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Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod, direction musicale Laurent Campellone, mise en scène d’Éric Ruf, à l’Opéra-Comique

Déc 15, 2021 | Commentaires fermés sur Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod, direction musicale Laurent Campellone, mise en scène d’Éric Ruf, à l’Opéra-Comique

© S. Brion

 

ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Il y a eu hier soir à l’Opéra-Comique quelque chose de miraculeux. L’étreinte spontanée et pleine d’émotion, à peine achevé leur ultime et déchirant duo, de deux chanteurs ayant haut la main, in extremis, sauvé une création prometteuse. Jean-François Borras et Julie Fuchs, les rôles titre, touchés par la COVID ne purent assurer leur rôle. C’est au pied-levé, arrivés quelques heures à peine avant la représentation et quasi sans répétition orchestrale et scénique que le ténor Pene Pati et la soprano Perrine Madoeuf les ont remplacés. Et avec quel talent ! Ce fut jubilatoire. Le public ne s’y est pas trompé qui leur a offert un véritable triomphe.

C’est à la demande d’Olivier Mantei, le directeur du Théâtre National de l’Opéra-Comique, que le metteur en scène Éric Ruf monte Roméo et Juliette de Charles Gounod, avec cette condition particulière de reprendre la mise en scène de la Comédie-Française, dans les mêmes conditions scénographique et dramaturgique que la création. Et du point de vue dramaturgique, justement, la vision d’Éric Ruf, éloignée de toutes scories et afféteries d’une vision erronée du romantisme, est en parfaite harmonie avec la richesse de la partition de Charles Gounod. Romantique oui, mais par la violence de la passion, de son urgence absolue et du contexte de vendetta, cet atavisme qui condamne nos deux héros. En cela on rejoint d’une certaine façon Shakespeare. Éric Ruf souligne cet élan vital et irrépressible qui traverse l’ensemble de cet opéra. C’est une vision quasi littérale, une plongée au cœur de l’œuvre et de la partition de Gounod comme il le fit avec Shakespeare, pour en extraire l’essence pure. Juliette n’est pas une oie blanche tombée en pâmoison, mais une jeune femme qui s’affirme et transgresse sciemment. Perrine Madoeuf, voix ample et dramatique, sombre parfois, la chante et la joue ainsi, pleine d’une assurance et sans fragilité aucune. Cela peut surprendre mais c’est d’une grande justesse dramaturgique. Plus forte sans doute que Roméo, antihéros que cette passion transfigure soudain. Pene Pati, charismatique et solaire voix de ténor, offre à son personnage une juvénilité, une joie, une innocence et une fragilité qui vous bouleverse, vous trouble. L’air de l’acte 2, « Lève-toi soleil », de l’aigu tranchant au pianissimo renversant, a soulevé littéralement la salle qui n’a pu se retenir d’applaudir à tout rompre, et longtemps, cet instant d’une émotion soudain irréelle. Et entre ces deux-là dont la rencontre s’est faite sur le plateau et dans l’urgence il semblait y avoir un vrai coup de foudre artistique en direct. La mort des deux amants, d’une intensité tragique foudroyante, fut sans nul doute l’acmé de cette soirée exceptionnelle.

On sait l’exigence Éric Ruf jusque que dans la direction d’acteur, c’est encore le cas ici et qui se vérifie dans l’attention portée aux seconds rôles et le chœur particulièrement. Un chœur, comme une entité en soi, dynamique et donnant toute la mesure de ses possibilités tant vocale que scénique. Le chœur Accentus de l’Opéra de Rouen encore une fois fait montre ici de sa grande maîtrise.  Dans les seconds rôles on notera le Tybalt convaincant du ténor Yu Shao, le baryton Jérôme Boutillier en comte Capulet, les mezzo-soprano Marie Lenormand composant une Gertrude aux antipodes des clichés habituels et Adèle Charvet en Stephano jouant de l’ambiguïté de sa voix et du travestissement. La basse Patrick Bolleire en frère Laurent éminemment théâtral. Il faudrait les citer tous tant il y avait une cohésion vocale et dramaturgique. Il semble évident, et c’est une des forces de cette production exemplaire, qu’Éric Ruf s’est appuyé sur la partition de Charles Gounod, sans ambition autre que de la servir au plus près ainsi que le récit, et de fait sur la direction musicale précise et pointue du chef Laurent Campellone. Un travail d’une grande complicité et d’une évidence qui donne à l’ensemble sa parfaite cohésion. Il y a une osmose, un équilibre parfait entre la mise en scène et la musique qui semblent là indissociables, se répondent sans heurt, la musique semblant porter cette mise en scène jusque dans ses impulsions les plus secrètes. Laurent Campellone extrait de la partition toute la richesse musicale et dramatique. Et donne à la mise en scène son rythme, son élan tragique, sa tension scénique. Le résultat est là, exemplaire, qui donne à cette production toute sa réussite, sa puissance et son éclat. La soirée, pourtant fragilisée et peut être par cela même, fut en tout point exceptionnelle. Rarement on aura vu public aussi emportée. Sans nul doute que cette production de l’Opéra-Comique restera et pour longtemps au répertoire.

 

© S. Brion

 

Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod

Livret de Jules Barbier et Michel Carré, d’après la tragédie de Shakespeare

Direction musicale : Laurent Campellone

Mise en scène et décors : Éric Ruf, sociétaire honoraire de la Comédie-Française

Costumes : Christian Lacroix

Lumières : Bertrand Couderc

Chorégraphie : Glysleïn Lefever

Collaboration artistique : Léonidas Strapatsakis

Assistant musical : Matthieu Charrière

Assistante à la mise en scène : Céline Gaudier

Assistante décors : Dominique Schmitt

Assistants costumes : Jennifer Morangier, Jean-Philippe Pons

Assistant lumières : Sébastien Böhm

Chef de chant : Thomas Palmer

Seconde cheffe de chant : Marine Thoreau La Salle

Avec Pene Pati, Perrine Madoeuf, Patrick Bolleire, Adèle Charvet, Philippe-Nicolas Martin, Jérôme Boutillier, Marie Lenormand, Yu Shao, Thomas Ricart, Arnaud Richard*, Yoan Dubruque, Geoffroy Buffière, Julien Clément*

Danseurs : Camille Brulais, Laurent Côme, Rafael Linares Torres, Sabine Petit

Chœur Accentus / Opéra de Roue Normandie

*membres d’Accentus

 

Les 13, 15, 17,19 et 21 décembre 2021 à 20 h

 

 

 

Opéra-Comique

Place Boieldieu

75002 Paris

Réservation 01 70 23 01 31

www.opera-comique.com

 

 

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