Trilogie des Contes immoraux (pour Europe), de Phia Ménard, MC93, Bobigny
  © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon   ƒƒ article de Emmanuelle Saulnier-Cassia La Trilogie des Contes immoraux (pour Europe) était créée en tant que trilogie (Maison Mère ; Temple Père ; La Rencontre interdite) pour la première fois à l’Opéra Confluence d’Avignon pour la 75ème édition du Festival, même si Phia Ménard avait déjà présenté sa première partie isolément depuis 2017, notamment aux Bouffes du Nord en février 2020. L’idée de cette trilogie est née suite à la commande d’une œuvre performative de la Documenta pour la quinquennale d’art contemporain de Kassel. Phia Ménard a alors imaginé un projet autour de la construction et la destruction de la cité Europe. Et la réalisation de ce projet se caractérise par la démesure, le gigantisme pour les sens de l’ouïe et de la vue. La Trilogie des Contes immoraux (pour Europe) démarre par la construction de la Maison Mère. Phia Ménard se relève du fond du plateau où elle était assise tout le temps que les spectateurs prenaient place dans la salle. Dans une démarche à la fois virile et chaloupée sur ses chaussures compensées et look (vêtements et maquillage) de super héroïne, Phia Ménard parcourt et s’empare au sens propre du plateau. Recouverte sur toute sa surface de plus de 400 m2 d’un immense carton prédécoupé, la scène sert de plan de travail à l’artiste qui consciencieusement découpe, plie, et une heure durant élève une structure souple d’abord informe, puis prenant peu à peu forme, à grand renfort de lances et de gros scotch marron. Une boîte ? Non. Une maison éphémère ? Presque. Un temple ? Oui. Un temple grec forcément, une fois que la tronçonneuse a découpé de l’intérieur les piliers. Un Parthénon en kit. Une heure d’effort, parfois vraiment physique, où le spectateur pouvant être dubitatif au début de l’entreprise se prend à s’émouvoir des difficultés de réalisation de cette œuvre improbable et qui semble parfois dominer sa créatrice, qui tel Sisyphe recommence sans jamais abandonner. Ce n’est pas sa volonté qui aura raison de l’entreprise, mais une extranéité qui la dépasse. En quelques minutes, ce qui n’est finalement qu’un décor de carton-pâte s’effondre sous un déluge implacable. D’abord le toit. Les parois résistent. On pense à Notre-Dame. Phia Ménard à terre nous regarde (pour la première fois) fixement sans prononcer un mot, nous rend témoins de son impuissance. Elle semble crier silencieusement, dans le vide. Personne ne vient la secourir. Le carton est évacué, tel un vulgaire déchet sans importance. La fumée envahit peu à peu le plateau et la salle. Une allégorie des effondrements économiques dus à l’ultralibéralisme, aux totalitarismes, à la corruption, au dérèglements climatiques ? Grèce, Brésil, Liban, Arctique ? L’embarras du choix. Chacun s’y retrouvera. Les eaux ne se sont pas retirées, la nuit se fait, une atmosphère crépusculaire s’installe, mystérieuse, voire mystique avec l’apparition d’un grand cercle noir qui n’est pas un décor peint comme on pourrait le croire d’emblée, mais un anneau fait d’un lourd métal qui bascule à la force de câbles et poulies pour être mis à l’horizontale et descendre lentement dans un halo de lumière, entourant une femme toute de blanc vêtue et lançant des incantations obscures dans plusieurs langues après une série de respirations et vocalises hypnotisantes. C’est l’introduction au Temple Père, la deuxième partie de la Trilogie, qui offre des tableaux d’une beauté saisissante surtout dans sa première partie avec quatre hommes obéissant à la prêtresse dominatrice en la personne de la prodigieuse Inga Huld Hákonardóttir. Tels des esclaves, ils tournent autour du cercle, faisant jaillir l’eau dans leur course effrénée pour construire sans relâche une tour à la manière d’un château de cartes, prenant pour base l’anneau. L’action des quatre ouvriers-acrobates (tous artistes circassiens) semble ne jamais devoir finir. Phia Ménard revendique d’avoir écrit une scène sado-maso à grande échelle, accompagnée de symboles très sexuels, notamment la tour, phallique forcément… En tout cas, il s’agit d’une scène de soumission, allégorique de l’incapacité généralisée à la révolte et de la servitude si ce n’est volontaire, du moins consentie au pouvoir et à l’argent. Enfin, c’est La Rencontre interdite, la troisième et dernière partie, la plus courte d’une vingtaine de minutes, mais aussi d’une certaine manière la plus exigeante pour le public, épuisé au terme des 2 h 30 de construction, comme s’il y avait physiquement participé. Phia Ménard apparaît entièrement nue au sommet de la tour, accrochée comme King Kong à l’Empire State building. Vulnérable aussi, descendant chaque étage prudemment, jusqu’à la conclusion finale. Décevante, moins lisible et surtout tranchant esthétiquement avec ce qui précède. Au lieu de nous laisser dans un songe de fin du monde, les projections de peinture par l’artiste noircissant un rideau translucide, faisant disparaître la cité abandonnée, nous plonge dans une réalité aussi crue que la lumière inondant le front de scène. On regrette de ressentir de la frustration. On se plaît à imaginer une autre fin, une performance à ciel ouvert, avec une tour ne s’arrêtant pas à trois étages, ni à 1 h 20 d’escalade sans fin, et poursuivant un cycle de 24 h où les artistes seraient remplacés par équipes comme dans une usine. Cela aurait du sens.   © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon     Trilogie des Contes immoraux (pour Europe) de Phia Ménard Avec : Phia Ménard, Fanny Alvarez, Rémy Balagué, Erwan Ha Kyoon Larcher, Elise Legros, Inga Huld Hákonardóttir Conception : Phia Ménard Dramaturgie : Jonathan Drillet Assistant à la mise en scène : Clarisse Delile Créateur des lumières : Eric Soyer Créateur sonore : Ivan Roussel   Durée 3 h Du 6 au 12 janvier 2022 à 19 h Relâche Dimanche 10 janvier 2022     MC93 9 bd Lénine 93000 Bobigny Réservation 01 40 60 72 72 reservation@mc93.com   Tournée :   Février 2022 à Anvers Mars 2022 à Anglet, Chambéry, Le Mans, La-Roche-sur-Yon Mai 2022 à Rennes        Read More →
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Contes immoraux-Partie 1 : Maison Mère, création de Phia Ménard/Cie Non Nova, MC93, Bobigny
  © Jean-Luc Beaujault   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Phia Ménard, Sisyphe camusienne. Il est des femmes puissantes, des guerrières engagées. Phia Ménard, on le sait, est de celles-là. Ici seule en scène, Athéna punk, où le no futur, dans cette performance radicale qui vous sidère, prendra toute son importance et une toute nouvelle valeur. Athéna bâtit furieusement son temple, sa maison, mais les dieux sont morts, les civilisations meurent un jour, et il ne reste au final que ruines. Résumé lapidaire de nos vies, pauvres mortels, de notre tragédie contemporaine, universelle, et vision d’une Europe entrée en agonie. Pas pour rien que la Grèce est ici donnée en référence. Si l’on peut y voir l’effondrement historique d’une civilisation et berceau de notre culture, préfiguration de la nôtre en plein chaos, c’est aussi et surtout l’échec d’une Europe plus libérale dans son économie que volontairement sociétale dont la Grèce il y a peu faisait salement les frais et dont les conséquences désastreuses perdurent aujourd’hui encore. Résumons. Une heure et demie d’effort à bâtir un temple en kit, Parthénon de carton. Matériaux fragile et rétifs. Phia Ménard est à la peine. Ce qui doit être droit est vite, parfois, de guingois. Tombent les murs. Il faut recommencer. Obstinée, sans un mot, jamais, elle recommence, rapetasse fissa ce qui doit l’être jusqu’à ce que cela tienne. La tension, la concentration sont palpables, l’effort ardu. Le public attentif et tendu encourage muettement, quelques rires fusent qui bientôt se figeront. Jusqu’à voir enfin couronné tant de rage patiente et têtue: Le temple enfin érigé… aussitôt détruit. Des trombes d’eau réduisent à néant cette construction et cet effort dantesque qui lentement et dans le silence s’effondre irrémédiablement sous nos yeux éberlués voire catastrophés. L’action est radicale, absolue. Et dans cette extrême pauvreté de moyen, relative, dans cette absence volontaire de discours didactique, dans le choix même de cette radicalité de l’image et de la performance, métonymique, s’engouffre avec fracas la marche boiteuse du monde, son aveuglement, cahin-caha jusqu’à sa chute. Catastrophe climatique ou économique, c’est du pareil au même, les deux désormais sont liées en un seul geste que Phia Ménard dénonce. Phia Ménard avec Saison sèche mettait à bas la maison du patriarcat, envahie de boue et d’eau jusqu’à la dissolution de ses murs. Mais de ce magma fangeux naissait un nouvel ordre. Mais dans Maison Mère ?  Quel constat ? On se prend à espérer ici que de ces ruines gorgées d’eau naîtra un nouvel espoir. Phia Ménard ne propose rien, n’accuse personne de la gabegie du monde, du désastre écologique qui détruit aussi sûrement que l’économie affolée et spéculative, disparaît dans la brume qui envahit le plateau, mais suggère sans doute par ce tas de gravats spongieux, tout ce qui nous reste de nos utopies européennes, que c’est à nous désormais de reconstruire au risque de l’échec et sous le sceau de l’absurde. Sans espoir sans doute mais sans désespoir.   © Jean-Luc Beaujault   Contes Immoraux-Partie 1 : Maison Mère une création de Phia Ménard / Cie Non Nova Écriture et dramaturgie Phia Ménard et Jean-Luc Beaujault Scénographie et interprétation Phia Ménard Composition sonore et régie son Ivan Roussel Costumes et accessoires Fabrice Illia Leroy     Du 6 au 12 janvier 2022 à 19 h Relâche dimanche 10 janvier 2022   MC93 9 bd Lénine 93000 Bobigny Réservation 01 40 60 72 72 reservation@mc93.com      Read More →
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Marylin, ma grand-mère et moi de Céline Milliat Baumgartner, mise en scène de Valérie Lesort, Théâtre de la Porte Saint Martin
    © Manuel Peskine     ƒƒƒ article de Denis Sanglard Elle apparaît toute menue, vacillante sur la pointe de ses pieds nus, au centre d’un cercle de néon. Pas Marylin Monroe, non. Juste son évocation fugace. Mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit ici, d’une biographie d’un mythe tôt disparue. Non, c’est le destin d’une autre femme, née la même année (1926), la grand-mère de celle qui raconte, Céline Milliat Baumgartner. Deux destins, une même interrogation et la mort qui rôde. Éternelles amoureuses toujours trahies, la peur et le désir tenace d’être mère, une soif de liberté au risque de l’échec et de la perte, l’inquiétude devant la vieillesse. Hollywood, Colmar, un même cauchemar. Marylin meurt à 36 ans, Marie-Thérèse vieillira, seule, et la mort attendra son heure. À toutes ces questions, la place des femmes à prendre en ce monde, chacune à leurs manières, ces deux-là ont répondu. Questions qui traversent aussi Céline Milliat Baumgartner, questions universelles, qui traversent toutes les femmes. Création à l’écriture délicate et pointue, d’une grande finesse, le rire se disputant l’émotion, et mise en scène comme toujours merveilleusement inventive et ludique de Valérie Lesort. Un cercle de néon pour scène, un piano pour orchestre, et au lointain une armoire normande. L’armoire de notre enfance qui contenait trousseaux et mystères féminins. Cette armoire-là, par la grâce de Valérie Lesort, contient une vie entière, paillettes et poussières, gloire et abandon. Portes ouvertes, c’est tout un univers qui surgit et se déploie soudain sur cette scène minuscule et contient soudain Hollywood, Colmar et le monde en son entier. Petit théâtre aux rideaux rouges pour une actrice évoquant le destin tragique et volontaire de Marylin et de Marie-Thérèse, qu’accompagne parfois, complice, un saxophone, un violoncelle et un piano, Manuel Peskine, poly-intrumentiste, présence discrète. Tombeau pour l’enfant défunt et les autres, ceux avortés dans la clandestinité. Tribunal où s’expose sans fard une vie écorchée de n’être plus aimée. Compartiment de chemin de fer pour une scène de « Certains l’aiment chaud » … Cette armoire c’est la mémoire commune des femmes, qu’elles soient Marylin, Marie-Thérèse, Céline Milliat Baumgartner et toutes les anonymes qui ont forgés leur destin l’ont payé au prix fort, fantômes en filigrane de ce récit. Céline Milliat Baumgartner se met aussi à nue, conte et compose sans jamais forcer le trait avec grande délicatesse mais sans rien oblitérer de la violence imposée aux femmes. Évocation ténue et sensible plus qu’incarnation, portraits dessinés avec ce trois fois rien et le si magique propre au théâtre qui vous emporte loin et vous touche sans plus de façon. Cette création est une petite merveille d’intelligence féminine et féministe — on peut dire ça —, à découvrir sans barguigner.   © Manuel Peskine     Marylin, ma grand-mère et moi de Céline Milliat Baumgartner Mise en scène set scénographie Valérie Lesort Avec Céline Milliat Baumgartner et Manuel Peskine Lumières Jérémie Papin Costumes Julia Allègre Chorégraphie Yohan Têté   Du 11 janvier au 9 avril 2022 Du 11 au 15 janvier : 21 h Du 19 au 22 janvier : 19 h Du 25 au 29 janvier : 21 h Du 1er au 5 février : 21 h Du 8 au 12 février : 21 h Du 15 au 19 février : 21 h Du 22 au 26 février : 19 h Du 1er au 5 mars : 19 h 12 mars : 21 h Du 15 au 19 mars : 19 h Du 22 au 26 mars : 21 h Du 29 au 31 mars : 19 h 1er et 2 avril : 19 h Du 5 au 9 avril : 21 h Théâtre de la Porte Saint Martin 17 rue René Boulanger 75010 Paris Réservation Tél. 01 42 08 00 32   Tournée prévue sous réserve des conditions sanitaires   2022 Février, Théâtre de Villefranche (scène conventionnée d’intérêt national pour l’art et la création, focus jeune créatrice) 16 au 18 mars, le Bateau Feu, scène nationale de Dunkerque        Read More →
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L’image, de Samuel Beckett, mise en scène de Jaques Osinski, Théâtre du Lucernaire
  © Pierre Grosbois  ƒƒ article de Denis Sanglard Au Lucernaire, au Paradis, la salle la plus haute du lieu, le temps est suspendu une heure durant. Le comédien Denis Lavant et le metteur en scène Jacques Osinski, poursuivant leur étroite et complice collaboration autours des œuvres de Beckett (après Cap au pire et La dernière bande), font entendre quatre textes courts de l’ermite d’Ussy. L’image ; Un soir ; Au loin, un oiseau et Plafond. Avec pour point commun, qui traverse toute l’œuvre de Beckett, la recherche du souvenir et son impossible vérité, la naissance et la mort (résumé en cette formule lapidaire in En attendant Godot « (…) elles accouchent à cheval sur une tombe (…) »), l’acte de dire enfin, acte performatif et créatif qui supplée l’acte de vivre. Et toujours ce regard extérieur, impavide, sur soi et les autres. Denis Lavant, d’emblée captive l’auditoire. Le corps immobile et dissous dans une semi-pénombre où seul le visage, face lunaire, émerge, il articule le récit avec cette diction singulière propre au personnage en recherche d’une vérité, avec cette volonté non de convaincre mais d’être au plus près, au plus juste du souvenir énoncé ou de l’action qui se fait et dont il est le témoin et l’acteur tout à la fois. Un récit troué de silences comme si soudain quelque chose échappait et qu’il fallait redéfinir la pensée, la fixer aussi sur un point précis pourtant si fragile et ténu, près de disparaître. Ce corps figé qui confine à l’absence, cette diction tenue, cette lumière entre chien et loup, confèrent au plateau nu un vaste espace mental où le temps se fige et se dilate à l’instant où se cristallise la pensée. Ainsi le théâtre en est réduit à sa forme la plus pure, la plus rêche, un acteur, un récit, que signe ici la servante du théâtre au jardin du plateau nu. Un acteur dont le corps s’efface jusqu’à disparaître pour n’être qu’une voix intérieure, rien qu’une conscience exacerbée par la recherche et l’obsession d’un souvenir. C’est une création austère et pour laquelle c’est vrai il faut faire un effort volontaire et soutenu. Mais pour qui accepte, pour qui se prête, nous sommes vite absorbés. Parce que Denis Lavant, dans ce dépouillement absolu qui le voit disparaître, transcende magnifiquement ces quatre récits et leur donne une densité telle que nous somme vite happés, voire fascinés. Soulignons aussi le très beau travail sur les lumières de Catherine Verheyde qui participe de cette réussite. Ces textes qui furent réunis en deux volumes sous le titre Pour finir encore et autres foirades (Editions de Minuit) valent d’être redécouvert. Foirades ? On peut s’étonner de ce terme et de sa polysémie (entre diarrhée et ratage) mais l’humour à froid et pince-sans-rire de Beckett n’y est sans doute pas étranger. Néanmoins ni Denis Lavant, ni Jacques Osinski n’ont ici foiré l’affaire, bien au contraire.   © Pierre Grosbois   L’image suivi de Un soir ; Au loin, un oiseau ; Plafond de Samuel Beckett Mise en scène Jacques Osinski Lumière Catherine Verheyde Avec Denis Lavant   Du 4 au 23 janvier 2022 Du mardi au samedi à 19 h, dimanche à 15 h 30 Samedi 22 janvier à 19 h et 21 h Relâche le lundi et le jeudi 13 janvier       Le Lucernaire 53 rue Notre-Dame-Des-Champs 75006 Paris   Réservation 01 45 44 57 34 www.lucernaire.fr      Read More →
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As Comadres, d’après Les belles-sœurs de Michel Tremblay, livret, parole mise en scène de René Richard Cyr, musiques de Daniel Bélanger, supervision artistique de Ariane Mnouchkine, au Théâtre de l’Epée de bois
  © Jõao Gioia    ƒƒƒ article de Denis Sanglard Il est des créations dont on ressort touché au plus profond de soi pour avoir traversé, une petite poignée d’heure, le cœur battant et fragile d’une communauté de destin, des vies minuscules fracassées par la vie, acharnées à vivre malgré tout, à contrer sans espoir un destin contraire. Pas des héroïnes, non, mais des femmes vent-debout contre leur servitude, magnifiques perdantes, vaincues poignantes et tragiques qui chantent cette vie pourrie, « des vies de merde », gangrenée par le patriarcat. As comadres, d’après Les belles-sœurs de Michel Tremblay, dans sa version musicale de 2010, pièce chorale pour 20 actrices-chanteuses, adaptée ici en portugais pour des actrices brésiliennes, et dont la mise en scène de René Richard Cyr est ici « supervisée » par Arianne Mnouchkine. Formidable pièce, terrible et profondément juste par son propos, la condition féminine, où pourtant l’on rit énormément entre deux claques brutales et bien senties, nécessaires. Après avoir gagné un million de timbres, ces timbres à coller sur des catalogues pour obtenir des cadeaux utiles à toutes ménagères, Germaine convoque les femmes de son quartier, amies et voisines, pour l’aider à remplir les carnets qui permettront de voir réaliser ses rêves, un bel intérieur, des casseroles aux rideaux. Dans cette minuscules cuisine où elles se précipitent toutes, bientôt chacune, toutes générations confondues, entre confidence et non-dit, se révèlent. Femmes pauvres, soumises aux hommes et à la religion, n’ayant pas d’autre espoir que d’espérer gagner au bingo, toujours perdantes cependant, elles ne rêvent pas d’émancipation, trop bornées dans leur servitude – et gare à celles qui osent ! – mais de gagner, une fois, rien qu’une fois, un million de timbre. Mais dans cette cuisine où l’envie, la jalousie, la mesquinerie suintent envers Germaine et qui conduira au pire, la condition de ces femmes, et la condition féminine en général, apparaît dans toute sa véracité sèche. Femmes conditionnées aux foyers, aux tâches ménagères ingrates, avortement clandestin, viol et violence conjugal, solitude, sororité, homosexualité, émancipation au risque de l’exclusion, drogue… longue est la liste des thèmes évoqués frontalement. Un constat lucide et désespérant d’une servitude volontaire, d’une réitération obstinée qu’elles dénoncent en chantant mais dont elles ne sortent pas. Un conditionnement profondément, tragiquement ancré. Les chansons sont ici comme l’expression collective ou individuelle d’une vérité sans fard qui ne pourrait être dîtes autrement. Pas de morale non plus dans cette pièce, ces femmes-là sont aussi féroces de jalousies, de méchanceté. L’ignorance et la pauvreté ne rendent pas les gens forcément altruistes. Question de survie. Germaine en fera les frais. Et pourtant on rit beaucoup, oui. Par la grâce de ces formidables comédiennes-chanteuses qui ont toutes un abattage incroyable, une formidable énergie, vite communicative. Et puis il y a cette mise en scène si juste et si fluide qui aménage dans ce tourbillon fou et terrible des instants suspendus, brèche pour des confidences inattendues qui vous bouleversent abruptement. Elles empoignent magnifiquement leurs rôles, pourtant des archétypes, vous dessinent finement leurs personnages, qu’elles s’approprient jusque dans leur faille et leur noirceur – il y en a – avec une conviction telle, une généreuse appétence qu’elles nous arrachent rires et larmes, compassion même. Ce qu’elles leur offrent d’humanité jusque dans leur retranchement les plus sombres vous stupéfie, vous renverse. Pas d’effet de manche pour autant, de pathos et de tire-larme, non, ce qui palpite là sur le plateau c’est tout simplement la vie. Aussi moche soit elle. Et nous éprouvons au final pour ces femmes sacrifiées une compréhension, voire comme le dit Arianne Mnouchkine, une véritable tendresse. Evidemment en filigrane c’est la situation actuelle du Brésil, des femmes et des artistes, les difficultés économiques, politiques, sociales et culturelles, qui est dénoncée, cette dictature d’extrême droite instituée par le président Bolsonaro. En ce sens et de par le contexte même de cette création, peu de moyen financier mais une farouche volonté d’y arriver, et l’engagement total de ces femmes, c’est un véritable acte de résistance qui porté par la pièce et ces comédiennes nous est donné. Et c’est à voir, absolument.   ©  Jõao Gioia   As comadres d’après Les belles-sœurs de Michel Tremblay Livret, parole et mises en scène de René Richard Cyr Direction musicale de Wladimir Pinheiro et Marcello Sader Supervision artistique de Arianne Mnouchkine   Avec en alternance Ariane Hime, Janaina Azevedo, Iza Eirado, Ana Achcar, Maria Ceiça, Beth Lammas, Juliana Carneiro da Cunha, Sirléa Aleixo, Leticia Medella, Leda Ribas, Julia Carrera, Thallyssiane Aleixo, Gillian Villa, Fabianna de Mello e Souza, Ana Paula Secco, Sonia Dumont, Gabriela Carneiro da Cunha, Julia Marini Et le chœur Amanda tedesco, Leona Kali, Nina Rodrigues, Suelen Gom, Thayane Aleixo Piano Catherine Henriques Percussions Georgia Camara Basse Marcello Sader, Nicholas Carrera Golevsky Livret en portugais Julia Carrera Parole des chansons en portugais Wladimir Pinheiro, Sonia Dumont Décor Mina Quantal d’après le décor original de Jean Bard Costumes Diago Ribeiro Lumières Hugo Mercier Bosseny, Joao Gioia, Geoffroy Adragna, Virginie Le Coënt, Antoine Giovannetti Son Rodrigo Gava, Pascal Gallepe Accessoires Sébastien Brottet-Michel, Amanda Tedesco Régie générale Lindsay Castro Lima, Etienne Lemasson Assistants à la mise en scène Tomaz Nogueira da Gama, Hélène Cinque   Du 23 au 30 décembre 2021 A 20 h 30, le dimanche à 14 h 30 Durée 1 h 45   Théâtre de l’épée de bois Cartoucherie de Vincennes 77012 Paris   Réservation au Théâtre du Soleil www.theatre-du-soleil.fr        Read More →
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La Vie Parisienne, de Jacques Offenbach, livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy, mise en scène de Christian Lacroix, Théâtre des Champs Elysées
© Marie Pétry   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Et pif, et paf, et pif, et pouf ! Ainsi peut-on résumer La vie Parisienne de Jacques Offenbach dans sa version d’origine*, restaurée telle que voulue en 1866 mais amputée dès sa création par trop de couac chez les acteurs-chanteurs, et mise en scène avec une bonne dose de folie par Christian Lacroix. Ça tient du cabaret, du cirque et de la revue. Et fidèle à sa ligne artistique à nulle autre pareille, c’est un joyeux palimpseste qui le voit ajouter à l’œuvre originale et l’esprit de son époque une bonne touche de modernité des plus fantaisiste, voire baroque, sinon loufoque. Une patte Lacroix reconnaissable entre toutes, fortement colorées, métissées, chamarrées. Un mélange détonnant et irrésistible comme un patchwork acidulé. A l’image de ses somptueux costumes, qui abouche le Second-Empire à notre époque dans ce qu’elle a de plus créatif, c’est un entre-deux décalé avec un humour ravageur, une folie contagieuse, une excentricité électrique. Non sans gravité parfois ; les lendemains d’orgie sont toujours difficiles. Et dans ce décor de garde-meuble, d’accessoires de théâtre empilés, de toiles peintes défraîchies, qui facilite les changements de lieux, où là aussi on fait du neuf avec du vieux, Christian Lacroix impulse un formidable élan qui ne faillit pas. C’est d’ailleurs ce qui frappe, cette course frénétique qui de la Gare Saint-Lazare au Café de Paris entraîne nos personnages affamés de plaisirs et de sexes dans une ronde infernale que rien ne semble pouvoir arrêter. Pas de temps mort mais du mouvement, de l’allant, du galop. Une chorégraphie des corps minutieuse et réussie, ici un étonnant french-cancan pour ne pas faillir à la réputation, jusqu’au voguing matinée parfois d’acrobatie. Ces personnages sont sans cesse en représentation, jusqu’à représenter ce qu’ils ne sont pas. Jeux de rôles et jeux de dupe. La satire féroce de ce milieu mondain, bourgeois et demi-monde dans une même étreinte, est quand même au cœur de cet opéra-bouffe. Christian Lacroix l’a bien saisie qui théâtralise sans outrance mais avec une bonne dose d’ironie cet univers de faux semblant. Rien de réaliste dans sa mise en scène mais une dimension fortement théâtrale, voire de caf’conc, de cirque même, car il s’agit bien de ça d’un vaste cirque où chacun fait son tour de piste, où s’agitent deux clowns à la face blanchie, Gardefeu et Bobinet. De cet opéra-bouffe Christian Lacroix fait une formidable revue haute en couleur où sur les praticables qui ne quittent jamais le plateau, dans une mise en abyme subtile, chacun vient y faire son numéro comme à la parade. Sans que jamais Christian Lacroix ne lâche le fil de l’intrigue qui file ainsi fissa jusqu’au final. Les interprètes s’en donnent à cœur joie, tous épatants (quelques légères faiblesses toutefois pour certains, mais le plaisir étant là, passons). On retiendra ce soir-là (il y a deux distributions) Franck Leguérinel campant un Baron de Gondremark véritablement drôle, mais sans lourdeur, sans caricature et un vrai sens de la composition. Eléonore Pancrazi, Metalla capiteuse mais maîtresse-femme. Et Ingrid Perruche, Madame de Quimper-Karadec, à la folie impétueuse… Il faudrait les citer tous tant ils participent à un esprit de troupe pour donner à cette œuvre sa cohérence et surtout son extravagante folie, sa réussite. Dont Romain Dumas à la baguette dynamique participe grandement en électrisant dans la fosse d’orchestre les Musiciens du Louvre. On sort de cet opéra-bouffe tout ébouriffés, les jambes qui tricotent et les mirettes aveuglées de tant de couleurs. Et derrière le masque anticovid, le sourire jusqu’aux oreilles, de chanter (faux en ce qui me concerne) : Et pif, et paf, et pif, et pouf ! Voilà, voilà le bonheur est là. *restauration effectuée à l’initiative du Palazzeto Bru Zane, d’après les écrits des librettistes. © Marie Pétry La vie Parisienne de Jacques Offenbach Livret de Henri Meilhac et Ludovic Halévy Direction Romain Dumas Mise en scène, costumes et décors Christian Lacroix Collaboration à la mise en scène Laurent Delvert et Romain Gilbert Chorégraphie Glysleïn Lefever Lumière Bertrand Couderc Chef de chant Frédéric Rouillon Assistante décors Philippine Ordinaire Assistants costumes Jean-Philippe Pons et Michel Ronvaux Assistant chorégraphie Mikael Fau Assistant lumière Julien Chatenet Avec (distribution du 22 décembre 2022) Florie Valiquette, Flannan Obé, Marc Mauillon, Franck Leguérinel, Marion Grange, Eléonore Pancrazi, Damien Bigourdan, Laurent Kubla, Elena Galitskaya, Carl Ghazarossian, Ingrid Perruche, Louise Pingeot, Marie Kalinine, Caroline Meng Les musiciens du Louvre et leur Académie Chœur de Chambre de Namur / Chef de chœur Thibaut Lenaerts Danseurs Mikael Fau, Emilie Eliazord, Anna Beghelli, Lili Felder, Keyla Ramos-Barea, Arthur Roussel, Tigdy Château, Guillaume Zimmermann Du 21 décembre 2021 au 9 janvier 2022 Théâtre des Champs Elysées 15 avenue Montaigne 75008 Paris Réservations 01 49 52 50 50 www.theatrechampselysées.fr  Read More →
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Penthésilé.e.s Amazonomachie, texte de Marie Dilasser, conception et mise en scène de Laëtitia Guédon, à la MAC – Maison des Arts Créteil
  © Pauline Le Goff     ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Les marches d’un autel, des bougies, des vapeurs en volutes… et une immense visière, comme un mirador, ou comme une meurtrière. Où voir. Le passé, le présent, le futur, comme indifférencié. C’est la beauté première et la puissance du texte de Marie Dilasser que de savoir indéterminer ces temps pour n’être plus que dans l’instant de leur profération : le mythe de Penthésilée, reine des amazones, nous parle depuis cette ubiquité temporelle qui jamais ne tombe dans l’anachronisme, qui convoque les combats et les enjeux à venir comme s’ils avaient déjà eu lieu, étaient gagnés d’avance, inéluctablement, indiscutablement, qui évoque le passé comme s’il devinait et conjuguait notre avenir au futur antérieur. Penthésilé.e.s Amazonomachie opère un retour efficace à cette pensée mythique capable de trouer l’histoire conjoncturelle et d’y découvrir le noyau structurel de l’humanité. Sans prévenir, les incursions de Marie Dilasser dans notre contemporain se fondent avec une douceur qui les rend encore plus implacables, confondantes. Et puis cette manière de parler le mythe avec les mots simples d’aujourd’hui leur restitue paradoxalement toute leur résistante et féconde opacité. Pour atteindre à ce temps hors du temps, pour tailler cette pointe de diamant d’où voir et entendre dans toutes les directions temporelles, Penthésilé.e.s Amazonomachie s’arrache à l’ordinaire de la représentation par une première performance littéralement terrassante de Marie-Pascale Dubé, une sorte de transe chamanique, produite par le jeu complexe et poussé à l’extrême d’une respiration s’agitant frénétiquement, saccadée, produisant d’étranges sons gutturaux, végétaux, animaux… c’est peu dire que cette introduction qui allait bien au-delà de ce à quoi ils pouvaient s’attendre cloua dans leurs sièges les nombreux lycéens présents ce soir là ! Après avoir ainsi placé le spectateur dans cette écoute qui entend au-delà des mots, dans cette conscience élargie, Lorry Hardel pouvait s’avancer, souveraine, et partager le texte de Marie Dilasser. Je pourrais écrire des pages sur sa performance : d’une plénitude qui sait jouir de l’infini au creux d’une parole, magistrale dans la précision de sa présence, maîtresse des horloges pour un spectacle dont le temps serait le sujet et l’objet à la fois, elle a cette force tranquille à égalité du texte poétique de Marie Dilasser. Elle irradie, comme tous ses autres partenaires de Penthésilé.e.s Amazonomachie, cette gloire propre à l’acte performatif, que le théâtre trouve beaucoup plus rarement. De même que le temps est réduit à une pointe de diamant confondant toutes les heures et les millénaires, de même Penthésilée est plurielle, incarnée au plateau successivement et parallèlement par deux comédiennes et un danseur-acteur. Penthésilé.e.s est cette figure et forme capables d’accueillir toutes les autres, y compris Achille qui s’y fondra et prendra corps de femme. Le poème chantera les guerres, le sexe des femmes, les menstrues. Le poème fera territoire (« nos seuls territoires sont nos organismes »). Il assénera pour assainir des millénaires d’un patriarcat mortifère. Et, s’il y a sorcellerie ou magie, ce n’est pas dans l’apparat des bougies et des fumées de pacotille, ce n’est pas dans les ombres sanglantes d’un crépuscule, mais c’est bien dans l’expérience totale comme l’écoute d’un chant auquel on ne peut se refuser, nous enveloppant et nous détachant pour nous amener encore un peu plus loin d’où les mots nous avaient laissés, à la manière des Sept dernières paroles du Christ de Haydn joué à la fin du Golgotha Picnic de Rodrigo Garcia. Cette expérience d’une illusion prenant l’épaisseur du réel et du contemporain. Cette expérience de la souveraineté du destin féminin comme seul futur possible de notre histoire commune. Cet avenir féminin qui advint le temps d’une soirée.   © Pauline Le Goff   Penthésilé.e.s Amazonomachie, conception et mise en scène : Laëtitia Guédon Texte (commande d’écriture) : Marie Dilasser Avec : Lorry Hardel, Seydou Boro, Marie-Pascale Dubé Et un chœur : Sonia Bonny, Juliette Boudet, Mathilde de Carné, Lucile Pouthier Chef de chœur : Nikola Takov Arrangements : Grégoire Letouvet Création sonore : Jérôme Castel Scénographie : Charles Chauvet Vidéo : Benoît Lahoz Lumières : Léa Maris Costumes : Charles Chauvet, Charlotte Coffinet Assistant à la mise en scène : Quentin Amiot   Durée : 1 h 40 Du 14 au 16 décembre 2021 à 20 h     MAC – Maison des Arts Créteil Place Salvador Allende 94000 Créteil tél : 01 45 13 19 19 www.maccreteil.com     Tournée : Le 13 janvier 2022 Creil – La Faïencerie – Théâtre de Creil Du 28 au 29 janvier 2022 Fort-de-France – Tropiques Atrium Du 4 au 5 février 2022 Basse Terre – L’Artchipel Du 6 au 22 mai 2022 Paris – Théâtre de la Tempête      Read More →
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Alice et autres Merveilles, de Fabrice Melquiot, mis en scène par Emmanuel Demarcy-Mota, au Théâtre de la Ville
   © Jean-Louis Fernandez   ƒ article de Hoël Le noir se fait dans la salle et soudain apparaît, au beau milieu du public, une Alice vêtue d’un bomber jaune éclatant et d’un tutu. Elle semble tout à fait à l’aise dans la foule (malheureusement) clairsemée des spectateurs du Théâtre de la Ville et entame une série de questions naïves à coup de tutoiement enfantin et enjambement malicieux des sièges. Parmi ces interrogations, le fameux « t’as quel âge ? » survient et… C’est là toute la question qui va donner corps à l’aventure d’Alice : à quel âge cesse-t-on d’être enfant ? Quand passe-t-on à l’âge adulte ? Et les adultes d’abord, sont-ils aussi raisonnables qu’on le prétend ? Suffit-il de grandir pour comprendre leur monde ? Calque-t-on automatiquement ses préoccupations sur celles des grands ? La sagesse grandit-elle de paire avec la taille ? Comment rester soi-même et peut-on rester tout à fait soi-même en grandissant ou bien devient-on un autre soi-même ? Inspiré du conte de Lewis Carroll, le texte de Fabrice Melquiot fait alors évidemment apparaître un, et même plusieurs lapins, sortes de Messieurs Loyal du spectacle, qui entraînent Alice dans leurs aventures farfelues. Mais le texte prend rapidement des touches plus contemporaines, et également plus ironiques, quand Alice commence à croiser une Barbie jalouse, un Pinocchio qui rêve d’être acteur ou un Chaperon Rouge qui s’est acoquinée avec le Grand Méchant Loup… Emportée dans le tourbillon d’un monde imaginaire, Alice croisera des personnages des plus loufoques, au point parfois que le spectateur se perd un peu, malgré les tentatives de trame narrative assurées par certains acteurs… Certes la fable de Lewis Carroll est construite ainsi – de rencontres en rencontres – mais ici le spectaculaire a un peu tendance à prendre le pas sur la dramaturgie et les univers s’enchaînent de façon quelque peu décousue, ou dans des scènes parfois bavardes. Par ailleurs, le spectacle glisse progressivement vers une comédie musicale, sans forcément de raison apparente, même si ces passages chantés s’avèrent ludiques. Toutefois, dans cette mise en scène bigarrée et désordonnée, signée Emmanuel Demarcy-Mota, on apprécie de belles images, comme celles des rapetissements et croissances successives d’Alice, dans un malicieux jeu d’ombre chinoises. Certaines scènes proposent également de beaux tableaux où la folie des personnages s’incarne dans la scénographie, notamment dans la scène du « tea time » où la scène se retrouve parsemée de chaises, ou celle de la chenille. On retiendra par ailleurs des costumes travaillés et marquants. Alice et Autres Merveilles s’avère un terrain de jeu pour la créativité de la troupe du Théâtre de la Ville, et on comprend que cet univers chaotique et fantasmagorique soit idéal pour ce laboratoire scénographique, quitte à décontenancer certains spectateurs. Heureusement, les acteurs tiennent leurs différents rôles avec talent et enthousiasme, et on est amusés de voir les comédiens passer d’un personnage à l’autre dans un rythme soutenu. Au final, ce mélange des genres permet sans doute de rendre l’atmosphère du conte original et ouvre une porte à l’imaginaire du spectateur. En tout cas, à l’instar d’Alice, on aura été surpris tout au long du spectacle et même si ça aura été parfois difficile à suivre, on aura vécu une aventure spectaculaire !   © Jean-Louis Fernandez   Alice et Autres Merveilles, Texte Fabrice Melquiot D’après Lewis Carroll Mise en scène Emmanuel Demarcy-Mota Assistant à la mise en scène : Christophe Lemaire Scénographie : Yves Collet Lumières : Yves Collet & Christophe Lemaire Costumes : Fanny Brouste Son : David Lesser Vidéo : Matthieu Mullot Masques : Anne Leray Maquillage : Catherine Nicolas Objets de scène : Audrey Veyrac Conseiller artistique : François Regnault 2E Assistante à la mise en scène : Julie Peigné Assistant lumières : Thomas Falinower Travail vocal : Maryse Martines Training physique : Nina Dipla Construction décor : Espace Et Compagnie   Avec : Jauris Casanova, Valérie Dashwood, Sandra Faure, Philippe Demarle, Sarah Karbasnikoff, Stéphane Krähenbühl, Gérald Maillet, Walter N’guyen, Isis Ravel     Du 15 décembre 2021 au 9 janvier 2022 Du mercredi au dimanche Horaires selon les jours de représentation : 14 h 30 / 15 h / 19 h 30 Durée 1 h 20 A partir de 7 ans   Représentations en LSF : jeudi 6 janvier à 14 h 30 et samedi 8 janvier à 17 h 30 Réservation des séances adaptées : csimon@theatredelaville.com / téléphone : 01 48 87 59 50     Théâtre de la Ville – Espace Cardin 1 avenue Gabriel 75008 Paris   Réservations : 01 42 74 22 77 www.theatredelaville-paris.com        Read More →
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Aurélien(s), texte d'Aurélien Barrau, mise en scène de François Gremaud, Théâtre du fil de l'eau, Pantin
  © Mathilda Olmi   ƒƒ article de Nicolas Brizault Aurélien(s) est issu d’une conférence donnée par Aurélien Barrau, et qui est ici présentée par un autre Aurélien, Aurélien Patouillard. Aurélien Barrau est un chercheur qui mêle à la fois le, les devrions-nous dire, talent(s) et surtout remue ciel et terre pour faire entendre tous les dangers menaçant cette dernière. Un chercheur qui tire des sonnettes d’alarmes un peu partout pour nous faire comprendre que pour de vrai, sans plaisanter, tout se casse la figure. Pas encore tout, certes, mais si nous restons inattentifs devant des petits soucis de rien du tout, d’énormes surprises peuvent bien débarquer un jour. Et si nous râlons ou pire, hurlons de terreur, elles se défendront en disant qu’il suffisait de regarder d’un peu plus près, et convenir, qu’elles avaient, sans le faire exprès, certes, mais qu’elles avaient tout de même laisser quelques traces, avant. Et que de grands savants avaient prévenu de tous ces dangers, et avaient été écouté pour faire joli ou pas écouté du tout. François Gremaud et Aurélien « bis » Patouillard ont eu une très bonne idée avec cette « retranscription » d’une conférence. D’abord parce que l’on comprend tout ou presque, puis que l’on écoute pour de vrai, et qu’éventuellement on fait connaissance avec Aurélien 1er et qu’une énorme envie de se pencher plus avant sur ses recherches est évident à la fin de ce spectacle. Aurélien Patouillard représente un bonhomme tout simple, en culotte courte et sur une scène quasi vide, avec juste derrière lui ce qui pourrait ressembler au fouillis habituel sur cet espace entre deux spectacles. Et il nous raconte que la Terre n’explosera pas (normalement) mais plus bravement et sans bruit se débarrasse de nous, à cause de nous. Enfin elle n’y est pas pour grand-chose. Nous nous débarrassons de nous plutôt, sur elle. On est séduits et ici ou là amusés de ce texte et de cette mise en scène simplissime. Aurélien Patouillard enlève ses chaussures à un moment donné ? C’est sans doute l’aventure la plus remuante et mouvementée. Sinon, il nous embarque, on a presque l’impression qu’il nous raconte ses vacances. On se demande quelle surprise étonnante va montrer le bout de son nez. Rien à part les pieds nus. Rien et le texte. Que cette sympathie, cette surprise nous pousse à écouter de plus en plus, à y apporter nous-mêmes des images, considérer plus à fond toutes les attentions que nous devrions avoir. Et ça fonctionne. Les sourires et la gentillesse nous disant très sérieusement que si nous ne faisons pas plus attention, eh bien… Aurélien(s) fonctionne, sans aucun doute.   © Mathilda Olmi   Aurélien(s), conception et mise en scène de François Gremaud Texte conférence : Aurélien Barrau Adaptation : François Gremaud Avec : Aurélien Patouillard Durée 1 heure     Théâtre du fil de l’eau 20 rue Delizy 93500 Pantin Réservation : 01 49 15 41 70 www.groupedes20theatres.fr   Tournée : 11-14 janvier 2022 : La Comédie de Valence, Valence 22-23 mars 2022 : Les Deux Scènes, Besançon 4-5 avril 2022 : La Passerelle, Scène Nationale Gap, Gap 7 avril 2022 : Théâtre C. Liger, Nîmes 1er mai 2022 : Association Tandem Arras, Douai  Read More →
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Un vivant qui passe, d’après un vivant qui passe de Claude Lanzmann, spectacle de Nicolas Bouchaud, Éric Didry, Véronique Timsit, au Théâtre de la Bastille / Festival d’Automne à Paris
  © Jean-Louis Fernandez    ƒƒƒ article de Denis Sanglard Maurice Rossel, personnage historique depuis que Claude Lanzmann, après Shoah, lui ai consacré un film, est celui qui, chargé par le CICR de voir ce qui se passe à Theresienstadt et à Auschwitz, affirme n’avoir rien vu. Une cécité lourde de conséquence. Theresienstadt, présenté par les nazis comme un ghetto modèle, œuvre de propagande, était en réalité un camp de transit pour Treblinka et Auschwitz, où les juifs étaient contraints de jouer une comédie macabre devant les visiteurs, exécutés à la moindre tentative de résistance. Le 23 juin 1944 Maurice Rossel est le premier fonctionnaire international à entrer dans cette ville « Potemkine », une visite guidée et organisée par les nazis. Dans son rapport il ne voit rien « au-delà », comme lui demandait le CICR. Le rapport est ainsi conforme aux volontés des nazis. Conséquence lourde qui rend possible les déportations et la solution finale. De même sera-t-il aveugle à la fin de cette même année en visitant Auschwitz. Aucune mise en scène là de la part des nazis, mais il ne verra ni les trains, ni les fours. Quelques prisonniers maigres, oui, dont « ils n’y avaient que les yeux qui vivaient » et qui regardaient « ce vivant qui passait ». Mais rien qui ne l’alerte d’avantage. Un vivant qui passe est un documentaire de Claude Lanzmann, en marge et complément de Shoah. Mais Nicolas Bouchaud n’est pas parti de ce film mais des rushs. Dans ceux-ci même si la responsabilité individuelle de Maurice Rossel apparaît, elle est replacée dans un contexte bien plus large : le fonctionnement même des organismes internationaux et du CICR, leur propre responsabilité, leur volonté de neutralité et de fait leur silence volontaire. La cécité de Maurice Rossel est le symptôme d’un aveuglement plus général qui rend possible la solution finale. Certes au fil des questions de Claude Lanzmann qui, comme à son habitude, ne lâche rien et pousse Maurice Rossel, s’affirmant de gauche et antinazi, dans ses retranchements, l’antisémitisme et l’indifférence à l’autre sourdent, oui, mais la question centrale n’est pas de le juger mais de comprendre les mécanismes plus généraux qui ont permis cet aveuglement. Propagande, mises en scènes, jeu de dupes… Il y a quelque chose d’intensément théâtral dans les faits, ce dialogue et cette volonté de mettre en scène la réalité et l’Histoire. Décors en trompe l’œil pour une vérité en trompe l’œil.  La mise en scène joue de cette perspective, de cette mise en abyme vertigineuse qui voit l’illusion au fil du dialogue céder le pas à la réalité. Et Nicolas Bouchaud qui incarne ici Maurice Rossel, donnant à celui-ci une certaine banalité est d’une justesse terrifiante. Ni bourreau, ni héros, ni victime il est avant tout ce fonctionnaire obtus, ainsi se présente-il, qui ne faisait que son devoir et qui n’a pas su voir « au-delà ». Se dégageant de fait et fermement de toute responsabilité. Et c’est glaçant jusqu’au malaise. Face à lui, le jeune Frédéric Noaille impose un Lanzmann charmeur mais têtu et redoutable interviewer. Maurice Rossel est celui qui est passé à côté de son destin héroïque, du témoin capital, mais révèle malgré lui ce que soulignait Hannah Arendt lors du procès Eichmann, la banalité du mal, à savoir la culpabilité de ceux qui loin du pouvoir, alors qu’ils en avaient les moyens, n’ont rien fait. Une cécité tragique. Qui pose question encore aujourd’hui, plus que jamais.   © Jean-Louis Fernandez   Un vivant qui passe d’après un vivant qui passe de Claude Lanzmann Adaptation Nicolas Bouchaud, Éric Didry et Véronique Timsit Mise en scène Éric Didry Collaboration artistique Véronique Timsit Avec Nicolas Bouchaud et Frédéric Noaille Scénographie Elise Capdenat, Pia de Compiègne Lumière Philippe Berthomé Son Manuel Coursin   Du 2 au 23 décembre 2021 et du 3 au 7 janvier 2022 À 21 h   Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 750011 Paris   Réservations 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com   Tournée 2022 18-22 janvier Théâtre de Vidy-Lausanne 3-4 février Points Communs, Nouvelle Scène Nationale, Cergy-Pontoise 9-11 février Scène Nationale de Clermont-Ferrand 22-24 février La Comédie de Caen 2-4 mars Théâtre National de Nice 22-23 mars Scène Nationale de Saint-Nazaire 29-31 mars et 8-9 avril Théâtre Garonne, Scène Européenne, Toulouse 4-5 avril Théâtre du Bois-De-L’Aune, Aix en Provence      Read More →
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Fado dans les veines, texte et mise en scène de Nadège Prugnard, à L’Echangeur – Théâtre de Bagnolet
  © Jean-Pierre Estournet   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Les mots de Nadège Prugnard strient de coquelicots rouge sang le chant de la nuit lusitanienne. Les mots festoient et s’apparient, s’accouplent dans l’ivresse du chaos, mal embouchés mais déchirants, appareillent pour ce « pays en forme de cercueil en bois », ce pays lointain et inatteignable qui est aussi ce temps révolu où nombreux, nombreuses, choisirent l’exode. Les mots ne prennent pas de gants mobalpa. Un doigt dans le cul voisine et fait bon ménage avec des couchers de soleil, des lèvres écarlates… Un vagin fleure bon en lieu et place d’un Jésus. En découvrant cette langue, cette poésie, qui ne s’encombrent pas de demi-mesures, ni de vieilles lunes, et nous embarquent en fanfare dans le vif de la vie, dans le vif du plateau, on est immédiatement cueilli par une inexplicable grâce. Fado dans les veines est capable de toucher l’insondable, d’oser l’inexprimable. Et est irréprochable dans l’affirmation de son geste. De ce festin de mots et de morts, gonflé par une musique charnue et nerveuse entrechoquant fado, rock, punk, naît une œuvre totale tant l’intelligence ne saurait y faire cavalier seul : la résonance d’une mélodie nous rentre dans le cœur et ce qui nous était passé inaperçu au premier regard trouve la clarté de sa source ; une mer démontée par le souffle des cuivres secoue la liste des préjugés sédimentés dans nos lointains souvenirs; l’écume des chants puissants et leurs soudaines accalmies s’impriment à fleur de peau, nous laissent pantelant d’émotions inconnues. La poésie de Nadège Prugnard est un continent liquide, les flux s’entrecroisent tels des vases communicants : musique, voix chantées, voix parlées, haut-parleur… autant de niveaux de perception dans une matière profondément organique, comme un carottage effectué à travers les strates du passé et du présent portugais, à travers l’histoire de son peuple. Nadège Prugnard est l’autrice de Fado dans les veines. Elle le met en scène entourée de trois chanteuses et d’autant de musiciens, qui sont aussi les commensaux de ce repas de la saudade. Femmes vêtues de noir, « fado, Fatima, football » (les trois F dit-elle), Fado dans les veines épèlent les initiales des stéréotypes, les insultes, les réductions, comme on dessale la morue. Ce que le mot pointe tel un doigt bien impoli (mais la politesse on s’en fout), ces clichés, comme autant d’arbres cachant la forêt d’un monde et d’un sens disparus, la déchirure d’une langue coupée par son exil. La grossièreté (mais la bienséance on s’en fout) comme pour détourer ces mots qui manquent à notre inventaire et dresser le portrait de l’inénarrable perte. Un portrait en ombres chinoises. Fado dans les veines est un spectacle à double fonds, qui pourrait en receler encore bien d’autres. Cette longue table de banquet, ne serait-ce pas plutôt une jetée éperonnant le plateau et la mer, où les femmes se promènent le soir, se perdant dans l’immensité du fado de Nadège Prugnard ? Ces toiles suspendues en fond de scène, talochées comme un mur de plâtre, ne seraient-elle pas le vestige du bidonville de Champigny-sur-Marne ? Ou encore, ces toiles toujours, ne seraient-elle pas la véronique de l’exode portugais gardant secrètement la mémoire des fêtes communautaires ? Lorsqu’une femme se tiendra debout sur la table encombrée de crucifix et de bouteilles, c’est alors, métamorphosé par ce théâtre d’ombres, sur la toile cramoisie, embrasée par le feu d’une révolution échue et éternelle, un paysage mythique, hérissé de clochers et de croix à pertes de vue, non pas le cimetière des espérances, mais la lande archaïque d’où émerge ce corps arc-bouté comme la survivance inextinguible de nos rages et de nos espoirs. A un autre moment, Nadège Prugnard sera assise au bord le plus éloigné de la table, prostrée, seule avec ce vague à l’âme propre aux fins de soirées trop arrosées. Et l’on pensera, bercé par l’écho inépuisable du fracas de ses mots, qu’elle possède cette paradoxale pudeur de ceux qui osent s’exprimer dans l’excès, qu’elle nous bouleverse comme le travesti au retour d’une longue nuit qui s’acharnerait à nous dire l’impossible, achoppant dans un geste répété à atteindre ce qui a été perdu, dans le grand écart des mots trop entendus et des mots perdus sans espoir.   © Jean-Pierre Estournet   Fado dans les veines, texte et mise en scène Nadège Prugnard Avec Jérémy Bonnaud, Charlotte Bouillot, Eric Exbrayat, Radoslaw Klukowski, Nadège Prugnard, Carina Salavado, Laura Tejeda   Création musicale collective sous la direction de Radoslaw Klukowski et Laura Tejeda Scénographie : Benjamin Lebreton Construction décor : Balyam Ballabeni et Benjamin Lebreton Création lumière et régie générale : Xavier Ferreira de Lima Son : Stéphane Morisse Accompagnement dramaturgique : Christian Giriat Regard artistique : Jean-Luc Guitton Costumes : Séverine Yvernault   Durée : 1 h 30 Du 13 au 18 décembre 2021 à 20 h 30     THÉÂTRE L’ÉCHANGEUR 59 avenue Général du Gaulle – 93170 Bagnolet Tél : 01 43 62 71 20 https://lechangeur.org   Tournée : Du 14 au 15 mars 2022 Théâtre municipal d’Aurillac Du 18 au 19 mars 2022 Biennale des écritures du réel – Théâtre Joliette (Marseille) Le 26 mars 2022 Théâtre Municipal de Villefranche-de-Rouergue Le 29 mars 2022 Théâtre de la Maison du Peuple – Millau Le 31 mars 2022 Salle de l’Ancien Évêché – Uzès Le 18 mai 2022 Salle Georges Brassens – Lunel Le 20 mai 2022 Théâtre municipal Christian Liger – Nîmes Le 24 mai 2022 Théâtre Municipal de Roanne      Read More →
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La double inconstance, de Marivaux, mise en scène de Galin Stoev, Théâtre de la Porte Saint Martin
  © Liebig   ƒƒ article de Nicolas Brizault Marivaux, La double inconstance. Tout part pour une soirée fort sympathique, pour nous, car les choses vont être un peu plus complexes pour Silvia et Arlequin entre autres… Ils sont amoureux fous mais Silvia reçoit des avances du Prince, mais elle ne sait pas encore que le Prince est ce charmant garçon qui lui plaît beaucoup et lui fait de délicates avances, ils n’ont jamais été présentés, et si jamais elle n’avait pas été folle d’Arlequin, eh bien… pourquoi pas celui-ci ? Le Prince se lamente donc et ne sait comment séduire Silvia. Il tente de lui dire la vérité vraie de vraie et hop ! Elle passe à côté, et lui aussi donc. Flaminia − superbement complexe, fourbe et victorieuse − lui vient en aide, et pas pour rien, puisqu’elle est amoureuse d’Arlequin. Elle fait tout pour qu’il devine à son tour son amour pour elle… Tous gigotent en tous sens, les uns et les unes derrière ou devant les autres. Des histoires d’amour mises dans des shakers pour des cocktails façon fourberies intéressées avec un rien de faussetés assurées. Un peu de patience et d’idées séductrices un rien sournoises… et tous sont follement amoureux, éventuellement pour de vrai, sait-on jamais. Tout fini bien, la vie est belle, après tout, si, si. Voilà pour le texte, magnifique et léger, aucun doute, et les rebondissements apparaissent et disparaissent. Le décor porte en son centre une sorte d’aquarium magique, un cercle vitré où l’intérieur peut devenir une jolie chambre à coucher ou tout autre espace particulier, comme des champs entourés de subtiles forêts. Tout autour, ce sont les antres des domestiques, qui malins, ont mis des caméras partout, des micros, et surveillent. Reste la mise en scène alors, surprenante et débordante d’inventivité, avec même un peu de vidéo en direct, puisque s’il n’y en avait pas, ce ne serait pas vraiment du théâtre. Pas de vidéos ? Pas de spectacle. C’est la mode, non ?? Aucune inventivité réelle oui, mais du pep’s amusant. Malgré tout, on s’aperçoit que la voix d’Arlequin a la mauvaise habitude de se dissimuler dans des limbes incertaines ou bien qu’elle a souhaité faire la sieste dans les loges. Les mots sortent mais se fondent ou bien, trop hachés, s’écrasent au sol. Les fourberies, les entourloupes nous emportent tout de même, le rythme est là, les personnages sont forts bien campés. Puis d’autres petits détails qui poussent vers une lassitude certaine. Arlequin est fort mécontent et ne veut pas se laisser faire par les idées du vilain gentil Prince ? Eh bien hop ! un bras d’honneur, vous savez, celui rendu plus joli encore avec l’extase d’un majeur victorieux, dressé bien fortement lui aussi. On est étonné, oui, et on ne voit pas en quoi une petite chose comme ça apporte finesse ou légèreté. Questions plus affirmées après le deuxième joli geste, et enfin vient encore un troisième, cette fois œuvre splendide de Silvia, au cas-où nous aurions raté les deux autres. Jamais deux sans trois, on s’en doutait. Et puis pourquoi pas un petit tour dans une pissotière, où Arlequin discute avec son laquais ? Arlequin n’a pas de chance vraiment, la subtilité oublie de rebondir sur lui, il n’était pas sage pendant les premiers essais de mise en scène ? Sur ces minis détails, les éclats de rire sans doute attendus ne semblent pas multiples dans la salle, ou bien font partie d’une nouvelle tendance, les éclats de rire muets. La double inconstance reste sympathique et bien menée, oui. Seulement un peu trop de pancartes du style « Il y a du moche chez Marivaux » qui souhaiteraient méchamment prendre place. © Liebig La double inconstance, de Marivaux Mise en scène de Galin Stoev Avec Léo Bahon, Maud Gripon, Julie Julien, Aymeric Lecerf, Thibaut Prigent, Jean-Christophe Quenon, Mélodie Richard, Clémentine Verdier Scénographie : Alban Ho Van Vidéo : Arié van Egmond Lumières : Elsa Revol Son, musique : Joan Cambon Costumes : Bjanka Adzic Ursulov Assistanat à la mise en scène : Virginie Ferrere Réalisation du décor dans les Ateliers du Théâtre de la Cité sous la direction de Claude Gaillard Réalisation des costumes dans les Ateliers du Théâtre de la Cité sous la direction de Nathalie Trouvé   Du 7 au 19 décembre 2021 Du mardi au vendredi 20 h, samedi 20 h 30, dimanche 16 h Durée : 2 h   Théâtre de la Porte Saint-Martin 18 Boulevard Saint-Martin 75010 Paris Métro Strasbourg-St-Denis Billetterie : Tél. 01 42 08 00 32 http://www.aparteweb.com/    Read More →
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Les gros patinent bien, cabaret de carton, de et avec Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan, au Théâtre du Rond-Point
© Giovanni Cittadini Cesi   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Carton plein ! Les gros patinent bien, cabaret de carton est une création qui, en ces temps de COVID ne cessant de faire des vagues, devrait être dûment remboursé par la sécurité sociale. Une création béton en carton fallait le faire ! Résumons : un américain au bel embonpoint tombe amoureux d’une sirène pêchée par accident. Le voilà parti pour un tour du monde à la recherche de sa belle… sans jamais bouger de son tabouret. S’il fallait résumer de façon lapidaire cette création génialement loufoque, il y a un gros qui n’en rame pas une et que s’agite un maigre en maillot et bonnet de bain qui fait tout, et son possible, avec des bouts de cartons et un feutre noir. Et ce maigre-là, il sait tout faire. Planter le décor, imiter la mouette et la marmotte, la morue et la bretonne, créer des lignes de fuites, des zooms avant, des zooms arrière (et ça faut le faire)… Au fil du récit quasi incompréhensible et borgborygmique de cet américain ne parlant pas une broque de français, ce grand maigre là rien qu’avec des panneaux de cartons découpés sur lesquels au feutre noir sont écrits le nom des pays, des accessoires, des animaux et parfois rien du tout illustre cette folle et rocambolesque épopée. Ça va vite, si vite parfois, trop vite, que ça dérape sévère. L’entente n’est pas toujours cordiale non plus et ça craque bien de temps à autre entre ces deux énergumènes. Le carton est aussi une arme de frappe redoutable. C’est grandiose et complètement barré, d’une imagination totalement débridée et d’une inventivité phénoménale. Les gags se ramassent à la pelle et nos fous-rire aussi. Et on se dit que le théâtre parfois ça ne tient merveilleusement à rien, rien que des bouts de cartons recyclés pour l’occasion. Mais pour ça il faut le talent fou et l’imagination en ébullition de ces deux clowns qui inventent là un formidable théâtre bricolo-économico-écolo. Au vu de la conjoncture actuelle, où il nous faut enfourcher des tigres de papier, sans doute que l’avenir du théâtre est là, dans le carton !   © Giovanni Cittadini Cesi   Les gros patinent bien, cabaret de carton, un spectacle de et avec Pierre Guillois et Olivier Martin-Salvan Ingénierie carton : Charlotte Rodière Régie générale : Max Potiron Régie plateau : Emilie Poitaux en alternance avec Elvire Tapie et Colin Plancher   Du 10 décembre 2021 au 16 janvier 2022 à 18 h 30 Relâche les lundis, les 25 et 26 décembre et du 1er au 6 janvier     Théâtre du Rond-Point Salle Renaud-Barrault 2bis avenue Franklin D. Roosevelt 75008 Paris   Réservation 01 44 95 98 21 www.theatredurondpoint.fr   Tournée : 25-29 janvier 2022 Théâtre Sorano / Toulouse A partir du 3 février 2022 Théâtre Tristan Bernard / Paris 3 /4 mai 2022 Théâtre de L’Air Libre / Saint-Jacques-De-La-Lande 7/9 mai 2022 Transversales, scène conventionnée cirque / Verdun 12/14 mai 2022 Théâtre Forum / Meyrin (Suisse) 18/19 mai 2022 L’Azimut / Antony/ Chatenay-Malabry 21/22 mai 2022 Scène nationale 61 / Alençon 27/29 mai 2022 La Passerelle, scène nationale / Gap 10/12 juin 2022 (option) Théâtre de Poche / Hede-Bazouges 19/20 juin 2022 Théâtre de Lorient, centre dramatique national      Read More →
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Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod, direction musicale Laurent Campellone, mise en scène d’Éric Ruf, à l’Opéra-Comique
© S. Brion   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Il y a eu hier soir à l’Opéra-Comique quelque chose de miraculeux. L’étreinte spontanée et pleine d’émotion, à peine achevé leur ultime et déchirant duo, de deux chanteurs ayant haut la main, in extremis, sauvé une création prometteuse. Jean-François Borras et Julie Fuchs, les rôles titre, touchés par la COVID ne purent assurer leur rôle. C’est au pied-levé, arrivés quelques heures à peine avant la représentation et quasi sans répétition orchestrale et scénique que le ténor Pene Pati et la soprano Perrine Madoeuf les ont remplacés. Et avec quel talent ! Ce fut jubilatoire. Le public ne s’y est pas trompé qui leur a offert un véritable triomphe. C’est à la demande d’Olivier Mantei, le directeur du Théâtre National de l’Opéra-Comique, que le metteur en scène Éric Ruf monte Roméo et Juliette de Charles Gounod, avec cette condition particulière de reprendre la mise en scène de la Comédie-Française, dans les mêmes conditions scénographique et dramaturgique que la création. Et du point de vue dramaturgique, justement, la vision d’Éric Ruf, éloignée de toutes scories et afféteries d’une vision erronée du romantisme, est en parfaite harmonie avec la richesse de la partition de Charles Gounod. Romantique oui, mais par la violence de la passion, de son urgence absolue et du contexte de vendetta, cet atavisme qui condamne nos deux héros. En cela on rejoint d’une certaine façon Shakespeare. Éric Ruf souligne cet élan vital et irrépressible qui traverse l’ensemble de cet opéra. C’est une vision quasi littérale, une plongée au cœur de l’œuvre et de la partition de Gounod comme il le fit avec Shakespeare, pour en extraire l’essence pure. Juliette n’est pas une oie blanche tombée en pâmoison, mais une jeune femme qui s’affirme et transgresse sciemment. Perrine Madoeuf, voix ample et dramatique, sombre parfois, la chante et la joue ainsi, pleine d’une assurance et sans fragilité aucune. Cela peut surprendre mais c’est d’une grande justesse dramaturgique. Plus forte sans doute que Roméo, antihéros que cette passion transfigure soudain. Pene Pati, charismatique et solaire voix de ténor, offre à son personnage une juvénilité, une joie, une innocence et une fragilité qui vous bouleverse, vous trouble. L’air de l’acte 2, « Lève-toi soleil », de l’aigu tranchant au pianissimo renversant, a soulevé littéralement la salle qui n’a pu se retenir d’applaudir à tout rompre, et longtemps, cet instant d’une émotion soudain irréelle. Et entre ces deux-là dont la rencontre s’est faite sur le plateau et dans l’urgence il semblait y avoir un vrai coup de foudre artistique en direct. La mort des deux amants, d’une intensité tragique foudroyante, fut sans nul doute l’acmé de cette soirée exceptionnelle. On sait l’exigence Éric Ruf jusque que dans la direction d’acteur, c’est encore le cas ici et qui se vérifie dans l’attention portée aux seconds rôles et le chœur particulièrement. Un chœur, comme une entité en soi, dynamique et donnant toute la mesure de ses possibilités tant vocale que scénique. Le chœur Accentus de l’Opéra de Rouen encore une fois fait montre ici de sa grande maîtrise.  Dans les seconds rôles on notera le Tybalt convaincant du ténor Yu Shao, le baryton Jérôme Boutillier en comte Capulet, les mezzo-soprano Marie Lenormand composant une Gertrude aux antipodes des clichés habituels et Adèle Charvet en Stephano jouant de l’ambiguïté de sa voix et du travestissement. La basse Patrick Bolleire en frère Laurent éminemment théâtral. Il faudrait les citer tous tant il y avait une cohésion vocale et dramaturgique. Il semble évident, et c’est une des forces de cette production exemplaire, qu’Éric Ruf s’est appuyé sur la partition de Charles Gounod, sans ambition autre que de la servir au plus près ainsi que le récit, et de fait sur la direction musicale précise et pointue du chef Laurent Campellone. Un travail d’une grande complicité et d’une évidence qui donne à l’ensemble sa parfaite cohésion. Il y a une osmose, un équilibre parfait entre la mise en scène et la musique qui semblent là indissociables, se répondent sans heurt, la musique semblant porter cette mise en scène jusque dans ses impulsions les plus secrètes. Laurent Campellone extrait de la partition toute la richesse musicale et dramatique. Et donne à la mise en scène son rythme, son élan tragique, sa tension scénique. Le résultat est là, exemplaire, qui donne à cette production toute sa réussite, sa puissance et son éclat. La soirée, pourtant fragilisée et peut être par cela même, fut en tout point exceptionnelle. Rarement on aura vu public aussi emportée. Sans nul doute que cette production de l’Opéra-Comique restera et pour longtemps au répertoire.   © S. Brion   Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod Livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après la tragédie de Shakespeare Direction musicale : Laurent Campellone Mise en scène et décors : Éric Ruf, sociétaire honoraire de la Comédie-Française Costumes : Christian Lacroix Lumières : Bertrand Couderc Chorégraphie : Glysleïn Lefever Collaboration artistique : Léonidas Strapatsakis Assistant musical : Matthieu Charrière Assistante à la mise en scène : Céline Gaudier Assistante décors : Dominique Schmitt Assistants costumes : Jennifer Morangier, Jean-Philippe Pons Assistant lumières : Sébastien Böhm Chef de chant : Thomas Palmer Seconde cheffe de chant : Marine Thoreau La Salle Avec Pene Pati, Perrine Madoeuf, Patrick Bolleire, Adèle Charvet, Philippe-Nicolas Martin, Jérôme Boutillier, Marie Lenormand, Yu Shao, Thomas Ricart, Arnaud Richard*, Yoan Dubruque, Geoffroy Buffière, Julien Clément* Danseurs : Camille Brulais, Laurent Côme, Rafael Linares Torres, Sabine Petit Chœur Accentus / Opéra de Roue Normandie *membres d’Accentus   Les 13, 15, 17,19 et 21 décembre 2021 à 20 h       Opéra-Comique Place Boieldieu 75002 Paris Réservation 01 70 23 01 31 www.opera-comique.com      Read More →
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