À l'affiche, Agenda, Critiques, Evènements // As Comadres, d’après Les belles-sœurs de Michel Tremblay, livret, parole mise en scène de René Richard Cyr, musiques de Daniel Bélanger, supervision artistique de Ariane Mnouchkine, au Théâtre de l’Epée de bois

As Comadres, d’après Les belles-sœurs de Michel Tremblay, livret, parole mise en scène de René Richard Cyr, musiques de Daniel Bélanger, supervision artistique de Ariane Mnouchkine, au Théâtre de l’Epée de bois

Déc 28, 2021 | Commentaires fermés sur As Comadres, d’après Les belles-sœurs de Michel Tremblay, livret, parole mise en scène de René Richard Cyr, musiques de Daniel Bélanger, supervision artistique de Ariane Mnouchkine, au Théâtre de l’Epée de bois

 

© Jõao Gioia

 

 ƒƒƒ article de Denis Sanglard

Il est des créations dont on ressort touché au plus profond de soi pour avoir traversé, une petite poignée d’heure, le cœur battant et fragile d’une communauté de destin, des vies minuscules fracassées par la vie, acharnées à vivre malgré tout, à contrer sans espoir un destin contraire. Pas des héroïnes, non, mais des femmes vent-debout contre leur servitude, magnifiques perdantes, vaincues poignantes et tragiques qui chantent cette vie pourrie, « des vies de merde », gangrenée par le patriarcat.

As comadres, d’après Les belles-sœurs de Michel Tremblay, dans sa version musicale de 2010, pièce chorale pour 20 actrices-chanteuses, adaptée ici en portugais pour des actrices brésiliennes, et dont la mise en scène de René Richard Cyr est ici « supervisée » par Arianne Mnouchkine. Formidable pièce, terrible et profondément juste par son propos, la condition féminine, où pourtant l’on rit énormément entre deux claques brutales et bien senties, nécessaires.

Après avoir gagné un million de timbres, ces timbres à coller sur des catalogues pour obtenir des cadeaux utiles à toutes ménagères, Germaine convoque les femmes de son quartier, amies et voisines, pour l’aider à remplir les carnets qui permettront de voir réaliser ses rêves, un bel intérieur, des casseroles aux rideaux. Dans cette minuscules cuisine où elles se précipitent toutes, bientôt chacune, toutes générations confondues, entre confidence et non-dit, se révèlent. Femmes pauvres, soumises aux hommes et à la religion, n’ayant pas d’autre espoir que d’espérer gagner au bingo, toujours perdantes cependant, elles ne rêvent pas d’émancipation, trop bornées dans leur servitude – et gare à celles qui osent ! – mais de gagner, une fois, rien qu’une fois, un million de timbre. Mais dans cette cuisine où l’envie, la jalousie, la mesquinerie suintent envers Germaine et qui conduira au pire, la condition de ces femmes, et la condition féminine en général, apparaît dans toute sa véracité sèche. Femmes conditionnées aux foyers, aux tâches ménagères ingrates, avortement clandestin, viol et violence conjugal, solitude, sororité, homosexualité, émancipation au risque de l’exclusion, drogue… longue est la liste des thèmes évoqués frontalement. Un constat lucide et désespérant d’une servitude volontaire, d’une réitération obstinée qu’elles dénoncent en chantant mais dont elles ne sortent pas. Un conditionnement profondément, tragiquement ancré. Les chansons sont ici comme l’expression collective ou individuelle d’une vérité sans fard qui ne pourrait être dîtes autrement. Pas de morale non plus dans cette pièce, ces femmes-là sont aussi féroces de jalousies, de méchanceté. L’ignorance et la pauvreté ne rendent pas les gens forcément altruistes. Question de survie. Germaine en fera les frais.

Et pourtant on rit beaucoup, oui. Par la grâce de ces formidables comédiennes-chanteuses qui ont toutes un abattage incroyable, une formidable énergie, vite communicative. Et puis il y a cette mise en scène si juste et si fluide qui aménage dans ce tourbillon fou et terrible des instants suspendus, brèche pour des confidences inattendues qui vous bouleversent abruptement. Elles empoignent magnifiquement leurs rôles, pourtant des archétypes, vous dessinent finement leurs personnages, qu’elles s’approprient jusque dans leur faille et leur noirceur – il y en a – avec une conviction telle, une généreuse appétence qu’elles nous arrachent rires et larmes, compassion même. Ce qu’elles leur offrent d’humanité jusque dans leur retranchement les plus sombres vous stupéfie, vous renverse. Pas d’effet de manche pour autant, de pathos et de tire-larme, non, ce qui palpite là sur le plateau c’est tout simplement la vie. Aussi moche soit elle. Et nous éprouvons au final pour ces femmes sacrifiées une compréhension, voire comme le dit Arianne Mnouchkine, une véritable tendresse. Evidemment en filigrane c’est la situation actuelle du Brésil, des femmes et des artistes, les difficultés économiques, politiques, sociales et culturelles, qui est dénoncée, cette dictature d’extrême droite instituée par le président Bolsonaro. En ce sens et de par le contexte même de cette création, peu de moyen financier mais une farouche volonté d’y arriver, et l’engagement total de ces femmes, c’est un véritable acte de résistance qui porté par la pièce et ces comédiennes nous est donné. Et c’est à voir, absolument.

 

©  Jõao Gioia

 

As comadres d’après Les belles-sœurs de Michel Tremblay

Livret, parole et mises en scène de René Richard Cyr

Direction musicale de Wladimir Pinheiro et Marcello Sader

Supervision artistique de Arianne Mnouchkine

 

Avec en alternance Ariane Hime, Janaina Azevedo, Iza Eirado, Ana Achcar, Maria Ceiça, Beth Lammas, Juliana Carneiro da Cunha, Sirléa Aleixo, Leticia Medella, Leda Ribas, Julia Carrera, Thallyssiane Aleixo, Gillian Villa, Fabianna de Mello e Souza, Ana Paula Secco, Sonia Dumont, Gabriela Carneiro da Cunha, Julia Marini

Et le chœur Amanda tedesco, Leona Kali, Nina Rodrigues, Suelen Gom, Thayane Aleixo

Piano Catherine Henriques

Percussions Georgia Camara

Basse Marcello Sader, Nicholas Carrera Golevsky

Livret en portugais Julia Carrera

Parole des chansons en portugais Wladimir Pinheiro, Sonia Dumont

Décor Mina Quantal d’après le décor original de Jean Bard

Costumes Diago Ribeiro

Lumières Hugo Mercier Bosseny, Joao Gioia, Geoffroy Adragna, Virginie Le Coënt, Antoine Giovannetti

Son Rodrigo Gava, Pascal Gallepe

Accessoires Sébastien Brottet-Michel, Amanda Tedesco

Régie générale Lindsay Castro Lima, Etienne Lemasson

Assistants à la mise en scène Tomaz Nogueira da Gama, Hélène Cinque

 

Du 23 au 30 décembre 2021

A 20 h 30, le dimanche à 14 h 30

Durée 1 h 45

 

Théâtre de l’épée de bois

Cartoucherie de Vincennes

77012 Paris

 

Réservation au Théâtre du Soleil

www.theatre-du-soleil.fr

 

 

 

Be Sociable, Share!

comment closed