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Ressources humaines, d’après le film de Laurent Cantet, mise en scène d’Élise Noiraud au Théâtre Paris-Villette

Juil 06, 2023 | Commentaires fermés sur Ressources humaines, d’après le film de Laurent Cantet, mise en scène d’Élise Noiraud au Théâtre Paris-Villette

 

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot

A travers la brume grise qui flotte en écharpes sinueuses au fond de la scène, les tubulures inox du mobilier de bureau empilé sont semblables à une mâchoire de fer. Une bête tapie dans l’ombre sociale. Le théâtre, comme la peinture, sait jouer des ambiguïtés visuelles, nous faire toucher du regard certains raccourcis et développer de nouvelles intelligences, car contrairement au cinéma, le théâtre ne peut prélever du « réel » mais le compose. Le théâtre cherche et éprouve ses questions et ses vérités à l’aune d’un plateau où la polysémie essaime entre les mots, les actes, la scénographie, le jeu etc… Élise Noiraud, avec cette adaptation pour la scène du film Ressources humaines de Laurent Cantet, explore avec conviction et invention la théâtralité d’une cause. Pour mémoire, le film éponyme de 1999, succès critique et publique, suivait les pas d’un jeune étudiant d’une école de commerce venant faire son stage dans l’entreprise où son père était ouvrier. Grisé par son idéalisme naïf, aveuglé par l’endoctrinement libéral transfusé tout au long de ses études et surtout par la méconnaissance du milieu qu’il pénètre en tant que transfuge de classe, le jeune homme au sein de la direction des ressources humaines s’engage tout feu tout flamme dans la négociation des accords sur la réduction du temps de travail (35 heures) avant de découvrir qu’un plan de licenciement est préparé secrètement par la direction de l’entreprise, et que son père fait partie de la charrette.

Élise Noiraud prend résolument le parti du théâtre, évitant l’usage des micros HF qui aurait permis de retourner dans les traces d’une esthétique cinéma. C’est la première qualité de ce travail et c’est un geste politique de le faire. Seul l’artifice du théâtre le permet et l’impose : il crée une assemblée. Ceux qui parlent là sur scène, au-delà des mots échangés entre eux, de la violence des situations qui pourrait les isoler, nous parlent. La projection des mots, la profération inhérentes à cet art doivent se soutenir et se souvenir du public quand bien même le texte ne serait pas adressé frontalement. C’est la loi et la raison d’être du théâtre. Il a cette capacité à nous prendre à témoin dans l’instant du drame quand le cinéma nous laisserait à notre place de spectateur. Le théâtre nous soulève et nous fait ressentir la force d’une foule rassemblée, traversée par une intelligence sensible, en partage. Si le drame de Ressources humaines se noue autour de la question de la honte, de la honte sociale, ce stigmate d’une origine, de qui sont nos géniteurs, de ne pas être à sa place dans le système de représentation sociale, quel endroit plus puissant qu’une scène de théâtre, lieu de la représentation, pour la mettre en jeu, cette honte, la verbaliser, telle une déflagration dans le nu du plateau ? Rarement silence fut aussi dense après que les mots qui dirent enfin la vérité crue de la honte surgirent, comme si ce que Ressources humaines avait à nous dire ne pouvait être dit et vécu ailleurs que là pour pouvoir être pleinement compris au-delà des mots. C’est ce que l’on pense fermement, intimement, collectivement en sortant du Théâtre Paris Villette. La mise en scène d’Élise Noiraud, le travail fin et précis des interprètes gardant cette justesse dans la puissance de feu du forum théâtral, tout cela participe à la déconstruction de certaines idées reçues prônées par la novlangue libérale. A travers une narration efficace épousant les mécanismes de la contestation sociale faisant chemin par une prise de conscience individuelle, la mise en lumière du mensonge agit comme carburant de la révolte mais également de la forme spectaculaire. Ce théâtre social infuse en nous tout au long de la représentation, nous prenant à parti, nous saisissant avec émotion au plus profond de nous-mêmes comme une chanson de variétés, Bernard Lavilliers ou France Gall, peut le faire, et c’est comme si de cette matière fictionnelle, de cette expérience théâtralisée, affleuraient depuis d’autres profondeurs, non pas le souvenir d’un film que l’on aurait vu et qui nous reviendrait par bribes, mais les traces d’une histoire sociale, violente et inégalitaire, tressant les lauriers des vainqueurs dans l’humiliation des déclassés, que l’on avait fini par ne plus voir parce qu’elle se serait imprimée en nous comme un paysage naturel.

 

 

© Christophe Raynaud de Lage

 

 

Ressources humaines, adaptation et mise en scène Elise Noiraud

Texte : Laurent Cantet, Gilles Marchand et Elise Noiraud

Avec : Benjamin Brenière, François Brunet, Sandrine Deschamps, Julie Deyre, Sylvain Porcher, Vincent Remoissenet, Guy Vouillot

 

Création lumière : Philippe Sazerat

Création sonore : Baptiste Ribrault

Scénographie : Fanny Laplane

Régie générale : Lison Foulou

Régie de tournée : Ugo Perez  et Thibaud Caumon

Costumes : Mélisande de Serres

Lumière : Yannick Fouassier

Création son : Nicolas Barrot

Régisseur son : Jonathan Reig

 

Durée : 1h25 minutes

Du 27 juin au 2 juillet 2023 à 20h sauf vendredi 19h et dimanche 15h30

 

Théâtre Paris-Villette

211 Avenue Jean Jaurès

75019 Paris

Tel : 01 40 03 74 20

www.theatre-paris-villette.fr

 

 

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