühmann

 

Durée : 55 minutes

Du 28 juin au 29 juin 2023 à 19h

 

 

Centre national de la danse

1 rue Victor-Hugo

93500 Pantin

Tél : + 33 (0)1 41 83 98 98

https://www.cnd.fr/fr/

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed