Reflections, de Adi Boutrous, au Théâtre de la Ville, Théâtre des Abbesses, Paris
  © Efrat Mazor ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot Ce qui procède et ce qui nous précède : cet imaginaire, images de l’ère échue. Voir dans l’instant tressaille alors d’une remémoration de ce qui fut vu en d’autre temps. Ce qui fut peint autrefois, ce qui fut raconté une fois, soulèvent les corps de nos visions. Reflections s’empare de cette chair instable, issue de nos représentations communes, façonnée par l’art des grands maîtres de la Renaissance, mise en partage par nos récits primitifs. S’inspirant de cette riche production, Adi Boutrous ne représente jamais et rebat les cartes de la figuration. Au lieu d’une fixation des formes, d’une confirmation du ferme, le danseur et chorégraphe réouvre les cadres, remet en mouvement les lignes arrêtées, malaxant sa matière comme un sculpteur la glaise, comme un peintre les pigments, comme un poète les mots. Et libère la pensée. De l’archaïque, du classique, sourd une herméneutique renouvelée. Un châlit devient un châssis. Un corps endormi retrouve l’épaisseur d’un mort. Des bêtes à deux têtes progressent avec le déhanchement d’une évidence. L’un monte un corps comme on monterait une marche. L’autre s’élève au-dessus de la foule comme s’il gravissait une montagne. La force de cette proposition tient à ce qu’elle s’extrait des contextes religieux et moral qui donnèrent naissance aux œuvres qui nourrissent Reflections. De ce carcan il ne reste que les traits qui organisèrent la toile à un moment de l’histoire de l’art, des symétries, des diagonales, des corps multiples en profusion. Les mouvements des danseurs se répètent comme autant de traits se superposant dans une esquisse. Il n’est affaire ici que de corps, de leurs appuis, de leur poids, de leur enchevêtrement mouvant comme une terre perpétuellement labourée, de leur empilement possible, de leur élévation aussi, attenante à leur chute. La beauté innerve ce déchainement, qui est un enchainement des uns aux autres toujours réinventés, élaborant transferts de forces et souples élans. La danse d’Adi Boutrous jamais ne pose. Elle ne s’exhibe pas dans un narcissisme stérile, comme d’autres probablement auraient été tentés de le faire partant d’un semblable matériau. Elle est production continue, dans la transpiration des chairs enroulées, hommes en chemise blanche, femmes en robe de velours, traces résiduelles et repentir de leur origine picturale. Adi Boutrous est un charpentier chevillant les corps entre eux, comme autant de poutres, bâtissant d’éphémères ouvrages, toujours s’écroulant, toujours à reprendre, dans une sorte de fugue infinie, jusqu’à la tombée de la vie. Fugacement, pleines d’une puissance onirique, apparaitront aussi des scènes dignes d’un Giorgio De Chirico ou d’un Jérôme Bosch. Leur fascinante étrangeté émanant de l’impassible abandon avec lequel les danseurs s’y adonnent. A l’instar de la ronde de nuit qui initie Reflections, entre un dormeur et un regardeur nu comme un modèle, l’un prenant la place de l’autre dans une boucle sans fin sur le châlit-châssis, l’un comme le rêve de l’autre sans que l’on puisse décider lequel serait la créature ou le créateur, la danse d’Adi Boutrous scrute le temps du retournement, du renversement, de la chute et de l’élévation, dans une sorte de balancier profondément ancré dans la conscience de chacun. Le tempo d’une danse, à l’unisson des mouvements de notre âme, n’aura jamais été si juste comme si elle possédait la secrète connaissance de notre fin.   © Efrat Mazor     Reflections, direction artistique, scénographie & conception bande son : Adi Boutrous Interprètes : Ido Barak, Neshama Bazer, Adi Boutrous, Stav Struz Boutrous, Uri Dicker Dramaturge associée & directrice des répétitions : Yael Venezia Création costumes : Stav Struz Boutrous Création lumières : Ofer Laufer Ingénieur du son : Asaf Ashkenazy Fabrication du mur : Itzik Assolin Co-créateur du décor : Ofer Laufer Durée : 1h10 minutes   Du 25 au 30 septembre 2023 à 20h Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville 31, Rue des Abbesses 75018 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com      Read More →
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Dernières notes, de Michel Mollard, mis en scène par François Michonneau, avec Guilhem Fabre, au Studio Hébertot
  DR ƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette Romain Rolland était un très bon pianiste, et c’est pour cela sans doute qu’il en fallait un autre, Guilhem Fabre, pour « prendre sa place » dans Dernières notes une pièce assez forte de Michel Mollard. Le 24 décembre 1944, Romain Rolland est chez lui, à Vézelay. il entre superbement dans son salon, descendant un escalier que nous n’imaginions pas, étant dans le noir, attendant le « début » de cette pièce. La surprise et la beauté sont là. Prix Nobel de Littérature en 1915,Romain Rolland semble faire le point, à quelques jours de son décès le 30 décembre. Oui, lui pacifiste, s’étonne douloureusement de cette seconde guerre, la première n’avait pas suffit, n’avait pas fait avancer. Il est dans son salon, passe de son fauteuil sans doute magique, celui que l’on ne prête que difficilement, à son piano. Il parle, joue, parle. Le silence n’existe pas en lui, ou porté par la voix, les notes, les idées, Jean-Christophe. Il nous entraîne jusqu’à l’ultime sonate de Beethoven, l’opus 111, qui semble le soutenir, à ces quelques jours de la « fin ». Il nous dit que oui, il a été « pacifiste » depuis presque toujours, que oui, Claudel est un grand ami, aux idées mille fois différentes que les siennes. Et alors ? Et Dieu dans tout ça ? Ces idées sont bonnes et il les partage, à ce « Dieu », la Paix, l’échange, la bonté, mais comment peut-on imaginer qu’il existe ? Ou qu’il n’existe pas ? Rien n’est simple. Et les hommes sont fous, nous sommes en 1944… Voilà, nous sommes avec Romain Rolland, chance fabuleuse nous sommes petits grains de poussière dans ce salon chargé de souvenirs, de temps, d’aujourd’hui, de demain. Pourquoi, oui, non. Nous découvrons, suivons, séduits par ce moment solitaire. L’idée de Dernières notes, les idées d’ailleurs, nous transportent. Ce titre même est sa richesse, regardez, écoutez, ne vous éloignez pas tout de suite de ce salon. Le talent de Guilhem Fabre au piano est indéniable. Ensuite, pourquoi cet homme jeune à la chevelure forte porte-t-il le texte de Michel Mollard avec une voix un rien illustratrice d’un âge qu’il n’a pas ? Dommage. On y pense sans cesse à cette voix un peu menteuse. Le texte est excellent, un peu long, boueux ici ou là, faussement ami du silence de temps en temps. Le début de cette pièce est brillant, ensuite, une curieuse – et certainement malheureuse – lourdeur, a frappé discrètement à la porte du salon et s’est assise sur un joli canapé. C’est comme s’il fallait tout dire, tout montrer, tout. Vers la fin, on se dit « oh, whaou, nous sommes scotchés, bravo ! ». Et hop ! Quelques notes encore, dites ou jouées. Nous avons découvert la valeur expressive de ces notes, oui, avons envie de courir vers notre bibliothèque reprendre saluer Romain Rolland. Nous applaudissons, le talent est là, en majuscule sans doute, il manque juste une petite paire de ciseaux, de l’air ou de la légèreté. Du temps.   DR Dernières notes, de Michel Mollard Mise en scène : François Michonneau Avec : Guilhem Fabre Durée : 1h25   Jusqu’au 22 octobre 2023 Les jeudis, vendredis, samedis à 19h Le dimanche à 17h     Studio Hébertot 78 bis Boulevard des Batignolles 75017 Paris   T+ 01.42.93.13.04 www.studiohebertot.com    Read More →
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Roméo et Juliette, de William Shakespeare, par le collectif Lyncéus, Terrain de sport de Fouesnant
    © Mehdi Beuneche fff Article de Denis Sanglard Montaigu / Capulet : match nul, 1 partout ! Romeo et Juliette de William Shakespeare ou le foot métaphore de la guerre civile qui emporte tragiquement nos deux amants. Transposer cette tragédie dans le monde du ballon rond, idée en apparence incongrue, il fallait oser. Pourtant cette création d’une intelligence épatante est une belle réussite, jubilatoire même. Parce que ce qui importe le plus ici, disséqué de belle et originale façon, n’est pas tant une histoire d’amour rebattue que le mécanisme absurde et irréversible d’une guerre civile et qui les emporte malgré eux. De la responsabilité collective ou de la responsabilité individuelle dans cette gabegie la question est posée ouvertement. Et pour ce faire il importe ici d’embarquer dûment le public avec soi. Des spectateurs d’emblée sommés de choisir leur camps. Endossant tee-shirt bleu pour le clan Montaigu, rouge pour les capulets. Divisés dés lors en deux clans, deux tribunes qui se font face, chauffées à blanc avant que ne commence le drame. Il en sera ainsi au long de cet étrange match où se joue la vie de nos personnages qui voit chaque partie se conspuer, huer nos héros, commenter l’action et pour un peu on en viendrait aux mains. Cela pourra être plaisant mais très vite cette implication collective, cette drôle de catharsis prend une étrange tournure jusqu’au malaise. La mort de Mercutio devient un instant inattendu de sidération, une mise à mort qui vous glace par sa violence inattendue. A l’instant du meurtre est choisi un spectateur à qui la « daronne Capulet » tend fermement un révolver pour abattre le personnage. Et là, on ne rit plus, on ne joue plus du tout et ce qui semblait être une comédie à laquelle on se donnait entièrement, se fracasse sur une réalité qui surgit abruptement. Cet instant bouleversant est un moment de bascule inouï où la question de la responsabilité individuelle au sein du collectif, où l’individu est mis sans façon face à lui-même, mis à nu, dissocié soudain de son groupe qui l’anonymisait. La spectatrice ce soir-là, n’a pas pu, et défaite a rendu l’arme… Par contre les Montaigu d’un seul élan, ou presque, collectivement ont baissé le pouce pour la mort de Tybald. Pourquoi alors songe-t-on soudain à « la banalité du mal » d’Hannah Arendt ? Cette logique totalitaire supprimant le sens de la liberté et de la responsabilité individuelle où l’individu se perçoit comme un rouage du système… La banalité du mal où la déresponsabilisation de l’individu. La métaphore footballistique prend dès lors et étrangement, violement tout son sens. Et c’est la force de cette mise en scène de soulever, de mettre en exergue ce qui sous-tend cette pièce et la traverse tout du long, non pas la nature d’un conflit aux origines lointaines et perdues mais ce qui l’entretient absurdement et dont sont victimes Roméo et Juliette.   © Jeco   Reste une mise en scène qui va à l’essentiel, énergique ne s’embarrassant pas de détails mais soucieuse des enjeux dramaturgiques. L’important est l’urgence et d’occuper ce vaste terrain. Maillots floqués du nom de leur personnage, les comédiens, au diapason et d’un vrai talent, ne se ménagent pas sous les lazzis, conspués ou encouragés par leur supporters. Rien de bâclé, d’anarchique pour autant. Tout est d’une extrême maîtrise, d’une grande précision dans la concision, une véritable stratégie sportive où ne manquent pas cartons jaune et rouge distribués par le maire, devenu ici l’arbitre d’une partie mortelle entre deux clans irréconciliables. Il fallait pour ce faire une traduction qui colle, d’une modernité crue sans trahir le texte original. C’est de ce point de vue là aussi réussi. Triviale, charnelle et poétique jusque dans l’ordurier, percutantes, les répliques sont autant de passes et de tirs au but qui ne manquent pas de marquer, de tacles qui font se trébucher les adversaires. Le football étant aussi une histoire de corps, de chairs, de sexe, cet aspect-là est loin d’être négligé. Sur le terrain on transpire, on mouille le maillot, on se combat corps à corps. Roméo slame son amour et c’est d’une insolente beauté. Juliette n’y va pas avec des pincettes, jeune fille résolue, loin de la jouer sucrée. Avec ces deux-là, l’amour c’est aussi du sport, un sport de combat, et tant pis si on doit trahir son équipe. Et si nous continuions de filer la métaphore, l’esprit d’équipe au sein de ce collectif est un formidable atout qui ajoute grandement à cette création originale. Tous au diapason d’une partition rugueuse, d’une mise en scène culottée mais rigoureuse, ne manquant pas d’une énergie qui jamais ne fait défaut et d’un foutu talent qui les porte au-delà d’eux-mêmes, se souciant comme d’une guigne du genre. Chacun détoure son personnage avec nuance, leur insufflant une sacrée modernité sans rien sacrifier à la poésie, voire à la tradition. Et quand siffle la fin de partie, tragique forcement, les tribunes soudain muettes devant le corps des amants, il flotte dans ce stade l’impression d’avoir vécu par notre implication forcenée un véritable drame partagé collectivement, voire une responsabilité. Le collectif Lyncéus réussit-là un superbe pari, culotté certes, mais le résultat est là, et on se dit que oui, si la guerre n’est pas un jeu, Shakespeare c’est aussi du sport !   © Mehdi Beuneche   Roméo et Juliette, de William Shakespeare       Mise en scène et traduction d’Antonin Fadinard Assistant à la mise en scène : Robin Causse Dramaturgie : Julien Drion et Antonin Fadinard Création sonore : Antoine Layère Costumes : Angèle Béraud Régie générale : Illona Jourdan Avec : Fernanda Barth, Cécile Chatignoux, Pauline Coffre, Sébastien Depommier, Thomas Gourdy, Virgile L. Leclerc, Eugéne Marcuse, Hélène Rencurel*, Robin Causse*, Mathieu Saccusi, Damien Zanoly *en alternance   Vu le 7 septembre 2023 au Terrain de Sport de Fouesnant / Finistère   Tournées 2024 : Mardi 14 mai 2024 : Théâtre du Champ au Roy, Guingamp (22) Jeudi 16 mai 2024 : Quai des Rêves, Lamballe (22) Du 22 au 24 mai 2024 : Le Quai, CDN Angers Pays de la Loire (49) Jeudi 30 mai 2024 : Pronomade(s), Saint-Gaudens (31) Samedi 1er juin 2024 : L’Estive, Scène Nationale de Foix (09)      Read More →
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La Puce à l’Oreille, de Georges Feydeau, mise en scène de Lilo Baur, à La Comédie Française
  © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française   ƒƒƒ article de Denis Sanglard Ah que c’est épatant ! Ah que c’est hilarant ! Ah que c’est élégant ! Un Feydeau, so chic et si glamour, traversé d’une folie furieuse qui emporte tout sur son passage, des acteurs déchaînés, rompus à une mécanique infernale parfaitement huilée, qui vous embarquent sans temps mort et tambour battant dans une hystérie collective qui voit cette bourgeoisie s’enfoncer dans les situations les plus absurdes, les plus incongrues, de quiproquos en quiproquos, perdre pied en se les prenants dans le tapis des convenances et de l’adultère. Cette puce-là vous démange avec un bonheur fou. Pour une paire de bretelle renvoyée par mégarde à monsieur, madame Raymonde Chantebise prend la mouche et, la puce à l’oreille, décide de tendre un piège à monsieur, se persuadant d’être trompée. Avec l’aide de sa meilleure amie, Lucienne, elle lui donne rendez-vous à l’Hôtel du Minet-Galant, le bien nommé, d’où provient ce colis. Monsieur Chantebise, innocent de tout adultère quoique flatté d’une telle missive, envoie son meilleur ami, lequel soupire après Raymonde, persuadé que la lettre lui était adressée. Las, le mari de Lucienne, un forcené, tombe sur la lettre, reconnaît l’écriture de sa femme. Seulement voilà entre monsieur Chantebise et le valet ivrogne de l’hôtel la ressemblance est frappante. Dans cet hôtel voué à l’adultère, il y a bientôt foule. Les portes claquent, les lits tournent, les répliques fusent, les horions pleuvent, la confusion la plus folle règne très vite. C’est du grand Feydeau, d’une précision toute diabolique. Tout bientôt échappe à nos personnages, tout s’emballe sans que rien ne puisse pouvoir arrêter cette folie qui gagne et emporte chacun. Lilo Baur fait prendre l’air à nos petits bourgeois. Fini le confinement parisien, les toilettes empesées, les décors Belle Époque. Les voilà quelque part en province, il neige dehors, c’est Noël. Nous sommes dans les années 60, si joliment colorées, si pop et si sage. Dans cet intérieur ouvert vers l’extérieur, un aquarium en quelque sorte,  tout est chic, tout est glamour, des meubles aux tenues portées par nos quidams. Ne manque pas, comme une évidence, les bois de cervidés au-dessus de la cheminée… Et quelques notes de mauvais goût, un coucou suisse velléitaire par exemple. Mais derrière ce vernis glacé de pages de magazines, modes et travaux, couve l’hystérie. Il suffit de peu, d’une paire de bretelles, d’un sosie, pour que tout ça explose fissa. Un véritable feu d’artifice pétaradant et qui crame chacun, les laissant à vif, à nu. Lilo Baur respecte la haute précision horlogère de Feydeau, difficile d’y échapper. Mais à ce formidable et ingénieux carcan elle ajoute, louchant ouvertement vers Tati et Blake Edwards, le burlesque et l’élégance. Mais cette élégance-là est un faux-nez, le chic est toc, tant les conventions s’effondrent, les comportements se dérèglent vite, les corps se décomposent, les relations se délitent. La mécanique sociale hoquète et s’enraye. La mécanique humaine déraille. Cette présomption d’adultère dénonce chez chacun les fantasmes inavoués qui vous tenaillent, et soudain prêts d’être potentiellement réalisés sans jamais pourtant franchir le pas. Il n’y a que les domestiques pour le faire sans état d’âme aucun.  Et c’est dans cet hôtel borgne, hors de chez soi, hors de soi, que cette mécanique de cartoon déchaîné révèle chacun dans sa folie, ses failles, ses contradictions, sa vérité et atteint son apogée. On retrouve là, exacerbée, cette mise en circulation chaotique des corps propre à Feydeau, leur approche sans cesse différée et repoussée. On se cherche, on se fuit. On se cogne. Les acteurs, dans cette ronde infernale, jubilatoire pour les spectateurs toujours en avance sur les personnages et en attente fébrile de la catastrophe, dirigés au plus près, atteignent très vite des sommets, et ils sont hauts, dans la folie et le mensonge qui les engouffrent corps et bien. Totalement débridés, inventifs, mais fermement tenus par Lilo Baur, dans cet état de panique totale et d’urgence absolue qui les propulse toujours plus loin dans l’absurde, ne maîtrisant plus rien, ils sont tout simplement formidables tant ils montrent une belle et forte appétence à dessiner leur rôle, saisir leurs personnages dans leur pleins et déliés, leur loufoquerie involontaire, sans jamais tomber dans l’outrance et la caricature. Et le spectateur de s’exclamer comme nos personnages, sacrée puce !   © Brigitte Enguérand, coll. Comédie-Française   La Puce à l’oreille de George Feydeau Mise en scène de Lilo Baur Scénographie Andrew D Edwards Costumes Agnès falque Lumières Fabrice Kebour Musique originale et concept sonore Mich Ochowiack Réglage des mouvements Joan Bellviure Maquillage Carole Anquetil Collaboration artistique Katia Flouest-Sell   Avec la troupe de la Comédie-Française Thierry Hancisse*, Alexandre Pavloff, Clotilde de Bayser, Christian Gonon*, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Nicolas Lormeau*Jérémie Lopez, Sébastien Pouderoux*, Anna Cervinka, Claire de La rüe du Can, Pauline Clément, Yoann Gassiorowski*, Jean Chevalier, Birana Ba*, Nicolas Chupin*, Clément Bresson* *En alternance Et les comédiennes et les comédiens de la promotion 2023-2014 de l’Académie de La Comédie_Française Léa Tournier Bernard, Alexis Debieuvre, Victor Kyrylov, Elodie Laurence     Du 19 septembre 2023  au 1er janvier 2024 en alternance Matinées à 14 h, soirées à 20 h 30 durée du spectacle 2h10   Comédie-Française Salle Richelieu Place Colette 75001 Paris Réservations 01 44 58 15 15 www.comedie-francaise.fr        Read More →
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Fini de rire, on ferme ! Popeck, Théâtre de Passy
© DR ƒƒƒ article de Corinne François-Denève A 87 ans, Popeck le promet : Fini de rire, on ferme ! En effet, comme il le rappelle en début de spectacle, l’humoriste a largement dépassé la date de péremption. Qu’on se rassure toutefois : en 2015, il jouait C’est la dernière fois !, avant d’affirmer deux ans plus tard J’irai jusqu’au bout ! En 2019 il revenait à la charge avec un fort lucide Même pas mort ! Gageons donc que cette « fermeture » ne constitue que le début des derniers adieux de l’artiste – et on ne peut que s’en réjouir. Les sketchs sont majoritairement bien connus, ainsi du « dîner chez Maxim’s ». Ils gardent, de ce fait, un délicieux goût de madeleine de Proust, numéros vus, entendus, au recoin d’une enfance ou d’une adolescence, sur un coin de télé, dans une province ennuyeuse, et aussi, plus généralement, dans une période plus libre et plus gaie, où l’on pouvait sans doute « rire de tout », voire au-delà. « Popeck » est sans doute le dernier représentant d’un humour fondé sur un personnage très situé, misogyne et râleur : c’est précisément un personnage, dont le prologue du spectacle nous rappelle qu’il n’est ni tout à fait Jean Herbert, ni tout à fait Judka Herpstu – et qui nous rappelle aussi que l’acteur s’est promené de Rabbi Jacob au Pianiste, et a suscité l’admiration de François Truffaut. Mais les sketchs ne sont pas que des resucées de la glorieuse période des « géants du rire » – çà et là affleurent des mentions au récent voyage du Pape à Marseille ; et Popeck sait toujours jouer de, et avec son public. Le Juif atrabilaire, en costume trois pièces et petit chapeau, a maintenant des Stan Smith. Il sait que le monde a changé, et qu’il ne reste vraiment que l’humour – même si la causticité est un art d’équilibriste. Le spectacle est une impeccable machine comique. Le rythme est parfaitement maitrisé, et les blagues s’enchaînent sur un tempo extrêmement rapide – une exposition, une phrase de transition, la chute, riez vite, la suivante arrive déjà, vous y repenserez plus tard. On guette si la dame derrière va démarrer sa nouvelle salve de rires avant le voisin du devant, dont la glotte a crié grâce, et qui désormais se tape sur les cuisses, la larme à l’œil, impuissant, abandonné, vidé. Il ne faut pas analyser ! Il ne faut pas comprendre ! avertit Popeck – mais tout est pourtant digne d’analyse dans cette master class comique, de laquelle surgit une poésie poignante – le père blessé à la Somme, qui s’étonne de ne pas être devenu fou, la mère qu’il a très peu connue, « la guerre est passée par là » (elle a été assassinée à Auschwitz). Popeck en avait eu la révélation : « le monde est triste/fais-moi rire ».     Fini de rire, on ferme !, de Popeck Avec : Popeck Durée : 1h25 Du 24 septembre au 31 décembre, tous les dimanches à 17 h   Théâtre de Passy 95 rue de Passy 75016 Paris T+ 01 82 28 56 40 www.theatredepassy.fr      Read More →
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Grand Crié, de Nicolas Barry, au Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre de la programmation Danse Élargie du Théâtre de la Ville
  © Guillaume Belvèze   ƒƒ article de Nicolas Thevenot Grand Crié fait écho bien sûr au grand jeté du ballet classique, ce saut avec grand écart particulièrement spectaculaire. Dans son titre même, Nicolas Barry joue donc des références comme on jouerait des coudes, instituant une nouvelle catégorie qu’il crée avec un brin d’ironie. Le cri, s’il renvoie à une certaine matière sonore, vocale, sera ici pris plutôt dans ce qu’il exige et révèle du corps, du visage, dans leur expressivité écartelée entre l’émotion qui lui donne naissance et le travail musculaire qu’il met en jeu. Le ressort et l’effort. Trois danseurs, un musicien, et Nicolas Barry sont au plateau, servis comme sur un plateau. Carré blanc, quelques chaises, un collier de perle. Ils seront muets, ils seront, mieux dit, parlés par une bande son, voix enregistrée ou opéra. Ils seront les électrons mis en mouvement par un courant vocal. Ce parti pris, s’il renvoie à l’esthétique drag, creuse un vrai sillon sur la durée et procure in fine l’étrange sensation que le spectacle même est ventriloque, cette dissociation des corps et du son, alors même qu’ils sont raccord avec une réelle virtuosité, ouvrant une sorte de néant post-moderne. Si Grand Crié marque, ce n’est pas tant par certains gestes queer, que par sa singularité d’écriture et de montage jouant de l’instabilité, de l’hétérogénéité, de ses éléments, osant même un magistral long silence avant de clore. Nicolas Barry travaille dans son cabaret laboratoire hétéroclite une pensée sauvage réarticulant le monde sensible. Les voies empruntées par Grand Crié ne sont pas indemnes de maniérisme, et la forme menace de se replier sur elle-même, mais cette tendance risquée est contrebalancée par l’énergie et la fougue joyeuse, toute dionysiaques, de ses interprètes. Grand Crié est une œuvre de jeunesse. Grand Crié effectue un grand saut dans le vide créé par cette disjonction entre son et image. Cet écart est une sorte de bouche béante, riant grotesquement, un trou noir vertigineux, nous happant jusqu’au fond de la gorge déployée de la cantatrice, pareil à celui de Saturne dévorant l’un de ses fils dans la célèbre peinture noire de Goya. « On dirait qu’on bouge » lance la voix enregistrée de Nicolas Barry. Dansons sinon nous mourrons. © Guillaume Belvèze       Grand Crié, conception, texte & chorégraphie de Nicolas Barry Avec Sophie Billon, Nangaline Gomis, Julien Meslage Composition musicale : Martin Poncet Lumière : Lucien Vallé Textes du livret & dramaturgie : Mathilde Soulheban Artiste peintre : Claude Dhont Durée : 35 minutes   Le vendredi 15 et samedi 16 septembre 2023 à 20h Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville 31, Rue des Abbesses 75018 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com   Dans le cadre du Festival Danse élargie      Read More →
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Les Méritants, texte et mise en scène de Julien Guyomard, Théâtre de la Tempête, la Cartoucherie de Vincennes
    © Chrystel Laur   ƒƒ Article de Sylvie Boursier « Sois zombi et tais-toi », dans un monde post apocalyptique, il y a le zombilléniome territoire des morts vivants à la Georges Romero et le pré carré des humains rescapés du cataclysme qui défendent mordicus leur camp retranché. Le courage, le travail et surtout le mérite permettront à certains zombis d’échapper à leur condition et de renaître du bon côté de la société au sein de la méritocratie qui tire les ficelles. Ainsi Clairvius, qui par hasard accède à la plus haute marche, confirme l’adage selon lequel « quand on veut, on peut ». A contrario Charles, le grand organisateur, perd sa position de leader et mesure trop tard les limites du discours méritocratique. Rares sont les dystopies qui utilisent la bouffonnerie comme ressors dramatique, 1984 d’Orwell était glaçant. Julien Guyomard n’hésite pas à s’appuyer sur la fable pour représenter le déclassement généralisé dans un monde d’exclusion. Sur un plateau à mi-chemin entre la zone industrielle et le chantier de démolition encerclé de miradors, une bande d’énergumènes belliqueux s’affairent lorsque survient la rencontre du troisième type cocasse dont on vous laisse la primeur. Damien Houssier est impressionnant en Clairvius, ex zombi sans charisme, ambigu, condamné au double jeu permanent pour ne pas perdre sa place, de victime il se fera même bourreau. L’acteur a quelque chose du Michel Blanc de « Tenue de soirée », tête de turc désigné qui supporte sans broncher les crachats et quolibets. Renaud Triffault dans le rôle de Charles prend la lumière, colosse aux pieds d’argile déboulonné par la dure loi du marketing et des sondages, juste de bout en bout. Entre le comic-book gore et le manga japonais Julien Guyomard dessine un road movie déjanté et tragique. Qu’importe les ficelles un peu grosses et les longueurs à la fin,  nostalgiques de Nosferatu, aficionados de la nuit des morts vivants ou pas, si vous êtes convaincus que le théâtre peut être un sport de combat comme la sociologie, courrez à la tempête seul ou en famille car les jeunes apprécieront cette allégorie qui pose de vraies questions : quels sont les mécanismes du conditionnement ? Comment manipule t’on l’opinion publique ? Un politique doit-il obligatoirement être un bon acteur ? Que faire comme disait Lénine ? Molière éveillait les consciences en montrant le dessous des cartes sociales, Julien Guyomard utilise la pantomime pour mettre en lumière l’inhumanité des relations dans un système performatif, bienvenue à Zombieland !   © Chrystel Laur Les Méritants, texte et mise en scène de Julien Guyomard Lumière : Alexandre Dujardin Son : Thomas Watteau Avec Xavier Berlioz, Julien Cigana, Sol Espeche, Magaly Godenaire , Damien Houssier, Renaud Triffault, Elodie Vom Hofe Durée : 2 h Jusqu’au 22 octobre du mardi au samedi à 20h30 Dimanche à 16h30   Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du champ de manoeuvre 75012 Paris   Réservation : 01 43 28 36 36 www.la-tempête.fr   Tournée : 30 novembre 2023 : Herblay 7 décembre 2023 : Saint-Michel-sur-Orge 15 mars 2024 : Montigny-lès-Cormeilles 4 avril 2024 : Chaumont      Read More →
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HUG, conception et chorégraphie de Rémi Esterle, au Théâtre des Abbesses, Paris, dans le cadre de la programmation Danse Élargie du Théâtre de la Ville
  © Emmanuelle Staüble   ƒƒƒ article de Nicolas Thevenot C’est une marche infinie, long ruban qui se déploierait invisiblement sous leurs pieds. C’est un film où ceux qui sont en mouvement, progressant sur une route nocturne, nous apparaissent paradoxalement inamovibles dans les limites indépassables du cadre de l’image. Ce sont des bandes magnétos luisantes tels des câbles s’élançant vers des poulies, se déroulant comme s’ils étaient filés par d’invisibles Parques. HUG est riche en symboles, travaille la physique comme la métaphysique. Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. La science de cette danse est pleine d’une conscience en éveil, cardant l’épaisseur laineuse du temps, en acte, faisant tressaillir l’âme du spectateur. Rémy Esterle, expert et virtuose du tango, l’aborde loin des clichés, refuse toute acrobatie ou technique spectaculaires. Au contraire HUG investit sa parenté formelle dans l’éloignement, dans une indépendance toute majeure. Ce n’est pas à un « spectacle de tango » de plus auquel on assiste, mais à une performance où les corps se meuvent à l’unisson de l’être. Le chorégraphe dégenre la danse en convoquant un duo de femmes, quand le tango est une forme particulièrement hétéronormée. Et puis, le dispositif de mise en scène, à savoir un tapis roulant sur lequel évoluent les deux danseuses, déporte la danse de salon vers une inextinguible marche mettant en exergue l’oblique, le travers, le profil bien plus que la frontalité. Si la danse de salon, dans son face-à-face imposé à ses protagonistes, peut prendre des allures martiales, faites d’avancées, de reculades, et de contre-offensives, HUG s’impose à l’inverse par sa finesse et sa délicate exécution quand bien même elle serait attelée à une machinerie conséquente, offrant une lecture de l’intimité d’un couple hors des sentiers battus. La plus immédiate qualité de cette pièce réside dans la sensibilité toute précise avec laquelle les deux danseuses, Cécile Rouanne et Camille Serre, l’effectuent, dans leur incarnation à fleur de peau, évitant toute dramatisation, pleinement présentes au mouvement. Leurs regards tracent le dessin de la chorégraphie, pointant le dessein des êtres, aimantant une possible dramaturgie : regards parallèles, brillants d’un devenir commun, ou au contraire, regards se désarticulant, doutant, observant l’autre de biais, ou le fuyant. Rythmés par la marche, ils sont autant de signes donnant lisibilité et chair à ce qui ne serait sinon qu’une abstraction formelle, ils sont l’affleurement d’un indicible texte, vite emporté par la roue du temps. Si le tango est réputé pour sa nervosité, les forces saillantes qu’il met en scène, HUG, tout en souplesse, délie les articulations, arrondit les angles, donnant à cette marche infinie, sans être indemne d’accidents, la fluidité hypnotique d’un sablier se déversant. Des lumières latérales peignent des profils arrachés en partie à la nuit, comme dans une peinture de George de la Tour. Les visages émergent d’une eau noire, un déhanchement effleure la clarté, une nuque jaillit de l’ombre. Ces deux amies ont l’éternité devant elles, elles pourraient être les figures d’un poème symboliste de Maeterlinck. Dans la succession de leurs pas, emboîtés ou distancés, s’écrivent les éphémères traits d’une vie à deux. Danse profondément consolatrice, quand bien même elle est cernée de l’irrémédiable peur de la perte, nous étreignant dans un doux amer embrassement. Me reviennent en mémoire ces vers du Qohélet (L’Ecclésiaste) : A deux quand l’un tombe l’un relève l’autre mais celui tombé seul qui le relèvera ?   © Emmanuelle Staüble     HUG, chorégraphie & conception Rémi Esterle Avec Cécile Rouanne, Camille Serre Regard extérieur : Damien Manivel Assistante scénographie : Rachel Testard Créateur lumière : Fabrice Sarcy   Durée : 45 minutes Le vendredi 15 et samedi 16 septembre 2023 à 20h   Théâtre des Abbesses – Théâtre de la Ville 31, Rue des Abbesses 75018 Paris Tél : 01 42 74 22 77 https://www.theatredelaville-paris.com   Dans le cadre du Festival Danse élargie      Read More →
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Edelweiss [France Fascisme], texte et mise en scène de Sylvain Creuzevault, au Théâtre de l’Odéon / Ateliers Berthier - Festival d'Automne à Paris
  © Jean-Louis Fernandez ff article de Denis Sanglard « Mais je sais qu’il n’y a pas de hasard à choisir ce qui vous déshonore » écrivait Camus à propos de Brasillach qu’il abhorrait et dont il demandait pourtant la grâce. Le I9 juin 1945, Robert Brasillach condamné à mort pour intelligence avec l’ennemi est fusillé. Voilà où commence Edelweiss [France Fascisme], fresque grimaçante sur la collaboration où Sylvain Creuzevault interroge les mécanismes qui amènent le régime de Vichy au pire, l’engagement d’intellectuels et d’hommes politiques, la droite nationale et réactionnaire, à s’engager auprès de l’Allemagne nazie. Avant de reprendre le fil chronologique qui aboutit à ce procès exemplaire. Alors ils sont tous là ou presque, ceux qui activement et fascinés par le IIIème Reich participèrent au déshonneur de la France pour un avenir européen dans l’Allemagne. Les écrivains Robert Brasillach, Pierre Drieu La Rochelle, Lucien Rebatet, Céline et les hommes politiques Pierre Laval, Marcel Déat, Philippe Henriot, Jacques Doriot… Et Jeanne Rebatet, seul point de vue féminin pour ce qui est encore considéré comme une histoire d’homme. Ils retrouvent ici leur prénom, l’ignominie entre 1941 et 1945 n’était pas encore entrée dans la postérité et l’Histoire, qui ne gardent que les noms. Et le bruit et la fureur restent à la porte des salons ou des cabinets ministériels, voire des loges de concierges, car ici tout est affaire de discours et d’idéologie où le hasard n’entre pas dans le choix du déshonneur. Il y a comme une abstraction du conflit en lui-même qui reste circonscrit à un débat entre antisémites, anticommunistes, colonialistes et antieuropéens convaincus. Résumé en un seul mot, lancinant leitmotiv, la décadence de la France dont seraient coupables juifs et bolchéviques. La rafle du Vél d’Hiv et la responsabilité de la France, Le S.T.O, Le groupe Manouchian pour la résistance, Léon Blum, sont heureusement bien évoqués en contrepoint indispensable de ce discours abject dont ils sont les victimes tragiques. Si cela ne nous rappelle rien, Sylvain Creuzevault enfonce le clou et cite nommément, textes à l’appui, les discours de Wauquiez, Zemmour, Le Pen (père et fille), Houellebecq et consort, réactionnaires de tous poils, qui de la décadence ont fait leur levier politique populiste et choux bien gras. Les mêmes mécanismes sont à l’œuvre aujourd’hui, l’histoire se répète ad-nauseam, le ventre est encore fécond pour que surgisse la bête immonde qui se réveille déjà. Une incise brutale, parenthèse dite par Brasillach comme s’il déposait là son héritage à venir … Seulement le choix du burlesque, du grotesque ne fonctionne pas ici. Ce qui louche ouvertement vers Brecht reste en dessous de son modèle. Nous sommes dans un entre deux inconfortable, comme si Sylvain Creuzevault d’ordinaire plus audacieux, plus franc du collier, voire plus trash, avançait sur la pointe des pieds, embarrassé par son sujet qu’il maîtrise mais ne parvient pas à mettre en forme. « Regarder la barbarie autrement qu’avec les yeux de l’effroi » c’est comme faire de la littérature avec des bon sentiments, cela ne suffit pas toujours. Faire des personnages aussi complexes, parfois contradictoires comme Lucien Rebatet, des « grimaces », tombe à plat. On ne peut résumer ces « petites merdes », pour lesquels nous n’avons aucune empathie, à ces pantins gesticulant, bouffons réduit à des salonnards glosant sur la décadence de la société en jouant du violoncelle. Difficile d’en faire des salaud sympathiques. Difficile d’en rire. Alors on ne rit pas, ou si peu. Pourtant les comédiens sont tous exceptionnels qui tentent d’éviter la lourdeur caricatural de « la grimace » pour leur apporter une profondeur à défaut d’humanité ou d’héroïsme. Mais le discours de chacun résiste à la théâtralité, du moins à celle-là, rétif à la représentation qui en est donnée, la farce. Malgré nos réticences quand à la forme, le mérite de cette création est de mettre au jour les mécanismes propre à la montée du fascisme que résumait Brecht : « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution en temps de crise ». Le fascisme, mal de notre siècle, ne peut pas mourir écrivait Robert Brasillach. Sombre et juste prémonition.   © Jean-Louis Fernandez     Edelweiss [France Fascisme], texte et mise en scène de Sylvain Creuzevault De et avec : Juliette Bialeck, Valérie Dréville, Vladislav Galard, Pierre-Félix Gravière, Arthur Igual, Charlotte Issaly, Frédéric Noaille, Lucie Rouxel, Antonin Rayon Avec l’amicale participation de Nicolas Bouchaud Assistanat à la mise en scène : Ivan Marquez Dramaturgie : Julien Vella Lumière : Vyara Stevanova Création musique, son : Antonin Rayon, Loïc Waridel Scénographie : Jean-Baptiste Bellon, Jeanne Daniel-Nguyen Vidéo : Simon Anquetil Maquillages, perruques : Mytil Primeur Costumes : Constant Chiassai-Polin Régie générale : Clément Casazza   Du 21 septembre au 22 octobre Du mardi au samedi à 20h, dimanche 15h Relâche lundi et le dimanche 24 septembre Durée 2h20   Odéon / Ateliers Berthier 1 rue André Suarès 75017 Paris Réservation : 01 44 85 40 40 www.theatre-odeon.eu  Read More →
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Discussion avec DS, écriture, mise en scène et jeu de Raphaëlle Rousseau, au Théâtre de la Bastille, Paris
    © India Lange   ƒƒ article de Nicolas Brizault-Eyssette Oui, un plateau surprenant, qui nous promet donc que nous allons être surpris, un plateau qui a raison. Des petites bougies un peu partout, devant des photos de Delphine Seyrig, devant une de ces malles où l’on range et transporte costumes, pourquoi pas mini morceaux précieux de décors, et bien d’autres choses encore. Nous sommes impatients, curieux de cet échange qui va avoir lieu devant nous, entre Delphine Seyrig et Raphaëlle Rousseau, l’une habillée en Seyrig, la seconde en Rousseau. Nous avons hâte. Delphine Seyrig fascine Raphaëlle Rousseau, ce qui se comprend tout à fait. Raphaëlle Rousseau, à l’Ecole du Théâtre National de Bretagne, utilisait Seyrig et sa voix, pour aller plus loin, pour se sentir mieux, être plus forte quand une vilaine petite difficulté apparaissait. Et en novembre 2022, elle s’est décidé à créer un spectacle un rien fascinant, Discussion avec DS où elle est seule avec cette déesse, Delphine Seyrig, et avec laquelle elle change de place, pas comme on peut le faire dans un théâtre, mais plutôt entre « vie et trépas » : elles troquent leur « rang » pour mieux se comprendre, pour s’amuser aussi. Raphaëlle demande à Delphine, presque pour plaisanter, de s’échanger, pour voir ce que ça fait, pour mieux se comprendre et hop ! Delphine dit oui. Les deux discutent, chacune avec leur voix, Raphaëlle Rousseau ayant découpé, recollé ici ou là tout ce dont elle avait besoin dans les voix repêchées de Delphine Seyrig. Et cela fonctionne très bien. Au début, on s’amuse un peu, sans vraiment entrer dans le jeu. Puis on se dit, oui, c’est bon, on a compris. Raphaëlle Rousseau est fascinée par Delphine Seyrig et veut que ce soit Delphine Seyrig elle-même qui nous le fasse comprendre. Hahaha. Puis tout avance, tout dure, une mini lassitude apparaît, Raphaëlle Rousseau « déguisée » en Seyrig, vraiment, on a vu, s’est bon… Avec une perruque plus sympa encore ? Non. Et puis on écoute un peu plus, un peu mieux. La fascination déborde, Seyrig est là, et on s’attache à ce seule en scène qui prend une force de plus en plus évidente. Seyrig à travers Rousseau se raconte, s’illumine. S’explique. Donne une très belle envie de se faire mieux connaître encore. Raphaëlle Rousseau ici est victorieuse, et sait partager. Mille mercis donc. Ce spectacle nous présentant fantômes, fascinations, recherches et questions remuantes. On connaît l’actrice, ses idées. Ce féminisme qui ouvre et crée une évidence. Du vrai qui s’épanouit. Un texte élaboré avec d’autres textes, découpés, recollés, dits, lus ou les deux en même temps. Raphaëlle et Delphine inversent leurs rôles, leurs places. Elles s’en amusent, s’effraient, s’effacent pour mieux prendre pieds. Et nous sommes en face paumés, lassés puis attachés, pris. Raphaëlle Rousseau a réussi (avec l’aide de son amie DS). On les suit, on veut aller loin, tourner, comprendre ce féminisme, le porter mieux pour les années à venir. Grâce à Delphine, oui, grâce à Raphaëlle, oui !!! Merci aux deux. Un spectacle court, qui n’a rien de daté. Qui veut peut-être un peu trop dire que Seyrig passait son temps, jouait uniquement à travers un féminisme autant indéchiffrable qu’intemporel. Oui, mais aussi sur des textes fascinants, des metteurs en scène avec lesquels le courant passait. Et que peut-être parfois elle pensait à l’histoire seule et non à celle des femmes uniquement. Comment savoir ? Les tables ne tournent plus aussi bien qu’autrefois, hélas.   © India Lange   Discussion avec DS, de Raphaëlle Rousseau Collaboration artistique : Amélie Gratias Lumière : Benjamin Bouin Costumes Léa Gadbois-Lamer   Avec Raphaëlle Rousseau   Avec le soutien du Théâtre National de Bretagne (TNB) – Fonds d’insertion Porosus Discussion avec DS, a été créé en novembre 2022 dans la salle Christian Bérard de l’Athénée-Théâtre Louis Jouvet, dans le cadre de la programmation Jeune Création coconstruite par Prémisses et le Théâtre de l’Athénée pour la saison 2022-2023   Du 20 septembre au 7 octobre 2023, à 19h Les samedis 23 et 30 septembre à 17h Samedi 7 octobre à 20h Relâche les dimanches   Durée 1h10 Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris   Réservations au 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com     Samedi 30 septembre à 18h30 (à l’issue de la représentation) Projection du film Sois belle et tais-toi de Delphine Seyrig, suivie d’une rencontre avec Raphaëlle Rousseau   Mardi 3 octobre à 20h30 (à l’issue de la représentation) Débat : Les actrices, d’hier à aujourd’hui, comment renverser les règles du jeu ? Avec Raphaëlle Rousseau et Marlène Saldana (autres invitations en cours)     Tournée 2023-2024 Du 8 au 10 novembre 2023 L’Anthea – Antipolis Théâtre d’Antibes Du 15 au 18 novembre 2023 Festival du Théâtre National de Bretagne – Rennes Du 19 au 21 mars 2024 CDN de Besançon   Le texte Discussion avec DS vient de paraître aux Editions Entre deux chaises.      Read More →
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James Brown mettait des bigoudis, texte et mise en scène de Yasmina Reza, Théâtre National de la Colline
    © An- ray – Yasmina Reza   ƒ article de Article de Sylvie Boursier Si James Brown mettait des bigoudis, Maryline Monroe, autre sex symbole, portait des boots de bikers. Jacob, le héros de la pièce, se prend pour Céline Dion et son ami Philippe, blanc de peau, se vit comme noir avec un penchant pour James Brown. Ils s’imaginent séjourner dans une maison de repos qui est en fait un hôpital psychiatrique régenté par une psychiatre fantasque. Pascaline et Lionel, les géniteurs de Jacob le visitent régulièrement. Yasmina Reza joue à plein le comique de situation quasi beckettien avec ce couple complétement dépassé attendant en vain qu’on leur rende leur « Pitounet Godot ». Elle surfe sur l’air du temps tout en posant de vraies questions : au nom de quel déterminisme serait-on assigné à vivre selon notre genre biologique, notre sexe d’origine ? Qu’est-ce que l’identité ? L’auteur peut compter sur une distribution virtuose emmenée par Micha Lescot dans le rôle de Jacob. Cette grande asperge souple comme un poulpe compose une Céline émouvante et drôle, jamais vulgaire, tout en finesse. Il réussit même à remettre au goût du jour le hula hoop, injustement tombé en désuétude. André Marcon est royal dans le rôle du père, suffoqué devant son rejeton à l’accent québécois et au jogging rose fluorescent. Son couple avec Josiane Stoléru la mère, fonctionne parfaitement dans le contrepoint absurde. L’une s’adapte quand l’autre joue l’atrabilaire lançant des regards exaspérés au public. Ils font mouche à chacune de leurs apparitions. Malgré les performances des comédiens, tous irréprochables, on côtoie le vide d’un texte parfois creux et comme dit jacob « on ne peut pas chanter sa joie dans le vide », résumant parfaitement le sentiment des spectateurs à ce moment-là. Ainsi la démonstration sur le genre devient vraiment lourde lorsque Philippe James Brown entreprend de planter dans le jardin de l’hôpital francilien un sycorus, arbre du bayou, histoire de montrer que même les plantes peuvent s’acclimater dans un biotope différent de leur « genre » originel. La métaphore occupe plusieurs scènes, dépotage, rempotage, protection du végétal contre toute tentative de récupération, Philippe va jusqu’à s’enchaîner au tronc, là, on frise le ridicule. On a en même temps certains moments très beaux. Ainsi la conférence mémorable donnée par la psychiatre revisitant le conte de Grimm, Cendrillon à la manière de Joel Pommerat. Les deux sœurs maltraitantes « jolies et blanches de visage mais laides et noires de cœur » se révèlent maltraitées par cette oie blanche de Cendrillon « parangon de pureté ». A la fin elles ne se marient pas et n’ont pas beaucoup d’enfants mais trouvent le chemin de leur liberté. Yasmina Reza retourne l’archétype et livre un message aussi brillant qu’inattendu sur le rapport à la norme. Christèle Tual, abattage de reine et port de diva, crève l’écran dans ce rôle de psychiatre qui déambule en trottinette. Malheureusement l’ennui nous rejoint avec une mise en scène répétitive qui manque de folie. Les acteurs semblent perdus sur le grand plateau de la Colline, avec des entrées sorties rythmées systématiquement au son du trombone de Joachim Latarjet, excellent musicien au demeurant. James Brown a raté sa mise en plis et Céline s’en va de la caisse, mais c’est une autre histoire…   © An- ray – Yasmina Reza   James Brown mettait des bigoudis, texte et mise en scène de Yasmina Reza Costumes : Marie La Rocca Lumières : Eric Soyer avec Marie Hervé Avec : Micha Lescot, André Marcon, Alexandre Steiger, Josiane Stoléru, Christèle Tual et le musicien Joachim Latarjet Durée : 1h 45 Jusqu’au 15 octobre, du mercredi au samedi à 20h30, mardi à 19h30 et dimanche à 15h30, relâche le dimanche 24 septembre   Théâtre national de la Colline, 15 rue Malte Brun 75020 Paris   Réservation : 01 44 62 52 52 www.colline.fr   Du 27 mars au 5 mai 2024 au théâtre Marigny Le texte de Yasmina Reza a paru aux éditions Flammarion le 30 08 2023          Read More →
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Le nouvel homme, texte de Peter Van den Eede, Natali Broods et Willem de Wolf, Compagnie DE HOE, au Théâtre de la Bastille
© Koen Broos fff article de Denis Sanglard Il y a vingt ans ils s’écharpaient, à propos de tout et de rien, d’un frigo, de la chapelle Sixtine, de l’art baroque, d’un voyage en Grèce… C’était L’homme au crâne rasé, autopsie d’un amour ravageur qui ne s’avouait pas. Cruel et d’une ironie féroce, en creux s’inscrivait déjà une rupture inévitable. Vingt ans après ces deux-là se rencontrent par hasard dans le hall de l’aéroport de Rome. Enfin presque, sur le plateau reste comme figé en l’état, la scénographie de cette création de 2014, strate archéologique d’un passé qui se voudrait révolu. Et ce décor en est-il un se demande nos deux ex ? Si cela est une œuvre d’art, cela tient-il de la performance ou de l’installation ? De la réponse dépendrait alors la présence ou non de Peter et Natali. Et c’est bien ça, une question de perspective, de point de vue entre le vrai et le faux, la fiction et la réalité, les faux-semblants qui traverse cette rencontre pas si hasardeuse que ça comme nous l’apprendrons plus loin. Et donc le dialogue reprend. Comme s’il fallait crever une fois pour toute un abcès non cautérisé. Et encore une fois le langage les relie et les perd tout à la fois. Au « Je t’entends mais tu ne dis rien » qui ponctuait le dialogue de Peter il y a vingt ans, Natali répond ici « tu m’as appris à regarder ». Comme une réponse définitive aux soubresauts du monde et des certitudes qui vacillent et s’effondrent motivant son engagement politique auprès de La ligue du Nord. Au discours amoureux se substitue bientôt un discours politique, éléments de langage et stéréotypes glaçant d’une extrême droite décomplexée et cynique que confirme la présence d’un tiers, le mari de Natali, conseiller en communication du parti d’extrême droite italien, témoin muet – ou presque – d’une rencontre soudain tendue par cette révélation, observant cette joute verbale, cette conversation devenu impossible, ou vide de sens, parce qu’il n’y plus de langage commun, un même mot n’ayant plus le même signifié pour ces deux-là. Et quand le mari (Willem) prend la parole, en parfait populiste, c’est au public qu’il s’adresse, comme à des électeurs potentiels qu’il faut convaincre. Ce qui est dénoncé là sans fard c’est combien la séduction, en amour comme en politique, est aussi un mécanisme de manipulation, un enjeu de pouvoir qui se joue entre la vérité la vraisemblance. Là on ne se parle plus, on communique. Appelons ça « propagande ». Et soudain, brusquement, comme il y a vingt ans, quand les mots ne suffisaient plus, devenus impuissants, mais que la force du désir était toujours latente, Peter et Natali en viennent aux mains. Une valse chahutée, une empoignade désespérée où les corps s’accrochent l’un à l’autre tout autant qu’ils se rejettent. Et la question est posée, un homme de gauche peut il aimer une femme d’extrême droite, et inversement ? Peut-on passer, tenu par le désir qui vous fouaille, outre ses convictions ? Mais si tout cela n’était qu’une comédie de plus, un jeu de manipulation, une rencontre de dupes ? Qui manipule qui ? Qui se sait manipulé ? Sommes-nous également manipulés ? Partie truquée où ces trois jouent diaboliquement de toute ces strates, de ces ambiguïtés retorses, sans que nous spectateurs n’ayons de réponse et que la vérité comme l’horizon semblent s’éloigner plus en s’en approche. Reste le poids des mots et leur réversibilité, la pensée que l’on purge de sa vérité et travestit, les idéaux fascistes banalisées par des éléments de langage qui nous menacent. Et la fin, volontairement et intelligemment ouverte, nous laisse non sur notre faim mais sur un malaise : Willem se dévoile à Peter et nous ne saurons strictement rien de la suite… Et comme toujours avec la compagnie de Hoe (anciennement De Koe), cette façon formidable et particulière d’être sur un plateau, cette impression d’inventer le texte devant nous, de le vivre sans le jouer. Et paradoxalement de toujours souligner que nous sommes bien sur une scène, que tout ça c’est du théâtre, que le public est avant tout un partenaire à qui l’on s’adresse directement, à qui on peut mentir sans vergogne. Mettre enfin à distance ce qui est énoncé tout en poussant l’illusion de la réalité à son extrême en vidant la théâtralité de tout effet, de tout affect, abolissant de même toute frontière entre la salle et le plateau. C’est toujours une expérience troublante et qui prend ici, par ce qui est énoncé, une profondeur qui vous oblige. Pour mémoire « l’homme nouveau » auquel fait sans doute référence le titre de cette création, le nouvel homme, est une des clefs de voute de l’idéologie fasciste européenne de l’entre-deux-guerre, dans la volonté d’exercer un contrôle absolu sur les individus en les remodelant sur le plan physique et moral à partir de nouvelles valeurs et idéaux, devenant ainsi métaphores de la régénération d’une société nouvelle…   © Koen Broos   Le nouvel homme, texte de Peter Van den Eede, Natali Broods, Willem de Wolf Avec Natali Broods, Peter Van den Eede, Nico Sturm Régie technique et son : Bram De Vreese, Shane Van Laer Traductrice et coach linguistique : Martine Bom   Du 14 au 29 septembre 2023 A 20h30, le samedi à 18h30 Relâche les dimanches Durée 1h30   Théâtre de la Bastille 76 rue de la Roquette 75011 Paris   Réservations : 01 43 57 42 14 www.theatre-bastille.com      Read More →
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In a corner the sky surenders-unplugging archival journey…#1(for Nadia !), conception et chorégraphie Robyn Orlin, Théâtre de Ville / Espace Cardin
  © François Kohl   fff article de Denis Sanglard  1994, Robyn Orlin est à New-York, sans travail et sans moyen, créait In a corner the sky surenders, un solo dans un carton, le même que ceux des sans-abris de son quartier dont elle observait les mécanismes parfois violent de survie. Un solo subversif comme un manifeste qui non seulement interrogeait les mécanisme de survie mais également la condition de l’artiste, comme de l’art. Une performance brute, bricolée, comme il y a de l’art brut, fait de trois fois rien, une boite pour espace de danse et d’exploration du monde, éclairée avec quelques lampes de poches. On sait combien le regard de Robyn Orlin est aigu et sensible qui ne laisse rien passer des soubresauts et injustices du monde et chaque performance, chaque chorégraphie aussi flamboyante soit elle, exubérante même, est un constat implacable sur les disfonctionnements, le mot est faible, de nos sociétés. C’est à la danseuse et chorégraphe ivoirienne Nadia Beugré, présence forte et puissance phénoménale, qu’elle confie aujourd’hui son carton. Débarquant là comme une bag-ladies en majesté, s’adonnant à de mystérieuses activités dont elle seule semble avoir le secret. Elle réinvente le monde à sa façon, soliloque, danse, chante, embrasse son corps, disparait dans son carton, déconstruit son palais de papier, fait de ses vêtements un couvre-chef digne de la fashion-week, ou un banal oreiller et s’enroule dans son ample robe devenu sac-de-couchage, demande un massage au public, envoie quelques suppliques à Emmanuelle Macron, Anne Hildago… De ce carton, elle fait sa chambre à soi. Elle est cette clocharde céleste que plus rien ne semble atteindre, libre en sa folie. Qu’on ne s’y trompe pas pourtant, c’est toute la fragilité, un instinct de survie à vif et crâne de ces déclassés, exclus et mis au ban de notre société libérale, qui s’exprime là violemment sous l’ironie acérée de Robyn Orlin et l’humour ravageur de Nadia Beugré. Et ce qui motive la réactivation de cette performance aujourd’hui, sa toujours pertinence, c’est qu’il semble à Robyn Orlin que l’expérience du confinement due à la COVID, de sa violence même, où chacun était « en boite », à démontré encore une fois que devant ce basculement dans une précarité, voire un déclassement, aussi bien sociale que psychologique, les mêmes mécanismes de survie étaient à l’œuvre. C’est une performance coup-de-poing qui peut certes dérouter parce qu’il semble ne rien s’y passer, que quelques divagations d’une interprète en roue-libre. Ne vous y fiez pas, ce sont ces divagations là qui font que tous ceux qui dans les rues et sur leur carton nous ne regardons plus, les sans-abris, appartiennent encore à l’humanité.   © François Kohl   In a corner the sky surenders-unplugging archival journey…#1(for Nadia !) conception et chorégraphie de Robyn Orlin Musique et création sonore : Cédrik Fermont Costumes : Birgit Neppel Reconstruction du décors : Annie Tolleter Direction technique : Beatriz Kaysel Velasco e Cruz Contribution lumières : Romain de Lagarde   Du 22 au 24 septembre 2013 ven. Sam 19h, dimanche 17h   THéâtre de la Ville / Espace Cardin 1 avenue Gabriel 75008 Paris   réservations : www. theatredelaville-paris.com     Vu le 9 novembre 2022 à Chaillot, Théâtre National de la Danse    Read More →
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Dicklove, de Juglair, au Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon
  © Fabien Buring   ƒƒ article de Victoria Fourel « Je me souviens », lance-t-elle. Ça commence comme une main qui se tend. Pour dire qu’on a toujours aimé et moqué sa force, sa stature. Qu’elle s’est toujours empêchée pour ne pas diminuer les garçons, qui sont si vite fragiles. Et puis Juglair, en passant une tenue beige entre le sous-vêtement et la tenue de gym, devient homme. Ou peut-être pas ? C’est tout le jeu de ce cabaret fluide dans son genre. Au cours de cette heure de spectacle, la comédienne circacienne choisit sa discipline de prédilection, le mât chinois, pour pointer du doigt une contradiction. Cette barre qui se dresse est tantôt instrument de force quand elle est pratiquée par des hommes, tantôt objet d’hyper-sexualisation quand c’est une femme qui s’essaie au pole dance. Qu’est-ce qui fait que notre regard change ? Qu’est-ce qui fait l’homme et la femme dans le mouvement, dans le déplacement, pour que cela nous dérange tant lorsqu’on le modifie ? La présence de Juglair réussit parfaitement ce tour de force : « devenir » en quelque sorte homme et femme, osciller, chercher ce qui fait l’un ou l’autre, et aussi parler de son propre corps. Trop puissante pour être femme, est-on vraiment une femme ? Ce cabaret techno et complètement dans l’air du temps passe d’un numéro à l’autre, d’images ultra féminines à ultra viriles, d’envols très beaux au mât à des chansons qui scandent un besoin d’être à la lisière de tout. La recherche corporelle autour de la posture et de la barre pose vraiment quelque chose de très impressionnant. On est moins convaincu par les parties qui chantent les difficultés de la reconnaissance d’un genre, ou plutôt d’un non-genre, qui égraine de façon un peu appuyée un champ lexical. Il y a du panache dans ces costumes, dans la présence d’artistes qui s’amusent des codes, mais cela devient presque conventionnel dans le fait de ne pas l’être. De la même façon, vu le travail de corporalité et d’observation, on aurait eu envie de plus de facettes du masculin et du féminin, plus de passages au mât, qui finalement, n’est pas au centre des trajectoires des personnages qui apparaissent et disparaissent. Le spectacle devient davantage un manifeste pour la liberté de s’affranchir des lignes droites. Et même si c’est pertinent, enlevé, énergique, on perd de l’imaginaire et de la poésie de ce corps qui n’avait parfois pas besoin d’en dire plus.   © Fabien Buring     Dicklove, de Juglair Création avec Juglair, Lucas Barbier Regards extérieurs, Dramaturgie Claire Dosso, Aurélie Ruby Lumière Julie Méreau Costumes Léa Gadbois-Lamer Avec Juglair et Lucas Barbier   Du 20 au 23 septembre 2023 Parvis du Théâtre de la Croix-Rousse Durée 1 h   Théâtre de la Croix-Rousse Place Joannès Ambre 69004 LYON Réservation au 04 78 03 30 00 www.tnp-villeurbanne.com        Read More →
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