© Christophe Raynaud de Lage
ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia
Neandertal est une création du Festival d’Avignon, écrite, mise en scène et jouée (notamment) par David Geselson. L’artiste est même présent avant le début du spectacle, venant auprès de chaque spectateur dans l’attente impatiente, après une navette précoce, de l’ouverture des portes de l’Autre Scène de Vedène. Il vient distribuer à chacun un morceau de roche noire expliquant avec douceur que nous en aurons besoin pendant le spectacle. L’idée peut paraître banale ou puérile, elle s’avère être charmante et intrigante. Cela permet de se mettre dans l’attente de ce qui va suivre, de commencer à se poser de questions (elles ne manqueront pas), d’être disponible à ce qui suivra, un témoignage de respect envers le spectateur qui en amuse certains, indiffère d’autres, interpelle la plupart.
Après un prologue dans le noir complet entre deux scientifiques venus se réfugier dans un sous-sol en Californie après l’accident nucléaire de Tchernobyl et laissant cours à un dialogue et un « coup de foudre » cocasses, le spectacle se poursuit par une discussion fictive entre deux scientifiques à un symposium à Berkeley en avril 1986, partant des météorites (nos fameuses petites pierres noires) jusqu’à notre condition actuelle dotée de sens critique (truculente boutade sur la profession située au rang G), en passant par Neandertal et Homo Sapiens.
En s’inspirant de l’autobiographie de Svante Pääbo (Néandertal, à la recherche des génomes perdus), qui a révolutionné la science par son étude sur l’ADN de fossiles humains (travaux qui lui valurent le prix Nobel de Médecine) et de la vie d’autres scientifiques qui vont être les matrices des personnages de la pièce, David Geselson poursuit dans la lignée de ses précédents spectacles (Doreen ; Le silence et la peur) ses portraits sensibles en passant par les histoires intimes pour mieux raconter leur propre histoire publique, ayant un impact sur la grande histoire artistique, politique, et ici en l’occurrence scientifique.
« Le vivant c’est comme l’amour c’est fragile »…
De fait, le couple de Luca et Rosa s’étiole, se déchire sous nos yeux de la manière la plus banale qui soit, mêlant les enjeux de leurs carrières scientifiques à leurs insatisfactions personnelles (les classiques décalages sur l’attention portée ou non à l’autre dans un couple, la place des enfants…) et les rapprochements professionnels (mais qui pourraient être aussi simplement amicaux) entrainent de nouvelles attractions, qui se transforment en un désir mutuel irrépressible, qui rend incrédules Rosa et Lüdo (après la scène érotico-comique du prologue dans le noir) mettant en jeu aussi bien les recherches scientifiques en cours que l’amitié et l’amour. Un trio amoureux et scientifique qui ne peut faire long feu se forme mais ne condamne pas la révolution scientifique en marche. Les scientifiques aussi peuvent tomber amoureux et être sujets comme tout le monde aux attractions entre les corps, aussi incontrôlables dans un laboratoire de recherche que dans toute irrépressible et fulgurante histoire d’amour naissante.
Puis le récit passe à un autre registre : l’impact de la science sur l’Histoire et inversement la tentative d’instrumentaliser la science pour faire parler ou refaire l’histoire. C’est sans doute cette séquence « politique » qui est la plus convenue, ou la plus politiquement correcte du spectacle. Des vidéos du perpétuel conflit israélo-palestinien, les discours de Clinton, Rabin et Arafat, viennent appuyer la critique des demandes démentes de certaines personnalités de prouver par la science l’antériorité de la présence d’un peuple sur un territoire ou la supériorité raciale dans cette partie du monde où les ADN de Neandertal et d’Homo Sapiens se seraient mélangés. L’utilisation de ces images bien connues vient paradoxalement affadir le propos et la puissance quelque part aussi poétique de la création de David Geselson.
Cette faiblesse ne remet nullement en cause l’intérêt de la pièce, sa scénographie ingénieuse, son humour souvent jubilatoire, et la perfection de la distribution. L’équipe de six comédiens, totalement impliquée, soudée, accompagnée par le violoncelle superbe de Jérémie Arcache, offre de très belles scènes individuelles et collectives (on retiendra notamment le truculent passage à Zagreb entre amour lesbien et bataille d’os de Neandertal), contribuant toutes à faire croire en l’amour et à se demander quand même s’il n’y a pas des gènes qui lui sont spécifiques, mais aussi à notre identique passé d’être humain, en dépit d’une image conclusive poignante.
© Christophe Raynaud de Lage
Neandertal de David Geselson
Mise en scène : David Geselson
Scénographie : Lisa Navarro
Lumière : Jérémie Papin
Son : Loïc Le Roux
Musique : Jérémie Arcache
Costumes : Benjamin Moreau
Avec : David Geselson, Adeline Guillot, Marina Keltchewsky, Laure Mathis, Elios Noël, Dirk Roofthooft et Jérémie Arcache (violoncelle), Marine Dillard (dessins)
Jusqu’au 12 juillet, 15 h
Durée 2h30
L’autre scène du Grand Avignon
Vedène
Réservation : www.festival-avignon.com
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