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Monsieur Proust, d’après Georges Belmont et Céleste Albaret, adapté et mis en scène par Ivan Morane, Théâtre du Petit Louvre – Salle Van Gogh (Festival d’Avignon Off)

Juil 07, 2023 | Commentaires fermés sur Monsieur Proust, d’après Georges Belmont et Céleste Albaret, adapté et mis en scène par Ivan Morane, Théâtre du Petit Louvre – Salle Van Gogh (Festival d’Avignon Off)

 

© Photo Lot

 

ƒƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia

Créé en novembre 2022 au Lucernaire à Paris, Monsieur Proust mis en scène par Ivan Morane est l’un des seuls en scène immanquables dans le Off du Festival d’Avignon 2023, évidemment par tous les amateurs de Proust, de littérature, d’atypiques rencontres humaines, mais surtout et éventuellement seulement, de grandes voix de théâtre. Car Céline Samie est magistrale. Sa prestation mérite à elle seule le déplacement dans la jolie salle Van Gogh du Théâtre du Petit Louvre.

On avait déjà été témoin, au-delà de ses rôles en compagnie de ses camarades de la Comédie-Française, de son évidente capacité à magnifier et émouvoir dans un monologue exigeant (au Vieux-Colombier dans Lampedusa Beach de Lina Prosa) ; dans Monsieur Proust l’émotion et la grâce sont présente à chaque instant de l’heure 15 de représentation, où l’on ne perd pas une miette de sa diction parfaite et ses sourires irrésistibles, du pétillement de ses yeux bleus dans un visage d’une expressivité extraordinaire, sous la simple lumière du plateau, qui l’accompagne à jardin et à cour.

Céline Samie est à la fois Céleste, la touchante gouvernante de Proust dans sa dernière décennie, et Marcel lui-même, l’homme plus que l’écrivain, taquin et bienveillant. Céleste Albaret fut tellement fidèle à son Monsieur Proust, que ce n’est que 60 ans après l’avoir rencontré pour la première fois qu’elle accepta de confier ses souvenirs, de raconter leur quotidien, contribuant à montrer une autre facette de l’écrivain, en racontant sa « vérité ». C’est sur le ton de la confidence, mais aussi de la joie, de la complicité, de la confiance, que Céline Samie nous fait partager l’intelligente adaptation par Ivan Morane de ces entretiens (publiés chez Robert Laffont) menés à la fin de sa vie par le journaliste et écrivain Georges Belmont (par ailleurs traducteur de Beckett notamment). Le comédien (que l’on a aimé en dernier lieu au Théâtre de la Ville dans La solitude des champs de coton) et metteur en scène s’empare en effet avec tact d’un texte évidemment dépourvu de toute structure théâtrale qu’il parvient à transformer en une superbe conversation intimiste, laquelle devient naturellement dramaturgique et à nous faire partager finalement ce qui a été un grand amour entre Céleste et cet « homme unique » que Marcel fut pour elle, tout à tour mère ou enfant.

Avec pour tout décor une chaise en bois, une robe noire et des souliers d’époque, Céline Samie personnifie aussi une période. Un âge d’or littéraire peuplé de grands écrivains, dont son Monsieur Proust faisait partie et qu’elle analysait avec son intuition de « petite campagnarde » comme elle aimait à se qualifier et sa finesse de caractère, non dénuée de férocité (pour Gide en particulier dont elle n’oubliait sans doute pas qu’il avait été à l’origine du refus par Gallimard de la Recherche) et de générosité amplifiées par le respect qu’elle porta immédiatement à cette célébrité littéraire qu’un (presque) hasard lui fit côtoyer et qu’elle entendit manifestement protéger jusqu’à la fin de sa vie. Le respect et le désir de protection étaient à l’évidence mutuels. En cultivant « l’habitude de la conversation », M. Proust offre à sa chère « Céleste » (prénom répété ad libidum avec la même gourmandise à chaque itération de ce qui ressemble à une superbe allitération par la comédienne) des conseils de lecture, ses émois esthétiques, ses souvenirs d’enfance et ses inquiétudes quant à sa postérité (« Ma chère Céleste, vous devriez écrire votre journal. Je suis sérieux, Céleste. Vous savez tout de moi. Je vous dis tout. Après ma mort, votre journal se vendrait plus que mes livres »), ainsi que ses doutes au moment de la mort.

Le décalage que l’on ressent, en sortant bouleversé du Petit Louvre dans les rues dorées et actives d’Avignon, semble encore plus grand que cet automne en s’extirpant du Paradis du Lucernaire. Prévoyez chers festivaliers de ne pas enchaîner trop vite avec un autre spectacle afin de laisser la petite musique albaretienne et samienne tinter encore dans vos oreilles (ou non proustiennes). Et si vous pensez apercevoir une jeune et élégante Céleste dans les ruelles chaudes de l’après-midi, il se pourrait bien que vous ayez eu la chance d’avoir croisé en fait la majestueuse Céline, grande dame du théâtre français.

 

© Photo Lot

 

Monsieur Proust

D’après Georges Belmont et Céleste Albaret

Mise en scène et lumières : Ivan Morane

Avec : Céline Samie

Durée 1h20

 

Théâtre du Petit Louvre (salle Van Gogh)

23 rue Saint Agricol – Avignon

Jusqu’au 29 juillet (relâche les mercredis 12, 19, 26 juillet), 10h

 

www.theatre-petit-louvre.fr

 

 

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